La théorie de la valeur et de la plus-value de Marx et les économistes bourgeois

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Des économistes officiels, pour mériter leurs gages, en faisant semblant d’être utiles à quelque chose, ont cru devoir attaquer le Capital, je ne dis pas critiquer, ils en étaient incapables. Afin de se faciliter la tâche et de prédisposer en leur faveur le Philistin, routinier et ennemi né de toute idée nouvelle, ils ont posé, comme démontré, que les théories de Marx ne se rattachaient pas à celles de ses prédécesseurs dans la science économique. Il est vrai que Marx fut un analyste- et un généralisateur d’une extraordinaire puissance et qu’on ne peut placer à côté de lui aucun autre économiste, mais il n’a jamais prétendu avoir inventé de toutes pièces une science nouvelle : il a, au contraire, commencé par se nourrir de la littérature économique de tous les pays et de toutes les époques et il a pris un soin extrême de citer les opinions des écrivains qui lui avaient tracé la voie.

Puisque pour la commodité de la polémique anti-socialiste, les économistes officiels suppriment les économistes, il est du devoir des socialistes marxistes de les rappeler et de montrer que les idées que l’on traite d’erreurs abominables et d’hérésies pendables chez Marx, ont eu cours dans la science économique, jusqu’à ce qu’il en eut déduit toutes les conséquences et qu’il les eut employées pour édifier les théories du socialisme scientifique.—Je citerai dans cet article principalement les opinions de Adam Smith et de Ricardo, qui sont considérés comme des maîtres de la Science économique et celles de J.-B. Say, qui lui aussi fut un maître, mais un maître de. ce que Marx, appelait l’économie vulgaire. Les Beaulieu et Cie verront qu’un esprit de leur taille pouvait s’élever jusqu’à répéter, il est vrai mal, certaines vérités découvertes par Smith et Ricardo.

La théorie de la valeur et de la plus-value de Marx[modifier le wikicode]

I. La substance de la valeur[modifier le wikicode]

M. de Laveleye a dit dans son étude sur le Socialisme contemporain, (p. 26 et 27) : « Si l’on admet la prémisse de Marx, que le travail est la source de la valeur, il vous prouvera avec une logique irréfutable, que le capital est le produit de la spoliation », du travail non payé, du travail volé. — Voyons quelle est l’opinion des économistes sur cette question, la plus importante de l’économie politique, celle dont la solution donne la clef des problèmes de la production et de l’échange capitaliste.

L’Economie du XVIIIe siècle avait deux opinions sur cette question. ‘‘»•, ‘--J.-* wivV’(^i^a.’tw^Jc-<) z.'-i.-^./Ct^ Qccw-vc-v-w ^- Les Physiocrates remontaient à la terre, et par terre il faut entendre aussi l'eau, comme source primitive et unique de la valeur : ils n'accordaient le nom d'industrie productive qu'à l'industrie de l'agriculteur, du pêcheur et du mineur. — Le travail de l'artisan ne créait que des faux produits, disait Mercier de la Rivière ; car la valeur qu'il ajoutait à la matière première en la transformant était juste représentée par la valeur de ses moyens de subsistances durant l'acte de la production : ses besoins détruisant d'un côté ce que son travail produisait de l'autre, il ne résultait aucun accroissement de richesses pour la société. Adam Smith et plus tard Ricardo, au contraire, regardaient le travail comme ce la source et la mesure de la valeur » : bien entendu le travail aidé par la terre et les autres forces naturelles, sans le concours, desquelles rien ne peut être créé.

« La valeur d'une denrée, dit Smith, est égale à la quantité de travail que cette denrée met son possesseur en état d'acheter ou de commander. Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise ». (Richesse des Nations. Liv.1, ch. V).

« Je considère le travail, dit Ricardo, comme la source de toute valeur et sa quantité relative comme la mesure qui règle presque exclusivement la valeur relative des marchandises. » (Principes de l'économie politique et de l'impôt, Ch. I, section II).

Avant même de formuler cette opinion, Ricardo répondait à ceux qui objecteraient qu'il existe « des objets dont la valeur ne dépend que de leur rareté… tels que tableaux précieux, statues, livres et médailles rares, vins de qualité exquise, qu'on ne peut tirer que de certains terroirs et dont il n'y a qu'une quantité très limitée Ces objets ne forment cependant qu'une très petite partie des marchandises qu'on échange journellement sur le marché. De beaucoup le plus grand nombre des objets que l'on désire posséder étant le fruit de l'industrie, on peut les multiplier, non dans un pays seul, mais dans plusieurs, à un degré auquel il est presque impossible d'assigner des bornes, toutes les fois qu'on voudra y consacrer l'industrie nécessaire pour les créer. » (loc. cit., Ch. I sect. I.)

