L’Allemagne au 1er semestre 1924

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


I. La stabilisation du mark, cause et effet - L’équilibre budgétaire[modifier le wikicode]

Contrairement aux prédictions, le mark allemand est resté stable cette année. Il est vrai qu’en mars, le dollar fut payé de 15 à 20% au-dessus de la parité, à la bourse noire. Mais, après la restriction des crédits de la Reichsbank, décrétée le 7 avril, la parité fut de nouveau rétablie. Dans les derniers mois, on est même arrivé à équilibrer l’offre et la demande des devises étrangères; la Reichsbank a pu enfin satisfaire les demandes.

D’où vient cette stabilisation ? Les finances de l’Etat ont été, durant cette période, en balance. Non seulement les revenus égalaient les dépenses, mais on a pu amortir une partie assez importante de titres de l’emprunt or.

Revenus de l’Etat en millions de marks-or
Au total Impôts sur les salaires Impôts sur les revenus Contributions générales sur les ventes Recettes de la douane et impôts sur la consommation
Janvier 503 75 90 98 41
Février 418 64 66 103 63
Mars 595 71 88 113 73
Avril 524 79 71 156 93
Mai 519 88 73 135 93
Juin 472 96 55 126 94
3 031

Les recettes de l’Etat, dans les six premiers mois, ont produit un total de 3 milliards de marksor. Le plan provisoire concernant les finances du Reich pour 1924, plan soumit par le gouvernement allemand à la Commission des Experts, prévoit 5 274 millions de revenus directs et indirects. Les revenus réels de l’Etat dépassent de beaucoup les prévisions. D’après les rapports officiels, publiés par décades, le gouvernement Allemand a amorti pour plus de 400 millions de bons du trésor-or. Il est à considérer que l’Etat allemand n’a pas payé durant cette période de réparations et n’a pas indemnisé les industriels du Rhin des charges résultant des accords avec la M. I. C. U. M. Quand même, les finances du Reich resteront, à notre avis, en équilibre, bien que la Ruhr n’apporte que des contributions minimes.

II. Qui paie les impôts ?[modifier le wikicode]

Les impôts ont, il est vrai, augmenté d’une façon, qui n’alla pas sans protestations. Les associations les plus différentes des capitalistes ont protesté à maintes reprises, en même temps que le Landbund et les associations des paysans, contre l’élévation exagérée des contributions. Le député bavarois Schlittenbauer a même agité le spectre d’une révolte des paysans. On a cessé aussitôt d’exiger des paysans comme des cultivateurs le paiement du nouvel impôt sur les fortunes ; et, sous le prétexte qu’on s’était trompé dans l’estimation des contributions pour la défense nationale en 1913 — on leur a remboursé plusieurs millions d’impôts déjà payés...

Il saute aux yeux — voir le tableau ci-dessus — que la part du lion dans les revenus de l’Etat est fournie par les populations travailleuses et que cette part s’augmente de mois en mois. Les impôts sur les revenus de la bourgeoisie ont une tendance à la baisse, tandis que les impôts sur les salaires, sur la consommation et sur les affaires ont une tendance ascendante. De 472 millions de revenus de l’Etat en juin, 316 millions sont fournis par les trois impôts qui chargent particulièrement les prolétaires.

Notons que la stabilité du mark ne fut pas menacée dans ces six derniers mois par les finances de l’Etat.

III. Le passif de la balance commerciale[modifier le wikicode]

Tout autre est la situation quant aux transactions commerciales avec l’étranger. Ici nous constatons un passif énorme : un milliard et demi de marks-or. Cette somme se détaille par mois comme suit :

Importations Exportations Excédent des importations
(en millions de marks-or)
1913: Moyenne par mois 933,84 849,88 — 83,06
1923: Moyenne par mois 506,78 506,60 — 0,18
1924: Janvier 567,13 431,02 — 136,11
Février 718.59 466,34 — 252,25
Mars 692,69 456,56 — 236,13
Avril 803.16 481,96 — 321,20
Mai 870,18 516,22 — 353,96
Juin 753,12 475,25 — 277,87

