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La servitude des femmes
QUELQUES MOTS D'HISTOIRE[modifier le wikicode]
« Vous venez d'abolir tous les privilèges, abolissez donc ceux du sexe masculin. Les Français, dites vous, sont un peuple libre, et tous les jours vous souffrez que 13 millions d'esclaves portent les fers de 13 millions de despotes ». (Requête des Dames à l'Assemblée législative 1791).
Nous pourrions reprendre avec très peu d'atténuations la requête de nos aînées. Les cent trente années de règne de la bourgeoisie, victorieuse en 1789, ont passé sans apporter à la femme l'égalité de droits avec l'homme.
Ce n'est pas que les femmes n'aient cessé de réclamer leur libération. Chaque fois qu'un mouvement d'émancipation soulevait la masse travailleuse, quelques femmes faisaient entendre la voix de l'opprimée séculaire. C'est Jeanne Deroin en 1848, Louise Michel, Maria Deraismes, chacune dans leur sphère d'action qui, en 1870, et dans les années qui suivirent, affirmèrent la servitude de la femme et son droit à la liberté.
Depuis cette date, le mouvement a été en s'amplifiant sans cesse. Les limites nécessairement étroites de cette brochure ne permettent pas de donner un résumé même succinct de toutes les formes qu'a prise la lutte menée par les femmes pour conquérir leur place au soleil. Dans le développement du socialisme, le problème de l'émancipation de la femme n'a pas toujours tenu la place que son importance méritait. Pourtant, il faut reconnaître que, dès ses débuts, le mouvement socialiste proclama l'égalité nécessaire de l'homme et de la femme, et, comme corollaire, admit les femmes parmi ses adhérentes.
Aussi le socialisme peut-il s'honorer de compter dans son sein des militantes de premier ordre, telles Rosa Luxembourg et les camarades révolutionnaires russes, qui trouvèrent la mort dans la lutte contre le tsarisme. Dans la Iére Internationale, les progrès furent lents quoique réels.
Rappelons pour mémoire le Congrès de Stuttgart, qui réclama l'égalité politique des deux sexes et celui de Copenhague, qui essaya de dresser une sorte de charte de l'émancipation féminine. Parmi les travaux les plus intéressants sur le sujet, mentionnons au premier plan le livre d'Engels : L'origine de la Famille, de la Propriété privée et de l'État, et l'œuvre importante de Bebel : La Femme socialiste.
En France, le féminisme trouva un avocat dévoué en la personne de Francis de Pressensé qui soutint, dans de nombreux meetings, les revendications féminines, à telle enseigne que sa dernière intervention en public se produisit au meeting organisé pour la défense du droit au travail de la femme, à propos de l'affaire Couriau.
En résumé, on peut dire que le socialisme a aidé, dans une large mesure, à l'émancipation de la femme, mais il n'a pas encore recherché sérieusement, sauf peut-être en ce moment en Russie, la cause profonde de l'esclavage féminin.
Il n'a pas fait pour la femme le travail d'investigation théorique qu'il a fait pour le prolétaire. Il a cru trop facilement qu'en émancipant le travailleur, il émanciperait du même coup et entièrement la travailleuse. Cette conception est erronée.
La femme occupe, une situation inférieure dans la société pour d'autres causes que celles qui influent sur la destinée des travailleurs. Ce sont ces causes qu'il nous importe aujourd'hui de mettre en pleine lumière.
L'OPINION BOURGEOISE[modifier le wikicode]
Le fond de l'opinion bourgeoise sur la femme dans la société, c'est que la femme est un être faible, qui a toujours besoin d'être protégé. Elle est si faible qu'on ne peut l'instruire comme l'homme : il lui faudra un programme d'études atténué ! Nous aurons par exemple un manuel de mathématiques à l'usage des écoles de filles, les « Éléments des Sciences pour les petites filles » et plus tard « l'Astronomie des Dames », comme si la vérité devait avoir deux visages, un rébarbatif, mais sincère pour le sexe masculin, un fardé et d'une aimable fausseté pour le sexe féminin.
La soi-disant protection de la femme est aussi à la base de l'institution de la famille. Tout le monde sait que le Code impose au mari, comme premier devoir « l'aide et la protection » à sa femme, en revanche, la femme doit obéissance absolue à son mari, tellement absolue que le dictionnaire Larousse définit ainsi la condition de la femme mariée : En se mariant, la femme perd sa nationalité, son nom, son domicile, la libre disposition de sa personne (art. 214); le mari ne peut abandonner aucune parcelle des droits que la loi lui a donnés sur elle (art. 1686), elle n'est libre que pour faire son testament (art. 226)... »
On voit tout ce que signifient ces mots : aide et protection ! On voit aussi que le souteneur, le « protecteur » classique de la malheureuse prostituée est tout à fait dans la note de la société bourgeoise. Protégée, la femme l'a été aussi dans le travail, et le résultat de cette protection est bien digne d'être noté. Il aboutit, par exemple, à empêcher jadis les femmes d'être typographes et de gagner 7 ou 8 francs par nuit, alors qu'il autorisait parfaitement le travail nocturne de la plieuse de journaux qui gagnait quarante sous, et qu'il laissait subsister cet autre « travail » nocturne, qui s'appelle la prostitution.
