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Le Congrès des Trade-unions Britanniques en 1894
Auteur·e(s) | Edward Aveling |
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Écriture | novembre 1894 |
Dans la première semaine du mois de septembre dernier, 376 délégués des différents Trade-Unions de Grande-Bretagne et d’Irlande se sont réunis à Norwich pour leur congrès annuel. Norwich est la principale ville du Norfolx [sic] — un de nos comtés de l’Est. Les cinq comtés de l’Est — Lincolshire, Cambrigshire, Norfolx, Suffolx et Essex — sont des régions essentiellement agricoles. Aucune, excepté Norfolx, ne possède de manufactures et même à Norfolx la partie agricole du comté est beaucoup plus étendue que la partie manufacturière.
Norwich est une ancienne ville, possédant une belle cathédrale et un histoire très mouvementée. Pour notre objet actuel, il suffit de noter qu’autrefois la ville était le siège de l’industrie de la laine. Cette industrie n’avait jamais disparu, mais, il y a quelque temps, elle était d’une importance secondaire, comparée à l’agriculture. Actuellement, cependant, la ville de Norwich semble revenir à son ancien amour. La manufacture reprend le dessus ; des fabriques nues et laides s’élèvent sur les bords de sa belle rivière, à l’ombre de sa glorieuse cathédrale ; on entend le murmure et le bourdonnement des rouets ; les jeunes filles de Norfolx, au visage frais, aux joues pareilles aux pommes de leur comté, deviennent de pâles et maigres ouvrières de la filature.
C’est dans cette ville si pleine de souvenirs et à une époque si intéressante de son histoire économique, que les Trade-Unions britanniques se réunirent pour leur congrès de 1894. Le fait suivant donne malheureusement une preuve significative du manque de connaissance de leur propre histoire parmi les ouvriers anglais : pendant la semaine toute entière du congrès, il ne fut pas une seule fois, autant que je sache, question du passé et du présent économique de la ville, et, en général, de la région orientale de l’Angleterre, malgré toute leur influence considérable sur le mouvement ouvrier de ce pays. Mais, hélas ! Le trade-unioniste britannique moyen ne sait rien et ne s’intéresse pas à l’histoire passée ou présente, nationale ou internationale. Sa pensée dominante consiste à entrer dans une union qui veille à ce que son salaire ne soit pas abaissé et ses heures de travail prolongées et qui le soutienne aux moments difficiles. S’il est très énergique, il tend à occuper un des postes officiels et bien payés, dépendant des unions les plus anciennes.
« Comment ! » s’écrient mes lecteurs français, « après tout ce que nous avons lu sur les résolutions collectivistes avancées, votées à Norwich ? » Oui, c’est ainsi.
Pour expliquer cette apparente contradiction, examinons d’un peu plus près le congrès de Norwich. Nous pouvons le faire d’autant mieux que l’auteur du présent article a assisté lui-même au congrès, non comme délégué, mais comme journaliste, et connaît personnellement tous ceux qui y ont joué les rôles les plus importants. Le congrès de Norwich fut très sévère à l’égard de la presse. On n’avait la permission d’y assister en journaliste qu’à condition de représenter un journal imprimé par des typographes syndiqués. Cet ukase, lancé alors que les deux tiers de la semaine étaient déjà écoulés, a eu pour conséquence l’exclusion d’un journal, mais comme son représentant n’avait qu’à se mettre dans la partie de la salle réservée au public, et à prendre là ses notes, je crois que le mal n’a pas été grand.
Le congrès a débuté par le spectacle « étonnant pour les anges et pour les hommes » qu’offrent toujours nos Trade-Unionistes britanniques et qui ne cessera jamais de vous étonner, vous, habitants du continent — les souhaits de bienvenue et les réceptions. Si ces souhaits avaient été adressés par les ouvriers locaux à leurs frères du nord, du sud, de l’est et de l’ouest ; si les réceptions avaient été des réunions fraternelles des ouvriers et ouvrières, aux cafés ou aux « bier-garten, » à la fin de la journée, cet accueil aurait été un soutien de plus à la solidarité ouvrière. Mais lorsque, comme c’est le cas en Angleterre, et en Angleterre seulement, les souhaits de bienvenue sont adressés à un congrès ouvrier par les représentants de la classe capitaliste, lorsque les réceptions sont des fêtes organisées par les membres conservateurs ou libéraux du Parlement, dont l’un (Colman, le fabricant de moutarde), est un exploiteur de la pire espèce, lorsque les délégués des Trade-Unions cessent leur travail pour aller lamper quelques gouttes de sueur et de sang, ces hommes, qui tirent d’eux sous forme de plus-value et qu’ils leur jettent maintenant de nouveau, avec un mépris à peine dissimulé, comme un os à ronger jeté à Cerbère, — je pense alors que les souhaits et les réceptions ne servent qu’à miner la solidarité ouvrière. Cela provient de ce que le Trade-Unioniste britannique ne peut se débarrasser de l’idée que le capitaliste est nécessaire au travailleur. Sa seule ambition est de devenir lui-même capitaliste, et il a une admiration servile pour ceux qui sont arrivés au but.