On a mis en doute en plusieurs occasions et non sans cause, la sincérité des chiffres du commerce d’exportation allemand. Le bureau officiel de statistique du Reich se réserve une échappatoire, quand il affirme que l’occupation du Rhin s’oppose à l’établissement d’une statistique exacte. Il faut aussi se rappeler que la statistique indiqua pour les années 1923 et 1924 un excédent d’importations de plusieurs milliards de marks, excédent qui après un calcul en marks-or disparut complètement. Nous affirmons pourtant que l’Allemagne a eu dans les six premiers mois de l’année un excédent considérable d’importations. Notre opinion est basée sur divers rapports spéciaux concernant les entrées et sorties de marchandises importantes, telles que charbon, peaux, cuirs, chaussures, textile, farine, lait et produit lactés, etc.

Comment le mark n’en a-t-il pas été ébranlé ? A notre avis, la différence fut comblée par les moyens suivants :

1) Par l’emploi partiel des valeurs et devises étrangères, qui s’étaient accumulées en Allemagne; valeurs devenues disponibles après la stabilisation. Nous rappelons que la quantité de ces devises étrangères a été évaluée à 3 milliards de marks-or.

2) Les capitaux allemands, oui se sont, les années antérieures, évadés à l’étranger, ont été contraints, par le manque de crédit, à rentrer, partiellement peut-être sous la forme de capitaux étrangers. Il y a lieu de croire que les capitaux hollandais entrés en Allemagne sous la forme de fondations de banques et de crédits, ne sont en réalité que des capitaux allemands précédemment évadés.

3) Les entreprises allemandes ont, après le relèvement de la suprématie politique et sociale de la bourgeoisie, par suite de l’énorme intérêt, reçu des crédits privés d’Angleterre et d’Amérique. Le déficit du commerce extérieur a ainsi été couvert. Bien entendu, ces moyens ne peuvent suffire que pour un temps assez court. Si le caractère passif du commerce allemand avec l’étranger se maintient, il amènera, dans un temps assez rapproché, une nouvelle dévalorisation.

IV. La politique de crédit de la Reichsbank[modifier le wikicode]

La stabilisation du mark n’a pu être réalisée que par une politique de crédit très sévère.

Les charges les plus importantes de la Reichsbank sont données par le tableau suivant :

Marks-papier traites avances Rentenmarks traites avances Billets en circulation Billets rentenmarks
(en millions de marks-or)
7 janvier 433 235 491 ---
15 février 576 713 537 1 579
15 mars 645 943 614 1 986
15avril 749 1 272 678 1 952
15 mai 825 1 246 764 2 050
14 juin 860 1 201 924 ---

Le tableau nous montre une forte ascension des crédits accordés par la Reichsbank jusqu’au milieu d’avril, époque à laquelle on a sensiblement réduit la répartition des crédits dans la crainte d’une nouvelle dévalorisation du mark. Depuis ce temps, la somme des crédits reste à peu près invariable. La circulation des billets de banque est inférieure à trois milliards de marks-or, c’est à dire de beaucoup inférieure à celle d’avant-guerre. Prenons en considération que de grandes sommes de billets, émis par les villes, etc, et les coupons de l’emprunt-or qui ont servi de moyens de circulation, ont été retirés pendant cette période.

V. Essor et chute économiques[modifier le wikicode]

L’essor économique du 1er septembre 1924 atteint son point culminant au mois de mai. Ici commence une aggravation sensible de la situation économique; elle s’impose sans changement durant les mois de juin et juillet. Cette évolution se constate le mieux dans les bureaux de placements. Le nombre des chômeurs secourus se modifie comme suit :

Chômeurs Chômeurs partiels
1 Janvier 1 532 065 843 735
15 Janvier 1 587 494 626 643
1 Février 1 440 206 362 565
15 Février 1 307 035 251 550
1 Mars 1 172 646 151 407
15 Mars 988 752 90 133
1 Avril 712 483 ---
15 Avril 476 000 ---
1 Mai 307 000 ---
15 Mai 210 000 ---

Ces chiffres ne concernent que l’Allemagne non-occupée et les chômeurs recevant des allocations. Comme on le sait, la répartition des secours a été très réduite après le relèvement de la bourgeoisie, en automne 1923.