«. Puisqu'il est certain, dît Destutt de Tracy, que nos facultés physiques et morales, sont notre seule richesse originaire, que l'emploi de ces facultés, le travail quelconque, est notre seul trésor primitif et que c'est toujours dé cet emploi que naissent toutes les choses que nous appelons des biens, il est certain que tous ces biens ne font que représenter le travail qui leur a donné naissance et que s'ils ont une valeur, ou même deux distinctes, ils ne peuvent tirer ces valeurs que de celle du travail dont elles émanent. » {Eléments d'idéologie. Paris, 1826, p. 35-36.)

Comme le commerce en général, dit Benjamin Franklin, n'est pas autre chose qu'un échange de travail, c'est par le travail qu'on estime le plus exactement la valeur de toutes choses. » {The works of B. Franklin.Boston, 1836. Tom. II, p. 267). Maintenant passons à l'illustre Jean-Baptiste Say, le grand homme que l'Economie vulgaire opposait et oppose encore à Smith et à Ricardo ; il a non pas une opinion, mais une richesse d'opinions sur la valeur ; elles se contredisent un peu mais ça lui est bien égal, un économiste de sa force n'est pas tenu d'être logique.

Say, comme Smith, définit la valeur par sa puissance d'achat :

« La valeur est la quantité de toute autre chose qu'on peut obtenir, en échange de la chose dont on veut se défaire.

(Traité d’économie politique. Liv. II, çh. IV).

Il a cru masquer son plagiat en remplaçant travail par chose. Dans l'épitome des principes fondamentaux de l’économie politique, placé à la fin de son Traité, Say donne cette autre définition :

« Les deux fondements de la valeur sont : 1° L'utilité qui détruira la demande qu’on en fait. — 2° Les frais de sa production qui bornent l’étendue de cette demande, car on cesse de demander Ce qui coûte trop de frais de production. »

Mais ailleurs il dit : ce ce ne sont pas les frais de production seuls qui règlent la valeur échangeable d’une marchandise..... car la valeur échangeable ne peut monter comme les frais de production, de même : il faudrait que la demande augmentât aussi. »

(Œuvres de D. Ricardo, édit. française de 1847, note de Say). — Par conséquent ce ne sont plus l’utilité et les frais de production qui font la valeur d’une marchandise, mais la demande qu’on en fait.

Say trouve encore une autre source de la valeur. Il dit que Smith a commis une double erreur en faisant du travail la mesure de la valeur, car ce tous les biens du monde n’ont pas été achetés par le travail de l’homme. La nature a une part dans certaines productions ; et son travail donne une valeur additionnelle à celle de l’homme. Cela est évident dans l’industrie agricole dont les produits paient outre le salaire de l’industrie de l’homme.et les profits du capital, (qui peut à la rigueurreprésenter du travail accumule) un revenu foncier.»(Ad. Smith-.Ricliesse des Nations,édit. Blanqui, note de Say). Voilà donc Say, l’adversaire de la théorie des physiocrates, qui admet que la terre est source de la valeur. Mais il y a mieux encore : on peut dégager de l'Economie politique de Say une autre opinion d’après laquelle le travail, qu’il appelle ce l’industrie de l’homme » est l’unique source de la valeur.

Say contredisant sa contradiction de Smith dit : « La portion, d’utilité que la nature a communiqué à la valeur sans l’intervention de l’homme, ni de ses instruments, ne fait point partie du produit, de la valeur du produit ; c’est une richesse naturelle qui n’a point coûté.de frais de production. » (loc.cit: Epitone—au mot : produit).

Say distingue les agents naturels qui communiquent des.

utilités à la valeur en deux catégories : — ceux qui sont susceptibles d’être appropriés comme un champ, un cours d’eau et ceux qui ne pouvant être accaparés demeurent propriété commune, comme ce la mer, les fleuves, le Vent, l’action physique ou chimique des matières les unes sur les autres, etc. » (loc. cit.Liv. I, ch.IV.)

— « La machine obligeant les forces naturelles, les diverses propriétés des agents naturels, à travailler pour l’utilité de l’homme, le gain est évident. -Il y a toujours augmentation de produit ou diminution des frais de production. »

(Liv. I, ch. VII).— ce On peut, en généralisant davantage se représenter, si on veut, une terre comme une grande machine, au moyen de laquelle nous fabriquons du blé ; machine que nous remontons en la cultivant. ». (Liv. I ch.VII).

Tant qu’une machine, ainsi que la terre, demeure le monopole d’un manufacturier, l’économie produite ne bénéficie qu’à son accapareur.

