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Special pages :
L’Economie mondiale au 1er semestre 1924
Auteur·e(s) | Eugène Varga |
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Écriture | 24 septembre 1924 |
24 septembre 1924, n°67, pp. 728-730.
Articles publiés en 1924 dans La Correspondance Internationale
Aspects généraux[modifier le wikicode]
Nous nous efforcerons de donner dans cet article et ceux qui suivront un résumé des événements et tendances qui nous semblent être les plus marquants du premier semestre de 1924.
I. Crise économique aux Etats-Unis[modifier le wikicode]
La crise économique aux Etats-Unis que, déjà il y a un an, nous avions attendue pour l’automne 1923, s’est déclarée avec une grande acuité au 2e trimestre de l’année courante. On peut de divers symptômes conclure que cette crise a été retardée par l’intervention consciente de certains groupes capitalistes. C’est une expérience acquise aux E. U. que si les élections présidentielles ont lieu dans une période de crise économique aigüe le parti gouvernant succombe toujours. Le faible développement de la conscience de classe et la puissance des illusions démocratiques l’expliquent. Il semble donc que divers groupes capitalistes ayant un intérêt à ce que le Parti républicain sorte victorieux des élections présidentielles aient entrepris de différer la crise par de grosses commandes et des investissements forcés (travaux de constructions, commandes de matériel roulant, etc). La prospérité économique au 1er trimestre 1924 sort tout à fait du cadre du développement économique normal. Mais, avec ou sans intervention, il n’en reste pas moins vrai que dès la fin de mars une crise économique d’une gravité inattendue s’est abattue sur l’Amérique du Nord, crise qui n’a fait depuis que s’aggraver, réduisant de moitié la production d’importantes branches de l’industrie. L’espoir que la grande richesse des Etats-Unis dont le stock d’or ne cesse d’augmenter par un afflux quotidien de 1 million de dollars et la vigoureuse concentration de la production en organisations revêtant les diverses formes des monopoles industriels : cartels trusts, concessions, sauront empêcher la crise et assurer la marche ininterrompue de la production capitaliste, — cet espoir s’est avéré illusoire.
II. Les Etats-Unis et l’Europe[modifier le wikicode]
Nous aurons l’occasion de nous occuper en détail de la crise américaine. Cette fois nous nous contentons d’en indiquer la répercussion sur la vie économique de l’Europe. La haute conjoncture en Amérique, au 1er trimestre 1924, avait été, en ce qui concerne plusieurs catégories de marchandises, d’un effet salutaire pour les exportations européennes. Telles marchandises de provenance européenne qui, auparavant, n’avaient pu être introduites aux Etats-Unis, y trouvèrent grâce aux besoins du marché une vente assurée. Cet état de choses a non seulement cessé au deuxième trimestre, mais encore les objets manufacturés, constituant l’excédent de la production en Amérique, affluent désormais sur le marché mondial et en partie sur le marché européen, aggravant par là la situation économique en Europe. Nous observons là un fait qui, du point de vue théorique nous semble important.
Considérant la vie économique des Etats-Unis comme le pivot de l’économie capitaliste mondiale et le développement de la conjoncture américaine comme un fait déterminant pour toute la vie industrielle, nous devons constater que dans la période qui s’est terminée par la crise économique en Amérique l’économie européenne n’a pas connu de relèvement.
L’Europe subit l’effet de la crise générale du capitalisme à tel point qu’une phase de haute conjoncture n’a pas pu s’y produire.
