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La situation internationale de la Russie soviétiste
Auteur·e(s) | Gueorgui Tchitcherine |
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Écriture | 7 juillet 1921 |
La situation générale actuelle est caractérisée par la continuation, de la crise mondiale inaugurée par la grande guerre, qui aboutit à un ébranlement de tout le monde organique et social existant. Cette crise se développe sur deux plans :
- Le plan économique, c'est-à-dire la ruine économique dans laquelle se débattent tous les Etats, et le besoin primordial qu'ils ont tous de surmonter cette ruine ;
- Le plan révolutionnaire, c'est-à-dire la lutte plus ou moins consciente, plus ou moins développée, menée par les masses laborieuses en vue de la prise du pouvoir et de l'établissement de la dictature prolétarienne.
La ruine économique est un phénomène général qui embrasse également les pays capitalistes avec leurs succursales coloniales et les républiques soviétistes. Vainqueurs et vaincus, vieilles monarchies, présidences réactionnaires ou soviets révolutionnaires, nous sommes tous précipités dans cette ruine. En sortir, reconstruire la production et l'échange, tel est le premier besoin et le mobile dominant de tous les gouvernements et de tous les groupements politiques ou économiques de la période actuelle. Ce problème qui se pose devant nous, se pose en même temps dans les pays capitalistes et dans les pays soviétistes, qui lui donnent des solutions diamétralement opposées. La même ruine nous unit, capitalistes et révolutionnaires. Le même besoin de produire et de manger domine la politique des uns et des autres. Nous sommes associés dans la même tâche de reconstruction économique, tout en comprenant cette reconstruction de façon opposée. C'est ce besoin primordial qui crée un lien impérieux entre les républiques soviétistes et les pays capitalistes et qui sert de base nécessaire à leur coopération inévitable. Gouvernements capitalistes et gouvernements soviétistes, nous sommes attachés les uns aux autres par le besoin que nous avons les uns des autres. C'est la ruine générale qui est notre trait d'union et qui a pour résultat impérieux et nécessaire notre collaboration, les traités qui nous unissent déjà et qui nous uniront de plus en plus ; enfin, les concessions que nous nous faisons mutuellement dans les sphères les plus importantes de notre politique.
Tout autres sont les relations existant entre nous sur le plan révolutionnaire. De même qu'au Moyen âge on distinguait l'Ecclesia militans, luttant péniblement dans la vallée de larmes de cette terre, et l'Ecclesia triumphans, jouissant du fruit des luttes terrestres et en possession de son but, de même le monde prolétarien actuel distingue les pays d'oppression capitaliste, où le martyre sanglant des masses révolutionnaires et de leurs avant-gardes organisées n'est pas encore terminé, et les pays de domination prolétarienne, où la classe ouvrière manie déjà l'appareil gouvernemental comme un instrument de la lutte de classe contre ses oppresseurs déchus et prenant déjà en mains la tâche immédiate du jour, c'est-à-dire la reconstruction de l'économie nationale sur le fondement communiste. Si les besoins économiques généraux et la ruine commune unissent les pays capitalistes aux pays soviétistes et les obligent à collaborer, c'est dans un sens absolument contraire qu'agissent les forces motrices sur le plan révolutionnaire en créant une opposition irréductible entre les Etats où le capital domine et ceux où les salariés se sont emparés du pouvoir.
Le premier facteur oblige les uns et les autres à s'unir, le second les oppose irréductiblement les uns aux autres. Telle est la contradiction dominante traversant toute la vie politique actuelle, à laquelle chacun de nos pas se heurte dans l'un ou l'autre des deux domaines. Les influences des forces motrices contraires s'entrecroisent. Elles produisent dans la politique des grandes puissances cette ligne vacillante et pleine d'imprévu qui la caractérise. Elles sont la cause des soubresauts continuels de Lloyd George[1], de Sforza[2] et plus ou moins de tous les autres cabinets. Comme si le monde politique actuel n'était pas suffisamment saturé de contradictions et de forces divergentes déchaînées par la guerre et s'entrechoquant perpétuellement, comme si le chaos politique général n'était pas assez complet, le tableau bigarré à l'infini que présente tout l'échiquier politique est encore entrecoupé, traversé, ébranlé jusque dans ses fondements par cette opposition fondamentale entre deux mondes sociaux qui se prennent l'un l'autre à la gorge.
