La Révolution en Inde : ses tâches et ses dangers

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L'Inde est le pays colonial classique comme la Grande-Bretagne est la métropole classique. Toute la cruauté des classes dirigeantes et toutes les formes d'oppression que le capitalisme a utilisées contre les peuples arriérés d'Orient est résumé de la façon la plus complète et la plus épouvantable dans l'histoire de la gigantesque colonie sur laquelle les impérialistes britanniques se sont installés comme des sangsues pendant le dernier siècle et demi. La bourgeoisie britannique a soigneusement cultivé tous les restes de barbarie et toutes les institutions médiévales qui pouvaient être utiles à l'oppression de l'homme par l'homme. Elle a forcé ses agents féodaux à s'adapter à l'exploitation capitaliste coloniale et en a fait son lien, son organe, sa courroie de transmission pour les masses.

Les impérialistes britanniques se targuent de leurs chemins de fer, de leurs canaux, de leurs entreprises industrielles en Inde dans lesquelles ils ont investi presque l'équivalent de quatre milliards de dollars en or. Les avocats de l'impérialisme comparent triomphalement l'Inde actuelle avec l'Inde avant l'occupation coloniale. Mais qui peut douter un instant qu'une nation douée se développerait incomparablement plus vite et avec plus de succès si elle était affranchie du fardeau du pillage systématique et organisé ? Il suffit de mentionner les quatre milliards de dollars qui représentent l'investissement britannique en Inde pour imaginer ce que la Grande-Bretagne a pris en Inde dans le cours de peut-être cinq ou six ans.

Accordant à l'Inde des doses soigneusement mesurées de technologie et de culture, exactement assez pour faciliter l'exploitation de la richesse du pays, les Shylock de la Tamise ne pouvaient cependant pas empêcher les idées de l'indépendance économique et nationale et de liberté de se répandre de plus en plus largement dans les masses.

Comme dans les vieux pays bourgeois, les nombreuses nationalités qui existent en Inde ne peuvent fusionner en une seule nation que par une révolution qui les liera de plus en plus l'une à l'autre comme un tout. Mais, contrairement aux vieux pays, la révolution en Inde est une révolution coloniale dirigée contre des oppresseurs étrangers. Plus, c'est la révolution d'un pays historiquement arriéré où le servage féodal, les divisions de classe coexistent avec les antagonismes de classe de la bourgeoisie et du prolétariat, qui ont été grandement exacerbés dans la dernière période.

Le caractère colonial de la révolution indienne contre un des oppresseurs les plus puissants masque dans une certaine mesure les antagonismes sociaux internes du pays, particulièrement aux yeux de ceux pour qui cette dissimulation est avantageuse. En réalité, la nécessité de rejeter le système de l'oppression impérialiste dont les racines sont étroitement mêlées avec la vieille exploitation indigène, exige un effort révolutionnaire extraordinaire de la part des masses indiennes et en soi donne un élan considérable à la lutte de classes L'impérialisme britannique n'abandonnera pas ses positions de son plein gré. Tout en remuant humblement la queue devant l'Amérique, il dirigera toute son énergie et toute sa ruse contre l'Inde insurgée.

Quelle instructive leçon historique. La révolution indienne et même à son étape actuelle, alors qu'elle n'a coupé avec la direction traîtresse de la bourgeoisie nationale, est écrasée par le gouvernement "socialiste" de Mc Donald. Les répressions sanglantes de ces canailles de la II° Internationale, qui promettent d'introduire pacifiquement le socialisme dans leur pays représentent le dépôt initial sur lequel l'impérialisme britannique a en réserves pour l'Inde. Les plaisantes délibérations social-démocrates sur la réconciliation des intérêts de la Grande-Bretagne bourgeoise avec l'Inde démocratique sont un supplément nécessaire de la sanglante répression de Mc Donald qui est toujours prêt, entre deux exécutions, à la mille-et-unième commission de réconciliation.

