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Special pages :
Lénine, comme homme
Auteur·e(s) | Nikolaï Semachko |
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Écriture | 14 mars 1923 |
Sémachko, Nikolaï Alexandrovitch (1874-1949), médecin, adhère au mouvement social-démocrate dès 1893. Arrêté pour sa participation à la révolution à Nijni-Novgorod en 1905, émigre en 1906 à Genève, puis à Paris, où il se lie à Lénine. Secrétaire et trésorier du bureau du CC du parti bolchevique à l’étranger. Après la révolution d’Octobre, dirige les services de santé du Soviet de Moscou, puis Commissaire du peuple à la Santé publique (1918-1930), spécialiste de l’hygiène sociale. En 1924, après la mort de Lénine, il lance dans les « Izvestias » un appel à tous ceux qui connurent Lénine pour qu’ils communiquent leurs souvenirs. Membre du présidium du Comité exécutif de l’URSS (1931). Membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences pédagogiques de l’URSS. Directeur de plusieurs instituts médicaux de recherche scientifique (1945-1949).
Je me rends parfaitement compte de la difficulté de la tâche que j’assume. Évidemment, pour une foule de raisons, ce ne serait pas à moi de dépeindre la personnalité de Vladimir Ilitch. Elle trouvera dans l’avenir d’innombrables historiens et biographes. Mais je sais combien les ouvriers s’intéressent aux traits particuliers et aux détails de la vie de Lénine, et j’estime qu’au 25e anniversaire de notre Parti, on ne saurait leur faire de meilleur cadeau que leur raconter quelque chose sur leur chef. Voilà pourquoi j’ai résolu de relater ici quelques souvenirs, non pas sur la personnalité de Lénine, mais sur sa vie, ses habitudes, ses penchants.
Cette tâche m’intéresse également sous un autre rapport. J’appartiens au nombre de ces marxistes « rectilignes » qui considèrent la vie de l’homme (et du peuple) comme le « fond » même de son être, ce qui le caractérise essentiellement. Il est impossible que la vie journalière, les habitudes de l’homme, et ses idées soient pour ainsi dire dans deux compartiments nettement séparés, sans communication aucune. Tôt ou tard, les coutumes, les habitudes, les sympathies ou les antipathies entrent en collision avec les convictions sociales et, dans ce cas, il est presque impossible de prévoir de quel côté sera la victoire.
Au contraire, l’harmonie des convictions, des penchants et des goûts est le gage de l’intégrité d’une personnalité et de son activité.
Ces pensées me viennent invinciblement à l’esprit lorsque je songe à Vladimir Ilitch. Lénine a toujours été par ses habitudes et ses goûts un prolétaire pur. Dans l’émigration, il eut fréquemment à subir des privations qui minèrent son robuste organisme. Mais même dans les périodes de bien-être matériel, il conservait ses habitudes et ses goûts prolétariens. Une petite chambre avec une table pour travailler et un mauvais lit pour se reposer, tel était son ameublement ; les divertissements les plus modestes, parfois la bicyclette, tels étaient ses plaisirs. Il n’a pas changé. Il faut voir l’expression de souffrance et même d’irritation qui se peint sur son visage lorsqu’on lui propose de se soumettre, comme chef dit gouvernement, à tel ou tel rite ou étiquette.
Vladimir Ilitch est une personnalité entière où la parole est toujours en parfait accord avec l’action et ce sera, longtemps encore, un objet d’étude pour ses futurs historiens. Ce sujet est loin d’être facile à traiter, car la vie prolétarienne de Vladimir Ilitch, ce n’est pas la modestie, la vertu, la modération, la régularité petites-bourgeoises. La dure école de la vie a influé sur son idéologie. Il n’est pas douteux que parmi les nombreuses causes qui ont fait de lui un chef révolutionnaire d’une volonté de fer, étranger à tout compromis dans la tactique, sa vie prolétarienne remplie par le labeur a été l’une des principales.
Il est encore un trait que je voudrais signaler ici et qui est à la base de toute l’activité de Lénine : sa fougue, sa hardiesse, la fertilité de son esprit. Quelques mencheviques, qui avaient été autrefois avec moi dans le Parti social-démocrate, me disaient plus tard que les mencheviques et les bolcheviques se distinguaient par le tempérament. À mon avis, c’est là une observation psychologique profondément juste. Le menchevique est essentiellement un homme agissant par réflexe. La combativité est à la base du tempérament bolchevique. Je ne saurais me représenter un bolchevique avec un tempérament menchéviste.
Je me souviens avoir lu à l’étranger dans un journal la description d’une intervention de Vladimir Ilitch au Congrès des Soviets. Le correspondant disait que Lénine communiquait à tous son tempérament.
C’est la vérité. Tel il a toujours été dans sa vie.
