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Special pages :
La situation en Amérique du Nord (Novembre 1862)
Auteur·e(s) | Karl Marx Friedrich Engels |
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Écriture | novembre 1862 |
Publié dans Die Presse, 10 novembre 1862.
Le général Bragg, commandant de l'armée sudiste au Kentucky - les autres forces armées du Sud qui y sévissent ne sont que des bandes de guérilla - lança, au moment d'envahir cet État frontière, une proclamation, qui jette une vive lumière sur l'échec des dernières opérations menées par la Confédération. En s'adressant aux États du Nord-Ouest, Bragg annonce son succès au Kentucky comme un fait évident et spécule manifestement sur l'éventualité d'une avance victorieuse en Ohio, l'État central du Nord.
En premier lieu, il déclare que la Confédération est prête à garantir la liberté de navigation sur le Mississippi et l'Ohio. Cette garantie n'a de sens que si les esclavagistes se trouvent en possession des États frontières. Ainsi, on suppose à Richmond que les incursions simultanées de Lee au Maryland et de Bragg au Kentucky leur assureront d'un seul coup la possession des États frontières.
Bragg se met ensuite en devoir de justifier le Sud qui ne lutterait que pour son indépendance, mais pour le reste désirerait la paix. En fait, la pointe significative de sa proclamation est l'offre d'une paix séparée avec les États du Nord-Ouest, l'invitation à quitter l'Union et à rejoindre la Confédération, les intérêts économiques du Nord-Ouest et du Sud étant aussi concordants, selon lui, que ceux du Nord-Ouest et du Nord-Est seraient antagoniques. On le voit; à peine le Sud se croit-il assuré de posséder les États frontières, qu'il divulgue très officiellement son intention de reconstruire l'Union, en en excluant les États de la Nouvelle-Angleterre.
Cependant, comme l'invasion du Maryland, celle du Kentucky a déjà échoué : la première, avec la bataille de Antietam. Creek, et la seconde, avec celle de Perryville, près de Louisville. Comme là-bas, les Confédérés se trouvaient ici en position offensive, après avoir attaqué l'avant-garde de l'armée de Buell. On doit la victoire des fédéralistes au commandant de l'avant-garde, le général McCook, qui résista aux forces ennemies très largement supérieures jusqu'à ce que Buell ait trouvé le temps de mettre le gros de la troupe en campagne. Il ne fait pas le moindre doute que la défaite de Perryville entraînera l'évacuation du Kentucky. La bande de guérilla la plus importante, formée des partisans les plus fanatiques du système esclavagiste au Kentucky et commandée par le général Morgan, a été anéantie au même moment près de Frankfort (entre Louisville et Lexington). Enfin, il y a la victoire décisive de Rosecrans à Corinth, qui oblige l'armée d'invasion battue du général Bragg à une retraite précipitée.
C'est donc l'échec complet de la campagne des confédérés en vue de reconquérir les États frontières esclavagistes perdus. Et pourtant, l'opération avait été effectuée à une vaste échelle, avec beaucoup de savoir-faire militaire et sous les auspices les plus favorables. Abstraction faite des résultats militaires immédiats, ces combats contribuent d'une autre manière à déblayer l'obstacle principal. Les États esclavagistes proprement dits s'appuient bien entendu sur les éléments esclavagistes existant dans les États frontières, c'est-à-dire les éléments mêmes qui imposent au gouvernement de l'Union des égards diplomatiques et constitutionnels dans sa lutte contre l'esclavage. Dans les États frontières - principal théâtre d'opérations de la guerre civile - ces éléments sont pratiquement réduits à rien de par la guerre civile elle-même. Une large fraction des maîtres d'esclaves émigre sans cesse avec son black chattel (bétail noir) vers le Sud, afin d'y mettre sa propriété en sécurité. A chaque défaite des confédérés, la migration reprend à une échelle plus large.
