L’État constitutionnel modèle

De Marxists-fr
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C'est toujours avec une satisfaction renouvelée que nous revenons sans cesse sur notre « État constitutionnel modèle », sur la Belgique.

Dans un numéro antérieur de notre journal, nous avons démontré que « le plus grand vassal de Léopold était le paupérisme. » Nous montrions que, si les crimes commis uniquement par les jeunes gens et les jeunes filles de moins de 18 ans suivaient la courbe naturelle de leur développement dans la même proportion que de 1845 à 1847, « en 1856 toute la Belgique serait en prison, y compris les enfants à naître ». Nous démontrions dans le même numéro que les sources des revenus industriels de la Belgique tarissaient dans la proportion où le paupérisme et la criminalité augmentaient (n° 68 de la Nouvelle Gazette rhénane).

Jetons aujourd'hui un regard sur la situation financière de « l'État modèle ».

Francs
Budget ordinaire de 1848119.000.000
Premier emprunt forcé12.000.000
Deuxième emprunt forcé25.000.000
Billets de banque ayant cours forcé12.000.000
Total168.000.000
Ajouter les billets de banque ayant cours forcé sous garantie de l'État40.000.000
Total208.000.000

La Belgique, nous conte Rogier, se dresse comme un roc, impassible, au milieu des assauts de l'histoire universelle. Elle se dresse sur les cimes inviolées de ses larges institutions. Les 208 millions de francs constituent la traduction prosaïque de la force miraculeuse de ces institutions modèles. La Belgique constitutionnelle ne sombrera pas dans la révolution. Elle sombrera honteusement - dans la faillite.

Comme tous les ministères libéraux, le ministère libéral belge, le ministère Rogier, n'est rien d'autre qu'un ministère de capitalistes, de banquiers, un ministère de la haute bourgeoisie. Nous verrons immédiatement comment, pour braver le paupérisme et l'industrie déclinante, il ne fait pas fi des moyens les plus raffinés pour exploiter toujours de nouveau le peuple entier au profit des barons de la banque.

Le second emprunt dont il est question dans le tableau précédent fut obtenu des Chambres essentiellement contre l'assurance que l'on voulait rembourser les bons du trésor. Ces bons du trésor avaient été émis par le ministre catholique des finances, Malou, dans le ministère catholique de Theux. Ces bons du trésor avaient été émis pour couvrir des prêts librement consentis à l'État par quelques barons de la finance. Ils constituaient le sujet essentiel, le sujet inépuisable des diatribes hurlantes de notre Rogier et de ses collègues libéraux contre le ministère de Theux.

Que fait maintenant le ministère libéral ? Il annonce dans Le Moniteur - la Belgique possède son Moniteur - une nouvelle émission de bons du trésor à 50%.

Quelle impudence d'émettre des bons du trésor après avoir obtenu un emprunt forcé de 25.000.000 francs sous le prétexte fallacieux de rembourser les bons du trésor si dénigrés, émis par Malou ? Mais ce n'est pas tout.

Les bons du trésor sont émis à 5%. Des valeurs belges, également sous garantie d'État, rapportent 7 à 8%. Qui donc mettra son argent en bons du trésor ? Et de plus la situation du pays en général et les emprunts forcés ont laissé peu de gens en mesure de faire à l'État des avances librement consenties.

Quel est donc le but de cette nouvelle émission de bons du trésor ?

Les banques n'ont pas encore réussi - et il s'en faut de beaucoup - à placer tous les billets ayant cours forcé que le gouvernement libéral les a autorisées à émettre. Leurs portefeuil­les contiennent encore quelques millions de ces valeurs inutiles qui naturellement ne rapportent rien tant qu'elles restent hermétiquement confinées dans les portefeuilles. Y a-t-il un meilleur moyen de placer ce papier que de le donner à l'État en échange de bons du trésor rapportant 5% ?

La banque encaisse ainsi pour plusieurs millions de bouts de papier qui ne lui ont rien coûté et qui n'ont pour valeur d'échange que les 5%, que l'État leur a donnés. La masse belge imposable trouvera dans le prochain budget un déficit de quelque 100.000 francs qu'elle aura pour devoir de combler, le tout pour le plus grand profit de la pauvre banque.

Faut-il s'étonner que les barons belges de la finance trouvent la monarchie constitutionnelle plus rentable que la république ? Le ministère catholique a choyé essentiellement les intérêts les plus sacrés, c'est-à-dire, les intérêts matériels des seigneurs terriens. Le ministère libéral traite avec la même tendre sollicitude les intérêts des seigneurs terriens, des barons de la finance et des laquais de cour. Rien d'étonnant à ce que sous sa main habile, ces soi-disant partis fondent avec la même avidité sur la richesse nationale ou plutôt, en Belgique, sur la pauvreté nationale, et qu'à cette occasion ils en viennent parfois aux mains, ni à ce que maintenant, tous réconciliés dans une embrassade générale, ils ne forment plus qu'un seul grand parti, le « parti national ».