Lorsqu’il s’agissait, par exemple, d’organiser dans un modeste café de la banlieue parisienne une petite soirée, consacrée à un événement quelconque, Vladimir Ilitch était le bout-en-train de toute la compagnie. Son humour, sa vivacité, son esprit se donnaient libre cours ; on se tordait de rire, littéralement. (Ainsi, à une soirée chez Maxime Gorky [1], voyant Maria Féodorovna [2] qui était aux petits soins pour son mari et les visiteurs, il lança : « Chez Maxime l’Amer, la femme est sucrée » [Note du trad 1]. Lorsque, entre camarades, on organisait des excursions à bicyclette, c’était lui qui trouvait toujours les endroits les plus intéressants ou qui nous poussait à différents tours. Un jour, pendant une de ses promenades, il faillit perdre la vie et seuls sa hardiesse et son à-propos le sauvèrent. C’était vers la fin de 1907 ou au début de 1908, aux environs de Genève. Un jour de fête, Lénine rentrait chez lui par les rues étroites d’un faubourg de la ville. La rue était encombrée de voitures, de bicyclettes et d’automobiles. Soudain, une automobile, dont le conducteur était quelque peu ivre fonce droit sur lui.
Un instant d’hésitation et Ilitch était perdu. Mais il ne se troubla pas, sauta rapidement sur le trottoir parmi les promeneurs et laissa aller son vélo qui fut broyé par l’automobile. La foule s’attroupa et le félicita de s’en être si bien tiré.
Les grands hommes ont souvent un trait commun : l’amour des enfants. C’est là une particularité extrêmement intéressante. Pourquoi les grands hommes aiment-ils la société des enfants ? Marx, dit-on, aimait à se reposer parmi ses enfants et ses petits-enfants : c’est également parmi les enfants que Tolstoï se sentait le plus à son aise. Vladimir Ilitch est également un ami des enfants.
Tout te monde a vu sa récente photographie parmi les enfants d’un village des environs de Moscou. Il est assis au milieu d’eux, tranquille, souriant, et les rides de son front semblent avoir disparut. Lorsque je demeurais près de Paris, Lénine venait souvent s’amuser avec mes enfants. Il avait un talent pédagogique inné : les enfants l’adoraient, l’attendaient avec impatience ; il savait, leur parler d’une façon si sérieuse et en même temps si intéressante, et toujours il trouvait pour eux un nouvel amusement.
En 1911, nous fîmes un jour tous deux une promenade à bicyclette dans un endroit situé à 12 verstes [3] de Paris. Ma fillette, alors âgée de onze ans, nous implorait les larmes aux yeux de l’emmener avec nous. Vladimir Ilitch prit son parti et voulut qu’elle vînt aussi avec nous. La route était pénible, montueuse. Il fallait voir quelle sollicitude il témoignait à l’enfant. À chaque montée, il la remorquait, à chaque endroit dangereux, il se tenait tout près d’elle et l’aidait. Je lui dis que ce n’était pas la peine de prendre tant de soin : ce n’était pas un malheur si une fillette vigoureuse se fatiguait quelque peu. Il se mit à m’accabler d’injures pour ma « conduite indigne » envers ma fille. « A des parents comme ça disait-il, il faudrait enlever leurs enfants. »
La personnalité de Vladimir Ilitch est très complexe. Si le mot n’était pas devenu banal, je dirais qu’elle est multiple. C’est à ses historiens et à ses biographes futurs qu’il appartiendra de l’étudier sous toutes ses faces.
(14 mars 1923)
- ↑ Gorki, Maxime, nom de plume d’Alexis Maximovitch Pechkov (1868-1936), écrivain, éditeur et dramaturge réaliste-romantique. A connu une enfance misérable et exercé de nombreux métiers avant de devenir journaliste et écrivain au début des années 1890. D’abord proche des populistes, il soutient ensuite le Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) et sa fraction bolchevique. Participe activement à la révolution de 1905. Arrêté puis libéré par une campagne internationale, il part en exil, d’abord aux ÉtatsUnis, puis s’installe à Capri en Italie jusqu’à son retour en Russie en 1913 à la faveur d’une amnistie. Participe au Ve Congrès du POSDR à Londres (1907) où il fait la connaissance de Lénine. Organise à Capri une école de cadres ouvriers avec Bogdanov et Lounatcharsky (1909). Après la Révolution d’Octobre, s’oppose d’abord farouchement aux bolcheviques avant de les soutenir de manière moins critique à la suite de l’attentat contre Lénine à l’été 1918. Souffrant, il quitte la Russie en 1921 et s’installe à nouveau dans un semi-exile en Italie (1923). Revient périodiquement en URSS à partir de 1927 et s’y installe définitivement, comblé d’honneurs par Staline, à partir de 1932. Il chante les louanges du régime et occupe une place centrale dans la création de la littérature soviétique et du « réalisme socialiste ». Meurt officiellement d’une pneumonie en juin 1936, certains historiens évoquant la possibilité d’un empoisonnement.
- ↑ Andréïéva, Maria Féodorovna ; née Yourkovskaïa (1872-1955), célèbre actrice russe et directrice de théâtre, membre du parti bolchevique à partir de 1904. Compagne, secrétaire et auxiliaire de l’écrivain Maxime Gorki qu’elle accompagne dans l’émigration (1906-1913). Après la révolution d’Octobre, responsable des théâtres de Petrograd et de la Commission d’experts en œuvres d’art du Commissariat au Commerce extérieur. Dirige la section de Petrograd du Commissariat à l’Instruction publique (1920). Directrice de la Maison des Savants à Moscou (1931-1948).
- ↑ Mesure de longueur : une verste équivaut à 1066 mètres.
- ↑ Gorky est un pseudonyme qui signifie : Amer. La boutade est intraduisible en français sinon dans sa lettre, du moins dans son esprit. – N.d.l.R.