La campagne contre la droite : et maintenant ?

De Marxists-fr
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Au moment où ce numéro sortira des presses, la campagne contre les droitiers se sera terminée avec des mesures d'organisation décisives; le renvoi de Rykov, Tomsky et Boukharine du comité central (peut-être Rykov seulement du Bureau Politique). Que les choses en viennent à l'exclusion du parti des dirigeants de la droite et à leur punition administrative à la prochaine étape dépendra partiellement de la conduite des dirigeants de la droite mais avant tout du degré dans lequel l'Etat-major stalinien se sentira obligé de faire un tournant à droite. Car c'est ainsi que les choses en sont maintenant au sommet. Exactement comme l'écrasement de l'Opposition de gauche au congrès en décembre 1927 a précédé le tournant à gauche qui a été pris officiellement pris le 15 février 1928, de même l'inévitable tournant à droite devra être précédé de l'écrasement organisationnel de l'Opposition de droite. Pourquoi ? Parce que, si ce tournant devait être fait avec la présence des droites au comité central, ils déclareraient leur solidarité avec le tournant. Cela ne rendrait pas seulement difficile leur exclusion du parti mais en outre brouillerait la perfection de la ligne générale. Mais c'est aussi un aspect de la question. Il y en a un autre, non moins important.

Bien avant la destruction organisationnelle décisive de l'Opposition de gauche, une nouvelle scission était préparée au cœur de la majorité alors dirigeante, sans qui le tournant à gauche ne pouvait même pas être conçu, de ne pas parler du fait qu'il n'y avait personne à blâmer pour le cours de droite d'hier. Et maintenant que le tournant inévitable de la ligne générale à droite se dessine à l'horizon, il faut supposer a priori qu'une nouvelle scission est en train de prendre forme dans le cercle dirigeant qui ne sera révélée qu'après le tournant à droite. Il ne peut en être autrement. D'un côté, non seulement dans le parti - cela va sans dire - mais dans l'appareil lui-même, il y a ceux qui ont pris au sérieux le zigzag ultra-gauche comme un cours gauche sérieux : ces éléments résisteront au tournant qui approche. D'un autre côté, quelqu'un doit bien porter la responsabilité des vertiges et des tournants à l'échelle de l'Etat. On ne peut deviner à l'avance selon quelles lignes la scission va se dérouler "théoriquement", ou, plus exactement, s'est déjà déroulée par élimination. Attribuer les excès de la collectivisation à Vorochilov et Kalinine est impossible; tout le monde sait suffisamment où vont les sympathies de ces deux prisonniers du zigzag de gauche. Attribuer la responsabilité des vertiges politiques à Kouibychev, Roudzoutak et Mikoyan est impossible; personne ne le croirait parce que le vertige politique exige quelque chose comme une tête politique. Il n'en reste qu'un - Molotov.

La conclusion à laquelle on arrive par la méthode de l'élimination est confirmée par différentes sources de Moscou. On nous dit que pendant un certain temps Staline s'est employé activement à répandre des rumeurs par divers canaux selon lesquelles Molotov était devenu vaniteux, qu'il n'avait pas toujours été obéissant et que tiré par la manche vers la gauche, il le gêne, lui, Staline, dans l'application d'une infaillible "ligne générale". Le mécanisme du nouveau zigzag est ainsi clair d'avance, parce qu'il reproduit un passé que nous connaissons déjà. Mais il y aussi une différence - la conscience du mécanisme et une accélération du rythme. Un nombre croissant de gens savent comment c'est fait et les phrases qui l'accompagnent. Il devient clair pour des cercles toujours plus larges du parti que la source fondamentale de duplicité est le secrétariat général, qui trompe systématiquement le pays, disant une chose et en faisant une autre. De plus en plus de gens en arrivent à la conclusion que la direction de Staline est trop coûteuse pour le parti. Ainsi, dans le mécanisme des zigzags centristes de l'appareil arrive un moment où la quantité doit se changer en qualité.

