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Le Procès, réplique au verdict de la commission Dewey
Le nouveau procès de Moscou a pour objectif de rétablir, avec des arguments plus convaincants, la confiance du monde dans la « justice » de Staline. On ne peut douter que le procès ne soit, dans une large mesure, la réponse dramatisée de Joseph Staline au verdict de la commission d’enquête dirigée par John Dewey. Nous en parlerons dans de prochains articles. Pour le moment, nous ne nous intéressons qu’à la préhistoire du procès.
L’instruction a été évidemment menée dans le plus profond secret. Mais quelques-uns de ses épisodes les plus importants ont été connus, en partie par les révélations des représentants soviétiques qui ont rompu avec le Kremlin (Reiss, Barmine. Krivitsky et autres) et en partie par d’autres sources.
Au cours de sa déposition à la session du 24 janvier 1937 du tribunal de Moscou, Karl Radek a dénoncé Boukharine come un un conspirateur. Depuis, Boukharine est en prison. Le G.P.U. a arrangé une rencontre entre lui et Radek, qui jouait le rôle d’agent du procureur général Vychinsky. Radek a dit à Boukharine avec lequel il avait eu autrefois des rapports d’amitié « Avoue tout ce qu’ils veulent, tu auras la vie sauve. Je vis tranquillement dans une villa, j’ai ma bibliothèque, il m’es seulement interdit de rencontrer des gens. » Ces arguments n’eurent aucun effet sur Boukharine.
Lors d’une des sessions du plénum de février 1937 du comité central, Boukharine, ancien chef de l’Internationale communiste et Aleksei Rykov, ancien chef du gouvernement soviétique, ont été extraits de leur prison – un fait sans précédent dans l’histoire du parti bolchevique. On leur donna ordre de faire des « aveu» volontaires » et d’aider ainsi le parti à écraser ses ennemis (Trotsky et ses partisans). Rykov pleura devant le comité central. Le doux Boukharine, au contraire, se montra agressif, accusant Staline de falsifications judiciaires. Tous deux refusèrent de jouer ce rôle honteux. Staline hurla : « Qu’on les ramène en prison. Ils y organiseront leur défense ! » Boukharine et Rykov furent reconduits en prison par les agents du G.P.U. qui attendaient à la porte. Du fait du grand nombre de membres du plénum présents, les cercles de la bureaucratie de Moscou ont été informés de cette scène dans la journée même.
L’accusé Rakovsky, ancien chef du gouvernement ukrainien, puis ambassadeur à Londres et Paris, a été arrêté en février 1937. Le premier interrogatoire, qui a eu lieu dans son appartement, dura dix-huit heures d’affilée : ses inquisiteurs se relayaient, mais le vieux Rakovsky, qui avait alors 64 ans, fut maintenu dix-huit heures sans boire ni manger. Sa femme voulait lui donner du thé, mais on le lui interdit, sous prétexte qu’elle pouvait empoisonner son mari.
Les interrogatoires qui se prolongent pendant des heures .nus la lumière hypnotisant de projecteurs spéciaux constituent le système ordinaire du G.P.U. pour affaiblir la résistance. Mratchkovsky, qui a été fusillé dans le procès Zinoviev-Kamenev, a été interrogé pendant quatre-vingt-dix heures d’affilée avec seulement de brèves interruptions. Cela paraît incroyable, mais les méthodes du G.P.U. sont, de façon générale, « incroyables ». Reiss a révélé cela entre autres sur la base d’informations qu'il tenait de Sloutsky, un des hommes-clés du G.P.U.
Certains journalistes américains étaient également au courant.
Pendant ce temps, la prétendue « purge » poursuivait son objectif essentiel de l’année précédente : la préparation des principaux personnages pour le troisième procès. Des dizaines et es centaines de parents, d’amis, de collaborateurs, de collègues des accusés étaient arrêtés. Par ces arrestations, le G.P.U. cherchait à enfermer chacun des accusés dans le cercle des faux témoignages de leurs proches.
Les candidats au banc des accusés qui n’avaient pas été misés par les interrogatoires continus et les dizaines de faux témoignages, ont été exécutés dans le cours même de l’instruction, sans procès et simplement sur décision du G.P.U., en clair, sur ordre personnel de Staline.
