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Special pages :
La destitution de McClellan
Auteur·e(s) | Karl Marx |
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Écriture | novembre 1862 |
Publié dans Die Presse, 29 novembre 1862.
« McClellan est destitué », telle est la réponse de Lincoln à la victoire électorale des démocrates.
Les journaux démocrates avaient proclamé avec la plus grande assurance que l'élection de Seymour au poste de gouverneur de l'État de New York entraînerait la révocation immédiate de la proclamation de Lincoln sur l'abolition de l'esclavage en Secessia à partir du 1° janvier 1863[1]. Les journaux qui publiaient cette prophétie étaient à peine sortis des presses que leur général favori - favori, parce qu'il redoutait autant une grande défaite qu'une victoire décisive - fut privé de son commandement et renvoyé dans ses foyers.
On se souvient qu'en réponse à la proclamation de Lincoln, McClellan avait lancé une contre-proclamation, un ordre du jour à son armée. Il y interdisait certes toute manifestation contre la mesure présidentielle, mais y glissait aussi les mots funestes que voici : « Il est du devoir des citoyens de rectifier les erreurs politiques, s'il y en a, par la voie des urnes. » McClellan, à la tête de la principale armée des États-Unis, en appelait donc au président avant les élections toutes proches. Il jetait dans la balance le poids de son autorité. Hormis un pronunciamiento à la manière espagnole, il ne pouvait exprimer plus nettement son hostilité à la politique du président. Après la victoire électorale des démocrates, il ne restait donc à Lincoln d'autre choix : il devait ou bien s'abaisser jusqu'à devenir l'instrument du parti du compromis pro-esclavagiste, ou bien priver ce parti de l'appui dont il bénéficiait dans l'armée en la personne de McClellan.
C'est pourquoi, la destitution de McClellan en ce moment précis est une démonstration politique. Mais, de toute façon, elle était devenue inéluctable. Dans un rapport au ministre de la Guerre, le commandant en chef, Halleck, avait accusé McClellan d'insubordination pure et simple. Peu après la défaite des Confédérés au Maryland le 6 octobre, Halleck avait donné l'ordre de traverser le Potomac, profitant de ce que le faible niveau d'eau du fleuve et de ses affluents favorisait alors les opérations militaires. Défiant cet ordre, McClellan ne bougea pas d'un pouce, sous prétexte que son armée était incapable de marcher, l'approvisionnement faisant défaut. Dans son rapport, Halleck démontra que c'était là un simple subterfuge, que l'armée de l'Est jouissait de grands privilèges, par rapport à l'armée de l'Ouest, en ce qui concerne l'intendance. Quoi qu'il en soit, l'approvisionnement nécessaire pouvait être réceptionné aussi bien au sud qu'au nord du Potomac. Un second rapport complète celui de Halleck. Le comité chargé d'enquêter sur la reddition de Harper's Ferry[2] aux confédérés accuse McClellan d'avoir concentré les troupes de l'Union, stationnées près de cet arsenal, avec une lenteur incompréhensible - il ne les fit avancer que de six milles anglais (environ un mille et demi allemand) par jour - pour les relayer. Ces rapports de Halleck et du Comité étaient entre les mains du président avant la victoire électorale des démocrates.
Nous avons assez souvent dépeint dans ces colonnes l'art avec lequel McClellan a exercé son haut commandement pour qu'il suffise de rappeler ici qu'il cherchait à substituer l'enveloppement stratégique à la décision tactique, qu'il était toujours en quête d'arguments propres à cette sagesse d'état-major qui interdit d'exploiter les victoires ou de prévenir les défaites. La brève campagne du Maryland lui avait tressé une fausse auréole. En effet, il convient de remarquer qu'il reçut tous ses principaux ordres de marche du général Halleck, qui avait en outre conçu le plan de la première campagne du Kentucky, et que la victoire sur le champ de bataille était due exclusivement à la bravoure de ses subordonnés, en particulier du général Reno tombé sur le champ de bataille, et de Hooker, qui, à ce jour, n'est pas encore entièrement rétabli de ses blessures.