La bureaucratie des soviets et du parti a élevé Staline sur la vague de la réaction contre la Révolution d'Octobre, contre le communisme de guerre, contre les commotions et dangers inhérents dans la politique de la révolution internationale. C'est le secret de la victoire de Staline. En 1924, de nouvelles générations ont été élevées et les anciennes rééduquées dans l'esprit de la réaction politique et théorique d'un caractère national-réformiste. Les réserves "de gauche" de Staline - réserves d'un centriste prudent - n'ont intéressé personne. Ce qui pénétrait la conscience, c'était ce genre d'état d'esprit: tranquillement, peu à peu, nous construirons le socialisme sans révolution en Occident; il ne faut pas sauter les étapes; plus on va lentement, plus on ira loin. Pourquoi ne pas s'allier à Tchang Kaï-Chek, Purcell, Radic ? Pourquoi ne pas signer le pacte Kellogg ?

Et par-dessus tout, à bas la "révolution permanente", pas la théorie pour laquelle la majorité des bureaucrates n'a aucun intérêt, mais la politique révolutionnaire internationale avec ses perturbations et ses risques quand ils ont en U.R.S.S. une réalité.

C'est là la philosophie sur laquelle s'est construit l'appareil stalinien, avec des millions de gens. La majorité de la vraie bureaucratie stalinienne sent que son dirigeant lui a tenu un double langage depuis 1928. "La transcroissance pacifique" du régime d'Octobre en capitalisme d'Etat national n'a pas eu lieu et ne pouvait pas avoir lieu. Arrivé au bord du précipice capitaliste, Staline -même s'il n'aime pas sauter - à fait un saut périlleux à gauche. Les contradictions économiques, le mécontentement des masses, l'inlassable critique de l'Opposition de gauche, ont obligé Staline à opérer son tournant en dépit de la résistance en partie active, essentiellement passive de la majorité de l'appareil. Le tournant a pris place avec les grincements de dents de la majorité des bureaucrates. C'est la raison principale pour laquelle la nouvelle étape de "monolithisme" a été accompagnée de l'établissement ouvert et cynique d'un régime plébiscitaîre-personnel. C'est seulement en utilisant les résidus restant finalement de l'inertie que Staline a pu écraser la droite et opérer le nouveau tournant et à un prix bien plus élevé pour lui que les précédents.

Il y a environ un an, nous disions qu'il y avait un couac dans l'appareil. Depuis, il est devenu vacarme. De quelle importance est le fait que Syrtsov, placé dans un poste élevé pour éliminer Rykov, s'est révélé le chef des "double faces", c'est-à-dire de ceux qui votent officiellement pour Staline mais pensent et, s'ils le peuvent, agissent différemment. Combien de Sytrsov semblables y a-t-il dans l'appareil ? Hélas, de telles statistiques sont inaccessibles à Staline. Elles ne peuvent être révélées qu'en action. La presse officielle caractérise Syrtsov comme un droitier. Le fait que Syrtsov a cherché un bloc avec les centristes de gauche du type Lominadzé et Chatskine non seulement révèle une confusion extraordinaire dans les rangs de l'appareil mais aussi démontre que Syrtsov est l'un de ces droitiers de l'appareil désorientés qui ont été effrayés par la menace de Thermidor. Il y en a aussi d'autres. Il y a ceux qui votent contre Syrtsov et Lominadzé, réclament l'exclusion de Rykov et de Boukharine, jurent allégeance à seul dirigeant seul bien aimé, et en même temps ont dans l'esprit la question de la façon dont ils peuvent trahir à leur meilleur avantage. Ce sont les Agabekov et autres. Les sycophantes de la révolution, ses lécheurs bureaucratiques, ont réussi à se faire suffisamment bien leur chemin dans les pays étrangers, sautant de la fenêtre, se vendent vite à un nouveau patron. Combien y en a-t-il dans l'appareil soviétique à l'intérieur de l'U.R.S.S. ? Il est plus difficile de les dénombrer que de compter les droitiers effrayés et les centristes honnêtement embrouillés. Mais il y en a beaucoup. Les succès de Staline, avec leurs zigzags, ont abouti à la formation d'un noyau dans l'appareil d'une fraction de lécheurs qui demeurent dévoués même "sans flatterie" jusqu'à cinq minutes avant leur trahison complète. Cette abomination humaine est absolument incapable d'aucune espèce de rôle politique indépendant et encore moins historique. Mais elle peut servir de peau de banane sur laquelle va glisser la perfection plébiscitaire de Staline.