376 délégués ! Quel mélange, quel chaos politique et économique ils présentent ! Imaginez-vous 376 hommes et femmes robustes, tous conscients, se rendant entièrement compte de la lutte des classes et de l’antagonisme meurtrier entre le Capital et le Travail, tous comprenant nettement les principes fondamentaux, sachant le but ultime du mouvement et connaissant avec un degré différent de précision, mais connaissant quand même les pas immédiats à faire vers ce but ; tous frères, ignorant la jalousie – oh ciel ! que ne pourrait-on faire dans des conditions pareilles. Mais tel n’est pas le congrès des Trade-Unions britanniques. Quelques-uns, sans qu’on puisse dire combien, partagent cet idéal. Mais le reste ? Un certain nombre de vieux unionistes attachés, par les liens de plus en plus faibles, au char du parti libéral ; un ou deux, comme John Burns, ayant manqué l’opportunité de faire les premiers la déclaration contre les deux vieux partis, trouvent trop honteux de suivre la direction des autres, bien qu’elle soit justifiée par l’histoire et l’économie, et cherchent désespérément un point d’appui politique.
Le Parti Ouvrier Indépendant, qui représente, dans son premier principe — antagonisme envers tous les partis bourgeois — est la partie saine du Congrès ; mais il se trouve, malheureusement, comme individus et comme parti, au comble de la confusion dans les questions de détail, soit politiques, soit économiques. Enfin, les délégués qui ne s’intéressent pas à ces questions et dont le seul besoin est d’être élus par un comité, pour que leurs électeurs voient quels grands hommes ils sont, des délégués de fêtes, qui, hormis quelques-uns, combattent chacun séparément pour lui seul — voilà nos 376.
Le discours du Président du Congrès des Trade-Unions est toujours intéressant comme un signe des temps. Ce président est invariablement le président du Conseil syndical local (Trade Council). En 1894, ce fut donc M. Delves, président du Conseil de Norwich. Il s’ensuit que le discours du président représente non-seulement ses idées personnelles, mais qu’il donne la mesure du développement de son district, et celle, quoique moins précise, du développement du mouvement ouvrier en Angleterre en général. On disait que la main de Burns avait collaboré à la rédaction du discours présidentiel. Le discours, en effet, portait des traces évidentes de son influence. Le contenu du discours était clair et juste, à l’égard de quelques questions importantes, comme les maux de l’industrie domestique, du travail des enfants, du travail des femmes, exploité comme il l’est maintenant. Malgré un vote postérieur du Congrès, il s’est placé sur le véritable terrain, dans la question de l’immigration étrangère des pauvres. Enfin, M. Delves s’est déclaré, non très définitivement, mais néanmoins s’est déclaré pour ce qu’il appelle le collectivisme. Malheureusement ce mot devient presqu’un cri de perroquet parmi les trade-unionistes peu intelligents. Chacun des 376 l’emploie et je crois qu’ils lui donnent presque 376 significations différentes. Comme exemple du manque de précision dans les paroles du président sur ces questions, je cite une de ses phrases qui — vous avez beau la tourner et la retourner comme vous voudrez — n’a aucun sens : « Rapprocher la vie de travail de l’individu de la capacité productrice collective de la communauté. » Je croirais volontiers que cette phrase, qui n’a pas de sens est de Burns. Elle est comme beaucoup de ses discours, lorsqu’il laisse ses phrases aller ; elle est, malheureusement, comme les phrases de beaucoup de nos chefs ouvriers. Ils ramassent un certain nombre de mots et de phrases : individu, communauté, exploitation, capacité productrice, la loi d’airain des salaires (ils n’ont pas encore mis la main sur la force-travail et la plus-value) et ils les enfilent dans des phrases lourdes et travaillées qu’ils lancent au monde stupéfié.
Il était très bon de dénoncer l’ivrognerie et le jeu répandus parmi les ouvriers britanniques, mais il est à regretter que cette excellente attaque contre deux des pires ennemis du mouvement ouvrier de ce pays, fût gâtée par une affirmation aussi étonnante et injustifiable que celle-ci : « Les ouvriers ont plus à craindre de la boisson et du jeu que de tous les capitalistes pris ensemble, » Je la cite comme une autre illustration du vague dans la pensée de nos unionistes britanniques.