A la faiblesse de la femme, il fallait un univers fermé. Les mœurs bourgeoises décidèrent que l'homme se réserverait la vie sociale, le travail au dehors, et que la femme devrait se cantonner « au foyer », où elle passerait son temps à préparer le nid douillet qui devrait recevoir, à son retour, Sa Majesté le mari.
Oh les belles tirades que nous eûmes sur le rôle des femmes à la maison ! Oh ! les pages de littérature, de la meilleure et de la pire, — de la pire surtout — qui furent prodiguées sur la sainte influence de la femme dans la famille. C'était surtout si commode pour le mari !
Je voudrais passer en revue quelques-uns des sophismes qui ont le plus cours, qui sont affirmés comme vérités d'Évangile, et dont bien souvent les femmes, elles-mêmes, ne démêlent pas l'imbécillité hypocrite.
La Femme est la Reine du foyer[modifier le wikicode]
L'auteur bourgeois qui présente cet aphorisme comme une vérité démontrée, se représente sans doute une dame de son monde, qui doit diriger les bonnes, femmes de chambre, cuisinière, etc..., qui composent son domestique. Il voit la patronne, gourmandant ici, encourageant là, distribuant reproches et conseils, sans faire œuvre de ses dix doigts.
Il existe sans doute de ces femmes, mais le nombre en est si infime que nous le tiendrons pour négligeable. Nous pensons surtout à toutes les travailleuses : à la fermière qui, presque seule, veille au ménage et fait marcher la ferme; à la femme de l'ouvrier, à celle de l'employé, femmes qui ne font pas faire leur besogne par d'autres.
Vous sentez-vous vraiment souveraines, camarades, qui le matin, lorsque votre mari est parti, devez expédier les enfants à l'école, laver la vaisselle, faire le blanchissage, le repassage, monter les seaux de charbon, rapporter de lourds filets de légumes du marché, préparer le repas, en songeant sans cesse que vous n'avez que telle somme pour passer la semaine, la quinzaine ou le mois, et qu'il vous, faudrait deux ou trois fois plus ? Douteriez-vous de votre royauté quand, le repas de midi pris, vous retrouvez les assiettes, fourchettes, plats, casseroles à fourbir de nouveau ?
Le ménage remis en ordre, vous songez au repas du soir, au feu à entretenir, au linge à raccommoder...
Et le lendemain ramène les mêmes tâches, aussi rebutantes, aussi malpropres, aussi urgentes, et tous les lendemains qui se suivront les ramèneront inexorablement, car votre royauté ne connaît pas de dimanches.
Oui, femmes, ménagères, vous êtes reines ! Reines de l'eau de vaisselle et des chaussettes trouées !
Dieu béni les nombreuses familles.[modifier le wikicode]
« Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris... » (V. Huoo).
Il n'est pas de poète qui n'ait aligné des rimes sur l'enfant dans son berceau et la mère qui rendort en souriant! Oh! la littérature! Voyons un peu la réalité. Un bébé prend de la nourriture sept ou huit fois par jour. On calcule qu'il doit recevoir ses tétées toutes les deux heures et demie en moyenne. La journée de la maman s'étend donc de six heures du matin à neuf heures du soir, tous les jours. Chaque tétée de l'enfant dure au minimum un quart d'heure, et ses langes et couches doivent être renouvelés à chaque repas. Dans l'intervalle des tétées, la mère doit laver le linge, le mettre en état, à condition que le bébé n'ait pas d'indisposition et ne crie pas.
Les poètes ne voient jamais les langes souillés ni le lait caillé sur les vêtements ! Ce travail exténuant ne supprime naturellement pas la préparation du dîner pour le mari et le ravaudage des bas et des chaussettes.
Pendant deux ans, une mère a ainsi tous les jours dix-sept ou dix-huit heures d'un travail incessant, trop heureuse encore si l'enfant dort sans se réveiller pendant la nuit. Femmes I Mères ! Dites si cela n'est pas rigoureusement vrai. Une petite amie me disait : a Ah à certains moments, je croyais en devenir folle ».
Admettez maintenant qu'une femme ait trois enfants, elle mènera cette vie de forçat pendant six ans et elle comptera encore plusieurs des meilleures années de sa vie accaparées par les soins moins absorbants, mais toujours pénibles, nécessaires aux enfants qui grandissent. Il n'y a donc pas à s'étonner de voir les femmes se tenir à l'écart des affaires publiques, même lorsqu'il serait urgent pour elles d'y défendre leurs intérêts ou leurs droits, d'y défendre la santé ou la vie des leurs.
La famille les mine, les ronge, les use. Si le nombre des enfants augmente, la femme y ruine sa santé; le souci constant des menus détails qui sont la vie des enfants, annihile peu à peu en elle toute pensée. Dans les familles de travailleurs, où les difficultés d'argent viennent encore compliquer l'existence, la famille nombreuse, c'est la misère physique et mentale pour la femme. Dieu bénit peut-être les nombreuses familles riches mais, chez les pauvres, la femme s'y abrutit et quelquefois en meurt. Pour la femme de la classe bourgeoise, la solution a été trouvée.
