L’Allemagne au 1er semestre 1924 (fin) – La Pologne au 1er semestre 1924

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VIII. L’appauvrissement de l’Allemagne[modifier le wikicode]

Il ne faut pas croire que le manque de crédits ait été l’effet du manque Je monnaie en circulation et qu’une émission de bank-notes eût pu y mettre fin. Le manque de crédits et de capitaux est l’indice de l’appauvrissement de l’Allemagne. Cet appauvrissement déterminait avant la stabilisation le fléchissement rapide du mark ; elle se révèle maintenant par le manque des crédits et de capitaux. L’Allemagne n’a le choix qu’entre une nouvelle inflation et la crise permanente du crédit, la disette de capitaux. Il est extrêmement caractéristique à constater qu’avant la guerre les sommes déposées dans les établissements financiers s’élevaient à 20 milliards de marks-or, tandis qu’aujourd’hui et malgré que la thésaurisation ait recommencé après la stabilisation du mark, la somme entière des épargnes déposées n’est plus que de 250 à 270 millions de marks-or. La restriction des crédits a pour le moment enrayé le danger d’une nouvelle inflation. Mais elle coûte cher. Les faillites sont à l’ordre du jour. Quand on doit payer 50 à 30% les capitaux employés, plus un impôt sur le chiffre d’affaires de 21/2%, plus une série d’autres impôts sur la production ; quand les matières premières les plus importantes, comme le charbon et le fer, sont au prix fort par suite des accords avec la M. I. C. U. M., doit-on s’étonner que la production allemande soit inapte à la concurrence sur le marché international malgré les salaires les plus bas ? L’économie allemande est dans un cercle vicieux. Pour soutenir le mark on prend des mesures qui renchérirent la production et ôtent à l’industrie la possibilité de faire concurrence sur les marchés internationaux. D’où l’augmentation des prix à l’intérieur, l’importation des produits étrangers et un bilan passif qui risque d’amener un nouveau fléchissement du mark. Le salut ne pourrait venir que d’un afflux de capitaux étrangers. C’est la raison pour laquelle les capitalistes allemands ont accepté — malgré les simagrées nationalistes — le plan Dawes. La crise de l’Allemagne ne peut donc être considérée isolément, elle fait partie de la grande crise du capitalisme mondial.

IX. La condition des ouvriers[modifier le wikicode]

Les capitalistes ont réussi à diminuer les salaires et à prolonger la journée de travail. Les salaires n’ont pas subi de modification sensible durant le 1er semestre 1924. D’après la statistique officielle, les ouvriers mineurs, les ouvriers en bois, les métallurgistes, les textiles, les imprimeurs et les ouvriers des entreprises de l’Etat gagnaient au mois d’avril 1924, en moyenne, par journée de travail prolongée :

ouvriers qualifiés. . . : 78,6% sur les salaires d’avant-guerre.

manœuvres . . . . . . : 90,2% sur les salaires d’avant-guerre.

Pour le minimum de temps de travail : ouvriers qualifiés. . . : 75% manœuvres . . . . . . : 86,2%

Les salaires sont donc, d’après cette comparaison, de 23 à 14% au-dessous des salaires d’avant-guerre. Comme les salaires des ouvriers allemands étaient avant la guerre bien au-dessous des salaires des travailleurs anglais, français et américains, on comprendra le malaise des capitalistes français et anglais.

