Préfaces

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Préface à l’édition française de 1909[modifier le wikicode]

Cet écrit parut d’abord en Allemagne, en, 1892, comme commentaire du programme que la Social-Démocratie allemande venait de se donner à Erfurt à l’automne de 1892. J’ai fait subir au texte original, pour l’édition française, quelques modifications, d’ailleurs sans grande importance.

Les programmes de presque tous les partis socialistes reposent aujourd’hui sur les mêmes principes théoriques. Il suffisait donc d’écarter quelques renvois au programme spécial d’Erfurt, pour faire de mon commentaire à ce programme un commentaire de l’évolution générale des idées socialistes, et pour transformer son caractère plus particulièrement allemand en un caractère international.

Puis j’ai remplacé la documentation « statistique » de la première édition, vieillie puisqu’elle s’appuyait sur la statistique industrielle allemande de 1882, par les données que m’a fournies la statistique de l’Empire allemand de 1895.

Enfin, j’ai procédé à une révision générale tendant à rechercher si les discussions déchaînées en 1898 par le livre bien connu de Bernstein nécessitaient quelques changements. J’ai pu voir une fois de plus à cette occasion combien ces discussions ont été stériles, combien il en est sorti peu de chose. Elles ne m’ont déterminé à aucun changement essentiel, dans mon livre.

En un seul point je me suis vu obligé de modifier quelque peu ce que j’avais exposé en 1891. Il s’agissait du recul de la petite agriculture. Mais si je n’avais pu maintenir à ce sujet tout ce que j’avais écrit il y a treize ans, ce n’est nullement imputable au mouvement de révision provoqué par Bernstein. Lui-même n’a rien dit d’important au sujet de la question agraire. S’il a fallu modifier dans une certaine mesure, au moins pour un temps prochain, notre manière d’envisager le recul de la petite exploitation en agriculture, cela est dû non pas à de nouvelles conceptions ou critiques, mais à des faits nouveaux, qui ne s’étaient pas manifestés il y a une dizaine d’années, et que de nouvelles constatations statistiques ont mis en lumière, notamment en Allemagne et en Angleterre. Les faits nous obligent à une modification, mais nullement à une volte-face complète de nos conceptions sur l’évolution de l’agri­culture. Et lorsque David et ses amis concluent qu’en agriculture l’avenir est à la petite exploitation, il n’y a là qu’une généralisation hâtive de quelques phénomènes locaux très récents, généralisation qui ne prouve rien d’autre que la façon de penser « petite-bourgeoise ». de ses auteurs.

Abstraction faite de ces modifications, l’édition française est une reproduction fidèle de l’original allemand.

C’est pour moi un agréable devoir que de remercier ici le traducteur, M. Léon Rémy, pour les bons soins qu’il a donnés à cette reproduction.

K. KAUTSKY.

Berlin, 3 mars 1909.

Préface à l’édition allemande de 1892[modifier le wikicode]

A l’occasion des discussions que souleva le projet de doter le parti démocrate socialiste allemand d’un nouveau programme, je fis une proposition dans la Neue Zeit; je demandai que l’on composât un commentaire populaire de ce programme qui développerait, établirait et fonderait ses thèses brèves et nues.

Invité à réaliser moi-même mon projet, je me mis à l’œuvre, mais je trouvai bien­tôt qu’il était impossible de rester dans les limites d’un manifeste comme je l’avais pensé tout d’abord, du moins si l’on voulait exposer, d’une façon complète et intelli­gible pour tous, les principes qui permettent de porter un jugement sur notre parti. Il aurait fallu, en effet, me borner à les caractériser brièvement, et dans l’hypothèse la plus favorable, je n’aurais pu donner qu’un maigre pastiche du Manifeste communiste, exigeant lui-même, comme ce dernier, pour être compris, certaines connaissances préliminaires d’économie et d’histoire. Ou bien encore, j’aurais dû me contenter d’expliquer quelques propositions principales peu nombreu­ses. C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs, dans une brochure, qui parut en même temps que le petit livre.