La bourgeoisie britannique comprend très bien que la perte de l'Inde signifierait non seulement l'effondrement de sa puissance mondiale déjà pourrie mais aussi un effondrement social chez elle. C'est une lutte à mort. Toutes les forces seront mises en mouvement. Cela signifie que la révolution devra mobiliser toutes ses ressources. Des millions d'hommes ont commencé à se mettre en branle. Ils ont démontré une telle puissance spontanée que la bourgeoisie nationale a été obligée d'agir pour maîtriser le mouvement en émoussant son tranchant révolutionnaire.

Le mouvement de résistance passive de Gandhi est le nœud tactique qui lie la naïveté et l'aveuglement généreux des petits-bourgeois éparpillés aux manœuvres traîtresses de la bourgeoisie libérale. Le fait que le président de l'Assemblée législative indienne, c'est-à-dire l'institution officielle pour la collusion avec l'impérialisme ait abandonné son poste pour prendre la tête du mouvement pour le boycottage des biens britanniques a un caractère profondément symbolique. "Nous vous prouverons", disent les éléments de la bourgeoisie nationale à ces messieurs de la Tamise, "que nous vous sommes indispensables, que vous n'arriverez pas sans nous à apaiser les masses et que, pour cela, nous vous présenterons la note".

En guise de réponse, Mc Donald a mis Gandhi en prison. Il est possible que le laquais aille plus loin que ne le veut le maître, car il est consciencieux plus qu'il ne le doit afin de prouver qu'il est insoupçonnable. Il est possible que les conservateurs, impérialistes sérieux et expérimentés, ne seraient pas allés aussi loin à cette étape. Mais d'un autre côté, les dirigeants nationaux de la résistance passive ont eux-mêmes grand besoin de la répression pour rehausser leur réputation bien ébranlée. Mc Donald leur rend ce service. Tout en faisant tirer sur les ouvriers et les paysans, il arrête Gandhi après l'avoir prévenu, exactement comme le Gouvernement provisoire russe arrêtait les Kornilov et les Denikine.

Si l'Inde est une composante de la domination interne de la bourgeoisie britannique, alors, de même la domination impérialiste du capital britannique sur l'Inde est un élément composant de l'ordre interne de l'Inde. Cette question ne peut être simplement réduite à celle de l'expulsion de quelques dizaines de milliers d'exploiteurs étrangers. Ils ne peuvent être séparés des oppresseurs de l'intérieur et, plus la pression des masses grandit, moins les oppresseurs de l'intérieur veulent se séparer des oppresseurs étrangers. De même qu'en Russie la liquidation du tsarisme, avec son endettement à l'égard du capital financier mondial, n'a été possible que parce que, pour la paysannerie, l'abolition de la monarchie était nécessaire pour celle des magnats grands propriétaires, dans la même mesure en Inde la lutte contre l'oppression impérialiste développe dans les masses innombrables de la paysannerie opprimée et semi-paupérisée l'idée qu'il faut liquider les grands propriétaires féodaux, leurs agents et intermédiaires, les fonctionnaires locaux et les hyènes de l'usure.

Le paysan indien veut une distribution "juste" de la terre. C'est la base de la démocratie. Et c'est en même temps la base sociale de la révolution démocratique dans son ensemble.

A la première étape de leur lutte, les paysans arriérés, inexpérimentés et dispersés, qui, dans chaque village, s'opposent aux représentants individuels d'un régime, recourent toujours à la résistance passive. Ils ne paient pas loyers ou taxes, ils se cachent dans les bois, désertent du service militaire, etc. Les formules tolstoïennes de résistance passive étaient en un sens la première phase de l'éveil révolutionnaire des masses paysannes russes. Le gandhisme représente le même phénomène en ce qui concerne les masses du peuple indien. plus Gandhi est personnellement "sincère", plus il est utile aux maîtres en tant qu'instrument pour discipliner les masses. Le soutien de la bourgeoisie à la résistance passive à l'impérialisme n'est qu'une condition préliminaire à sa résistance sanglante aux masses révolutionnaires.