L’A. D. G. B. a fait du 12 au 15 avril une enquête sur la durée du travail dans les entreprises les plus importantes. L’enquête a touché 46 122 entreprises, et 2,5 millions de travailleurs occupés. Ses résultats suffiront à illustrer la situation générale. Les ouvriers travaillaient dans ces entreprises : 45,3% jusqu’à 48 heures par semaine ; 54,7%, plus que 48 heures ; de ces derniers 13% plus que 54 heures. Dans le détail : ont travaillé plus de 48 heures : 83,9% dans les industries textiles, 63,5% dans la métallurgie. Dans cette dernière industrie, 21,1% plus de 54 heures. Il est à noter que les mineurs n’ont pas été examinés au cours de l’enquête. La bourgeoisie a donc parfaitement su exploiter sa victoire sur les ouvriers. A une époque ou un million d’ouvriers chôment, les autres travaillent en majorité plus de huit heures, dans la métallurgie 9 et 10 heures par jour et plus. Dans la métallurgie en constate une tendance chez le patronat au retour au statut d’avant-guerre vis-à-vis des syndicats, c’est-à-dire à la non-reconnaissance pure et simple des syndicats. Les syndicats allemands sont en fait impuissants vis-à-vis de la métallurgie trustée, surtout dans la période de crise, où la suspension de la production ne contrariait aucunement les capitalistes. Il devient de plus en plus clair que les méthodes traditionnelles de luttes syndicales, qui se basent sur l’idée que les dommages produits par une suspension de la production sont plus élevés que le préjudice d’une augmentation des salaires, doivent être profondément révisées. La défense des intérêts des ouvriers doit aujourd’hui nous mener directement aux luttes politiques des classes.

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La Pologne au Ier semestre 1924[modifier le wikicode]

Le zloty. - Les « Ciseaux ». La crise industrielle en Haute-Silésie et à Lodz. — Le problème de l’exportation de la houille.


Au 1er semestre 1924 la situation en Pologne ressemble fort à celle de l’Allemagne. Même stabilisation du change, grâce à une unité monétaire nouvelle, le franc-or ou zloty (1 zloty valant 1,8 millions de marks polonais). La stabilisation s’est effectuée par une loi, comme en Allemagne. L’action s’est produite au mois de janvier. Dès lors, le change polonais reste ferme et on le côte à l’étranger au pair de l’or.

Comme en Allemagne, la stabilisation a été suivie d’un accroissement sensible de la circulation de l’or. D’après l’Economist anglais la valeur totale du papier polonais en circulation avant la stabilisation ne s’élevait pas au-dessus de 75 millions de francs-or. Elle monta au mois de mai à 374 et, au 30 juin, à 439 millions de francs-or. Une Banque Centrale d’Emission a été créée. Il est caractéristique que les fonds, d’une valeur de 100 millions de francs-or, lui furent en majorité fournis par des capitalistes polonais, quoique les versements dussent s’effectuer en or ou en devises étrangères. Cela prouve que, tout comme en Allemagne, les devises étrangères avaient remplacé en Pologne le mark déprécié — et réservé aux pauvres.

On a tenté de mettre de l’ordre dans les finances de l’Etat. Pour la première fois, le ministre des finances, Grabski, a arrêté un budget en règle qui prévoit 1 422 millions de francs-or de rentrées et 1 582 millions de dépenses. Le déficit est minime, en comparaison avec celui du temps de l’inflation. L’assainissement des finances est rendu possible par un prélèvement sur le capital, dont on espère 1 000 millions de francs-or, à couvrir par tiers en trois années.

Malgré l’accumulation des fonds en circulation, on a connu bientôt, tout comme en Allemagne, le manque d’argent, la crise du crédit et, par voie de conséquence, la grande crise industrielle. Le taux de l’intérêt varie actuellement entre 8 et 12% et va jusqu’à 15% par mois.

Il y a chômage et crise industrielle dans presque toutes les industries. Les charges de la production d’un tonne de charbon s’élèvent à 2,5 dollars tandis que, avant la guerre, ils ne s’élevaient qu’à 0,9 dollar. On s’efforce en Pologne, tout comme en Allemagne, de diminuer les salaires et de prolonger la durée du travail.

La crise se fait surtout sentir dans l’agriculture, dans la métallurgie de la Haute-Silésie et dans l’industrie textile de Lodz. La différence des prix des produits industriels et agricoles se fait jjntir comme en Allemagne. D’après un article de l’Industrie und Handels-Zeitung du 21 février. les prix des céréales étaient les suivants, en marks-or par 100 kgs :

blé 15,42
seigle 11,20
avoine 11,86

donc bien au-dessus des prix d’avant-guerre et au-dessous des prix des autres marchés mondiaux. L’agriculteur ne pouvait acheter, au maximum, que 50 à 75% des articles manufacturés qu’il pouvait obtenir pour une unité de seigle en temps de paix.