Bonnes et nourrices s'occupent de l'enfant et, avec prudence, on limite le nombre des rejetons. C'est parce qu'elles ont des domestiques à lieur service, que les femmes bourgeoises consentent à avoir des enfants, tellement est grande la servitude de la maternité. C'est si vrai qu'aujourd'hui où les domestiques se font rares, les dames qui prêchent le plus la repopulation se demandent, dans de sérieuses enquêtes, quelles seront les répercussions de la crise de la domesticité sur la natalité dans les familles bourgeoises.
L'Ange du foyer.[modifier le wikicode]
Encore un cliché bien répandu ! Il aide à faire accepter aux femmes quelques-unes des corvées familiales les plus pénibles. Petite fille, l'ange du foyer manquera l'école pour soigner la maman malade, pour garder le petit frère ou la petite sœur quand la mère sort; pour assister le vieux grand-père, pour faire les commissions quand le papa est alité, etc., etc. Les institutrices savent les mille et un prétextes qui interrompent à tout instant la scolarité des fillettes. Les garçonnets, eux, sont toujours envoyés en classe, mais que la fillette soit plus jeune ou plus âgée que le garçon, c'est toujours sur elle que tombe l'occasion de se dévouer.
Plus tard, quand les enfants sont devenus des adolescents, les mêmes coutumes subsistent. Le jeune homme ira retrouver des amis, ne prendra part que de très loin à la vie de famille; de l'adolescente, on exigera une part active au ménage et on la soumettra au contrôle le plus détaillé pour tous ses actes. Cette emprise de la famille pèse sur la jeune fille qui s'évade parfois par une union de valeur médiocre, mais qui est pour elle une issue à une situation inextricable.
Cependant, l'ange du foyer n'a pas terminé son rôle. Quelqu'un est-il malade dans la maison, mari, père, mère, enfants, la femme devient la garde-malade obligée, nuit et jour, s'il le faut. Bien mieux, je sais des cas, et nombreux, où c'est la femme qui va soigner les parents malades de son mari.
Comprenez-vous qu'on n'ait jamais le temps d'assister à une réunion quand on a tant et tant d'occasions d'être « l'ange du foyer ». On dira : « Les femmes acceptent volontiers ce rôle. Elles y déploient toutes leurs qualités affectives ».
On dirait peut-être avec plus d'exactitude : « Le bourrage de crânes (si l'on veut bien me passer cette expression), auquel elles sont soumises, leur fait accepter comme inéluctable ce rôle ingrat ».
Mais, admettons qu'elles y soient préparées par une plus grande sensibilité (ce qui me paraît une affirmation bien sujette à caution), nous dirons d'abord : tant mieux, car leur tâche serait sans cela un supplice infernal, et nous ajouterons que la société n'a pas le droit d'exploiter un individu sous prétexte qu'il se prête à l'exploitation.
OU EST LA VRAIE SERVITUDE DE LA FEMME[modifier le wikicode]
La femme qui travaille pour gagner sa vie se trouve dans des conditions assez semblables à celles de son camarade masculin. Comme lui, quoiqu'à un degré plus complet, elle est l'exploitée du capitalisme. Pourtant, s'il n'y avait à secouer que le joug du capitalisme, la femme serait aujourd'hui parvenue au même point d'émancipation que l'homme. Ce qui la place à un degré inférieur à l'homme, même le plus défavorisé, c'est le fait que toutes les charges familiales l'accablent.
La maternité l'attache à l'enfant et la servitude du ménage, les soins aux vieux parents se sont imposés à elle parce que l'enfant la retenait à la maison.
Comme elle n'a jamais eu le temps matériel de réclamer un meilleur sort, que la femme servante au foyer était pour l'homme une ressource précieuse, on a fait, pour elle, de la nécessité une loi morale. Au lieu d'améliorer en sa faveur la loi naturelle, on s'en est servi contre elle.
Si l'on veut libérer la femme, si l'on juge que; chez elle l'être humain en soi a des droits, tout comme il en a chez son compagnon, c'est à la décharger du fardeau du ménage, c'est à atténuer pour elle les tâches familiales, c'est à l'aider dans son œuvre maternelle qu'on devra travailler.
LA FEMME ET LE TRAVAIL COLLECTIF[modifier le wikicode]
Tant que la femme est restée au foyer, alors que l'homme allait travailler au dehors, le labeur féminin a été apprécié tout juste à zéro. « Elle ne fait rien, elle reste chez elle. » Telle est la formule qui sert à exprimer que la femme trime du matin au soir, au ménage, au soin des enfants, etc.
Le mari consciencieux, qui rapporte intégralement sa paye au logis, est persuadé en toute bonne foi qu'il est le seul à subvenir à la vie de la maisonnée. Il parle de « ses charges ». « Ma femme et mes gosses ! » Il croit, et cela c'est de la pure essence de mentalité bourgeoise, que l'argent qu'il apporte a en soi une valeur quelconque ! (Vis-à-vis de lui-même, travailleur, son patron a exactement la même appréciation).