Le 19 décembre dernier, les dépêches officielles de Moscou ont révélé que l’éminent diplomate soviétique Lev Karakhane et l’ancien secrétaire du comité central exécutif des soviets Avel Enoukidzé avaient été exécutés comme « espions ». De toutes leurs activités politiques, Karakhane et Enoukidzé avaient ton jours été étroitement liés aux accusés du nouveau procès. Ils ont été dénoncés pour avoir commis les mêmes crimes. Pourquoi ne figurent-ils pas au banc des accusés? Uniquement parce que le G.P.U. n’a pas réussi à les briser dans le cours de la préparation du procès. Ils ont été exécutés à titre d’ultime et définitif avertissement pour les autres.
Il faut ajouter que non seulement les inculpés ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat, mais qu’on leur refuse des entrevues avec leurs parents et leurs amis. Les exceptions à cette règle d’airain sont des individus comme Radek, que l’on utilise uniquement pour cajoler les prisonniers et obtenir d’eux les aveux exigés. C’est ainsi que les accusés ont été « éduqués » au cours des douze derniers mois, quelques-uns d’entre eux après avoir subi des années de persécution et de répression préparatoires.
Le 19 janvier dernier, la presse mondiale a annoncé que le plénum de janvier du comité central à Moscou avait ordonné un adoucissement de la purge de masse. L’opinion publique mondiale s’est empressée de conclure que s’ouvrait l’ère d'une politique nouvelle, plus modérée. En réalité, la purge de masse n’a été arrêtée que parce que son objectif immédiat avait été atteint : c’est-à-dire que la volonté des accusés importants avait été brisée et que le procès était possible. Voilà comment a été menée l’instruction.
Les agents de Moscou à l’étranger se sont empressés d’appeler cette nouvelle farce un procès « public ». Comme si la machine légale pouvait devenir « publique » seulement parce qu’à un moment donné l’inquisition lève le rideau sur une petite partie de son travail ! Le procès s’ouvre le 2 mars. Cependant la Pravda est le journal personnel de Staline. Quelle signification le procès revêt-il si Staline, par son journal, dicte la sentence avant l'ouverture du procès? Seuls des laquais comme ceux qui déclaraient récemment que la constitution de Staline était « la plus démocratique du monde » peuvent appeler ce procès « public ».
Dans ce nouveau procès, on peut s’attendre à certaines améliorations par rapport aux précédents. La monotonie des aveux d’accusés se frappant la poitrine dans les deux premiers procès avait produit une impression suffocante, même parmi les « amis de l’U.R.S.S. » patentés. C’est pourquoi il est possible que l’on voit cette fois certains accusés, fidèles au rôle qu’on leur a assigné, nier leur culpabilité afin de se reconnaître coupable à l’issue du contre-interrogatoire. On peut cependant prédire qu’aucun des accusés ne fera de difficultés au procureur Vychinsky en s’entêtant dans une attitude récalcitrante.
Une autre innovation est également possible. Dans les procès précédents, nous avons été stupéfaits de la totale absence de preuves matérielles – documents, lettres, adresses de conspirateurs, fusils, bombes. Toutes les lettres mentionnées dans ces procès avaient été « brûlées ». Il est très vraisemblable que cette lois le G.P.U. a décidé de fabriquer quelques faux documents pour donner au moins un semblant de soutien aux juristes et journalistes étrangers de ses amis. Le risque n’est pas grand : qui, à Moscou, peut vérifier le travail du G.P.U. ?
Peut-on s’attendre, malgré tout, au cours du prochain procès, à des surprises désagréables pour Staline et le G.P.U. de la part des accusés ? Est-ce qu’un cri d’indignation va éclater dans le flot des aveux : « Tout ça n’est qu’imposture, du début à la fin ! » ? Une telle surprise n’est pas exclue. Mais en même temps elle est à peine probable. La salle du tribunal sera remplie d’agents bien dressés, capables de créer l’atmosphère appropriée, tant pour les accusés, déjà brisés moralement, que pour les journalistes soigneusement sélectionnés. En outre, à chacun des accusés on a en secret promis la vie sauve. L’image de Radek et de sa villa confortable va continuer à briller sous les yeux de ces victimes torturées. La pensée de leurs familles et de leurs proches, qui périront inévitablement au cas où ils protesteraient ouvertement, constituera un frein plus fort encore. Mais peu importe que le procès se déroule extérieurement sans accroc, il explosera en l’air comme une absurdité politique, morale et psychologique. Nous en reparlerons le moment venu.