Des formes passives de lutte, les paysans ont plus d'une fois dans l'histoire passé aux guerres les plus sévères et les plus sanguinaires contre leurs ennemis immédiats: les propriétaires, les fonctionnaires locaux et les usuriers. Le Moyen-Age a connu nombre de guerres paysannes semblables en Europe; mais il est aussi plein de répressions impitoyables contre les paysans. La résistance passive des paysans aussi bien que leurs sanglants soulèvements ne peuvent devenir une révolution que sous la direction d'une classe urbaine qui devient alors le chef de la nation révolutionnaire et, après la victoire, le porteur du pouvoir révolutionnaire. A l'époque actuelle, seul le prolétariat est une telle classe, même en Orient.

Il est vrai que le prolétariat indien est plus faible numériquement que même le prolétariat russe à la veille de 1905 ou 1917. Cette faible dimension comparative du prolétariat en Russie était l'argument principal de tous les philistins, de tous les Martynov, de tous les mencheviks, contre la perspective de la révolution permanente. L'idée même que le prolétariat russe, écartant la bourgeoisie, pouvait s'emparer de la révolution agraire des paysans, l'encourager et monter sur sa vague jusqu'à la dictature révolutionnaire leur semblait fantaisiste. Ils pensaient qu'ils étaient réalistes quand ils comptaient sur la bourgeoisie libérale, s'appuyant sur les masses des villes et de la campagne, pour réaliser la révolution démocratique. Mais il s'avéra que les statistiques de population n'étaient pas des indicateurs pour le rôle économique et politique des différentes classes. La Révolution d'Octobre l'a montré une fois pour toutes et de façon très convaincante.

Si le prolétariat indien est aujourd'hui plus faible numériquement que le russe, cela ne signifie nullement que ses possibilités révolutionnaires ne soient pas aussi grandes; la faiblesse numérique du prolétariat russe comparé aux prolétariats américain et britannique n'a pas été un obstacle à la dictature du prolétariat en Russie. Au contraire, toutes les particularités sociales qui ont rendu la révolution d'Octobre possible et inévitable existent en Inde sous une forme plus aigüe. Dans ce pays de paysans pauvres, l'hégémonie de la ville n'est pas moins établie que dans la Russie tsariste. La concentration de la puissance industrielle, commerciale et bancaire aux mains de la grande bourgeoisie et principalement de la bourgeoisie étrangère, d'un côté, la croissance rapide d'un prolétariat industriel de l'autre, excluent la possibilité d'un rôle indépendant de la petite bourgeoisie urbaine et même dans une certaine mesure de la petite bourgeoisie intellectuelle. Cela transforme la mécanique politique de la révolution en lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie pour la direction des masses paysannes. Il ne manque qu'une seule condition: un parti bolchevique. Et c'est là le problème.

Nous avons constaté la façon dont Staline et Boukharine ont appliqué la conception menchevique de la révolution démocratique à la Chine. Armés d'un appareil puissant, ils ont été capables d'appliquer dans l'action les formules bolcheviques et, pour cette raison, ont étés obligés de les pousser à leur terme. Pour assurer le rôle dirigeant de la bourgeoisie, dans la révolution bourgeoise (c'est l'idée de base du menchevisme russe), la bureaucratie stalinienne a transformé le jeune P.C. de Chine en une section subordonnée du parti bourgeois national. Selon les termes sur lesquels Staline et Tchang Kaï-Chek s'étaient officiellement mis d'accord par l'intermédiaire de l'actuel commissaire à l'éducation, Boubnov, les communistes ne pouvaient occuper qu'un tiers des postes à I'intérieur du Guomindang. Le parti du prolétariat est ainsi entré dans la révolution comme captif officiel de la bourgeoisie avec la bénédiction de l'Internationale Communiste. Le résultat est connu : la bureaucratie stalinienne a détruit la révolution chinoise. Ce fut un crime politique sans équivalent dans l'Histoire.