Si l'on admet que la véritable valeur dans la société est le travail — et quel socialiste le nierait — on peut dire que, dans la famille, le mari et les enfants vivent sur le travail de la femme. Comme l'a dit si fortement Engels : « L'homme est, dans la fa - mille, le bourgeois; la femme y représente le prolétaire ».
La femme n'a commencé à comprendre sa propre valeur que le jour où elle a reçu salaire. Elle s'est rendu compte que sa dépendance vis-à-vis de son mari était un abus. Son salaire, même amoindri par le capitalisme, trop heureux d'exploiter cette exploitable et corvéable à merci, a été pour elle la révélation de son indépendance possible. Elle en viendra à se dire (certaines se le sont déjà dit) qu'aucun individu adulte ne doit économiquement dépendre d'un autre, que toute dépendance devient servitude, toute protection, tyrannie.
Cependant, si, pour nous, l'avenir n'est pas douteux, le présent ne laisse pas que d'être bien pénible. Pour conquérir son indépendance économique, la femme est allée travailler au dehors, mais la tâche familiale lui est restée entière, tout comme si elle vivait encore au foyer, de sorte qu'elle a cumulé tous les labeurs.
Je sais des syndicalistes, et des plus haut placés dans la hiérarchie confédérale, qui se sont grandement apitoyés sur la santé des femmes travaillant en usine, dans les tramways. Ils n'ont jamais voulu voir que si la femme était si exténuée, c'était parce qu'à la journée de travail salarié, elle ajoutait en rentrant une autre journée de travail, aussi pénible et non salarié celui-là.
La solution ?
Beaucoup l'ont vue dans un retour de la femme au foyer. Je ne crois pas cette solution possible pour deux raisons :
La première, c'est que les femmes ont apprécié les charmes de l'indépendance; elles sentent combien il est préférable de devoir la satisfaction de as besoins et de ses désirs à soi-même plutôt que de la tenir d'un protecteur, -fût-il généreux parmi les plus généreux. Elles sentent qu'une femme entretenue, légalement ou autrement, n'est pas libre. Aussi celles qui ont goûté le miel un peu amer de l'indépendance, le préféreront-elles à toutes les confiseries frelatées du servage domestique.
La deuxième raison, et c'est pour moi la plus décisive, c'est que les formes actuelles de travail sortent de plus en plus du cadre familial et du petit atelier. Plus les années passeront, plus les services collectifs prendront d'extension, plus il faudra de travailleurs, hommes et femmes, pour les assurer. L'avenir est aux vastes organisations qui exigeront un personnel nombreux. On ne pourra pas se passer du labeur féminin. Dans l'état présent déjà, imaginez donc quel serait l'état des services publics seulement, si toutes les travailleuses en étaient écartées.
Même lorsque le capitalisme, par son impéritie, se montre incapable d'utiliser toute la force de travail du prolétariat et maintient les ouvriers en chômage, il ne s'ensuit pas qu'il faille renvoyer les femmes à la maison. Une meilleure organisation saurait utiliser tous les concours pour produire en abondance ce qui doit permettre à tous les êtres humains de se donner le minimum de bien-être, qui est aujourd'hui réservé seulement à une minorité.
Cependant, si la femme est occupée au labeur collectif, une modification profonde du labeur familial sera nécessaire. Comme le dit excellemment Engels :
L'affranchissement de la femme exige, comme condition première, la rentrée de tout le sexe féminin dans l'industrie publique, et, à son tour, cette condition exige la suppression de la famille individuelle comme unité économique (C'est moi qui souligne) de la société ».
LE MÉNAGE[modifier le wikicode]
Donc, la femme aura sa part de la tâche accomplie dans les grands services sociaux. En compensation, elle devra être déchargée des besognes ménagères. Comment ?
Dans un chapitre de son livre : La Conquête du pain, Kropotkine indique la solution du problème. Nul n'a écrit de pages plus fortes sur le sujet. Nous ne résistons pas au plaisir d'en citer quelques extraits :
« Pourquoi le travail de la femme n'a-t-il jamais compté pour rien, pourquoi, dans chaque famille, la mère, souvent trois ou quatre servantes, sont-elles tenues de donner tout leur temps aux affaires de cuisine ? Parce que ceux même qui veulent l'affranchissement du genre humain, n'ont pas compris la femme dans leur rêve d'émancipation et considèrent comme indigne de leur haute dignité masculine de penser « à ces affaires de cuisine », dont ils se sont déchargés sur les épaules du grand souffre-douleur — la femme ».
« Émanciper la femme, ce n'est pas lui ouvrir les portes de l'université, du barreau et du Parlement. C'est toujours sur une autre femme que la femme affranchie rejette les travaux domestiques. Émanciper la femme, c'est la libérer du travail abrutissant de la cuisine et du lavoir ; c'est s'organiser de manière à lui permettre de nourrir et d'élever ses enfants, si bon lui semble, tout en conservant assez de loisir pour prendre sa part de la vie sociale.