En dernier lieu, un passage encore me paraît très dangereux dans le discours présidentiel. L’idée que les ouvriers doivent former un pnrti politique à eux, sans avoir rien à faire avec les partis anciens, sauf pour les combattre, venait d’être ouvertemeut prêchée pour la première fois dans ce pays et même être mise en pratique. Plusieurs des nombreuses questions qui ne viennent jamais devant le Congrès mais qui sont renvoyées, comme un paquet de linge sale, au nouveau comité parlementaire, nécessitent l’application de ce nouveau principe politique. Devant cette idée nouvelle et les désirs manifestés par les meilleurs des ouvriers de se séparer complètement des tories et des radicaux, la phrase suivante du discours présidentiel me parait insidieuse et dangereuse : « Ne retardons pas le progrès pour satisfaire une boutade ou pour enregistrer au bas du « poil » un vœu que des alliances sages auraient pu convertir en un acte du Parlement. »
Pris dans son ensemble, le Congrès était tout à fait lugubre. Le petit nombre, le très petit nombre des résolutions prises furent, à une ou deux exceptions près, complètement dénuées d’intérêt. Le plus grand nombre fut renvoyé au comité parlementaire nouvellement élu. Il y avait parmi elles une idée d’une grande importance pratique pour la règlementation future des affaires. Elle résulte, je crois de l’expérience de quelques-uns de nos délégués aux congrès internationaux. Elle tend à ce que les différents sujets de discussions soient groupés, et que ceux qui se rapportent à des objets analogues soient envoyés à des comités spéciaux. Ces comités doivent les étudier et les soumettre au congrès, autant que possible sous forme de résolutions spéciales, rédigées par les comités, pour être acceptées, modifiées ou rejetées par le congrès.
Comme je l’ai dit, Norwich est le centre d’un grand district agricole. L’organisation des ouvriers agricoles dans ce pays est très arriérée. Pour tous les pays, la solution du problème des travailleurs agricoles est un besoin de plus en plus pressant. Et cependant la seule résolution votée à Norwich est une résolution modérée et pâle, concernant les habitations ouvrières. Pas un mot n’a été dit de la nécessité de l’enrôlement du prolétariat des champs dans l’armée du travail. Pas un mot, non plus, sur la nécessité que la terre de vienne, comme les autres moyens de production et de distribution, la propriété du peuple.
Le comité parlementaire, qui reçoit toutes les propositions non étudiées, est composé de partisans de la journée de huit heures. Le congrès a enfin cessé de se faire un objet de ridicule en votant la journée de huit heures et en choisissant ensuite comme secrétaire de ce comité, un homme[1] qui, avec une impertinence débonnaire et franche, déclarait qu’il ferait tout son possible pour s’opposer au desiderata du congrès.
M. Samuel Woods, le nouveau secrétaire, obéira au vote des délégués. Mais le comité parlementaire ne fera probablement rien, comme les années précédentes. Il prétend être le pouvoir exécutif du Congrès, appliquer partout où cela est possible ses décisions et, plus spécialement suivre à la Chambre des Communes, les bills qui concernent particulièrement les intérêts des ouvriers. Comme règle générale, il ne fait rien ; peut-être avec le nouveau secrétaire, d’accord avec les autres membres du Comité et avec l’afflux de sang nouveau dans la personne de Will Thorne, le secrétaire populaire de la plus puissante des nouvelles unions, l’union des manouvriers et des ouvriers du gaz (Gas Workers and general labourers union), un des rares hommes qui mettent les intérêts du mouvement avant les leurs, peut-être fera-t-on, cette année, quelque chose de plus défini. Mais quelles résolutions larges et générales ont été votées ? Il y en avait trois. Deux d’entre elles, quoique prises à propos des questions latérales, étaient encourageantes au point de vue des résultats. La troisième, prise sur une question importante était décourageante. Un amendement fut apporté à la motion qui tendait à la réduction à 8 h. de la journée du travail dans les boulangeries. Cet amendement proposait d’y comprendre tous les autres métiers et occupations et fut adopté par 250 voix contre 5. Nous pouvons ainsi considérer la journée légale de huit heures comme établie, en ce qui concerne le Congrès des Trade-Unions.
Examinons finalement le fameux vote « collectiviste ». Il y avait une proposition qui demandait la nationalisation de l’industrie minière. Un amendement a transformé cette proposition en une demande de nationalisation de tous les moyens de production et de répartition, votée par 219 voix contre 61.
Ceci est certainement très consolant, mais je ne pousserai pas la curiosité jusqu’à pénétrer plus en avant dans le sens qu’ont attaché aux mots votés tous les 219 votants. Le vote est certainement significatif et important, mais nos amis français ne doivent pas en être trop enthousiasmés.
Une autre résolution, votée vingt-quatre heures après le vote de l’amendement « collectiviste », diminue sérieusement son importance. Par 143 voix contre 73 le congrès vota un appel au gouvernement pour empêcher l’immigration étrangère des pauvres. Les mêmes hommes qui votent jeudi ce qu’ils appellent « collectivisme » font passer vendredi une résolution aussi infâme, aussi contraire à tous les principes du socialisme. Nos camarades du continent s’étonneront-ils maintenant qu’en Angleterre nous perdions quelquefois courage ?
Mais cela n’arrive que rarement, malgré l’amertume des jalousies personnelles, les intrigues, la division des forces, le manque des connaissances économiques et de la connaissance du mouvement dans la grande masse des travailleurs, la connaissance très superficielle de l’un et de l’autre parmi ceux qu’on appelle les chefs ; malgré tout cela il existe en Angleterre un mouvement socialiste et les trade-unions sont de plus en plus gagnées par lui. Et, malgré tout le désappointement qu’il produit, le récent congrès de Norwich en offre un témoignage.
Edward AVELING.
- ↑ M. Charles Fenwick, ancien secrétaire.