III. Le déséquilibre de l’Europe[modifier le wikicode]
Pour ce qui est de la vie économique européenne, la désorganisation du capitalisme dans la période indiquée s’est surtout révélée par le fait que presque chaque pays européen a sa conjoncture spéciale, que l’unité de la conjoncture telle qu’elle s’était constituée avant-guerre a fait complètement défaut. Un phénomène commun à la vie économique des pays d’Europe centrale et orientale, c’est l’énorme manque de capitaux et de crédits. C’est la région qui a le plus souffert pendant la guerre et que j’avais appelé ailleurs « domaine de sous-production ». La disette qui règne s’exprime actuellement ainsi : en Allemagne, Pologne et dans d’autres pays de l’Europe orientale, pays qui possèdent pour le moment une monnaie à cours stable, les prêteurs demandent des intérêts allant jusqu’à 180% par an. Les économistes bourgeois attribuant ce fait à la nécessité de provoquer artificiellement une disette de capitaux afin de sauvegarder la stabilité récemment acquise de la monnaie. Nous croyons pourtant que ce n’est là qu’une superficielle façon d’envisager les choses. Il ne s’agit pas là de phénomènes de la circulation, mais du manque réel de « capitaux », c’est-à-dire de produits-valeurs accumulés, nécessaires pour assurer la marche et le développement de la production. Rien ne montre de façon plus convaincante la dislocation de l’économie capitaliste mondiale que ce fait : pendant que les pays d’Europe centrale et orientale subissent les contrecoups d’une disette catastrophique de capitaux et payent des intérêts fantastiques aux préteurs de fonds, en Angleterre et aux Etats-Unis le taux de l’intérêt est minime. Il est en Amérique de 1% par an pour prêts journaliers et de 2,5—3,5% pour crédits à long terme. L’excédent de capitaux disponibles est énorme aux Etats-Unis ; mais l’Europe centrale et orientale ne peuvent en tirer aucun profit, car les capitalistes américains n’ont pas de confiance en la stabilité sociale du capitalisme sur le vieux continent.
IV. La France, l’Allemagne et le dollar[modifier le wikicode]
En Allemagne, l’année débute par une grave crise économique, consécutive à la stabilisation du cours de la monnaie, mais aussi par de fortes tendances à une amélioration. Ces tendances se maintiennent jusqu’à fin avril environ lorsque la situation commence de nouveau à empirer. Elle a continué jusqu’à ces jours derniers à s’aggraver.
En France nous observons d’abord une haute conjoncture de ventes, conséquence de la panique causée par la rapide dépréciation du franc ; ensuite, dans la seconde quinzaine de mars, par suite de la hausse accentuée du franc, un ralentissement des affaires menaçant d’aboutir à une crise qui, grâce à une nouvelle baisse du franc, ne se produit pourtant pas. En Angleterre, lente amélioration de la conjoncture jusqu’à fin mai environ lorsque la situation recommence à empirer. En Pologne, dès le mois de février, conséquence directe de la stabilisation de la monnaie, crise économique exceptionnellement grave à laquelle les dernières semaines apportent quelque atténuation. Bref : autant de pays, autant de situation différentes.
Dans cette diversité de conjonctures on distingue nettement une tendance générale qui fait que la situation ne peut s’améliorer dans un pays qu’aux dépens d’un ou de plusieurs autres pays. Au point de vue de la politique économique l’événement le plus important c’est sans doute l’intervention des Etats-Unis dans les affaires de l’Europe. C’était, ainsi que nous l’avons prédit à plusieurs reprises, la crise économique qui a fait triompher la tendance pro-européenne aux Etats-Unis. Tant qu’il sembla que la prospérité économique des Etats-Unis fut possible simultanément avec le chaos politique et économique en Europe, la politique antieuropéenne l’emporta en Amérique. Cette tendance avait même été consacrée par la législation américaine, les Etats-Unis ayant refusé de mettre leur signature au bas du traité de Versailles, de participer aux travaux de la commission des réparations, etc. Un résultat singulier de cette attitude des Etats-Unis c’est que lorsqu’ils se firent représenter à la conférence de Londres, par le ministre des Affaires étrangères Hugues et le ministre des finances Mellon, ces derniers durent adopter officiellement l’attitude de personnalités privées séjournant par hasard à Londres au moment de la conférence. Au moment même où les Etats-Unis interviennent dans les affaires européennes, leur prépondérance économique leur assure un rôle dirigeant dans le double domaine économique et politique Quelques journaux français l’ont remarqué avec justesse. Les accords intervenus entre les présidents du conseil anglais et français ont été simplement déclarés par les banquiers américains nuls et non avenus. C’est, en effet, les banquiers et le gros capital américain qui ont dicté à Londres leur « solution » du problème des réparations.