L’arrêt de l’essor économique provient du fait que l’Allemagne ne peut pas faire concurrence sur le marché mondial. Les prix de plusieurs marchandises allemandes sont plus élevés que les prix du marché mondial, ce que l’excédent des importations sur les exportations doit aussi nous faire admettre. Les économistes ne sont pas d’accord sur la cause de ce fait. En général, ou se lamente sur les impôts excessifs et sur l’augmentation des tarifs des chemins de fer.

L’industrie manufacturière l’explique par l’augmentation du prix du combustible, par le renchérissement du fer, et la classe capitaliste — comme on s’y attendait — par les salaires trop élevés et le rendement trop réduit du travail. Outre ces causes, on doit encore mentionner la puissance d’achat amoindrie des populations rurales par suite de la crise agraire.

En tout cas, depuis mai. il y a en Allemagne une crise de consommation. Les suites ont été aggravées par le manque de capitaux et de crédits. De grandes entreprises comme la Stahlwerke Becker (Aciéries Becker) se sont effondrées ; le nombre des faillites est en augmentation.

VI. Le mouvement des prix — Les « ciseaux »[modifier le wikicode]

Le mouvement des prix du gros commerce suit à peu près la marche des affaires. L’index du bureau officiel de statistiques nous donne, si nous admettons que 1913 égale 100, le tableau suivant :

1924 Novembre 139
1924 13 Janvier 122
1924 5 Février 114
1924 4 Mars 119
1924 1 Avril 122
1924 6 Mai 125
1924 3 Juin 118
1924 1 Juillet 113

L’évolution des autres indices des prix nous donne un tableau semblable. Or, nous devons faire remarquer ici les grandes différences existant entre les prix des produits industriels et ceux des produits agricoles; c’est la base même de la grande crise agraire actuelle. Les prix des céréales sont tombés au-dessous des prix d’avant-guerre. En outre, on a eu pendant ces six mois cette situation étrange que les prix du blé ont été moins élevés en Allemagne, pays importateur de céréales, que dans les pays exportateurs de blé. En fait, on a pendant ces six mois importé très peu de blés étrangers ; encore l’importation se justifiait-elle par des contrats antérieurs. Les agrariens et les paysans refusaient de livrer leurs produits contre des marks-papier ; les bureaux durent faire appel au blé étranger. Mais pendant les premiers six mois de 1914, la nécessité de se procurer des fonds pour le paiement des impôts, oblige les cultivateurs à jeter de grandes quantités de blés sur le marché; les prix tombent. Si on achète encore du blé à l’étranger c’est parce que les meuneries n’avaient pas les fonds disponibles nécessaires à des achats au comptant à l’intérieur.

Une autre cause de la diminution du prix des céréales c’est l’introduction, par suite de la baisse du franc, de grandes quantités de farine française vendue à des prix modérés en Allemagne Ouest et Sud.

Cette crise est renforcée par une forte baisse de la consommation à l’intérieur. La consommation de la viande — en 1913 de 49,5 kg par personne — s’est réduite, en 1923, à 23,4 kg. Et la situation déplorable de l’agriculture empire du fait des impôts nouveaux. Même si nous contestons les affirmations des diverses sociétés agricoles, d’après lesquelles les impôts surpasseraient les revenus, il faut reconnaître qu’en comparaison avec la période d’inflation, la situation des agriculteurs a empiré. D’après Herkner, les impôts s’élèvent à 45% du revenu, mais il ajoute que les charges doivent être moindres, ayant été supputées selon un rendement inférieur. Le manque de crédit a aggravé la situation agricole quoique la Rentenbank, sous l’influence des agrariens, comme ces derniers temps aussi la Reichsbank, soient intervenues.