L'un de mes amis[1], un officier allemand, qui, sous la bannière étoilée, a lutté tour à tour du Missouri à l'Arkansas et du Kentucky au Tennessee, m'écrit que cette migration évoque tout à fait l'exode d'Irlande au cours des années 1847 et 1848. Au demeurant, la fraction active et énergique des esclavagistes - la jeunesse d'une part, et les chefs politiques et militaires de l'autre - se détachent eux-mêmes du gros de leur classe, soit pour constituer des bandes de guérilla dans leurs propres États où ils sont anéantis purement et simplement, soit pour abandonner leur patrie et se trouver enrôlés dans l'armée ou l'administration de la Confédération. D'où ce résultat : d'une part, une énorme diminution de l'élément esclavagiste dans les États frontières où il était en lutte avec les « encroachments » (empiétements) du travail libre, son rival; d'autre part, l'élimination de la fraction active de l'esclavagisme et de sa suite blanche. Il ne subsiste plus qu'un dépôt d'esclavagistes « modérés », qui saisiront bien tôt avidement la pile d'or offerte par Washington pour le rachat de leur black chattel, dont la valeur fond de toute façon avec la fermeture du marché des acheteurs du Sud. Ainsi, la guerre donne-t-elle elle-même la solution, en révolutionnant pratiquement la forme de production sociale dans les États frontières.
Pour le Sud, la saison la plus favorable à la conduite de la guerre est passée. Pour le Nord, elle commence depuis que les cours d'eau du pays sont devenus navigables et qu'il peut combiner les opérations militaires sur terre et sur eau, ce qu'il a fait jusqu'ici avec beaucoup de succès. Le Nord a travaillé fiévreusement dans l'intervalle. Des « vaisseaux cuirassés » au nombre de dix, pour les cours d'eau de l'Ouest, sont en voie d'achèvement; il faut y ajouter une vingtaine de vaisseaux semi-cuirassés pour eaux dormantes. Dans l'est, de nombreux vaisseaux cuirassés ont déjà quitté les arsenaux, tandis que d'autres sont en construction. Ils seront tous prêts le 1er janvier 1863. Ericsson, l'inventeur et le constructeur du Monitor, dirige la construction de neuf nouveaux vaisseaux du même type. Quatre d'entre eux sont déjà « à flot ».
Sur le Potomac, au Tennessee et en Virginie, aussi bien qu'en différents points du Sud - Norfolk, New Bern, Port Royal, Pensacola et La Nouvelle-Orléans - l'armée reçoit tous les jours de nouveaux renforts. La première levée de trois cent mille hommes de troupe, annoncée par Lincoln en juillet, est entièrement faite et une partie en est déjà sur le théâtre de guerre. La seconde levée de trois cent mille hommes pour neuf mois est en voie de regroupement. Dans certains États, on a substitué la conscription à l'enrôlement volontaire, mais nulle part elle ne se heurte à des difficultés sérieuses. L'ignorance et la haine ont décrié la conscription en la présentant comme un fait inouï dans l'histoire des États-Unis. Or rien n'est plus faux. Durant la guerre d'Indépendance et la seconde guerre contre l'Angleterre (1812-1814), de gros contingents ont été levés par conscription : ce fut le cas même dans différentes petites guerres menées contre les Indiens : jamais ce système ne s'est heurté à une opposition digne d'être mentionnée.
Un fait remarquable c'est qu'au cours de cette année l'Europe a fourni aux États-Unis un contingent d'émigrants d'environ cent mille âmes, dont la moitié provient d'Irlande et de Grande-Bretagne. Au récent Congrès de l' « Association for Advancement of Science » à Cambridge, l'économiste Merivale dut rappeler à ses compatriotes un fait que le Times, la Saturday Review, le Morning Post et le Morning Herald, sans parler des du minorum gentium[2], ont complètement oublié - ou que l'Angleterre veut faire oublier - à savoir que la plus grande partie de l'excédent de la population anglaise trouve une nouvelle patrie aux États-Unis.