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L’œuvre de Lénine
Auteur·e(s) | Clara Zetkin |
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Écriture | 26 janvier 1928 |
Par ses actes, Lénine a montré qu’il était notre meilleur chef et le plus génial. La révolution prolétarienne de Russie, l’événement le plus considérable de notre temps, est la première démonstration que, suivant l’enseignement de Marx, la libération des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Est-ce contredire ce principe que d’affirmer que, pour autant qu’un événement historique peut être l’œuvre d’un homme, la révolution russe fut celle de Lénine ? Nullement. Lénine fut à la fois le cerveau, le cœur et le vouloir de la révolution prolétarienne. En lui, s’alliaient deux forces créatrices révolutionnaires. Il avait la plus intime conviction que l’évolution économique et sociale conduisait à la réalisation du communisme par le prolétariat et que la conquête du pouvoir est le pas historique essentiel pour parvenir à ce but.
De plus, de tout son être, il était avec les prolétaires et les paysans russes, avec les exploités et les opprimés de partout. Il les aimait pour leurs souffrances qui trouvaient en lui un écho. En eux, il voyait les éléments révolutionnaires de la lutte contre l’exploitation et l’oppression et les fondateurs d’une société nouvelle parfaite.
En Lénine, donc, se trouvaient réunies à la fois la science du socialisme international révolutionnaire et les qualités de sentiment, d’intelligence, de volonté et d’initiative du prolétariat. Ces deux forces s’unissaient pour ne faire qu’un tout. La personnalité historique du prolétariat, en tant que classe révolutionnaire, trouvait en lui sa plus nette expression ; c’est elle qui donnait un but clair à sa volonté puissante, qui enflammait son inlassable activité.
En revanche, Lénine répandait parmi la masse des malheureux et des opprimés la conscience de cette personnalité historique et de sa signification en tant que classe révolutionnaire, en même temps qu’il l’éveillait au vouloir et à l’action révolutionnaires.
Lénine, le prolétariat russe, le prolétariat mondial n’étaient qu’un ; de cœur et d’esprit, il était avec la classe ouvrière ; il n’était jamais plus heureux qu’au milieu des ouvriers et des paysans qu’il instruisait, organisait, dont il préparait les esprits à s’emparer eux-mêmes du pouvoir politique et à s’avancer dans la voie abrupte qui mène au communisme. Il fut le grand artisan de la révolution mondiale.
Ce fut Plekhanov qui l’amena au marxisme ; mais, quittant Plekhanov, il ne se contenta pas de mettre en action les enseignements de Marx, il les compléta, les développa, les fit passer de la théorie à la pratique.
Ce que le clairvoyant Marx avait simplement esquissé dans sa Guerre civile en France, Lénine le précisa en notions fermes et directrices : par exemple, que le prolétariat ne doit pas se contenter de s’emparer de l’appareil du pouvoir politique de la bourgeoisie pour le faire servir à ses intérêts, mais détruire l’État bourgeois et créer un appareil étatique qui lui soit propre.
Il découvrit que les soviets représentaient cet appareil, qu’ils sont les instruments de la dictature du 1 prolétariat. Pour lui, conformément à cette théorie fondamentale, la démocratie bourgeoise était la plus haute et la dernière forme politique de la domination de classe de la bourgeoisie.
Sans pitié, il détruisait l’illusion que pourrait être évité au prolétariat, grâce à la démocratie, le dur chemin de la lutte de classe révolutionnaire et de la guerre civile pour conquérir la liberté et parvenir au communisme. La révolution russe prouva la justesse de sa conception théorique.
Dans le parti bolchevique, aujourd’hui le parti communiste, Lénine établit des liens étroits avec les larges masses, et, si nombre d’inconnus et d’obscurs et un brillant lot de chefs surent consacrer leurs forces et leur vie au développement du parti, il n’en est pas moins vrai que ce parti est le sang du sang et l’esprit de l’esprit de Lénine.
Plus que quiconque, c’est grâce à lui que le parti bolchevique devint, au point de vue de l’idéologie et de l’organisation, le parti directeur du prolétariat dans la révolution russe et que le parti communiste russe est aujourd’hui à la tête de l’Internationale communiste.
Il donna l’exemple d’une solide organisation, instrument d’une intelligence claire du but révolutionnaire, de volonté de fer, de dévouement sans borne à la cause du prolétariat. Car c’est une vérité banale que ce n’est point tant la forme d’organisation d’un parti qui détermine sa manière d’être et son action, mais c’est son esprit révolutionnaire qui lui donne vie et activité.