Quant à la solution, Kropotkine l'expose en quelques détails caractéristiques :
« Et la solution vient, dictée par la vie elle-même évidemment très simple. C'est la machine qui se charge, pour les trois quarts, des soins du ménage. Vous cirez vos souliers, et vous savez combien ce travail il est ridicule. Frotter vingt ou trente fois un soulier avec une brosse, que peut-il y avoir de plus stupide ? il faut qu'un dixième de la population européenne se vendes en échange d'un grabat et d'une nourriture insuffisante, Pour faire ce service abrutissant; il faut que la femme se considère elle-même comme une esclave pour que pareille opération continue à se faire chaque matin par des douzaines de millions de bras. « Cependant, les coiffeurs ont déjà des machines pour brosser les crânes lisses et les chevelures crépues; n'étaitil pas bien simple d'appliquer le même principe à l'autre extrémité? C'est ce que l'on a fait. » ... Laver la vaisselle ! Où trouverait-on une ménagère qui n'ait pas ce travail en horreur ? travail long et sale à la fois, et qui se fait encore le plus souvent à la main, uniquement parce que le travail de l'esclave domestique ne compte pas. En Amérique, on a mieux trouvé. Il y a déjà un certain nombre de villes dans lesquelles l'eau chaude est envoyée à domicile, tout comme l'eau froide chez nous. Dans ces conditions, le problème était d'une grande simplicité, et une femme, Mme Cockrane, l'a résolu. Sa machine lave vingt douzaines d'assiettes ou de plats, les essuie et les sèche en moins de trois minutes. L'état actuel des découvertes scientifique s nous permet de compléter l'exposé de Kropotkine. L'électricité, fée bienfaisante, délivrera la femme de son antique esclavage, et l'aidera à tous les degrés de son ennuyeuse besogne. Plus d'éclairage par lampes, qui exige une manipulation aussi malpropre qu'impatiente : l'ampoule électrique.
Plus de charbon à remuer. Le réchaud et la cuisinière électriques sont déjà réalisés, et les tapis et les vêtements chauffants. L'aspirateur de poussières, mû à l'électricité, remplacera le balai malpropre et les chiffons sordides. La maison, chauffée tout entière à l'électricité, mettra à la disposition de tous, pour la toilette, l'eau chaude à volonté.
La machine à la ver la vaisselle et la lessiveuse - repasseuse électriques, accomplir ont les tâches répugnant es de la blanchisseuse, de la « Reine du Foyer » ou de la bonne à TOUT faire.
Mais pour mettre toutes ces commodités à la portée de tous, une condition est indispensable. Un ingénieur technicien, qui a publié un ouvrage d'un intérêt capital sur le chauffage électrique, nous fait toucher du doigt où est le vrai problème.
« Il est superflu d'insister sur ce que le coût élevé du kilowatt-heure est actuellement le plus grand obstacle au développement du chauffage électrique, quels que soient tous ses avantages incontestés : instantanéité, propreté, commodité, etc. Le problème du chauffage électrique ne consiste donc pas à apporter quelques perfectionnements, souvent très discutables, aux appareils d'utilisation, comme la généralité des constructeurs s'y ingénie, mais bien à modifier les conditions actuelles d'exploitation des Distributions d'Energie Electrique, en vue d'abaisser jusqu'à l'extrême limite, le prix de l'énergie destinée au chauffage[1] ».
Oui, voilà le point essentiel. La vie du travailleur ne deviendra plus confortable que le tour où cessera de se placer entre lui et les progrès de la science, le Capitalisme, chercheur de profits.
Pour que nous puissions jouir du seul bien-être matériel, il faudra que le Capitalisme ne prenne pas de bénéfices sur le charbon ni sur le minerai tiré de la mine, qu'il ne prenne pas de bénéfices sur le travail des ingénieurs, créateurs de machines, sur celui des métallurgistes, qui réalisent les projets des inventeurs.
Il ne faudra pas que la pieuvre capitaliste étende ses tentacules sur les blanches cascades, sur les torrents des montagnes, qui nous fournissent l'énergie électrique à bon compte.
Pour que cesse rapidement l'esclavage domestique de la femme, il faut que cesse aussi l'esclavage du prolétariat.
Il convient cependant que nous considérions toutes les conséquences de nos idées. Kropotkine, dans l'ouvrage que nous citions plus haut, nous a nettement montré où nous allions. Mais la petite machine à domicile n'est pas le dernier mot pour l'affranchissement du travail domestique. Le ménage sort de son isolement actuel; il s'associe à d'autres ménages, pour faire en commun ce qui se fait aujourd'hui séparément.
En effet, l'avenir n'est pas d'avoir une machine à brosser, une autre à laver les assiettes, une troisième à laver le linge et ainsi de suite pour chaque ménage. L'avenir est au calorifère commun, qui envoie la chaleur dans chaque chambre de tout un quartier et dispense d'allumer les feux... ».
C'est donc vers une orientation communiste de la vie familiale que nous marchons.
Et là nous devons immédiatement répondre à une objection. On dira : « Vous supprimez l'intimité en rendant communs les services domestiques. Le repas pris en famille est un moment d'exquise douceur que vous n'avez pas le droit de faire disparaître. ».
Nous pourrions nous borner à dire « Est-ce bien vrai ? » Nous répondrons seulement que, même les repas préparés en commun, n'obligeront jamais à dîner en public.
