Lettre à Alfred Rosmer, 28 février 1930

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Constantinople 28 Février 1930]

Cher ami,

Je termine ma lettre hier interrompue par le courrier. On est ici content du N° 24 comme du précédent. Je continue à n’être pas satisfait de la traduction de mon article : c’est une adaptation libre et même, trop libre. Il y a un tas d’Hélas introduits par le traducteur. La « direction » dans le sens concret de Comité Central est remplacée presque partout par « directive ». Le traducteur a dû se servir non du manuscrit mais du Bulletin, car les fautes chronologiques du Bulletin russe (dont la correction est misérable) sont reproduites dans le texte français, alors que le manuscrit russe qui vous est envoyé est corrigé par moi avec le plus grand soin.

La question italienne (bordiguiste) reste pour moi tout à fait énigmatique et par cela même inquiétante. Quel est le sort personnel de Bordiga? Sait-on quelque chose de lui? Puis la question des groupes bordiguistes à l’étranger : je ne crois pas que nous puissions continuer à les traiter dorénavant comme on l’a fait jusqu’à ces temps-ci. Ces camarades restent sur le plan étroitement national. Ils ont peur de s’approcher des autres. Ils ne participent pas à la vie internationale. Ils se forgent sur beaucoup de questions des idées bizarres. Si l’on continue à le tolérer passivement, ils nous joueront, et à eux-mêmes aussi, un mauvais tour, du genre d’Urbahns. Et à ce moment, on aura tout le travail à recommencer. C’est absolument inévitable. Comment les choses se sont-elles passées jusqu’à maintenant ? Us se sont adressés à moi par une lettre ouverte dans le Prometeo (est-ce qu’il continue à paraître ?). Je leur ai répondu amicalement. Ils n’ont pas publié ma lettre — et naturellement pour des raisons politiques et non techniques. La Vérité ne l’a pas publiée non plus. Je crois que c’était une faute parce qu’on leur a facilité la tactique de la dérobade. Et on devra recommencer ce procédé toujours délicat dans des conditions déjà aggravées par le temps perdu.

Il faut leur forcer la main coûte que coûte... Nous ne pouvons pas attendre avec eux le moment où Bordiga aura la possibilité de se prononcer. S’il y a la confusion et l’indécision dans leurs rangs, il faut provoquer la différenciation. En somme, nous avons besoin d’avoir des amis décisifs dans la classe ouvrière italienne. Sans cela, même les « ultras » de L’Ouvrier Communiste auront le dessus, parce qu’ils sont décidés, doctrinaux, agressifs, etc., et pas tout à fait bêtes. Qu’est-ce que vous croyez faire maintenant? S’il n’y a pas d’autre voie, je m’adresserai à eux par une nouvelle lettre ouverte, en les invitant à répondre aux questions que j’ai posées.

Je me souviens que vous avez voulu les aider à faire l’édition de ma Révolution défigurée mais nous avons tout à fait oublié tous les deux que cette édition appartient à Rieder. Qu’est-il advenu de cette entreprise ?

Je ne réponds pas à Marguerite sur la question qui l’intéresse le plus. Qu’elle patiente encore quelques jours.