Si pour un instant nous laissons de côté le point de vue des luttes révolutionnaires pour concentrer notre attention sur les autres aspects de la vie politique actuelle, ce qui nous frappera le plus, c'est la domination immédiate, à un degré jusqu'à présent inouï, des besoins économiques primordiaux, les plus élémentaires, du besoin de manger, de se chauffer, d'allumer les hauts fourneaux, d'alimenter la production en matériaux les plus simples. Jamais la politique n'a été à un tel point de l'économie pure et presque immédiate. Jamais le surédifice politique complexe n'a été a un tel point réduit à un mirage, à une ombre presque impalpable. La période qui s'est écoulée depuis le traité de Versailles jusqu'aujourd'hui nous fait assister à un évanouissement rapide et progressif des facteurs politiques appartenant à ce surédifice, élevé au-dessus des forces économiques. Pour ne citer qu'un exemple, le nationalisme des peuples précédemment périmés, qui à première vue semble une force presque irrésistible, est au contraire, si nous le considérons attentivement, un jouet docile entre les mains des grands intérêts économiques mondiaux. Ces bourgeoisies, en apparence jeunes, des nationalités reconstituées jouent en réalité pour la plupart le rôle de succursales et d'instruments des forces dominantes financières qui régissent le vieux monde capitaliste, qui s'entrechoquent et s'entredéchirent, et dans leur jeu, les passions et les aspirations des petites nationalités, leurs revendications, leurs traditions, leurs besoins, ne sont devenus entre leurs mains qu'un cinématographe destiné à cacher dans ses coulisses la vérité peu engageante des intérêts réels, puissants et sordides qui agissent dans le vieux monde capitaliste.
Plus solides et plus réels sont les intérêts stratégiques des grandes puissances, qui sont le masque politique des groupements financiers dominants. Mais c'est justement l'intérêt stratégique qui, depuis la signature du traité de Versailles, s'efface de plus en plus devant les besoins économiques immédiats. La contradiction principale entre la politique de l'Angleterre et celle de la France, c'est que l'Angleterre, la première, a relégué au second plan les buts stratégiques et a commencé à considérer l'Allemagne surtout au point de vue de l'intérêt économique, lequel demande sa conservation en tant qu'organisme vivant et efficace. La France, au contraire, aveuglée par ses considérations purement militaires et par sa crainte folle d'une invasion allemande future, a continuellement sacrifié toutes les considérations découlant du besoin général de reconstruction économique pour rechercher avant tout l'écrasement définitif ou le démembrement de l'Allemagne, ou du moins son encerclement par des forces radicalement hostiles et servant d'avant-postes militaires à l'état-major français.
La scène à laquelle nous assistons, c'est le spectacle de la banqueroute de cette politique stratégique. Son impossibilité matérielle apparaît de plus en plus évidente. Ses principaux atouts sont tombés à terre, et la politique française elle-même est obligée de s'inspirer de plus en plus des aspirations et des velléités économiques de son pays, qui diffèrent profondément de celles de l'Angleterre, et qui l'entraînent dans des conflits de plus en plus chroniques avec cette dernière. Quoi qu'il en soit, la politique étroite d'état-major, politique d'hier ou plutôt d'avant-hier, a déjà fait son temps. Le jour où le gouvernement français a abandonné l'ex-empereur Charles[3] a marqué la faillite de tout un système, du système qui est lié à la personnalité de Millerand et qui continue celle de Clemenceau, du système qui n'était au fond qu'un rafraîchissement de vieilles théories du Second Empire, le dernier effort d'une diplomatie de la vieille école. La restauration monarchique et cléricale dans les régions de l'ancienne Autriche-Hongrie et la création d'une Allemagne méridionale la reliant comme un pont à la France dominatrice, voilà le système qui s'est effondré entre les mains de la diplomatie française au moment même où cette dernière croyait avoir atteint son but. Ce n'est là qu'un exemple des épreuves traversées par la politique d'état-major suivie à Paris et du changement profond et définitif que cette politique subit actuellement.