V. Qui colonise l’Allemagne ?[modifier le wikicode]
Nous avions, il y a un an et demi, caractérisé comme capitale dans la lutte autour des réparations la question : quel sera le pays qui fera de l’Allemagne sa colonie ? Nous avions fait ressortir qu’il s’agissait de savoir si ce serait la France, à laquelle les forces économiques manquent pour entreprendre la colonisation totale de l’Allemagne, qui établirait de la façon traditionnelle sa domination sur ce pays (démembrement de l’Allemagne, occupation des provinces du Rhin et de la Ruhr, séparation de l’Allemagne du sud de l’Allemagne du nord) — ou l’Angleterre ou les EtatsUnis qui attireraient l’Allemagne dans leur sphère d’influence. A cette époque déjà nous avions fait ressortir que l’Allemagne ne pouvant, en raison de la densité de sa population, vivre que grâce à l’exportation de produits industriels, produits par ses ouvriers spécialistes hautement qualifiés, ce n’est que par les Etats-Unis qu’elle pourrait être considérée comme un champ d’exploitation. Les Etats-Unis sont l’unique pays qui manque de maind’œuvre qualifiée dans les périodes de haute conjoncture et qui, à raison du nombre insuffisant des naissances, soit obligés de recourir à la main-d’œuvre étrangère fournie par l’immigration pour développer toutes les possibilités économiques. Mais comme la bourgeoisie américaine craint l’immigration d’éléments qu’elle trouve suspects au point de vue politique, elle recherche une autre solution qui lui permet d’exploiter sur place les prolétaires européens. L’Allemagne devient une colonie des Etats- Unis.
VI. Le dollar règne sur la France[modifier le wikicode]
Et l’Allemagne n’est point seule. La France et, si l’on veut bien voir plus loin, tout le continent européen, seront tributaires de la suprématie économique des Etats-Unis. La faiblesse économique de la France s’est révélée au premier trimestre 1924 par la baisse désastreuse du franc. La France n’était pas à même de mener à bonne fin sa politique armée de réparations. Elle fut, pour échapper au sort de l’Allemagne, obligée de recourir à l’aide de la bourgeoisie américaine et anglaise. On ne connaît pas, faute de documents publiés les conditions que les banquiers américain lui ont imposées. L’obtention ou éventuellement la prolongation des crédits américains étaient-elles pour la France liées à l’acceptation du projet Dawes qui fait passer l’Allemagne dans la sphère d’influence des Etats-Unis ? Nous ne pouvons le savoir. Mais qu’un engagement de ce genre fut ou non contracté par la France, cela n’a pas d’importance pratique et ne saurait en rien modifier le rapport des forces économiques. Le fait que la France n’est plus en état de trouver chez elle les crédits nécessaires pour la reconstruction des régions dévastée, que les bourgeoisies anglaise et américaine, en refusant de prolonger leurs crédits ou insistant sur le règlement des dettes interalliées, peuvent quand bon leur semble amener une nouvelle chute irréparable du franc, ce fait suffit à faire passer la France sous la dépendance de la bourgeoisie américaine même sans engagement formel.
VII. Le plan Dawes[modifier le wikicode]
Le sens économique de la solution préparée par le rapport Dawes et les négociations à Londres est le suivant : Les capitaux disponibles aux Etats-Unis doivent être envoyés en Europe où ils serviront à l’exploitation du prolétariat et, en premier lieu, du prolétariat allemand. Dans ce but il faut créer en Europe des placements américains. Cela veut dire que l’Allemagne et en partie la France, doivent être placées sous la tutelle politique et économique du capital américain. L’Allemagne ainsi qu’une colonie nouvelle sera dotée de tout un appareil de contrôle assurant la conservation et le service d’intérêts du capital investi. L’Allemagne doit être effectivement et formellement soumise à l’influence de l’impérialisme américain auquel elle servira de terrain d’exploitation. Le placement des capitaux américains en Allemagne n’a rien de commun avec les opérations de crédits usuelles entre deux Etats capitalistes égaux. Les crédits accordés à l’Allemagne auront fonction de capital colonial et serviront d’instrument à l’expansion de l’impérialisme américain.
