Catégorie | Modèle | Formulaire |
---|---|---|
Text | Text | Text |
Author | Author | Author |
Collection | Collection | Collection |
Keywords | Keywords | Keywords |
Subpage | Subpage | Subpage |
Modèle | Formulaire |
---|---|
BrowseTexts | BrowseTexts |
BrowseAuthors | BrowseAuthors |
BrowseLetters | BrowseLetters |
Template:GalleryAuthorsPreviewSmall
Special pages :
Le marais perfide
Auteur·e(s) | Saumyendranath Tagore |
---|---|
Écriture | 3 septembre 1948 |
A Shrimati
3 septembre 1948
L’INTELLECTUEL
Ils ont l'air tellement vieillis et frêles. Comme ils cultivent assidûment cet air fragile, marque indéfectible de l'intellectualisme ! Ils ont lu des tonnes de livres et ont résolu tous les problèmes de la vie. Ce sont les "intellectuels de notre époque". La politique ? Bien sûr, ils en connaissent tous les rouages, d'Aristote à Attlee, du socialisme utopique au stalinisme, ils connaissent tout. Ils ont lu tout ce qui vaut la peine d'être lu sur ce sujet. Dans le coin douillet du salon, fortifiés par des cigarettes et du café, et inspirés par un couple de sexagénaires ou de trentenaires rouillés, ils deviennent des politiques. Les idées politiques gelées dégèlent dans leur esprit et la largeur et la profondeur de leurs convictions politiques rendent les auditeurs fragiles tout simplement haletants.
Mais demandez-leur de sortir du salon pour aller sur la route poussiéreuse, dans les usines et les champs où les théories politiques reçoivent leur test final et leur reconnaissance suprême, et aussitôt leur sagesse s'évanouira comme l'arc-en-ciel et ils ressembleront à une masse inerte de matière morte, pourrie sur pied.
Anti-impérialisme ? Bien sûr, ils sont d'ardents défenseurs de l'anti-impérialisme. Dans l'atmosphère feutrée du salon et en présence des Juliette, leur héroïsme n'a pas de limite. Leur sainte colère contre les Churchill, les Amery et les Linlithgow atteint la chaleur du fer blanchi au feu, et ils se livrent à une frénésie anti-impérialiste, uniquement pour l'attention des demoiselles admiratives et d'eux-mêmes.
Mais demandez-leur de s'aligner avec les étudiants et les travailleurs dans les rues, pour défier les lois anarchiques des impérialistes, de défier les ukases impérialistes qui portent atteinte à la dignité humaine, de revendiquer les libertés civiles en risquant l'emprisonnement et de rejoindre les masses dans leur lutte contre les oppresseurs impérialistes, et vous ne bouderez pas votre plaisir. Immédiatement, l'héroïsme meurt sur leurs lèvres pâles, leur colère anti-impérialiste se refroidit jusqu'à atteindre un point de congélation et ils ressemblent à autant de caniches aux regards hagards et malheureux... Ils sont les méduses humaines qui s’étalent sans vie au moindre contact avec le soleil de la réalité.
Des problèmes sociaux ? Existe-t-il un problème social sous le soleil qu'ils ne connaissent pas ! Interrogez-les sur l'histoire de l'origine du système des castes, sur la cause du communautarisme, et ils vous aveugleront de leurs éclairs intellectuels, et le salon se sentira illuminé par l'iridescence de ces lueurs intellectuelles.
Mais demandez-leur de coopérer avec vous dans votre travail pour l'abolition du système des castes et pour le renforcement de l'harmonie entre les masses hindoues et musulmanes, et vous verrez comment leurs visages spirituels deviendront gris comme les cratères brûlés des volcans.
Ce sont les intellectuels de notre époque. Ce sont des je-sais-tout, ces superman de salons. La politique et la philosophie, l'esthétique et l'anthropologie, l'impérialisme et le communisme trouvent leur repos éternel dans leur cerveau. Leurs esprits sont remplis, comme des poubelles, de déchets d'idées stériles.