Le naphte et le charbon, voilà les deux forces essentielles qui régissent la diplomatie actuelle, et peut-être davantage encore le blé, le pain quotidien. Les matières premières indispensables à la vie, voilà précisément ce que la victoire n'a pas donné aux grandes puissances capitalistes. La politique d'état-major a augmenté la ruine et n'a fait qu'éloigner les grands Etats capitalistes de l'assouvissement de leurs besoins les plus simples, et c'est pour avoir du blé, pour avoir des matières premières en général que les ennemis capitalistes irréductibles de la métropole soviétiste lui tendent aujourd'hui la main et cherchent à trouver avec elle, grâce à des concessions mutuelles, un modus vivendi rendant possible une activité commune. Les gouvernements ne luttent plus comme autrefois pour l'exportation de capitaux, but principal des grands combats diplomatiques et des combinaisons politiques si compliquées de la période précédente de l'Histoire. Les chancelleries, rivalisent aujourd'hui pour l'importation. C'est pour l'importation que le gouvernement anglais et les autres à sa suite négocient et signent des traités avec la Russie révolutionnaire. L'exportation des produits a aussi cessé, dans le chaos politique et économique actuel, d'être comme autrefois le plus naturel des phénomènes. Partout c'est la crise, partout c'est le chômage. L'interdépendance économique, déchirée par les ruines dont le traité de Versailles a rempli le monde, par les luttes interminables qui se poursuivent entre vainqueurs et vaincus, ainsi que par le grand duel épique avec la Russie révolutionnaire, se venge en obligeant à chômer les industries des grands pays capitalistes qui la négligent.
C'est cette interdépendance mondiale qui amène les gouvernements capitalistes à traiter avec les gouvernements soviétistes honnis et maudits. C'est elle qui nous amène, nous, le premier gouvernement communiste dans le monde, à répondre aux désirs de ceux qui veulent renouer avec nous des liens économiques nécessaires à tous. C'est elle qui nous impose cette politique de tractation et de collaboration avec les gouvernements capitalistes qui est le signe dominant de la période actuelle de notre histoire. Reconstruire, voilà partout le mot d'ordre ; reconstruction : voilà le résumé de toute la politique extérieure et intérieure, de tous les efforts, de toutes les aspirations, de toute la vie de la Russie Soviétiste actuelle. Poussée par son besoin de reconstruction économique, elle est entrée comme gouvernement établi dans la société des gouvernements existants. Par des moyens diamétralement opposés, elle a à résoudre la même tâche qui incombe à ses adversaires capitalistes. Un duel pacifique, voilà ce que sont les relations entre la Russie Soviétiste et les Etats capitalistes. Qui de nous saura résoudre le grand problème actuel, saura vaincre la ruine mondiale ? Les gouvernements soviétistes et les gouvernement capitalistes rivalisent entre eux, dans une émulation pacifique, avec des moyens radicalement contraires, pour résoudre un seul et même problème. Celui qui le résoudra sera le triomphateur. C'est en accomplissant cette tâche de reconstruction économique que le monde communiste s'affirmera et vaincra définitivement.
La politique extérieure de la Russie Soviétiste est toute tracée d'avance par ces motifs fondamentaux. Rendre possible la collaboration économique avec les autres pays, voilà notre but principal. Pour cela, nous avons besoin de la paix et la première tâche de notre politique extérieure consiste à nous la conserver. Pour cela, il faut des concessions mutuelles, et c'est autour de ces concessions que se déroule notre activité diplomatique. Nous avons à consolider notre situation extérieure. Nous avons à déjouer les plans d'intervention qui surgissent toujours dans certains pays. Nous avons à ouvrir toutes les issues à notre commerce, à nos exportations et à nos importations, à toutes les possibilités de cette entr'aide économique dont le besoin est urgent pour nous et autant pour les autres. La consolidation extérieure de la position du gouvernement soviétiste est même un des éléments les plus importants de sa consolidation intérieure.