Avec l'idée réactionnaire du socialisme dans un seul pays en 1924, Staline a avancé le mot d'ordre des "partis ouvriers et paysans à deux classes" pour l'Inde comme pour tous les pays d'Orient. C'était là un autre mot d'ordre qui continuait à exclure une politique indépendante et un parti indépendant du prolétariat. Le malheureux Roy est devenu depuis ce temps l'apôtre du parti fourre-tout au-dessus des classes, "populaire" ou "démocratique". L'histoire du marxisme, les développements du XIX° siècle, l'expérience des trois révolutions russes, tout, tout est passé devant ces messieurs sans laisser de trace. Ils n'ont pas encore compris que le "parti ouvrier et paysan" n'est concevable que sous la forme du Guomindang! c'est-à-dire sous la forme d'un parti bourgeois qui entraine derrière lui les ouvriers et les paysans pour les trahir et les écraser ensuite. Il n'a jamais existé dans l'histoire d'autre type de parti au-dessus des classes, fourre-tout. Après tout, Roy - agent de Staline en Chine, prophète de la lutte contre le 'trotskysme" et exécutant du bloc martynoviste des quatre classes - est devenu le bouc émissaire des crimes de la bureaucratie stalinienne après la défaite inévitable de la révolution chinoise.

On a passé en Inde six ans à des expériences débilitantes et démoralisantes pour réaliser la formule stalinienne des partis à deux classes, ouvriers et paysans. Les résultats sont là: de faibles "partis ouvriers et paysans" de province, qui vacillent, claudiquent ou simplement se désintègrent et disparaissent précisément au moment où ils sont supposés agir, au moment de la marée révolutionnaire. Mais il n'existe pas de parti prolétarien. Il faudra le créer à la chaleur des événements. Et pour cela, il est nécessaire d'enlever tout le fatras accumulé par la direction bureaucratique. Telle est la situation ! Depuis 1924, la direction de l'Internationale Communiste a fait tout son possible pour laisser le prolétariat indien impuissant, pour affaiblir la volonté de l'avant-garde, pour lui rogner les ailes.

Pendant que Roy et les autres élèves de Staline perdaient de précieuses années à élaborer un programme démocratique pour un parti au-dessus des classes, la bourgeoisie nationale a tiré un profit maximum de leur gaspillage pour prendre le contrôle des syndicats.

Un Guomindang a été créé en Inde, non en tant que parti politique mais en tant que "parti" à l'intérieur des syndicats. Maintenant cependant ses créateurs ont été effrayés de leur propre travail et ont sauté de côté, calomniant les "exécutants". Cette fois, on le sait, les centristes ont sauté "à gauche", mais cela n'arrange pas les affaires. La position officielle de l'Internationale Communiste sur les problèmes de la révolution indienne est un tel fouillis de confusion que cela semble particulièrement destiné à désorienter l'avant-garde prolétarienne et la plonger dans le désespoir. Au moins la moitié du temps, cela arrive parce que la direction s'efforce sans cesse de dissimuler ses erreurs de la veille. Le reste de la confusion peut être attribué à la nature malheureuse du centrisme.

Nous ne faisons pas référence maintenant au programme de l'Internationale Communiste qui donne un rôle révolutionnaire à la bourgeoisie coloniale, approuvant totalement les constructions de Brandler et Roy, qui continuent à porter le chapeau Martynov-Staline. Et nous ne parlons pas des innombrables éditions des "Problèmes du léninisme" où le discours contbue dans toutes les langues du monde sur les partis à deux classes, ouvriers et paysans. Non. nous nous bornons à l'actualité, à la dernière façon de poser la question en Orient, conformément aux erreurs de la troisième période de l'Internationale Communiste.