Une fois qu'il aura commencé de glisser, l'appareil stalinien sera incapable de trouver son ancien équilibre. Il n'a pas de soutien propre sous ses pieds. Trouvera-t-il un soutien sur sa droite ? Non. Il y a deux secteurs: des opportunistes confus et même désespérés, incapables d'initiatives, et les lécheurs bureaucratiques, seulement capable d'initiatives pour trahir. Les éléments centristes ne trouveront pas de soutien à droite.

Et la gauche ? C'est seulement là, de la gauche, qu'il est possible de repousser le danger thermidorien-bonapartiste, accru par la politique des centristes. Cela signifie-t-il la formation d'un bloc avec Staline ? La lutte des bolcheviks contre Kornilov qui attaquait ouvertement le gouvernement provisoire était-ce là un bloc avec Kerenski ? Devant une menace contre-révolutionnaire directe, une lutte commune avec cette partie de l'appareil stalinien qui ne sera pas de l'autre côté des barricades, va de soi.

Ce n'est cependant pas la question essentielle. Au moment où l'appareil, divisé par les contradictions et les faussetés, commence à balancer, la situation peut être sauvée, non par une partie ou une parcelle de l'appareil mais par le parti, l'avant-garde du prolétariat. Voilà la tâche ! Mais le parti en en tant qu'entité organisationnelle est inexistant. L'accumulation de lécheurs dans l'appareil a signifié la destruction du bolchevisme et du parti. C'est en cela que réside le crime historique de Staline. Mais les composantes du parti bolchevique sont extraordinairement nombreuses, vivantes, indestructibles. Peu importe combien l'appareil s'efforce de les désorienter, les bolcheviks ouvriers tirent leurs propres conclusions. Des dizaines de milliers de vieux-bolcheviks et des centaines de milliers de jeunes bolcheviks potentiels se lèveront au moment du danger. La restauration bourgeoise qui essaiera de prendre le pouvoir aura les mains coupées.

L'Opposition de gauche est l'avant-garde de l'avant-garde. Les mêmes qualités et méthodes lui sont demandées en rapport avec le parti officiel qui sont dans des conditions normales requises d'un parti par rapport à la classe; une fermeté principielle inébranlable et, en même temps, une disposition à faire même le plus petit pas avec les masses.

A l'intérieur du parti, le signal d'alarme doit être sonné dans le proche avenir. Le parti doit commencer à se réaffirmer lui-même. Cela doit se produire: cela découle de toute la situation. Par quelle voie ce processus avancera-t-il ? Il est impossible de le prévoir. Mais il y aura un profond réalignement interne, c'est-à-dire une sélection et une combinaison du véritable parti prolétarien révolutionnaire, à partir de la poussière humaine foulée aux pieds par l'appareil.

Devant les brutales convulsions et les changements aigus dans la situation, il serait doctrinaire de se lier d'avance par tout type de mots d'ordre organisationnels-techniques partiels sans principes, auquel le mot d'ordre d'un comité central de coalition est partiellement relié. Nous avons écrit là-dessus il y a quelques semaines, à la veille de la dernière campagne contre la droite. Depuis lors, il y a eu beaucoup de changement. Mais nous pensons même maintenant que le mot d'ordre d'un comité central de coalition peut apparaître aux larges cercles du parti comme la seule capable de trouver une issue hors du chaos. On comprend que le comité central de coalition en lui-même ne résoudrait rien, mais il pourrait faciliter pour le parti la solution de ses tâches, lui donnant la possibilité de trouver lui-même avec le minimum de convulsions. Sans une profonde lutte interne, ce n'est plus possible, mais nous devons tout faire pour retirer de cette lutte interne tous les éléments de guerre civile. Un accord sur cette base peut rendre au parti un grand service au moment le plus critique. Ce ne sont pas les bolcheviks-léninistes qui résisteront à un tel accord, mais ce faisant, ils ne peuvent pas plus qu'avant renoncer à leurs traditions et à leur plate-forme. Nous devons dire nettement il n'y a pas aujourd'hui d'autre drapeau !