Pour eux, les pensées ne sont que des abstractions, destinées à créer des impressions sur des personnes crédules, mais jamais à être traduites en actions. Pour eux, les pensées n'impliquent aucune responsabilité, ce n'est qu'une posture assumée pour servir des objectifs personnels.
Telle est la physionomie intérieure des intellectuels de cette époque de transition. Ils pullulent comme des sauterelles sur le champ vert et fertile de la société humaine, pour ensuite se gaver de la moisson dorée de la culture qu'ils n'ont pas la virilité d'assimiler.
Par leur manque de sincérité ils ne font que polluer et détruire la récolte de la culture humaine.
Comme des jacinthes d'eau, ils empêchent les pensées humaines viriles d'emprunter les canaux créatifs de l'action humaine, et ils préparent le plus grand crime contre l'humanité par leur effort malhonnête pour tromper les gens avec l'idée que la pensée est une fin en soi.
La prolifération de ces intellectuels est l'un des signes les plus sûrs de la décadence de l'ordre social bourgeois actuel.
LE BONIMENTEUR
Ce sont les sans-attache qui ont atteint le sommet de l'impersonnalité. Ils ne s'attachent à rien, c'est-à-dire à rien de ce qui exige courage, sacrifice et vision pour se traduire dans la réalité. Ils ne s'attachent qu'à l'abstraction, à l'idée pure, à la pensée transcendante et à l'absolu métaphysique. Ils prospèrent en assez grand nombre dans la société actuelle. Ce sont les bonimenteurs de la sympathie morale. Ils ne doivent allégeance qu'à l'absolu et à rien d'autre. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu'ils n'éprouvent pas de sentiments pour d'autres choses. Bien sûr qu'ils en ont. Ils sont si sensibles et cultivés qu'ils ne peuvent s'empêcher de compatir avec ceux qui souffrent de l'oisiveté, de la faim et de l'exploitation ! Pour tous ceux-là, ils ont une sympathie morale. Ces âmes matérialisées resplendissantes exsudent des litres et des litres de sueur de sympathie morale par tous les pores de leurs corps éthérifiés.
Lorsque les gens ont faim et sont affamés, ces grandes âmes bouillonnent d'indignation morale. Mais elles s'empressent de laver leur âme, leurs sentiments pour l'humanité opprimée et exploitée, avec l'eau bénite de la sympathie morale, puis elles partagent de bon cœur un dîner frugal alignant six plats.
Lorsque les escrocs capitalistes licencient des travailleurs après avoir récolté tous les profits possibles en leur arrachant toute leur vitalité, ces sublimes individus à la sympathie morale s'enflamment en incendies furieux. On dirait qu'ils vont mettre le feu au monde entier. Mais l'instant d'après, si seulement les capitalistes sont assez intelligents pour leur donner une tape dans le dos, ils fondent en larmes de bonheur et louent le libéralisme et la tolérance de ces escrocs.
Toute oppression suscite leur opposition, mais seulement dans les salons, et cette opposition s'exprime sous forme d'indignation morale contre l'oppresseur et de sympathie morale pour l'opprimé.
C'est le point culminant que cette vague de sympathie morale peut atteindre. Elle n’atteint que le point où les idées attendent d'être transformées en action. La sympathie morale s'arrête et recule devant l'action.
La sympathie morale n'est ni de la morale ni de la sympathie. C'est de la lâcheté pure et simple. C'est la reconnaissance de l'incapacité de quelqu’un à faire face à la réalité et à travailler à sa transformation. Ce n'est qu'une échappatoire par laquelle le lâche se faufile avec toutes ses parures d'héroïsme imaginaire et sans tache.
Si la sympathie doit avoir un sens, si elle doit être morale et réelle, elle doit participer activement à la réalisation de l'idéal avec lequel on sympathise. Sinon elle n'est qu'un simulacre, une pose de salon et un mensonge total.