Le mot d'ordre central de l'I.C. pour l'Inde comme pour la Chine, reste encore la dictature démocratique des ouvriers et des paysans. Personne ne sait, personne n'explique, parce que personne ne comprend ce que ce mot d'ordre signifie à présent en 1930, après l'expérience des quinze années écoulées. En quoi la dictature démocratique des ouvriers et des paysans diffère-t-elle de la dictature du Guomindang qui a massacré les ouvriers et les paysans ? Les Manouilsky et les Kuusinen répondront peut-être qu'ils parlent maintenant de la dictature des trois classes (ouvriers, paysans et petite bourgeoisie urbaine) et pas de quatre comme en Chine où Staline a si heureusement attiré dans ce bloc son allié Tchiang-Kaï-Chek.

S'il en est ainsi, répondons-nous, alors faites une effort pour nous expliquer pourquoi vous rejetez la bourgeoisie nationale comme un allié en Inde, ce même allié pour le rejet duquel en Chine vous avez exclu les bolcheviks du parti communiste avant de les emprisonner ? La Chine est un pays semi-colonial. Il n'y a pas en Chine de caste puissante de seigneurs féodaux avec leurs agents. Mais l'Inde est un pays colonial classique avec de puissants restes du régime de caste féodal. Si Staline et Martynov font découler le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie chinoise de la présence en Chine d'une oppression étrangère et de restes féodaux, chacune de ces raisons devrait être deux fois plus valable dans l'application à la Chine. Cela veut dire que la bourgeoisie indienne, conformément à la lettre du programme de l'I.C., a infiniment plus de droits à revendiquer son inclusion dans le bloc stalinien que la bourgeoisie chinoise avec son inoubliable Tchiang-Kaï-chek et le "loyal" Wang-Jing-Weï . Mais puisque ce n'est pas le cas, puisque, en dépit de l'oppression de l'impérialisme britannique et de tout l'héritage du Moyen-Age, la bourgeoisie indienne n'est capable que d'un rôle contre-révolutionnaire et non révolutionnaire alors il vous faut condamner implacablement votre propre politique de trahison en Chine et corriger immédiatement votre programme dans lequel cette politique n'a laissé de façon couarde que de sinistres traces!

Mais cela n'épuise pas la question. Si on construit en Inde un bloc sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie, qui va le diriger ? Les Manouilsky et les Kuusinen vont peut-être répondre avec leur habituelle indignation hautaine "Quoi, le prolétariat, bien sur!". Bien, répondons-nous, tout à fait digne d'éloges. Mais si la révolution indienne se développe sur la base d'un bloc des ouvriers, des paysans et de la petite-bourgeoisie si ce bloc va être dirigé non contre l'impérialisme et le féodalisme mais aussi contre la bourgeoisie nationale liée à eux dans toutes les questions fondamentales; si à la tête de ce bloc, se tient le prolétariat; si le bloc remporte la victoire seulement en balayant ses ennemis par une insurrection armée et élève ainsi le prolétariat au rôle de dirigeant réel de toute la nation, alors la question se pose : entre quelles mains le prolétariat sera-t-il après la victoire, sinon dans celles du prolétariat? Que signifie dans un tel cas la dictature démocratique des ouvriers et des paysans, distincte de la dictature du prolétariat dirigeant la paysannerie ? En d'autres termes, en quoi l'hypothétique dictature des ouvriers et des paysans diffèrera-t-elle de la dictature véritable établie par Octobre ?

Il n'existe pas de réponse à cette question. Il ne peut pas y en avoir. A travers ce cours du développement historique, la "dictature démocratique" est devenue non seulement une fiction vide mais un piège traltre pour le prolétariat. Beau mot d'ordre qui admet deux interprétations diamétralement opposées: l'une étant la dictature du Guomindang et l'autre la dictature d'Octobre! Mais elles s'excluent mutuellement l'une l'autre. En Chine, les staliniens interprété la dictature démocratique de deux façons: d'abord comme une dictature du Guomindang de droite, et ensuite de gauche. Mais comment l'expliquent-ils en Inde ? Ils se taisent, Ils sont obligés de garder le silence par peur d'ouvrir les yeux de leurs partisans sur leurs crimes. Cette conspiration du silence est en réalité une conspiration contre la révolution indienne. Et toutes les clameurs actuelles d'extrême ou d'ultra-gauche n'améliorent pas la situation d'un iota car les victoires de la révolution ne sont pas assurées par les clameurs et le vacarme mais par la clarté politique.