« En effet, quand un manufacturier, à l’aide d’un procédé qui lui est particulier, parvient à faire pour 15 francs un produit qui auparavant coûtait 20 francs de frais de production, il gagne 5 francs aussi longtemps que son procédé demeure secret et qu’il profite seul du travail gratuit de la nature ; et quand le procédé devient public et que la concurrence oblige le producteur à baisser, le prix de son produit de 20 à 15 francs, ce sont alors les, consommateurs qui font ce gain de 5 francs ». (Liv. I, ch. IV).

Par conséquent les frais de production d’une marchandise ne sont représentés que par le travail de l’homme et l’usure des machines et des outils ce que nous ajoutons à nos bras pour en augmenter la puissance, pour obtenir le concours des agents naturels.» (Liv. I, ch. VII). Si donc la terre, qui est une machine à fabriquer, du blé, n’était pas accaparée, mais restait propriété commune comme les autres agents naturels, elle n’ajouterait pas au produit, le, ce revenu foncier » ; mais sa simple usure, c’est-à-dire le prix des engrais et du travail mécanique, animal et humain nécessaire à remonter sa fertilité.

Quand Jean-Baptiste Say économisait ou pressentait les dangers qu’il y avait à reconnaître que le travail était la source de la valeur, ainsi que l’avaient fait Adam Smith et Ricardo, qui étaient des hommes de science et non des vulgaires apologistes de la société capitaliste, Say a essayé d’échapper à cette terrible constatation : il a tourné et retourné la question, pour finir par admettre que le travail est seule source de valeur. C’est partant de ce fait, clair comme le jour, même pour un économiste de la force de Say, que Marx arrive avec ce sa logique d’acier » à la conclusion inéluctable que le capital est du travail non payé, du travail volé.

II. La plus-value capitaliste[modifier le wikicode]

Bien que ce soit Marx qui ait démontré que le sur-travail, c’est-à-dire, le travail non payé du producteur manuel ou intellectuel, constituait la plus-value ou les profits capitalistes, cependant’ des économistes avaient vaguement indiqué le fait.

Ricardo dit : « La valeur entière des articles du fermier et du manufacturier se partage, en deux seules portions, dont l’une constitue les profits du capital, tandis que l’autre est consacrée au salaire des ouvriers… Si un fabricant donnait toujours ses marchandises pour la même somme d’argent pour 1.000 livres sterling par exemple, ses profits dépendraient du prix du travail nécessaire pour leur fabrication. Ils seraient moindres avec des salaires de 800 livres qu’avec d’autres salaires de 600 livres.

A mesure donc que les salaires hausseraient, les profits diminueraient, or( Principes d'écon. polit. Ch. VI. Des profits).

Smith dit : « Dans cet état primitif qui précède l’appropriation des terres, et l’accumulation des capitaux, le produit entier du travail appartient à l’ouvrier. Il n’a ni propriétaire, ni maître avec qui il doive partager. »

« Si cet état eut continué, le salaire ou la récompense du travail aurait augmenté à mesure que ses facultés productives auraient acquis toutes ces améliorations auxquelles donne lieu la division du travail. » (Richesse des Nations. Liv. I, ch. VIII).

« La valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout en deux parties, dont l’une paie les salaires de l’ouvrier et l’autre paie les profits que fait l’entrepreneur sur la somme des fonds qui lui ont servi à avancer les salaires et la matière à travailler. Il n’aurait pas d’intérêt à employer ses ouvriers, s’il n’attendait pas de la vente de leur ouvrage quelque chose de plus que ce qu’il fallait pour lui remplacer ses fonds. » (Smith, loc. cit. Liv. I, ch. VI).

« Le maître partage dans le produit du travail des ouvriers ou dans la valeur que Ce travail ajoute à la matière à laquelle il est appliqué et c’est cette part qui constitue son profit. » (Smith, loc. cit. Liv. I, ch. VIII).

Smith, ainsi que Turgot et les Physiocrates, affirmait que le travail libre permettait au capitaliste de prélever une plus grosse part de la valeur que lorsque le travail est accompli par des esclaves. D’abord le propriétaire est obligé de supporter les déchets de son esclave, c’est-à-dire son usure par l’âge et les maladies; puis ce l’expérience de tous les temps et de tous les pays s’accorde à démontrer que l’ouvrage fait par des mains libres revient à la fin à meilleur compte que celui qui est fait par des esclaves. C’est ce qui se voit même, à Boston, « à New-York et à Philadelphie où les salaires du simple travail sont si fort élevés. » (Smith, Liv. I, ch. VIII).

Or, comme «. le travail d’un esclave bien constitué est estimé valoir le double de sa subsistance. » (Ib.) ; son maître prend par conséquent la moitié de la valeur produite ; donc la part du capitaliste employant des travailleurs libres doit être supérieure à la moitié de la valeur produite.