VIII. Le Plan Dawes n’est pas une solution[modifier le wikicode]
Cette solution ne peut pourtant .être considérée comme définitive. Elle est riche de contradictions. L’Allemagne ne saurait offrir au capital américain les profits escomptés qu’en tant que pays industriel. Pour payer les annuités prévues par le projet Dawes au titre de réparations ainsi que les intérêts des placements américains, l’Allemagne devrait réaliser un excédent d’exportations se montant à 3 milliards de marks-or par an. Mais comme l’Allemagne ne peut exporter que des produits industriels dans la confection desquels entrent pour un pourcentage élevé des matières premières de provenance étrangère, elle devrait, pour payer les matières brutes importées, réaliser un excédent d’exportations se chiffrant non par 3 mais par 6 milliards de marks-or. Or, le processus d’industrialisation qui a eu lieu pendant et après la guerre dans les régions agraires et productrices de matières premières du globe, y compris bien entendu celles des Etats-Unis, eut pour effet de rétrécir sensiblement le marché mondial pour l’écoulement des produits industriels européens. On ne voit pas où l’Allemagne trouverait le marché pour écouler son excédent d’exportations représentant la valeur de 6 milliards de marks-or. L’industrialisation des pays qui se trouvent dans les autres partiel du globe est la cause principale de la crise spéciale des pays industriels de l’Europe occidentale et centrale et qui se dégage de plus eu plus de la crise générale de l’économie capitaliste mondiale. La crise des exportations industrielles en Angleterre en est une preuve irréfutable.
La contradiction que renferme la question des réparations : comment trouver pour les prestations de l’Allemagne une forme qui ne porte pas préjudice aux capitalismes français et anglais, n’est pas éliminée par le projet Dawes.
Le projet vise : 1) à donner aux réparations une forme qui ne mette pas en danger l’existence du régime capitaliste en Allemagne (comme ce fut le cas en automne 1923).
2) à trouver pour les réparations une forme acceptable pour les capitalismes anglais et français, les dangers qui pourraient résulter des prestations en nature devant être éliminés. Le développement économique de l’Allemagne doit suivre une marche qui lui permet de s’acquitter de ses dettes de réparations, sans toutefois atteindre à un degré où l’industrie allemande pourrait sérieusement concurrencer l’industrie française et anglaise
Ce n’est pas le montant des réparations qui importe. Mais le contrôle économique, le maintien de l’Allemagne dans un état de complète dépendance vis-à-vis des pays vainqueurs. Mais si l’on veut arrêter artificiellement le développement économique de l’Allemagne, il reste à dire par quels moyens elle pourrait garantir les intérêts des placements américains.
IX. L’Europe va vers de nouvelles crises[modifier le wikicode]
Ainsi persistons-nous à opposer à l’opinion des économistes social-démocrates et bourgeois notre point de vue d’après lequel le projet Dawes, loin d’amener un essor général du capitalisme, ne fera qu’aggraver la crise spéciale de l’industrie des pays d’Europe occidentale. Notre dernier rapport (janvier 1924) s’est terminé par la conclusion suivante :
« Les négociations actuelles sur les réparations montreront si la bourgeoisie internationale est en état de concilier ses intérêts qui s’opposent les uns aux autres, si elle entreprendra la tentative d’organiser, sur une échelle internationale, une action d’assainissement du capitalisme européen. Si elle s’y décidait, il en résulterait dans quelques mois une crise gigantesque qui embrasserait tous les pays du capitalisme d’Europe centrale et occidentale. Nous ne devons pas oublier que l’amélioration relative de la conjoncture, en 1923, dans les pays limitrophes de l’Allemagne, n’était due qu’à l’arrêt de la production industrielle dans la Ruhr et qu’à la baisse de la production en Allemagne, en général. Si une action internationale d’assainissement faisait revivre la production en Allemagne, cela amènerait une crise de vente pour tout le capitalisme européen, crise qui provoquerait des luttes sociales des plus graves dans toute l’Europe. Il est très douteux que le capitalisme affaibli puisse supporter une nouvelle crise de cette envergure. »
Les événements qui se sont déroulés pendant les derniers deux mois semblent justifier notre point de vue. Le relèvement relativement peu important de la production en Allemagne a suffi à amener un changement défavorable dans la conjoncture des pays voisins (France, Belgique, Angleterre). Il semble que la crise américaine, se joignant à la crise chronique des pays industriels d’Europe, s’élargisse en une crise générale de l’économie capitaliste mondiale. Il se pourrait alors que la crise chronique de l’économie européenne se transformât également en une crise aigüe. Noua verrions le capitalisme, qui n’a pu profiter de la haute conjoncture américaine, subir les effets de la crise du capitalisme.
En terminant, notons encore un fait : la crise agraire mondiale s’est atténuée au cours des derniers mois. Nous reviendrons encore sur cette question.