Dans cette période de décadence bourgeoise où la tempête de la révolution s'amorce, les bourgeois dégénérés produiront beaucoup de sympathies abstraites pour la cause prolétarienne. Leur mission est d'adoucir la colère et la haine des masses opprimées contre les oppresseurs ; et leur contribution, en ce qui concerne la transformation sociale, est aussi importante que celle du crapaud à la fertilité du sol.
LE SCEPTIQUE
Ce sont nos fiers sceptiques. La seule chose dont ils sont sûrs, c'est qu'ils ne sont sûrs de rien. Ce sont les fiers nihilistes de notre époque. Pour eux, l'acceptation de chaque valeur de la vie est qualifiée par un "mais". Le doute, l'incertitude et la méfiance sont le souffle de leur vie. Comment peurraient-ils accepter une valeur comme définitive alors que tout est relatif et changeant ! Avec cette posture supérieure qui consiste à ne rien croire, ils trompent les gens et sèment la confusion, alors que la confusion est fatale.
La bourgeoisie a conçu divers moyens d'attaquer les masses, qui peuvent tous être classés en deux catégories :
1. l'attaque frontale et
2. le mouvement latéral.
L'attaque frontale contre les masses est menée par l'intermédiaire des divers partis politiques qu'elle a organisés - des partis libéraux aux partis fascistes. La tâche de ces partis est de s'opposer à la révolution à tout prix, par la force, la terreur ou les subterfuges. Ils veulent empêcher la diffusion des idées et des organisations révolutionnaires à tout prix et par tous les moyens à leur disposition. Les nationalistes et les fascistes remplissent ce rôle dans tous les pays du monde.
Il y a un autre groupe de gens qui se sont donné pour tâche d'atténuer le tempérament révolutionnaire des masses. Ils rejoignent les masses et leurs mouvements dans ce but. Ce sont les socialistes de tous les pays. Ils reconnaissent publiquement les objectifs et les idéaux de la révolution et gagnent ainsi la confiance du peuple. Puis ils commencent leur sinistre jeu en donnant leur propre interprétation de la révolution. Ils réduisent ainsi la révolution à une moquerie. Ces socialistes fleurissent dans les diverses organisations "radicales" créées par la bourgeoisie dans le seul but de s'opposer à la révolution.
Cette attaque frontale est complétée par des attaques de flanc. Là, les prêtres, les poètes et, en dernier lieu, mais non les moindres, les petits bourgeois sceptiques se mettent au service de la bourgeoisie. Ces gens ne s'opposent pas ouvertement à la révolution et n'essaient pas non plus de changer les principes fondamentaux de la révolution en se voulant capter d'abord la confiance du peuple comme le font les socialistes. Ils font savoir qu'ils n'appartiennent à aucun parti politique et ne sont liés à aucune idéologie politique particulière. Cette tromperie "au-dessus des classes" est le secret de fabrication de ces hommes.
On rencontre cette espèce dans toutes sortes d'endroits. Ils dégagent une insupportable odeur de scepticisme de leurs personnalités. Un sourire vulgaire et un ricanement sénile flottent autour de leur bouche et l'expression de leurs yeux est aussi indéfinie et négative que leur personnalité tout entière. Ils sont les eunuques asexués du monde de la pensée. Dans chaque discussion, ils exhalent l'haleine fétide du doute et contrecarrent ainsi les efforts des gens qui veulent avoir des idéaux positifs. Le capitalisme est bien sûr mauvais, mais alors... La transformation de l'ordre social capitaliste est une nécessité absolue, mais alors... Oh, je crois aussi au communisme, mais alors… ! C'est ainsi que parle le sceptique ; il nie chaque affirmation par l'expression sournoise et émasculée du doute. Pour les uns, il s'agit d'une question d'imbécillité mentale, d'indétermination intellectuelle recouverte de la bave de la pose sceptique. Pour d'autres, il s'agit d'un stratagème pour semer la confusion dans les rangs des ennemis de l'ordre social bourgeois. Ces sceptiques sont les adorateurs du statu quo, de l'ordre social bourgeois existant. Leur principale fonction sociale est de semer le doute dans l'esprit des gens sur la nécessité du changement, sur la révolution et sur le nouvel ordre social.