Ainsi donc pour Ricardo et Smith, il ne faisait pas le moindre doute que les. profits du capital sont du travail non payé, du travail volé, comme le dit Marx. En 1848, pour ameuter les paysans et les petits bourgeois contre les communistes, les réactionnaires les accusaient d’être partageux, de vouloir le partage des biens ; tandis qu’ils voulaient faire cesser l’unique partage des fruits du travail ; entre le producteur et le capitaliste oisif, inutile et nuisible.

Maintenant que nous avons l’opinion des hommes de science sur la plus-value capitaliste,, prenons celle de l’économie vulgaire que représente J.-B. Say d’une manière à faire envie aux Leroy Beaulieu et aux Block de nos jours.

Les penseurs de cette économie ont courageusement tracassé leur pauvre cervelle pour légitimer la confiscation de la plus-value par le capitaliste. Leurs efforts ont été couronné par cette importante découverte : que le capitaliste est un homme vertueux, qui par son abstinence concourt à la production ; et c’est parce qu’il s’abstient vertueusement de tout travail qu’il a droit à la plus grosse part des fruits du travail. Say, lui-même ! a compris le peu de valeur-dece raisonnement ; aussi, de par l’autorité de son génie, il a fait du capitaliste un producteur. Et sait-on pourquoi il appelle le capitaliste et le propriétaire foncier des producteurs ?

— « Parce que s’ils ne produisent pas par eux-mêmes, ils concourent à la production par le moyen de leur instrument. Ils ne sont pas producteurs, quand ils laissent leur instrument oisif. » Ces remarquables paroles se trouvent dans son Epitome, au mot Producteur.

Quand un penseur a fait une telle découverte, il a droit au repos, il a rempli sa tâche ; aussi, on se demande pourquoi Say a continué à bavarder sur l’économie politique à tort et à travers, pour finir par tomber d’accord avec Ricardo et Smith sur l’origine des profits capitalistes. Suivons-le dans les accidents de sa chute.

Say définit l’ouvrier ce celui qui loue sa capacité industrielle ou qui vend son travail et qui par conséquent renonce à ses profits industriels pour un salaire. »

(Èpitome au mot ouvrier). Ainsi,, parce que le capitaliste a acheté à l’ouvrier son travail, il accapare les profits de ce travail, c’est-à-dire, ce qu’il produit au-delà dé sa propre valeur. Say va nous le dire.

« Les économistes du XVIIIe siècle, dit-il, prétendaient que le travail ne produit aucune valeur sans consommer une Valeur équivalente ; que, par conséquent, il ne laisse aucun excédent, aucun produit net et que la terre seule, fournissant gratuitement une valeur, peut seule donner un produit net… Or, les faits démontrent que les valeurs produites sont, dues à l’action de l’industrie de l’homme, des capitaux et des agents naturels et que nulle autre que ces trois sources ne produisent une valeur, une richesse nouvelle, » (Traité d’écon. p>ol. Liv. I, ch. IV).

Examinons, d’après-Say lui-même, la part que chacune de ces trois sources de valeurs contribuent dans la création du produit net ou de la plus-value.

1° Agents naturels: « On objectera que les agents naturels non appropriés, comme la pression de l’atmosphère dans les machines à vapeur, ne sont pas productifs de valeur. Leur concours étant gratuit, il n’en résulte aucun accroissement dans la valeur échangeable des produits, seule mesure des richesses. Mais on verra plus loin que toute utilité produite qui ne se fait pas payer au consommateur, équivaut à un don qu’on lui fait, à une augmentation de son revenu. » loc. cit. Liv. I, ch. IV).

2° Capitaux.— Toute machine dans laquelle on a ce employé une valeur capitale » ne produit de bénéfices pour son propriétaire que tant qu’elle demeure un secret ; ce mais il est sans exemple que le secret ait pu être gardé longtemps. Tout finit par être su, principalement ce que l’intérêt personnel excite à découvrir….. Dès lors la concurrence abaisse la valeur du produit de toute l’économie qui est faite sur les frais de production, c’est alors que commence le profit du consommateur. La mouture de blé ne rapporte probablement pas plus aux meuniers d’à présent, qu’à ceux d’autrefois ; mais la mouture coûte bien moins cher aux consozn-’ mateurs. » Loc. cit. Liv. I, ch. Vil). Ainsi donc la machine ne fait que reproduire sa valeur capitale, mais ne crée pas de plus-value. ‘

3° Reste donc, pour produire les salaires et les profits capitalistes, l’industrie que Say définit ce l’action des forcés physiques et morales de l’homme appliquées à la production. »

Il n’y a pas moyen de faire autrement : ou il faut supprimer, l’économie politique bourgeoise et les économistes, ou il faut avaler jusqu’à leurs dernières conclusions les théories du socialisme scientifique de Marx et d’Engels.

Paul LAPARGUE.