Napoléon écrivait naguère, a son frère Joseph que le danger était égal sur tous les points d'un champ de bataille et qu'en cherchant à lui échapper on ne faisait que s'y précipiter plus sûrement. McClellan semble avoir compris cet axiome, mais sans la recette que Napoléon suggérait à son frère. De toute sa carrière militaire, McClellan n'a jamais mis les pieds sur un champ de bataille, ni reçu le baptême du, feu. Le général Kearney souligne fortement cette originalité dans une lettre publiée par son frère, après que Kearny fut tué, dans l'une des batailles livrées par Pope devant Washington.
McClellan s'entendait à cacher sa médiocrité sous le masque d'une condescendance hautaine, d'un laconisme discret et d'une réserve pleine de dignité. Ses défauts lui assuraient la confiance inébranlable du Parti démocrate du Nord et la « reconnaissance loyale » des sécessionnistes. Parmi les officiers supérieurs de son armée, il sut recruter des partisans, en créant un état-major d'une ampleur inconnue à ce jour dans les annales de l'histoire militaire. Un certain nombre des vieux officiers, qui avaient appartenu à l'ancienne armée de l'Union et avaient été formés à l'Académie de West Point, trouvèrent en lui un point d'appui dans leurs rivalités avec les « généraux du civil » de formation récente, et dans leurs sympathies secrètes avec les « collègues » du camp adverse. Le soldat, enfin, ne connaissait ses qualités militaires que par ouï-dire; il lui attribuait, pour le reste, tous les mérites d'une intendance remarquable et déduisait toutes sortes d'anecdotes glorieuses de son laconisme condescendant. Le seul don propre au commandant suprême qu'eut jamais McClellan, c'était de savoir assurer sa popularité dans son armée.
Le successeur de McClellan, Burnside, est trop peu connu pour que nous puissions le juger. Il appartient au Parti républicain. Hooker, en revanche, qui assume le commandement du corps d'armée servant directement sous McClellan, est sans aucun doute. le plus bagarreur des officiers de l'Union : c'est « Fighting Joe », comme ses troupes l'appellent, qui a le plus contribué aux succès du Maryland. Il est abolitionniste.
Les journaux américains qui nous apportent la nouvelle de la destitution de McClellan, nous informent que Lincoln aurait déclaré qu'il ne retrancherait pas un iota de sa proclamation.
« Lincoln, observe le Morning Star avec raison, a démontré au monde, par ses successives manifestations de fermeté, qu'il était un homme peut-être lent, mais solide, qui avançait avec d'infinies précautions, mais ne reculait pas. Chaque pas de sa carrière administrative suit avec énergie la bonne direction qu'il s’est fixée. Étant parti de la décision de bannir l'esclavage des territoires, le voici enfin parvenu au but final de tout le « mouvement anti-esclavagiste » : extirper ce fléau du sol de toute l'Union. Il a déjà atteint la glorieuse position qui consiste à décliner toute responsabilité de l'Union dans le maintien de l'esclavage. »
- ↑ Le 22 septembre 1862, Lincoln proclama que lès Noirs en esclavage dans les États rebelles à l'Union seraient émancipés à partir du 1° janvier 1863. En même temps, tous les Noirs eurent le droit formel sinon réel de servir dans la flotte et dans l'armée. Cependant, Lincoln se garda de distribuer les terres des esclavagistes aux anciens esclaves. Or, l'exploitation éhontée des Noirs ne pouvait cesser tant que les sudistes continuaient de posséder les grands domaines et plantations en toute propriété. Dans sa lettre du 15.7.1865 à Marx, Engels espérait encore que le Nord finirait par accorder aux esclaves noirs le droit de devenir de petits colons libres comme en Jamaïque. Mais, il est évident que le respect bourgeois de la propriété s'arrêta devant les grands domaines et plantations du Sud.
- ↑ Harper's Ferry, important centre militaire sur le Potomac. Les sudistes s'en emparèrent le 15 septembre 1862, sous le commandement de Jackson, lorsqu'ils envahirent le Maryland. Les mille hommes de la garnison ainsi que tout l'arsenal tombèrent aux mains des confédérés.