Plus l'heure de la destruction du capitalisme approche, plus le nombre de ces petits bourgeois sceptiques augmente. Ils n'ont pas la virilité mentale nécessaire pour saisir la loi du développement historique, pour accueillir la tempête grandissante de la révolution et pour s'identifier à la cause des masses. Conduits par le développement social dans une impasse, privés par l'histoire du pouvoir d'emprunter une nouvelle voie, impuissants et faibles, les membres de la classe petite-bourgeoise deviennent des sceptiques. Le scepticisme est la perte de la foi en l'humanité, voire en tout idéal positif. C'est la négation, habillée des oripeaux d'un pseudo-intellectualisme.
Dans l'Europe en crise, exsangue et fatiguée, plus la crise générale engendrée par le capitalisme en décomposition s'aggrave, plus rapidement l'intelligentsia petite-bourgeoise devient sceptique.
Incapables de s'extraire de ce bourbier, elle s'accroche au passé, même s'il lui arrive en pensée de jeter quelques pierres vers le passé, uniquement pour montrer son progressisme. Bernard Shaw est l'exemple le plus typique de cette classe. Shaw est entièrement négatif, un bouffon de la cour bourgeoise dont le seul but est de réveiller les humeurs dormantes de ses maîtres flegmatiques, y compris leur rate, de les mettre en colère et de les faire rire tour à tour. La bourgeoisie sait très bien que tout le fumet et l'écume de Bernard Shaw sont parfaitement inoffensifs car Shaw ne tire jamais les conclusions nécessaires de son analyse de la réalité sociale. Il ne sait que se moquer, ricaner et tourner les choses en dérision. Il utilise son pouvoir démoniaque pour faire rire le monde, alors que tous ses pouvoirs auraient dû se transformer en flammes et non en rires.
À notre époque, aucune idéologie, tactique ou stratégie ne peut être autre chose qu'internationale dans son caractère et son application.
En Inde aussi, l'attaque à trois crocs de la bourgeoisie contre les masses révolutionnaires est facilement perceptible.
L’un est l’attaque directe, la seconde est une attaque de l’intérieur, sous l’apparence de compagnons de route, la troisième est l’attaque lancée contre les masses au nom d’un programme « «au-dessus des classes » et sans parti.
C’est le programme des sceptiques.
Nous devons nous méfier de cette troisième catégorie d’ennemis. Ils sont plus malhonnêtes et plus sournois que les deux autres groupes.
Les sceptiques sont les ennemis du peuple et de la révolution.
Ils sont les mains cachées de la bourgeoisie, toujours prêtes à frapper le cœur des masses en semant la confusion dans leurs rangs et en les affaiblissant. La surabondante croissance des sceptiques à notre époque prouve d'une part la décadence de l'ordre social bourgeois et son manque d'intégrité intellectuelle et d'autre part l'effort conscient de la bourgeoisie pour affaiblir le mouvement révolutionnaire en semant le doute dans l'esprit des masses.
L’ESTHETE
Il se tient comme un rocher au milieu de la réalité fluide et changeante du monde. Il se tient à l'écart, observe la fureur des vagues et n'est pas touché par le feu et la fureur de la vie. Détaché et imperturbable, il regarde les choses et les hommes qui s'écoulent sans cesse dans le courant de l'existence, tourbillonnant et serpentant, sans à-coups ou dans une furie élémentaire et folle. Il est l'observateur le plus détaché du flux de la vie. C’est notre esthète.
Regarder les choses telles qu'elles sont et telles qu'elles se déroulent, sans le moindre désir de les changer, et uniquement dans l'idée de les représenter objectivement, est de l'essence de l'esthétisme. C'est du moins ce que les esthètes revendiquent dans leur culte de l'esthétique.
