Les Communistes et la presse bourgeoise

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Il faut avant tout rappeler que le problème général de la collaboration à la presse bourgeoise a pour origine le fait qu’une couche importante des journalistes les plus mal payés, mécontents d’être exploités, sont attirés par le parti socialiste et parfois même le parti communiste. Obligés de s’adapter dans leur travail pour la presse bourgeoise aux idées de leurs éditeurs et aux goûts du public, des éléments de ce genre vivent une double vie et apportent duplicité et corruption morale profonde dans les rangs du parti prolétarien. Il en découle la nécessité impérieuse de protéger le parti de la contamination par les journalistes payés par la bourgeoisie — des gens qui, en vertu de leur capacité d’adaptation et de leur agilité prennent des postes responsables dans le parti prolétarien et en évincent les travailleurs, qui, aux moments de crise, révèlent invariablement leur manque de fermeté et trahissent la cause du prolétariat. Telles sont les véritables bases sociales qui sont sous-jacentes à la question de la collaboration avec la presse bourgeoise et c’est bien ainsi que le problème se pose en réalité.

Il n’en découle pas cependant qu’on puisse ou qu’on doive ériger d’impénétrables barrières entre le parti prolétarien et la presse bourgeoise dans toutes les conditions. Il suffit de citer, du riche fonds du passé, quelques-uns des exemples historiques les plus frappants à cet égard. Marx écrivait régulièrement pour la Tribune de New York. Engels donna beaucoup d’articles à la presse bourgeoise anglaise. Lénine a écrit un article sur Marx et le marxisme pour la publication libérale-populiste Dictionnaire encyclopédique Granat. Trotsky, avec l’accord du bureau politique, écrivit un article sur Lénine en 1926 pour la réactionnaire Encyclopédie Britannica. Aucun de ces exemples n’a rien à voir avec le travail qu’un communiste est obligé de faire s’il travaille pour la presse bourgeoise, dissimuler, nier ses propres convictions, ou supporter les injures contre leur propre parti, se soumettant aux éditeurs et se confondant indistinctement avec eux.

Dans les premières étapes du mouvement révolutionnaire, surtout quand le parti prolétarien n’a pas encore une presse influente propre, il peut être politiquement nécessaire, pour des marxistes, d’écrire pour la presse bourgeoise. En Chine, par exemple, bien que le long séjour du parti communiste dans le Guomindang eût des conséquences désastreuses pour le parti et la révolution, des contributions proprement organisées de communistes chinois aux publications de gauche du Guomindang, auraient pu avoir une grande valeur de propagande.

On pourrait dire la même chose de l’Inde où la formation de partis « ouvriers-paysans » — bourgeois en fait — de la variété Guomindang ont pavé la voie pour les défaites de la pire espèce pour le prolétariat. Pourtant, l’indépendance totale et sans condition du parti communiste n’exclut pas des accords révolutionnaires avec d’autres organisations de masse pour l’utilisation de journaux nationaux-démocratiques par les marxistes — sous le contrôle du parti.

Comment ce problème est-il résolu aujourd’hui par les partis communistes européens ? Il a été posé à l’envers. Bien que les communistes ne puissent pas écrire aujourd’hui pour les publications bourgeoises, les publications communistes sont pour la plus grande partie faites par des journalistes bourgeois de second ordre. L’explication en est que l’appareil de la presse et du parti, matériellement indépendant des effectifs du parti lui-même, a grandi à de monstrueuses proportions, sur une base organisationnelle interne étroite, ce qui fait que, non seulement il n’offre pas d’emploi aux journalistes communistes qui existent déjà, mais aussi attire des journalistes bourgeois, la plupart du temps incompétents qui sont incapables de réaliser des carrières fructueuses dans la presse capitaliste. Cela explique en particulier le niveau extrêmement bas de la presse des partis communistes, son absence de principes, son manque d’idées indépendantes ou de mérites individuels, le fait qu’elle soit à tout moment prête à déclarer noir le blanc et vice versa.

Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les partis communistes d’Occident ne souffrent pas tellement des difficultés intrinsèques à des partis révolutionnaires du prolétariat dans des pays capitalistes, que des maux que le P.C.U.S. n’eut à combattre qu’après avoir conquis le pouvoir d’État (carriérisme, protection des ennemis de la révolution, etc.). Sans être au pouvoir, les partis communistes souffrent des maux qui affectent les partis au pouvoir — reflétant ceux du P.C.U.S. stalinisé.

L’Opposition se trouve dans une situation tout à fait exceptionnelle. Elle est la représentante immédiate et directe aujourd’hui seulement d’une minorité toute petite de la classe ouvrière. Elle n’a derrière elle ni organisations de masses ni ressources de gouvernement. En même temps, l’Opposition a encore son autorité morale dans les masses et son capital idéologique parce que, dans chaque pays, l’Opposition comprend les éléments qui ont dirigé l’I.C. dans la période de ses quatre premiers congrès et comprend dans la république soviétique ceux qui, aux côtés de Lénine, ont fondé et dirigé cette république.

L’Opposition est mécaniquement séparée des larges masses de l’appareil répressif stalinien qui utilise les victoires de la bourgeoisie mondiale sur le prolétariat et les pressions des nouveaux éléments possédants en U.R.S.S. dans ce but.