Les agrariens allemands veulent un retour au système des tarifs protecteurs. Le gouvernement a déjà déclaré qu’il pense remettre en vigueur les droits de douane d’avant-guerre sur les vivres. Il est pourtant douteux que ce soit un remède. Les prix des vivres sont, en Allemagne, au moment où nous écrivons, au- dessous des prix du marché international; les tarifs resteraient sans effet. D’autre part, comme l’exportation des produits agricoles est permise, les prix intérieurs s’égaleront bientôt à ceux des marchés internationaux. Les tarifs protecteurs ne pourraient atteindre le résultat cherché que si — comme avant la guerre — la production à l’intérieur ne suffisait pas à la consommation. Or, la consommation à l’intérieur s’est sensiblement amoindrie — effet de la misérable situation matérielle des prolétaires allemands — et la production à l’intérieur suffit à ce jour complètement à la demande. En raison de cet état de choses, les tarifs protecteurs ne pourraient modifier les prix à l’intérieur, que 1) si le prolétaire recommençait à consommer autant qu’en 1914 ; ou 2) si les produits de l’agriculture allemande diminuaient. Une tendance à cette dernière solution politico-économique se traduit dans la grande propriété par l’amoindrissement des surfaces cultivées, l’accroissement des pacages, pâturages et friches d’après-guerre

VII. Le manque de crédits et de capitaux[modifier le wikicode]

Depuis le nouvel an on constate un accroissement d’activité dans toutes les branches d’industrie travaillant pour les marchés intérieurs. Cette animation est due aux sommes importantes répandues avec magnanimité, en crédits, par la Reichsbank et par les crédits ouverts par la Rentenbank à l’Etat et à l’industrie. Au commencement d’avril, une nouvelle inflation s’avère ; la bourse noire, comme nous l’avons dit, côte le dollar de 15 — 20% au-dessus du pair. Il est caractéristique qu’on ait offert en janvier les crédits, valorisés en Rentenmarks au taux de 2 — 2,5% et des crédits non-valorisés à 4,5% par mois.

La position prise par la presse capitaliste à la perspective d’une inflation nouvelle laisse deviner que les capitalistes ne le désiraient pas. L’inflation n’est un moyen d’enrichissement des capitalistes que tant qu’il y a possibilité d’exproprier les couches moyennes. Cette expropriation a ses limites et l’Allemagne y arrivait à peu près en août 1923.

Le grand capital étant opposé à une inflation nouvelle, celle-ci n’eut pas lieu. La Reichsbank limitait les crédits dès avril, ce qui amenait une crise financière qui eut son contrecoup sur la production.

Conséquence de la pénurie d’argent comptant, les intérêts augmentaient démesurément. On exigeait, en juin, les taux suivants :

Crédits à l’industrie :
Avances de la Reichsbank- - - - - - - - - - - - - - - 12% annuel

[ou]

24 à 21 % annuel, couverture triple en effets.

Les mêmes, 1 à 3 mois- - - - - - - - - - - - - - - - 36 à 24% annuel, couverture triple en effets.

[ou] 2 à 3% mensuel.

Les mêmes, 1 à 3 mois, contre 1,5 à 3 fois couverture en effet à Berlin- - - - - - - - - - - - - 3 à 41/2% mensuel.

[ou]

5 à 6% (exceptionnellement).

Les mêmes, en province- - - - - - - - - - - - - - - 7 à 71/2% mensuel.
Crédit en blanc des Grandes Banques, en compte courant, environ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 7 à 71/2 % mensuel.

D’après un autre rapport (Berliner Tagblatt, 15 juillet 1924) les banques payaient entre elles, au mois d’avril, 51,2% annuel pour argent comptant ; à Francfort même, 78%. Pour les crédits mensuels valorisés on a payé, dans la période février juin 22%, jusqu’à 56% annuel.

Les institutions financières ont tellement exploité leurs débiteurs durant cette période qu’il faut remonter aux temps les plus primitifs du capitalisme pour en trouver des faits analogues. Les déposants touchaient 8 à 12% par an, alors que les Banques demandaient jusqu’à 60% et 100% par an.

(A suivre.)