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Les temps héroïques continuent
Auteur·e(s) | Karl Radek |
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Écriture | 19 janvier 1922 |
Aussi pauvres que soient les résultats concrets de la conférence de Washington on ne peut douter que l'Angleterre, l'Amérique et le Japon redoutent un conflit entre elles. Cette crainte suscite une tentative de rapprochement entre l'Amérique et l'Angleterre. La position de l'Angleterre en est momentanément affermie ; elle recouvre sa faculté d'initiative dans les questions d'Europe centrale. Les politiques anglais les plus clairvoyants et notamment Lloyd George comprennent l'impossibilité d'obtenu1 de l'Allemagne la somme formidable de 182 milliards de marks or. Mois toute concession faite à l'Allemagne aurait pour contre-coup des difficultés créées à la France. C'est pourquoi la question des. concessions financières à faire à l'Allemagne ne peut être résolue sans celle des dettes interalliées. Elle se posera pourtant incessamment à l'ordre du jour. Que l'Allemagne réussisse à faire face aux échéances prochaines ou qu'un moratorium lui soit accordé, sa ruine économique ne s'en poursuivra pas moins si les alliés ne lui consentant pas un emprunt considérable. Les résultats des voyages de MM. Stinnes et Rathenau sont enveloppés de mystère. Une chose est pourtant certaine. Dans ces négociations M. Stinnes cherche à atteindre, par le moyen des mains anglaises ses buts économiques, c'est-à-dire l'expropriation des chemins de fer d'État du Reich. Les commentaires de la presse anglaise montrent qu'il s'agit de concéder les chemins de l'Etat allemand à un syndicat financier anglo-germanique qui consentirait au Reich un prêt important. Sir Horne, ministre du Commerce, dans le cabinet anglais, a pu dire que l'Allemagne n'avait aucun droit d'exiger des alliés un adoucissement des conditions financières, si elle consacre de fortes sommes à diminuer le prix du pain pour ses populations et tolère le déficit considérable des chemins de fer. Nous n'insisterons pas sur les causes de ce déficit, cherté excessive du fer et de la houille que l'Etat allemand doit acheter aux trusts Stinnes et à d'autres, tout en étant obligé par ces mêmes trusts à maintenir sur ses réseaux des tarifs insuffisants. Le fait important c'est que l'Entente se prépare à présenter au gouvernement allemand et aux masses laborieuses d'Allemagne les exigences mêmes que M. Stinnes et ses amis leur ont présentées sans succès.
Le succès de ces manœuvres anglaises dépendra dans une large mesure de l'attitude de la France. Si la Grande-Bretagne réussit à convaincre cette dernière que peu lui importe par quels moyens elle sera payée pourvu qu'elle soit payés, l'Allemagne se trouvera devant cette question : acceptera-t-elle de laisser contrôler ses destinées en subissant la domination économique totale des alliés et en premier lieu de l'Angleterre ?
Tout en préparant l'asservissement de l'Allemagne par l'institution d'un contrôle économique et financier, le gouvernement anglais encourage l'idée d'un syndicat financier anglo-allemand (auquel la France serait, par respect des convenances, invitée à participer) pour l'exploitation de la Russie. Les projets de M. Stinnes ont été favorablement accueillis à Londres. Si l'Angleterre impose sa domination économique à l'Allemagne, la coopération des capitaux allemands et anglais en Russie sera en réalité une fiction destinée à masquer l'utilisation par les Anglais des capacités organisatrices de l'industrie germanique et de sa connaissance du marché russe, pour faire de la Russie une sorte de colonie anglaise. La France dans tout cela jouera à peu près le rôle de la cinquième roue du chariot. En assumant la défense de l'Allemagne, le gouvernement anglais jugulerait aisément la France qui perdrait à l'égard de la Russie jusqu'aux apparences de sa liberté d'action.
Nous ne manifesterons au sujet de ces desseins aucune indignation lyrique. Lorsque le monde capitaliste versait sur les affamés de Russie des larmes hypocrites, nous ne doutions pas que sa grande sensibilité ne l'empêcherait en rien d'exploiter notre situation. Nous avons eu raison. Les puissances capitalistes contemplent d'un œil froid l'agonie et la mort de millions de fils du peuple russe et se content d'envoyer de temps à autre au peuple qui meurt quelques caisses de médicaments ou quelques milliers de boîtes de lait concentré. Mais d'autre part, elles retardent sciemment l'ouverture des négociations au sujet des dettes russes afin de nous poser leurs conditions au moment de nos plus grandes difficultés. Leur condition essentielle sera l'acceptation par la Russie du crédit financier qui lui ouvrirait un consortium international qui exigerait en échange le contrôle, dans une large mesure, de l'économie russe. Nous savons que tous les palabres sur l'aide économique d'un pays à un autre resteront dépourvus de sens, tant que durera le capitalisme. Nous avons dit, dès le premier moment, aux travailleurs russes, que nous devions nous attendre à payer au capital étranger un tribut important. Nous n'avons jamais oublié que l'Angleterre est pour le moment notre partenaire le plus important dans les questions ayant trait à la paix, que nous devons compter avec elle et que nous devons lui payer le tribut ; mais si le gouvernement anglais s'imagine pouvoir nous jeter autour du cou le nœud coulant d'un consortium international qui dicterait en Russie les prix et y serait le véritable maître économique, c'est encore à voir.