L'organisation doit être assez souple pour que ceux qui trouvent de l'agrément à une table d'hôte puissent dîner avec de nombreux compagnons et pour que celui qui préfère l'isolement soit satisfait. Dans certaines maisons d'Amérique, on peut à volonté user du service commun ou se faire servir à part. La société bourgeoise, elle, ne donne pas le choix; elle impose à toutes les femmes, même à celles qui en souffrent, les ennuis de la cuisine individuelle, des ravaudages longs et sans véritable utilité.
Si l'on en juge par le nombre de plus en plus grand de travailleurs et de travailleuses qui fréquentent le restaurant, on peut être persuadé qu'une organisation en grand des services familiaux rencontrerait plus d'approbateurs que de détracteurs.
LA MATERNITÉ[modifier le wikicode]
Un des premiers devoirs d'une société communiste devra être l'organisation et le développement des services qui se rattachent à la natalité. On devra d'abord assurer aux femmes enceintes des conditions de vie adoucies. L'agriculteur ne soumet pas à un travail épuisant les bestiaux reproducteurs. Dans la société humaine, on s'est très peu préoccupé de soulager les femmes sur le point d'être mères. Depuis quelques années seulement, la loi a reconnu nécessaires les congés de maternité, mais le laps de temps protégé, avant et après les couches, est notoirement insuffisant.
Les accouchements devront avoir lieu, d'une façon habituelle, dans les hôpitaux spécialement aménagés. Les décès qui se produisent parmi les femmes au moment de la procréation, sont causés pour un nombre considérable .de cas, par l'absence de soins spéciaux, rapidement donnés par des docteurs compétents. Dans les maternités, le nombre des cas mortels ne cesse de diminuer. Et il n'y a besoin que d'un peu de réflexion pour comprendre que jamais une maison privée ne peut offrir, au point de vue de l'hygiène et de l'installation, la garantie d'un établissement public, où tout est prévu.
Les maisons d'accouchement devront être complétées par des maisons d'allaitement, où la mère trouvera le secours d'une organisation en commun pour le linge, le lait, la garde de l'enfant pendant quelques heures chaque jour. Pourtant, ces maisons ne devront pas être des casernes, où un règlement rigide soumet les hôtes à une discipline quasi militaire. Elles recevront seulement un nombre minime de personnes et chaque rue, chaque petite agglomération devra avoir la sienne.
Les Bolcheviks ont, sur ce point, réalisé une œuvre prodigieuse. Reprenant à la bourgeoisie une partie de ses riches hôtels, ils ont transformé le rez-de-chaussée de ces confortables demeures en maisons d'accueil pour les mères ayant charge de tout petits. Écoutez la description que nous en fait une camarade qui a eu la possibilité de visiter Moscou et de constater de visu les premières réalisations.
« J'ai vécu pendant quelques jours cet été dans une propriété près de Moscou, ayant appartenu, avant la première révolution, à un grand duc, oncle du tsar, et transformée maintenant en maison de repos pour les travailMûrs et aussi en « maison de la mère et de l'enfant ». Cette immense propriété comprend, outre le château, une dizaine de charmantes maisons en bois, des « datchas »; deux de ces maisons sont réservées aux futures mères avec les bébés, trois autres aux mères nourrices et une sixième est hi maison d'accouchement, où on transporte les mamans quand elles ressentent les premières douleurs et où elles restent 8 à 10 jours. La plupart des camarades que j'ai connues dans cet « Eden », ont fait en moyenne des séjours de trois à quatre mois, et rien n'était plus réconfortant que de voir ces jeunes mamans, presque toujours vêtues de blanc, installées à l'ombre de beaux arbres, au milieu d'une nature belle et calme, avec leurs bébés joyeux et bien portants... Dès leur retour à la maison, les mères reprennent le travail et mettent leurs bébés à la crèche. ... Les enfants sont admis à la crèche de 4 mois à 3 ans; les mères qui travaillent les apportent le matin à 9 heures et les reprennent à 6 heures du soir; voici pour les grands » le menu d'une journée : à 9 heures, café au lait, pain et beurre, kacha (sorte de bouillie au riz, au millet et au sarrasin), à midi, une soupe aux pâtes et à la semoule, une boulette avec de la viande, de la farine ou des pommes de terre pour les plus grands et un plat sucré, généralement une compote; à 4 heures, une kacha et un plat sucré. De plus, chaque mère touche le soir, eu venant prendre son bébé, de 200 à 400 grammes de lait, pour continuer à l'alimenter chez elle. « Les enfants qui ne peuvent être acceptés dans les crèches, car elles ne sont malheureusement pas en nombre suffisant, faute de matériel, sont cependant alimentés de la même manière que les autres petits, et la mère vient chercher chaque jour la nourriture toute préparée pour son enfant. De plus, elle est tenue de le conduire, une fois par quinzaine, à la visite du docteur, et ceci est une obligation ».
Un autre camarade nous a rapporté que des internats avaient été créés où les mères pouvaient mettre leur enfant pour quelques heures ou pour une durée plus longue, avec la faculté de venir le voir à n'importe quel moment de la journée.