Mais cette brochure ne remplit pas le but que j’avais en vue en faisant ma proposition. A côté des courtes brochures qui attirent l’attention des masses sur nos efforts, nous avons besoin d’une sorte de Catéchisme de la démocratie socialiste, d’un Manuel, destinés à ceux qui veulent se familiariser davantage avec le cours des idées socialistes, d’un guide pour le propagandiste, qui doit y initier autrui. Un écrit semblable manque encore à notre littérature. Toutes les œuvres de la littérature allemande qui dépassent l’étendue d’une brochure sont des monographies, dont chacune étudie un ou plusieurs côtés du socialisme moderne, mais dont aucune ne les examine tous. Sans doute, cette littérature est, dès aujourd’hui, assez importante pour permettre d’entendre nos principes sous tous les rapports. Si l’on a lu et compris le Capital, de Marx, les écrits de Engels, sur La situation de la classe ouvrière en Angleterre, le Socialisme utopique et le Socialisme scientifique, l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État , puis La Femme et le Socialisme, de Bebel, et enfin le Manifeste communiste, que nous avons déjà cité et qui, comme un fil rouge, traverse toutes ces œuvres et les inspire[1] , on est certes capable déjà de saisir, sous toutes ses faces, l’ensemble des idées socialistes modernes.

Mais la lecture de ces livres n’est pas l’affaire de tout le monde. Il manquait jusqu’à maintenant une œuvre intermédiaire entre les brochures et les travaux spéciaux. On n’a pas encore exposé et fondé, d’une façon populaire mais suffisam­ment complète et approfondie cependant, l’ensemble des principes de la démocratie, socialiste.

Le présent travail a pour objet d’essayer de combler cette lacune. A propos du programme d’Erfurt, nous nous proposons d’exposer le monde des idées socialistes sous chacun de ses rapports essentiels, et qu’il est important de connaître pour com­prendre la démocratie socialiste. Il n’est naturellement pas question ici de légitimer systématiquement, scientifiquement le socialisme ; il s’agit, avant tout, de fournir à chacun les connaissances qu’exige l’action pratique de la démocratie socialiste. Aussi nous contentons-nous d’effleurer en quelques mots les théories générales fondamen­tales ; nous nous bornons à donner les résultats auxquels est arrivée la science, sans les prouver et sans les analyser. Approfondir davantage ces théories est l’objet de l’étude spéciale. Par contre, nous nous étendons sur une série de questions de détail qui nous touchent de plus près et fournissent, en ce moment, matière à de vives discussions ; citons, par exemple, la disparition de la petite exploitation, les cartels, la surproduction, la position de la classe ouvrière vis-à-vis de l’action politique et syndicale, etc., et surtout la question de la « société future ».

En somme, la présente étude, telle qu’elle est conçue, ne nous offre qu’un aperçu des idées déjà exprimées dans les œuvres fondamentales de la littérature démocrate socialiste. Mais ce projet assez large impose par endroits l’obligation d’étudier des sujets dont la littérature de notre parti ne s’est pas encore préoccupée ou qu’elle a traités isolément. Nous espérons donc que tous nos lecteurs, ceux qui, jusqu’à présent, se sont tenus éloignés de notre parti, et ceux qui connaissent notre littérature rencon­treront, dans cet opuscule, plus d’une pensée nouvelle pour eux.

Enfin, j’ai l’agréable devoir de remercier ici mon cher ami et collaborateur, Edouard Bernstein, pour l’assistance qu’il m’a prêtée dans ce travail comme dans beau­coup d’autres, en m’éclairant de ses conseils et de ses observations critiques.

K. KAUTSKY.

Stuttgart, Juin 1892.

  1. La Situation de La classe ouvrière en Angleterre a bien été publiée deux ans avant le Manifeste communiste, mais cette œuvre est déjà conçue dans le même esprit que ce dernier.