Cette prétention des esthètes est-elle justifiée ? Dans les conditions de la société divisée en classes, l'objectivité absolue, dans la mesure où elle concerne la vie humaine, est-elle possible ? L'attitude subjective peut-elle être totalement éliminée de la représentation esthétique ? Non, il n'en est rien. Cette prétention à l'objectivité absolue au nom de la représentation "pure" est un leurre, et l'attitude d'observateur de la vie humaine, sans le moindre désir de la changer, est tout à fait contraire à l'éthique.
On ne peut voir un objet qu'à travers des yeux particuliers et le juger qu’en fonction d'un état d'esprit particulier. Et les yeux sont entraînés à voir les choses de la manière dont l'esprit les a entraînés à les voir ; l'esprit, à son tour, est régi consciemment et inconsciemment par les milieux de l'individu, c’est-à-dire principalement sa situation de classe.
Ainsi, l'objectivité "pure" et la représentation "pure" de l'esthète sont toutes deux teintées de la subjectivité de la classe à laquelle l'esthète appartient. La partie éclairée de la conscience de l'esthète et les profondeurs obscures de son subconscient sont toutes teintées aux couleurs de sa classe sociale. Cela explique en grande partie la différence de représentation des mêmes objets par les esthètes. Il est vrai qu'il existe des différences dans la représentation d'une même chose par des écrivains et des artistes issus de la même classe, mais ces différences se situent au niveau des nuances, et non au niveau des fondamentaux. Parler d'objectivité indépendamment de l’éclairage de classe est donc un mensonge esthétique.
Chaque représentation de la vie humaine, avec ses préoccupations et ses valeurs, est teintée, consciemment ou non, de la couleur de la classe sociale de celui qui la peint. Il n'y a pas d'échappatoire possible. La représentation "pure", cette prétention de l'esthète a un motif plus profond que ce qui apparaît en surface. La représentation "pure" est une élévation forcée au-dessus de la classe sous le couvert de laquelle l'esthète dissimule habilement son point de vue de classe. La prétention tant vantée de l'esthète à l'impartialité au nom de la représentation "pure" est tout à fait malhonnête. L'esthète. est un partisan, et un partisan passionné, de l'ordre social existant. Cet esprit partisan, il le peint habilement avec de la couleur non partisane, et il ne néglige aucun détail pour nous faire croire qu'il fait tout cela au nom d'une représentation "pure".
Observer les objets dans leur flux, sans colorer en aucune façon cette observation par la teinte du désir de les changer, est une autre revendication des esthètes. Mais quelle est la nature réelle de cette observation esthétique ? S'agit-il d'une simple sensation, c'est-à-dire d'une réaction automatique des sens au premier contact immédiat avec les objets ? Non, ce n'est pas le cas. Si ce n'était que cela, aucune représentation ne serait possible.
L'observation esthétique n'est pas une pure sensation, elle n’a pas non plus un caractère purement émotionnel. Le jugement conscient des valeurs sociales, qui est un attribut inséparable de l'esprit humain, entre inévitablement dans l'observation esthétique de l'individu. C'est-à-dire que l'observation et la représentation esthétiques sont saturées de part en part par les éléments du jugement intellectuel. Ainsi, l'observation esthétique comporte un élément intellectuel et la représentation esthétique bénéficie de l'approbation tacite de l'intellect de l'esthète..
La prétention d'éliminer dans l'observation esthétique le désir de changer la réalité sociale n'est rien d'autre que l'aveu par l'esthète du fait qu'il ne trouve dans le cadre social actuel rien qui bouleverse son sens des "valeurs". Il ne s'insurge pas contre l'ordre social existant, tout simplement parce qu'il considère qu'il n'a pas besoin d'être modifié.