La situation dans la métallurgie de la Haute-Silésie est devenue critique, ce territoire ayant toujours dépendu du marché allemand. Par suite de la suspension de la production dans la Ruhr, les charbons et les fers de la Haute-Silésie se sont bien vendus en Allemagne. Les articles en fer demitravaillés qui sont les produits les plus importants de la Haute-Silésie ont été écoulés, en Allemagne, dans la proportion de 64% ; et le reste, en Haute-Silésie Allemande, 25%, en Haute-Silésie Polonaise 9,1%, et 2,2% seulement en Pologne même. Les usines qui achèvent les articles en fer travaillent également en premier lieu pour ces territoires et dans la proportion de 15% seulement pour la Pologne. Les mêmes difficultés se représentent dans la production du charbon. Le Commissaire aux Combustibles du Reich a restreint dernièrement l’importation des charbons polonais et haut-silésiens en Allemagne à 500 000 tonnes par mois. Avant la guerre le même territoire exportait plus d’un million de tonnes. Il est curieux de noter que l’association des mineurs et fondeurs de Kattowitz, qui est une association de capitalistes chauvins, a demandé au gouvernement polonais d’exercer une pression sur le Reich pour qu’il autorise l’entrée en Allemagne d’autant de charbon qu’avant la guerre, en vertu du traité de Versailles.

Dans la situation de l’Allemagne, il est douteux que cette quantité (1 000 000 de t.) puisse y être placée, surtout si l’on retient le prix élevé du charbon de la Haute-Silésie.

La crise a également créé une situation difficile à l’industrie textile de Lodz. Cette industrie vit d’ailleurs une crise chronique qui s’interrompit seulement dans la période d’inflation. Lodz avait son marché en Russie ; mais l’évolution de l’industrie textile russe le lui a fait perdre. Trouver un autre marché dans la crise mondiale est presque impossible. Or, le manque d’argent... est tel qu’on vend les produits textiles de Lodz au-dessous du prix de la production... Les revendeurs, qui paient pour l’argent 12% et plus par mois placent les marchandises chez les petits commerçants nécessiteux, forcés par le besoin de hausser chaque jour leurs prix; de sorte que les prix du haut commerce baissent chaque jour alors que les prix du petit commerce montent.

La situation actuelle à Lodz est la suivante : dans la confection et le tricotage on ne travaille que deux ou trois jours par semaine ; quelques manufactures et des plus grandes ont fermé définitivement. Un grand nombre de traites en blanc ont été protestées. (Juin 24.)

La cherté de la vie est grande malgré la crise agraire et les bas prix des céréales. Varsovie est comptée aujourd’hui parmi les villes les plus chères. L’industrie est défendue contre la concurrence étrangère par des tarifs douaniers très élevés. Ces tarifs majorent de 65% le prix des tissus, de 43% ceux des chaussures, de 75% ceux des savons. Etc.

Nous ne disposons pas de chiffres précis sur le chômage. Les statistiques officielles polonaises sur les chômeurs secourus ne nous semblent pas croyables. Ils mentionnent, pour mars, 110 000 chômeurs et pour juin 95 000, chiffres dérisoires si on les rapproche des dépêches annonçant des fermetures d’établissements industriels en Haute-Silésie et à Lodz.

Pour remédier au manque de capitaux, appel a été fait aux capitaux étrangers, mais les résultats n’ont été que partiels et il a fallu payer des taux extrêmement élevés. La Banca Commerciale italienne a consenti un prêt de cent millions de zloty au cours 89 et à 7%, emprunt garanti par la régie des tabacs. L’emprunteur s’est en outre obligé d’effectuer ses achats à l’étranger par l’intermédiaire de la banque italienne. On peut donc estimer le taux réel de cet emprunt au-dessus de 12%.

La crise de l’économie polonaise, comme celle de l’économie allemande, ne pourrait être résolue que par un assainissement du capitalisme mondial ; car la métallurgie de la Haute-Silésie et le textile de Lodz ont absolument besoin du marché étranger. Dans le cas contraire on peut prévoir que le déficit de la balance commerciale augmentera de mois en mois et finira par amener au fléchissement du zloty.