À cet égard, le parti communiste russe doit énormément à Lénine. Aux prix d’une séparation d’avec Martov et d’autres, il fit que le parti, dédaignant la quantité, ne souffrit que des membres faisant preuve d’activité. C’est ce qui a fait du parti un éducateur hors rang pour la conscience et l’accomplissement du devoir révolutionnaire.
C’est aussi ce qui lui a permis de remplir sa lourde tâche de répandre parmi les larges masses le sentiment de la nécessité révolutionnaire, l’énergie combative et de faire vivre en elles l’intelligence, l’esprit de sacrifice et l’audace. Grâce à Lénine, la situation révolutionnaire trouva une masse prolétarienne et un parti directeur dignes l’un de l’autre.
Outre l’œuvre accomplie dans la révolution russe par cet inégalable chef, citons son action mondiale en tant que fondateur et chef de l’Internationale Communiste. Cette action n’est pas une réplique de l’« exemple russe » étendue au domaine mondial. L’Internationale Communiste est nécessairement liée à la vie de la révolution russe. Mais les enseignements de la révolution russe, l’héroïsme, l’esprit d’audace et de sacrifice du prolétariat russe, l’Internationale Communiste doit s’en inspirer pour résoudre des problèmes historiques semblables à ceux qui se sont posés devant le parti bolchevique en Russie.
Elle doit être un guide sûr dans les luttes révolutionnaires qui, par la conquête du pouvoir, conduiront le prolétariat à l’édification du communisme.
Certes, grandement ardue est la tâche historique qui s’offre à l’Internationale Communiste : dans le monde entier, mobiliser, dans une solidarité internationale, tous les spoliés, les asservis que séparent non seulement des différences de langage, mais aussi de développement économique, politique, culturel. Sans doute, le capitalisme mondial a nivelé, amoindri ces divergences par une exploitation semblable des prolétaires en Angleterre, des fellahs d’Égypte, des paysans dans l’Inde.
Toutefois, quel énorme travail de début que de relier toutes ces masses si diverses en une commune aspiration, en une action commune. Un tel travail présuppose une conviction ferme que les prolétaires, les opprimés de partout, suivant les termes du Manifeste communiste, « n’ont rien à perdre que leurs chaînes » dans l’action révolutionnaire. Il présuppose une élaboration claire et pénétrante des notions générales et synthétiques eu égard au but et un examen très aigu des données historiques en tant que point de départ pour l’action.
Le chef du parti bolchevique et de la révolution russe était appelé plus que quiconque à être le fondateur et le chef de l’Internationale Communiste. La grande Russie, est en petit une Internationale, un monde où se coudoient divers stades d’évolution depuis le communisme primitif jusqu’à l’exploitation et l’oppression en masse du capitalisme. Journellement, devant la révolution russe, se dressent des problèmes de nationalité et d’internationalité.
Plus que toute autre chose, ce fut la révolution russe qui légitima la nomination de Lénine comme chef désigné de l’Internationale Communiste. Elle contresigna l’attestation de sa maîtrise. Et, de fait, il y a prouvé cette maîtrise au cours des circonstances difficiles qui se sont déroulées des débuts de l’organisation pour la lutte des déshérités et des opprimés de partout jusqu’au dernier jour où il put participer à son épanouissement et à l’empreinte qu’elle laissera dans l’histoire.
Pour le nombre incalculable de ceux qui aspirent à la liberté, le nom de Lénine fut le symbole de leurs espoirs et le synonyme de la révolution russe. Il réunit l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat de divers pays dans son aspiration vers une Internationale d’action, vers une organisation mondiale qui se placerait, lutterait, vaincrait sous le signe de la révolution russe.
C’est, dans une large mesure, grâce à l’initiative de Lénine que cette aspiration se manifesta et prit corps en mars 1919 [1]. À chaque pas en avant dans le développement de l’Internationale Communiste, actif, il montrait le chemin.
La liaison ferme des différents partis communistes nationaux en une organisation mondiale unique, fortement centralisée dans une ferme discipline unique ; la séparation nette des communistes et des réformistes ; le groupement des larges masses du prolétariat, ainsi que de toutes les couches sociales qui de plus en plus s’opposent à l’exploitation et à l’asservissement du capital en un front unique de lutte pour la conquête du pouvoir politique et l’établissement de la dictature prolétarienne, tout cela représente la pierre militaire de l’histoire du prolétariat révolutionnaire mondial qui porte, inscrit en lettres ineffaçables, le nom de Lénine.
- ↑ Le Ier Congrès de l’Internationale communiste (Komintern) s’est tenu à Moscou du 2 au 6 mars 1919 en présence de 52 délégués.