C'est l'aveu qui est implicite dans l'attitude esthétique et qui se cache sous la prétention de l'esthète à une représentation "pure", non liée au désir de changer la réalité. Il approuve l'ordre social existant et, pour cette raison, ne pense pas qu'il soit nécessaire de le modifier. Et pour la même raison, il désapprouve l’opposition des autres peuples à l'égard de l'ordre social actuel et leur désir de le changer. Mais bien sûr, l'esthète ne fait pas tout cela de manière directe et avec la franchise d'une conviction intellectuelle honnête. Il fait tout cela au nom de l'objectivité et de la représentation "pure" !
Mais, abstraction faite de tout le reste, cette attitude esthétique de l'observateur passif de la réalité sociale est-elle une attitude correcte du point de vue éthique ? A-t-on le droit moral de regarder les peines et les misères des êtres humains avec une sérénité imperturbable, et tout cela au nom de la "pure" objectivité et de la "pure" représentation ! Doit-on, au nom de la "pure" représentation, assister passivement aux souffrances d'un être humain, sans faire le moindre effort pour soulager l'individu de ses souffrances ? Serait-il éthique de considérer la souffrance humaine comme un simple matériau permettant de tisser des motifs esthétiques ?
Non, une telle attitude est éthiquement inadmissible. L'attitude de l'esthète face à la vie est négative, lâche et totalement contraire à l'éthique.
Il y a des tragédies dans la vie humaine qui sont trop poignantes pour être regardées avec l'objectivité absolument désintéressée de la prétendue hauteur de l'esthète. Bien entendu, comme nous l'avons déjà dit, cette objectivité n'existe pas non plus pour l'esthète. L'esthète est un partisan en pensée et en sentiment autant que n'importe qui d'autre ; et sa "pure" objectivité et sa "pure" représentation ne sont rien d'autre que des couvertures malhonnêtes pour son intérêt actif et son vif soutien à la conduite et aux valeurs des dirigeants de l'ordre social actuel. Esthètes, fiers habitants de la tour d'ivoire, votre tour d'objectivité sans faille et de représentation "pure" n'est pas blanche du tout. Elle est noire de mensonge, de lâcheté et de manque de sympathie pour l'humanité souffrante.
Votre tour d'ivoire emplit les cieux de sa puanteur. Démolissez-la s'il vous reste un peu d'honnêteté, sinon elle ne manquera pas de s'écrouler et de disparaître à jamais dans les vagues déferlantes de l'humanité en colère.
LES HUMANISTES
Eux seuls sont les vrais amoureux de l’HOMME, car ce sont eux seuls qui, par une alchimie divine, ont pu réduire l'homme à son essence ultime et ne l'aimer que pour cela. Par leur vision pénétrante, ils sont capables de tondre l'homme de toutes sa laine sociale, et de le voir au plus profond de sa nudité "éternelle". Et comme ils aiment l'homme dépouillé de sa réalité sociale, l'homme réduit par eux à une abstraction irréelle !
Le culte de "l'homme abstrait" est l'essence même de l'humanisme. Par ce culte, l'humaniste se décharge de toutes les responsabilités du changement social. Il contourne habilement les problèmes d'inégalité sociale et évite de se heurter aux tenants du statu quo social. Privé de son contenu social, l'homme devient un fantôme, il n’est qu’un mirage dans le désert irrationnel de l'esprit, et un feu follet du marais spirituel. Vu sous l'angle de la réalité sociale, l'humanité apparaît divisée en classes, c'est-à-dire en catégories de forces économiques opposées et en conflits. Cette différenciation, qui a d'abord commencé dans la sphère économique, s'étend au domaine mental et teinte la personnalité entière de l'individu de sa couleur de classe.
Vu avec les yeux de l'abstraction irréelle, l'homme apparaît comme une entité indifférenciée, comme une substance métaphysique primitive. Mais vu avec les yeux de la réalité sociale, l'humanité se trouve divisée en classes dans lesquelles les intérêts des hommes - liés à leur classe - s'affrontent, et s'affrontent constamment. Pour l'œil non critique, ce qui apparaît comme une similitude fondamentale entre les hommes des différentes classes, apparaît sous un jour tout à fait contraire pour celui qui sait discerner les choses. On se rend alors compte que le gouffre qui les sépare est large et profond, et que, entre eux, la différence dans la conception de la vie est grande et fondamentale.