Si on laisse de côté certains propos isolés et ambigus de la presse démocratique et social-démocrate sur la déportation des Oppositionnels, etc., si on prend l’évaluation globale de la lutte entre l’Opposition, les centristes et la droite, faite par la presse bourgeoise et petite-bourgeoise, une image claire se dessine. Conformément à son habitude, la presse bourgeoise transcrit cette lutte sur des principes en termes de personnalités et dit : Staline a incontestablement raison contre Trotsky et Rykov probablement raison contre Staline. Mais ce n’est pas tout. Pendant ces années de lutte, la presse bourgeoise a utilisé la terminologie de la presse stalinienne pour caractériser l’Opposition (pillage de la paysannerie, restauration du communisme de guerre, tentative de provoquer une guerre ou des aventures révolutionnaires, refus de défendre l’U.R.S.S. et finalement préparation d’un soulèvement armé contre le pouvoir soviétique). Prétendant croire à cette calomnie, la presse bourgeoise l'utilise adroitement pour combattre le communisme en général et son aile la plus résolue et la plus ferme, l’Opposition, en particulier. Des dizaines de millions de travailleurs dans le monde se sont vus transmettre cette calomnie, fabriquée par la fraction Staline, à travers les pages de la presse bourgeoise et social-démocrate.

C’est un fait historique élémentaire que la fraction Staline a étroitement collaboré avec la bourgeoisie mondiale et sa presse dans la lutte contre l’Opposition. Cette collaboration pouvait apparaître avec le plus de netteté dans l’affaire de l’exil de Trotsky en Turquie et l’accord de Staline avec les éléments les plus réactionnaires du gouvernement allemand pour ne pas autoriser Trotsky à entrer en Allemagne. Notons à cette étape que l’aile la plus « gauche » des social-démocrates est d’accord (verbalement) pour que Trotsky soit admis en Allemagne — à la condition qu’il s’abstienne de toute activité politique : c’est-à- dire qu’ils lui adressent la même exigence que Staline à Alma- Ata. Quant à l’Angleterre et à la France, Staline pouvait, même sans accord formel, compter sur le soutien de leurs gouvernements et d’organes de presse comme Le Temps et The Times, qui se sont catégoriquement opposés à l’admission de Trotsky. En d’autres termes, Staline a un accord de jure avec la police turque et une partie du gouvernement allemand et un accord de facto avec la police bourgeoise mondiale. La substance de cet accord est de sceller les lèvres de l’Opposition. La presse bourgeoise, indépendamment de certaines exceptions isolées et épisodiques donne fondamentalement sa bénédiction à cet accord. Tel est en gros l’alignement des forces. Seuls les aveugles peuvent ne pas le voir. Seuls des bureaucrates bien payés peuvent le nier.

Il existe un obstacle qui empêche ce front uni d’atteindre avec plein succès son objectif de condamnation de l’Opposition au silence, cependant, c’est le fait, déjà mentionné, que dans de nombreux pays et en particulier en U.R.S.S., l’Opposition a à sa tête des révolutionnaires qui sont connus des larges masses des travailleurs et dont les dernières ont un grand intérêt pour les idées, la politique et la destinée. Ajoutons-y l’élément de sensation politique créé par les formes dramatiques sous lesquelles a été menée la lutte contre l’Opposition. Ces circonstances ont donné à plusieurs reprises à l’Opposition une possibilité de briser le front uni entre la presse stalinienne et la presse bourgeoise. Ainsi, la déportation du camarade Trotsky lui a donné la possibilité de déclarer dans les pages de la presse bourgeoise diffusée à des millions d’exemplaires, que l’Opposition combat le socialisme national stalinien et pour la cause de la révolution internationale ; que l’Opposition sera au premier rang pour défendre l’U.R.S.S. contre ses ennemis de classe ; et que l’accusation de préparer un soulèvement armé contre le pouvoir soviétique ou de tentatives d’assassinat terroriste n’est rien qu’une vile machination bonapartiste.

Il serait évidemment absurde d’affirmer que l’Opposition, même une seule fois, pourrait présenter en totalité son programme réel dans les pages de la presse bourgeoise. Mais c’est une victoire importante, ne serait-ce que d’avoir réfuté les plus venimeux des mensonges thermidoriens dans des publications aux tirages de dizaines de millions d’exemplaires et ainsi encouragé un certain nombre d’ouvriers qui ont lu ces articles à découvrir les véritables idées de l’Opposition. Ç’aurait été un doctrinarisme stupide et pathétique que de repousser une occasion aussi exceptionnelle. L’accusation de collaboration avec la presse bourgeoise répugnante, elle est simplement stupide, venant de ceux qui livrent les Oppositionnels à la police bourgeoise.

Il n’est pas nécessaire de répéter ou d’élaborer à partir du fait qu’il est maintenant plus que jamais important pour l’Opposition d’établir, renforcer et développer sa propre presse, et non seulement pour la lier aussi étroitement que possible à l’avant- garde révolutionnaire de la classe ouvrière, mais pour la placer organisationnellement et financièrement dans la dépendance de cette avant-garde. Dans cette tâche, nous ne pouvons permettre même un soupçon des habitudes et des pratique des presses social-démocrate et stalinienne officieuses qui règlent les questions à partir de considérations de salaire et de carrière. Le dévouement révolutionnaire et la fermeté idéologique de la rédaction et des équipes de la presse de l’Opposition doivent être constamment vérifiés de la façon la plus stricte possible.

Des exemples individuels de collaboration à la presse bourgeoise qui, par leur nature même, ne peuvent être qu’épisodique et de signification secondaire, doivent être placés sous le contrôle étroit de l’Opposition, organisée à l’échelle nationale et internationale. La création de cette organisation est la tâche centrale du moment. C’est seulement si cela est fait que nous pourrons parler sérieusement de sauver le Comintern qui est en train de se décomposer sous les communistes centristes et droitiers, ou de le ressusciter et de le renforcer sous le drapeau de Marx et de Lénine.