La recherche sur Staline. Lettre à Lilia Estrine, 26 juin 1938

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Cher Camarade[1] ,

Nous avons reçu les documents et le Biulleten. Merci beaucoup pour tout. Peut‑être ne valait‑il pas la peine de publier mon article « Le 20° anniversaire[2] », rédigé pour la presse américaine : il n'offre rien de neuf aux lecteurs du Biulleten. Mais ce n'est pas très important. Il est honteux de la part de Krivitsky et des autres de ne pas donner d'informations pour le Biulleten et de les réserver aux mencheviks[3] . Ces gens qui hier se disaient bolcheviks ! Ils n'étaient en vérité que de petits fonctionnaires bourgeois au service de Staline, rien de plus.

Les extraits du livre d'Iremachvili[4] me conviennent parfaitement. Je pense que l'on peut accorder foi à ses mémoires pour l'essentiel. Souvarine l'entourait de méfiance. N'est‑ce pas simplement parce que Souvarine ne connaît pas l'allemand ? Iremachvili a raconté cinq ans plus tôt ce que les biographes officiels ont affirmé ensuite, ouvertement, ou de façon détournée, le plus souvent par d'éloquents silences. Que savez‑vous d'Iremachvili ?

Pourquoi estimez‑vous que l'on doive s'en méfier? Pour la seule raison que cet ancien menchevik est devenu national‑socialiste[5] ? Indiquez‑moi, s'il vous plait, tout ce que vous savez à son sujet.

Je suis très reconnaissant à Nikolaievsky[6] d'être prêt à m'accorder sa collaboration cette fois encore. Pour ma part, je serais très heureux de lui être utile en quoi que ce soit. Peut‑être a‑t‑il besoin de livres ou de revues américaines? Je ferai volontiers tout ce que je pourrai.

Les bruits qui circulent indiquant que je n'aurais pas élevé de protestations à propos des accusations contre Dan[7] sont simplement ridicules. Je n'ai pas élevé de protestations à propos des accusations contre Rosmer, Eastman , S ouvarine[8] et bien d'autres. Le travail que nous avons mené à travers la commission de New York revêt un caractère général et non personnel, il s'étend à tous ceux qui ont été calomniés. En ce qui concerne Dan, personnellement, seuls des idiots peuvent croire qu'il est lié à la Gestapo (ou je ne me souviens à quoi).

La rédaction du Biulleten de New York a envoyé une sorte de mandat moral[9] . Je m'y associe pleinement. Je pense que deux et même trois camarades peuvent faire partie de la délégation en fonction de la situation et des conditions que la « direction » définira.

En ce qui concerne la recherche d'extraits des articles et discours de Staline, il est important d'accorder une attention particulière aux questions suivantes

  • la révolution chinoise
  • le comité anglo‑russe
  • le programme du Comintern
  • la troisième période

Il n'est pas utile de recopier les articles en entier; il suffit d'en choisir le point central, en donnant avec précision les indications de date et autres (les extraits d'Iremachvili ont été extrêmement bien pris). J'espère vous donner, pour le prochain numéro du Biulleten un petit article sous forme d'éditorial sur la défense de l'Armée rouge. De façon générale, vous êtes amplement pourvus de documents de notre part.

  1. Malgré ce masculin singulier, la suite de la lettre montre qu'elle est adressée aux deux principaux collaborateurs de Sedov, Lola Estrine et Zborowski ‑ un agent du G.P.U. infiltré : tous deux s'occupaient du Biulleten et aidaient Trotsky dans son travail sur la biographie de Staline.
  2. Cf. Œuvres, 16 pp. 58‑66.
  3. Walter Krivitsky était le pseudonyme sous lequel on connaissait l'agent du G.P.U. Samuel Ginzburg (1889‑1941), un agent du G.P.U. qui avait fait défection peu après l'exécution de Reiss, qui avait été son ami d'enfance. Il collaborait à la presse menchevique.
  4. Le livre en question avait paru en Allemagne en 1932 : J. Iremaschwili, Stalin und die Tragödie Georgiens. L'auteur avait l'âge de Staline, dont il avait été le condisciple à l'école religieuse de Gori, puis au séminaire de Tiflis : il donnait un témoignage intéressant sur l'enfance de Staline.
  5. Plus nuancé, dans son Staline, Trotsky écrit d'Iremachvili qu'il était devenu « national‑socialiste à sa manière ».
  6. Boris I. Nikolaievsky (1887‑1966), historien menchevique, travaillait à l'époque à Paris où il dirigeait une annexe de l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam : Trotsky ignorait alors qu'il avait en dépôt le plus précieux de ses archives que lui avait confiées Sedov . On ne le sait que depuis 1983.
  7. Fedor I. Gourvitch, dit Dan (1871‑1947), médecin, membre du groupe L'Emancipation du Travail de Plékhanov, avait été l'un des principaux dirigeants des mencheviks en Russie, puis en exil. Lors du procès contre Boukharine et autres, l'accusé Tchernov, un ancien menchevik, avait « avoué » avoir reçu des instructions de Rykov et Tomsky pour prendre contact à Berlin avec Dan. Il avait également « avoué » avoir reçu de Dan des « directives, etc. Dans les milieux socialistes d'Europe, on assurait que Trotsky n'avai t pas pris la plume pour réfuter les accusations portées contre Dan.
  8. Max Eastman (1883‑1969) un des premiers Américains à sympathiser avec la révolution russe, ami de Trotsky et son traducteur, avait été mentionné par les «aveux » de Rakovsky comme un « agent britannique ». Krestinsky avait mis en cause Rosmer. Quant à Boris Lifshitz, dit Souvarine (né en 1893) qui avait été l'un des premiers communistes en France, avant d'être exclu pour sa défense de Trotsky, il avait été cité par Staline, un peu avant ce procès, avec d'autres comme Arkadi Maslow.
  9. Rae Spiegel et J. Vanzler avaient constitué à New York un groupe d'« amis du Biulleten Oppositsii » : ils avaient envoyé un « mandat moral » en vue de la représentation du « groupe russe » à la conférence, un problème épineux à cause des soupçons que Pierre Naville nourrissait ‑ à juste titre ‑ à l'égard de Zborowski.