En bref, l'"homme abstrait" de la conception humaniste. n'existe pas du tout. Cet "homme abstrait" est un canular. C'est la fabrication la plus dangereuse des humanistes de la petite bourgeoisie, fabriquée dans le but de brouiller la réalité sociale des classes. C'est un narcotique utilisé par les humanistes pour endormir la conscience de classe des exploités.
L'amour de l'humaniste pour "l'homme abstrait", pour "l'homme dans son essence", s'il est approfondi, révélera son amour pour l'exploiteur, l'oppresseur et le riche parasite. En d'autres termes, sous le prétexte de l'humanisme, l'humaniste soutient l'exploiteur ; et son amour pour "l'homme dans son essence" n'est qu'un cheval de Troie qui cache son amour pour la classe dominante, toute son approbation de l'ordre social (de classe) existant, établi par la bourgeoisie dans son propre intérêt.
Il est impossible d'aimer ceux qui se gavent du fruit du travail des autres et les laissent dans la faim et le dénuement. On ne peut pas non plus couvrir d'amour ceux qui prospèrent sur la misère d'autrui. C'est pourtant ce que fait l'adorateur du culte de "l'homme abstrait", je veux dire l'humaniste. Son humanisme, sous prétexte d'universalité et de globalité, prend dans ses bras les exploiteurs et les oppresseurs de toutes sortes et de toutes nuances.
C'est le jeu des humanistes depuis que cette espèce est apparue avec le début du capitalisme. Ils ont fait de leur mieux pour protéger les oppresseurs de la colère des opprimés et pour pousser les opprimés dans la tourbière de l'appel futile aux tyrans. Ils ont toujours préconisé la méthode perfide de "l'appel à la conscience", ont systématiquement répandu le mythe de la possibilité de changer le cœur des tyrans et ont ainsi créé dans l'esprit des masses la dangereuse illusion que la transformation sociale qui mettrait fin à la tyrannie et à l'exploitation pourrait être un cadeau des exploiteurs et des tyrans eux-mêmes !
Du socialisme utopique au gandhisme, toutes les variétés d'humanisme en ont fait leur marque de fabrique.
Non, l'amour de "l'homme abstrait", de l'homme dépouillé de son contenu social, n'est pas du tout de l'amour pour l'homme. Ce n'est que de la flatterie à l'égard de la classe dirigeante, du soutien à l'ordre social existant et de la justification de la criminalité des tyrans.
L'humanisme, pour être réel, doit reconnaître la réalité de l'existence des classes dans la société humaine. Il doit reconnaître que l'usurpation monopolistique des moyens de production sociaux par une minorité est la négation de l'humanisme et le terreau de toute sauvagerie et de toute violence. Enfin, il devrait comprendre que le véritable humanisme consiste à prendre le parti des opprimés et des oppressés contre les vautours humains qui se nourrissent grassement de l'humanité vivante.
Le véritable humanisme doit être conscient des classes, il doit être partisan. Il ne doit pas revêtir la robe trompeuse de "l'amour pour tous" et se prosterner devant le faux dieu de "l'homme abstrait". Son universalité ne doit embrasser que les opprimés, et son activité doit révéler le joyau de l'humanisme authentique qui se trouve dans le cœur des masses en révolte.
Comme tout ce qui existe dans le monde bourgeois, l'humanisme est lui aussi plongé dans la crise. Il doit soit briser les limites de "l'homme abstrait" et de l'universalité "au-dessus des classes" que lui impose la bourgeoisie pour ses propres intérêts de classe, et se sauver en épousant sans équivoque la cause de l'humanité opprimée, soit pourrir dans la pestilence comme il le fait actuellement, et finalement se décomposer.
Humanistes sans humanisme, attention ! Des millions d’yeux vous observent, vous êtes sur le banc des accusés.