Tout ceci est déjà entré dans le domaine de la vie pratique; mais, là encore, nous devons assurer la plus entière liberté. Les mères qui désireront garder avec elles leur enfant, doivent en avoir la possibilité; de plus, des services appropriés doivent leur venir en aide. Par exemple il faudrait créer des distributions de lait à domicile. N'est-il pas honteux de voir, surtout pendant les jours d'hiver, des mamans faire la queue à la porte d'une laitière pour obtenir le lait de leurs bébés.
Le lavage de la layette devrait être également prévu. Comment ! les hôtels, les restaurants, ont des services collectifs de blanchissage pour leurs serviettes et leurs torchons, et on ne trouverait pas moyen de créer des services analogues pour les couches et les langes des nourrissons
Nous pourrions encore soulever nombre d'autres questions. Que toutes les femmes y songent ! Qu'elles cherchent des solutions, qu'elles les fassent connaître. Qu'elles en exigent la réalisation par des manifestations publiques. Qu'elles ne gémissent pas sous le fardeau sans chercher à l'atténuer, pour elles et pour celles qui suivront. Les femmes devront aussi faire comprendre autour d'elles que toutes ces institutions ne doivent pas avoir pour seul but de libérer la femme pour l'envoyer aussitôt au travail, mais qu'elles doivent avoir pour objet de la libérer pour le repos et le loisir.
Il faut faire comprendre aux hommes qui gèrent — si mal — les organisations sociales, que la mère qui allaite a besoin que, chaque jour, on lui garde son enfant pendant quelques heures, pour qu'elle goûte un peu de repos et de tranquillité.
Et la société qui fera son devoir envers les mères sera récompensée de ses sacrifices par le nombre d'enfants bien portants qu'elle fera survivre, tandis que la société bourgeoise — et masculine — dans les seules années de 1870 à 1914, a laissé mourir, par son impéritie, le chiffre formidable de six millions de nouveaux-nés, en France seulement.
LES TACHES FAMILIALES[modifier le wikicode]
La société bourgeoise n'a trouvé, pour résoudre le problème de la maladie et de la vieillesse, que la solution qui consiste à en rejeter le plus lourd poids sur la femme. Tous savent l'enfer que devient un local exigu de travailleurs, quand la maisonnée compte un malade. Le malade n'a pas toujours ce qui lui serait nécessaire, soit faute d'argent, soit à cause de l'installation défectueuse.
Un des souvenirs les plus poignants qui me reviennent de temps en temps, c'est le tableau d'un jeune homme au dernier stade de la tuberculose, agonisant dans un étroit cabinet, tandis que sa pauvre mère, épuisée de fatigue, se multipliait pour le soigner et maintenir l'ordre dans l'unique pièce du logis. C'était navrant.
On dira : « Les malades redoutent l'hôpital ». C'est vrai. Mais si les malades pauvres ne veulent pas toujours aller à l'hôpital, c'est que les services sanitaires ne sont pas encore débarrassés du vieil esprit de charité chrétienne, qui fait du malade un inférieur. Avec cette idée, on est convaincu que le malade est bien heureux d'être reçu à l'hôpital et qu'il doit se soumettre aux règlements les plus étroits et les moins justifiés.
Par exemple, dans les maisons de santé, on peut aller voir les patients assez aisément. Les visites sont autorisées, sauf exceptions pour les cas qui l'exigent absolument, à peu près tous les jours. Pourquoi dans les hôpitaux est-ce seulement deux fois la semaine et pendant deux heures ? Il en résulte une cohue qui ne peut être que néfaste aux malades. Pourquoi aussi les soins se donnent-ils littéralement en public ? Il serait si simple de placer un rideau ou un paravent qui isolerait le malade pendant le temps qui conviendrait.
En réalité, la pudeur des pauvres ne compte pas. En outre, le personnel est en nombre insuffisant. On se demande même par quel prodige ce n'est pas plus mal encore. Voilà tout ce qui cause la répugnance des travailleurs pour l'hôpital. Voilà pourquoi la charge si pénible et si délicate du soin des malades retombe sur la femme.
Les remarques que j'ai faites sur les hôpitaux sont applicables aussi aux maisons pour vieillards. Ce sont des établissements de charité. C'est leur condamnation. II faudra que, dans l'avenir, des organisations respectant en chacun la dignité humaine, fournissent à ceux que la vie a usés, l'abri confortable et riant auquel ils ont droit, qui leur laissera la plus large indépendance possible, en leur assurant les soins nécessaires par des services collectifs bien compris. Ainsi la femme ne sera plus l'être exploité, sur qui retombent toutes les peines et toutes les fatigues de la vie familiale.
Quant aux sentiments de famille, il n'en sera ni plus ni moins qu'aujourd'hui : ceux qui s'aiment continueront à s'aimer. Ce qu'on ne verra plus, ce sont des scènes comme celles que Maupassant nous décrit dans le conte intitulé : Le Vieux.
CONCLUSION[modifier le wikicode]
On s'étonnera peut-être que j'aie passé systématiquement sous silence les questions pourtant si importantes de l'inégalité des droits civils et politiques entre les hommes et les femmes. Je n'en méconnais nullement l'urgence. Mais, d'une part, ces sujets ont déjà été traités dans un nombre considérable d'études et ont donné lieu à une propagande sérieuse. D'autre part, des droits n'ont de véritable valeur qu'autant que la situation matérielle permet de les exercer.