Nous avons déjà indiqué que la politique anglaise, si elle triomphait signifierait la fin de l'indépendance politique de la France à l'égard de la Russie. Pour ce qui est de l'Allemagne l'assentiment de ses gouvernants au complot de M. Stinnes et des capitalistes anglais équivaudrait à une conjuration et contre les masses laborieuses de la Russie et contre l'avenir de l'Allemagne elle-même. M. Scheffer, du Berliner Tageblatt, nous reproche de ne pas bien comprendre, à Moscou, l'étendue des libertés politiques allemandes. Il se trompe. Nous comprenons comme lui la nécessité d'appeler à participer à la reconstitution de la Russie le capital anglais, américain et français ; nous comprenons aussi bien notre dépendance de l'Entente que celle de l'Allemagne. Nous savons même que l'Allemagne en dépend beaucoup plus que nous. Les courants allemands qui tour à tour s'orientent exclusivement vers la France ou l'Angleterre ou vers la Russie des soviets nous ont toujours paru traduire le penchant de l'esprit allemand pour les systèmes absolus. D'une part l'accord avec l'Occident signifie l'asservissement de l'Allemagne, qui, de l'autre, n'est pas en mesure de rompre avec l'Entente. Mais la question qui se pose à elle est celle-ci : renoncera-t-elle, par suite de ses difficultés actuelles, à son indépendance politique à l'avenir ? Renoncera-t-elle à suivre dans la mesure du possible une politique économique indépendante à l'égard de la Russie, qui lui permettrait d'augmenter d'année en année la quantité des matières premières importées d'Orient et de se libérer, dans la même mesure, de la pression économique des pays nu change supérieur ? Nous ne traiterons pas ici de toutes les possibilités politiques de l'avenir. Il nous suffit de mettre en évidence que la décision du gouvernement allemand et des industriels allemands, au sujet des plans de M. Stinnes et des financiers anglais, décidera de l'existence, pour la Russie, d'une Allemagne politique.
Ce n'est certes pas notre affaire de discuter les résolutions des classes aujourd'hui dirigeantes d'Allemagne. Le gouvernement russe aura seulement à se préoccuper de sa défense. La Gazette de Cologne a parlé d'un accord entre la France et la Russie, celle-ci devant reconnaître le traité de Versailles et bénéficier, à son tour du droit que lui réserve le traité de paix d'obtenir de l'Allemagne des réparations La Gazette de Cologne feint d'être infirmée par des personnalités appartenant au gouvernement des soviets. Nous pensons qu'elle puise ces informations à des sources d'outre-Manche. Le gouvernement des soviets a les mains libres. Il a le choix des armes pour la défense des intérêts russes. L'article 116 du Traité de Versailles n'est pas le seul moyen qu'il ait pour combattre le projet de M. Stinnes. Qu'on sache seulement qu'à l'égard de l'Allemagne, comme à l'égard des alliés, le gouvernement des soviets mettra tout en œuvre pour s'opposer a l'asservissement de la Russie.
Sans une paix durable avec la Russie, assise sur des bases permettant au peuple russe de bâtir une demeure qui lui appartienne, il n'y aura dans le monde ni paix véritable ni reconstitution économique. L'étendue de la Russie et sa puissance économique ne permettent pas de la réduire en esclavage. Le tout est de savoir si sa reconstitution économique sera rapide ou si les puissances capitalistes l'entraveraient afin de profiter de ses difficultés pour l'exploiter. Le Parti Communiste et les masses laborieuses dont il est le guide doivent s'accoutumer à l'idée non seulement de faire des sacrifices au monde capitaliste mais encore d'en faire pour ne pas lui être asservi. Les alliés spéculent sur le besoin que nous avons de relations avec l'Occident. Peut-être aurons-nous, à notre tour, l'occasion de spéculer sur le besoin qu'ils ont d'une Russie asservie. Ils n'ont pas encore complètement renoncé à la politique d'intervention militaire. Les entreprises de von Capelle en Extrême-Orient et la politique de Piłsudski le prouvent assez. Quant à nous, nous ne considérons pas nos temps héroïques comme finis, nous tendrons au contraire nos forces pour entretenir une armée redoutable. Il faudra le dire aux milliers de paysans venus au congrès des soviets, pour que, rentrés chez eux, ils annoncent au peuple des campagnes de longues luttes nouvelles. Les propriétaires, nous les avons vaincus ; la terre est aujourd'hui aux paysans ; mais le capital étranger veut en recueillir les fruits. Il veut dominer la terre russe. Les travailleurs de Russie comprennent bien ce jeu qui n'a pour eux rien de nouveau. Le prolétariat international qui, dans la lutte contre la famine, nous envoie ses oboles prouve ainsi qu'il se rend compte de l'importance de la Russie des soviets pour la libération de l'humanité. Il aura peut-être à nous apporter son aide sous d'autres tonnes encore.
La situation s'éclaircit. Nous sommes en présence d'une offensive économique du capital international contre la Russie des soviets. Cette intervention-là est peut-être plus dangereuse encore que l'intervention militaire.