Mais tout ce qu'on vient de dire ne déroule pas encore l'écheveau embrouillé. Quelques nouveaux fils sont précisément pris dans ce nœud. En donnant à la révolution un caractère démocratique abstrait et en lui permettant de n'atteindre la dictature du prolétariat qu'après l'établissement d'une espèce de "dictature démocratique" mystique ou mystificatrice, nos stratèges rejettent en même temps le mot d'ordre politique central de tout mouvement démocratique révolutionnaire qui est précisément celui de l'Assemblée constituante. Pourquoi ? Sur quelle base ? C'est tout à fait incompréhensible. La révolution démocratique signifie l'égalité pour le paysan - avant tout, l'égalité dans la distribution de la terre. L'égalité de loi dépend d'abord de cette égalité-là. L'Assemblée constituante, où les représentants du peuple entier règlent formellement leurs comptes avec le passé mais où en réalité les différentes classes règlent leurs comptes entre elles, est l'expression généralisée naturelle et inévitable des tâches démocratiques de la révolution non seulement dans la conscience des masses en train de s'éveiller, mais aussi dans la conscience de la classe ouvrière elle-même. Nous en avons parlé plus pleinement à propos de la Chine et nous ne voyons pas la nécessité de le répéter ici. Ajoutons seulement que la grande variété des formes provinciales en Inde, la diversité des formes de gouvernement et leurs non moins diverses interpénétrations avec les rapports féodaux et de caste donnent au mot d'ordre de l'Assemblée constituante en Inde un contenu révolutionnaire démocratique d'une particulière profondeur.

Le théoricien de la révolution indienne dans le P.C.U.S. actuellement est Safarov qui, par le bonheur d'une capitulation a transféré ses activités. Dans un article programmatique du Bolchevik sur les forces et les tâches de la révolution en Inde, Safarov tourne avec prudence autour de la question de l'Assemblée constituante comme un rat expérimenté tourne autour d'un morceau de fromage sur un ressort. Ce sociologue ne veut en aucune façon tomber une seconde fois dans le piège trotskyste. Traitant la question sans trop de cérémonie, il oppose à l'Assemblée constituante cette perspective:

"Le développement d'une nouvelle montée révolutionnaire sur la base ( !) de la lutte pour I'hégémonie prolétarienne conduit à la conclusion (conduit qui ? comment ? pourquoi ?) que la dictature du prolétariat en Inde ne peut être réalisée que sous la forme soviétique" (Bolchevik., n'5, 1930 p-100)

Lignes étonnantes! Martynov multiplié par Safarov. Martynov, nous connaissons. Lenine disait, non sans tendresse:

"Safartchik va devenir gauchiste, Safartchik va faire des bourdes."

La perspective safaroviste mentionnée plus haut n'invalide pas cette caractérisation. Safarov est devenu très gauchiste et il faut reconnaître qu'il n'a pas démenti la seconde partie de la prédiction de Lenine. Pour commencer, la montée révolutionnaire des masses développe "sur la base" de la lutte des communistes pour l'hégémonie prolétarienne. Tout le processus est renversé et mis tête en bas. Nous pensons que l'avant-garde prolétarienne entre ou se prépare à entrer ou devrait entrer en lutte pour son hégémonie sur la base d'une nouvelle montée révolutionnaire. La perspective de la lutte, selon Safarov, est la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Ici, au nom du gauchisme, on s'est débarrassé du mot "démocratique". Mais on ne dit pas franchement quel type de dictature à deux classes se trouve là: un type Guomindang ou un type Octobre. Ce dont nous sommes surs c'est sa parole d'honneur que la dictature sera réalisée" seulement sous la forme soviétique". Cela sonne très noble. Pourquoi ie mot d'ordre d'Assemblée constituante? Safarov n'est prêt à être d'accord qu'avec la "forme" soviétique.