À quoi a servi aux enfants du prolétariat le soidisant droit à l'instruction, quand la nécessité de gagner leur vie dès l'âge de treize ans, les a mis dans l'obligation de ne pas user de ce droit ?
De même, pour que les femmes soient des membres actifs et conscients de la société, il est nécessaire que, surtout dans les classes travailleuses, une part du fardeau matériel qui les accable, leur soit d'abord ôtée.
Les esprits conservateurs, qu'ils soient royalistes, républicains, voire même socialistes, invoquent con - tre l'affranchissement de la femme, un argument qu'il est utile de relever. Ils disent : « II faut laisser la femme à la fonction qui lui est imposée par la na ture, la femme doit rester à la maison parce qu'elle est mère ». En fait, ces hommes invoquent ici la loi de la nature, parce qu'ils basent sur elle leur exploitation de la femme. Dans tout autre cas, ils dressent volontiers la raison humaine contre la fatalité, sou - vent aveugle, des forces de l'univers. Et leur révolte alors est juste; la civilisation tout entière n'est que le produit de la violence que l'homme a faite à la na - ture. La valeur nutritive du froment, la splendeur de la rose, le bateau qui sillonne les mers, l e scalpel du chirurgien, tout parle de l'insuffisance de la nature et de la victoire humaine. Pourquoi, contre la femme seule, voudrait-on maintenir la rigueur des lois na - turelles ? Au contraire, l'équité ne commande-t-elle pas, en cette occasion comme en tant d'autres, de faire intervenir l'intelligence humaine pour améliorer la nature ? Pourquoi aussi ne voir dans la femme que l'animal reproducteur et non l'être humain ?
Grâce à la Révolution russe, la question de l'émancipation de la femme se trouve aujourd'hui posée sur son véritable terrain. Pour les Bolcheviks, certes, l'égalité civile et politique des deux sexes s'impose; mais, pour que cette égalité soit autre chose qu'un mot sonore et vide, les révolutionnaires russes s'efforcent résolument de voir où gît la vraie servitude de la femme et de porter le remède où est le mal.
« C'est un fait qu'au cours de ces dix dernières années, il n'y a pas eu dans le monde un seul parti démocratique, et, parmi les leaders des républiques bourgeoises, personne qui ait entrepris, pour l’émancipation de la femme, la centième partie de ce qui a été réalisé par la Russie en un an. Toutes les lois humiliantes, portant préjudice aux droits de la femme, ont été abolies. Par exemple, celles qui mettaient obstacle au divorce, les répugnantes formalités pour la recherche (le la paternité et relatives aux enfants « illégitimes ».
Ce sont des lois en vigueur dans tous les états civilisés, à la honte de la bourgeoisie et du capitalisme. Nous sommes en droit d'être fiers des progrès accomplis dans ce domaine. Mais, au fur et à mesure que nous sapions les bases des lois et des institutions bourgeoises, nous arrivions à la claire vision du caractère préparatoire de notre travail, destiné seulement à préparer le terrain pour l'édifice à bâtir.
« Nous n'en sommes pas encore à la construction de l'édifice.
La femme demeure, malgré tout, l'esclave de la maison. Les lois émancipatrices n'y font rien, puisqu'elle reste assujettie à tons les petits travaux du ménage qui l'enchaînent à la cuisine, à la chambre des enfants, et font de son activité rude et improductive, une chaîne de minuscules tourments, oppressifs et abêtissants.
Une véritable émancipation de la femme, un véritable communisme, n'existeront que là où le prolétariat, prenant les rênes en mains, organisera la lutte contre l'esclavage domestique. Pour mieux dire, lorsque la société sera entièrement reconstruite, en vue d'une organisation socialiste de la tenue de la maison.
La réalisation pratique de ce programme a déjà commencé. Le résultat est encore à peine sensible. Mais il ne faut pas sous-estimer ces tendres bourgeons printaniers. Les restaurants populaires, les jardins d'enfants, sont dans leur genre de nouvelles pousses fort éloignées encore de la maturité, et pourtant en puissance d'aboutir, dans la pratique, à l'émancipation de la femme, grâce à la suppression de son inégalité vis-à-vis de l'homme, dans le domaine de la production et de la vie sociale. ».[2]
Toute la Révolution russe est imprégnée du même esprit.
Aussi, les femmes qui veulent conquérir pour leur sexe un sort meilleur, tournent-elles aujourd'hui vers la grande Révolution de l'est de l'Europe, leurs regards à la fois anxieux et pleins d'espoir.
Elles se demandent si les novateurs qui bouleversent en ce moment les conceptions surannées du vieux monde bourgeois, auront la possibilité d'accomplir leur tâche et de libérer, avec les autres opprimés, le « grand souffre-douleur de l'humanité ».
Elles se disent aussi que toute semence vigoureuse et féconde résiste aux intempéries et triomphe des obstacles et des dangers; et elles espèrent que, de la somme immense de souffrances, ignorées ou retentissantes, qui a écrasé la femme, des siècles durant, germera enfin un désir profond et insatiable de justice, au moins chez une minorité de femmes conscientes, et que celle-ci entraînera la masse, accablée encore, vers un avenir de progrès.