L'essence de l'épigonisme - sa méprisable et sinistre essence - réside dans le fait que, des processus réels du passé et de ses leçons, il n'abstrait que la simple forme et en fait un fétiche. C'est ce qui est arrivé avec les soviets. Sans rien dire du caractère de classe de la dictature - une dictature de la bourgeoisie sur le prolétariat, comme le Guomindang, ou une dictature du prolétariat sur la bourgeoisie comme le type Octobre? - Safarov abuse quelqu'un, lui-même d'abord, avec la forme soviétique de la dictature. Comme si les soviets ne pouvaient pas être une arme pour tromper les ouvriers, et les paysans! Qu’étaient d’autre les soviets mencheviks-social-révolutionnaires de 1917 ? Rien d'autre qu'une arme pour soutenir le pouvoir de la bourgeoisie et la préparatÎon de sa dictature . qu'étaient les soviets social-démocrates en Allemagne et Autriche en 1918-1919 ? Des organes pour sauver la bourgeoisie et tromper les ouvriers. Avec un nouveau développement du mouvement révolutionnaire en Inde, avec l'apparition de luttes de classes plus puissantes et la faiblesse du parti communiste - et cette dernière est inévitable si la confusion safaroviste continue à prévaloir - la bourgeoisie nationale indienne elle-même peut créer des soviets d'ouvriers et de paysans pour les diriger exactement comme elle dirige maintenant les syndicats. Afin d'étrangler la révolution comme la social-démocratie allemande, en prenant la tête des soviets, l'a étranglée. Le caractère traître du mot d'ordre de dictature démocratique réside dans le fait qu'il ne ferme pas nettement une telle possibilité à nos ennemis, une fois pour toutes.

Le parti communiste indien, dont la création a été reportée pendant six ans - et quelles années - est maintenant privé, dans les circonstances d'une montée révolutionnaire, d'une des armes les plus importantes pour mobiliser les masses, précisément le mot d'ordre démocratique d'Assemblée constituante. Au lieu de cela, ce jeune parti qui n'a pas encore fait ses premiers pas, est affligé du mot d'ordre abstrait des soviets comme une forme de la dictature abstraite, c'est-à-dire une dictature dont personne ne sait de quelle classe elle est. C'est réellement l'apothéose de la confusion. Et tout cela avec, comme d'habitude, des retouches et un camouflage continuels d'une situation très sérieuse et pas du tout réjouissante.

La presse officielle, particulièrement le même Safarov, dépeint la situation comme si le nationalisme bourgeois en Inde était déjà un cadavre, comme si le communisme avait soit gagné ou était en train de gagner l’allégeance du prolétariat lequel, à son tourt a presque entraîné la paysannerie derrière lui. Les dirigeants et leurs sociologues, de la manière la plus inconsciente, prennent leurs désirs pour des réalités. Pour être plus exact, ils affirment ce qui aurait pu être avec une politique juste pendant les six dernières années au lieu de se qui s'est réellement produit comme résultat d'une politique erronée. Mais quand l'inconstance des inventions et des réalités apparaitra, ceux qu'on blâmera, ce seront les communistes indiens, comme mauvais exécutants de l'inconsistance générale - qui est avancée comme une ligne générale.

L'avant-garde du prolétariat indien est encore sur le seuil de ses grandes tâches et il a devant lui une longue route. Une série de défaites serait le révélateur non seulement de l'arriération du prolétariat et de la paysannerie, mais aussi des péchés de la direction. La principale tâche actuelle est une conception marxiste claire des forces motrices de la révolution et une perspective juste, une politique à longue portée qui rejette les formules bureaucratiques stéréotypées mais qui, dans l'accomplissement des grandes tâches révolutionnaires, s'adapte avec soin aux véritables étapes de l'éveil politique et de la croissance révolutionnaire de la classe ouvrière.