L'existence d'une tendance trotskyste orthodoxe est un fait

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Après avoir travaillé sur ces deux projets, le bilan et les thèses, nous avons décidé qu'il était mieux d'ouvrir cette discussion avec une présentation rapide. En réalité, il s'agit de deux résolutions intimement liées. Nous voulons savoir quelles objections il y a, quelles polémiques, quelles expériences sur le CORQI et la crise de la QI-CI. Nous voulons écouter les camarades Napurí, Alberto ou les camarades qui viennent du healysme. Que tous apportent leurs expériences et leurs critiques. De notre part, nous nous réserverons le droit de leur répondre avec un peu plus de temps. Je veux maintenant indiquer seulement deux ou trois questions.

D'abord, il y a deux faits qu'on peut synthétiser dans une seule phrase. Il y a des années - beaucoup d'années - nous avons obtenu que la Logique de Lefebvre,[1] qui avait été interdit par le PC, nous arrive de Paris, à travers des copies. En la lisant, nous avons été surpris par une phrase : la connaissance est un fait. Il y a une infinité de courants philosophiques qui discutent si la connaissance existe ou non, et Lefebvre commençait à dire que non seulement elle existe mais elle est un fait. Simple comme bonjour. Il commençait par ne même pas admettre que l'on mette en question son existence. A tort ou à raison, nous commençons d'une façon semblable : l'existence d'un courant ou d’une tendance unique mondiale orthodoxe, ennemi déclaré du révisionnisme du SU et de l'OCI-U,[2] est un fait. Et ce fait, que ce courant existe et est unique, est confirmé par un autre fait : cette Conférence, qui est celle de cette tendance unique. C'est l'essentiel, à mon avis, de ce que nous avons avancé dans cette Conférence, et spécifiquement dans les deux documents que nous avons soumis à votre considération.

En d'autres termes, cette Conférence est un fait politique qui reflète l'existence d'un courant trotskyste conséquent unique à l'échelle mondiale, formé par l'ancienne Fraction Bolchevique (ex-FB), enrichie et fortifiée par la présence de camarades d'autres origines, principalement de l'ancienne CORQI. Comme tout fait nouveau, elle est le produit d'une combinaison.

La première question à laquelle nous devons répondre est donc si, dans cette réunion, nous sommes les seuls trotskystes organisés (faibles ou forts, chargés d'erreurs ou de réussites dans leur passé) qui sont pour la défense intransigeante du trotskysme. C'est-à-dire, nous devons commencer par définir le caractère et la signification de cette réunion. En paraphrasant Lefebvre, nous disons : le trotskysme conséquent est un fait, qui trouve son expression dans cette réunion.

La seconde chose est ce que nous avons déjà dit avant cette conférence : nous ne voulons pas reculer de la QI-CI à la Fraction Bolchevique. C'était un désir. Aujourd'hui, cette aspiration est devenue réalité. Nous sommes devant quelque chose de qualitativement supérieur à la Fraction Bolchevique, au niveau de la direction et de l'organisation. D'aucune façon, nous ne sommes retournés à la FB. Pourquoi ? D'abord, à cause des camarades américains que nous devons revendiquer, bien qu'étant un petit groupe, parce qu'ils font partie de la riche expérience historique de construction du trotskysme dans ce pays. C'est un groupe de camarades très capables et expérimentés, qui ont déjà parcouru un long chemin plein d'embûches. Ce n'est pas par hasard qu'ils sont ici. Plus symptomatique encore est la présence des camarades Napurí et Franceschi. Attention aux apparences ! Ils reflètent de loin le meilleur du phénomène hautement contradictoire qu'est le CORQI et l'OCI-U. Ils sont la pointe d'un iceberg. La contradiction du CORQI était entre son cérémonial comme trotskyste et sa politique. Il était plein de trotskystes qui haïssaient le révisionnisme et le combattaient. De ce courant, nous avons ici deux de ses dirigeants les plus représentatifs. Cela fait que c'est qualitatif. Une direction et une organisation avec Napurí et Alberto n'est déjà pas la même chose que la FB. Quand je les ai rencontrés, il y a quelques jours, et que je leur ai affirmé la même chose que ce que je dis maintenant devant vous, Alberto a dit : « Tu as vu, Napurí ? C'est ce que nous étions en train de dire. » Les deux camarades étaient arrivés à la même conclusion. La Conférence est qualitativement supérieure à l'ancienne Fraction Bolchevique. Si ce n'était pas le cas, mon intervention devrait commencer par dire que nous nous trouvons face à une situation malheureuse, que nous avons dû reculer à la vieille Fraction Bolchevique. Mais il ne s'agit pas ici de la conférence de la Fraction Bolchevique, puisqu'elle est confirmée par la vaste majorité de l'ancienne QI-CI et par les militants, dirigeants et organisations qui n'acceptent pas le révisionnisme de l'OCI-U.

Le troisième problème est si nous devons, oui ou non, constituer une organisation internationale, avec des statuts, une direction et les normes du centralisme démocratique. Comme toute intervention orale, la mienne est schématique. L'expression écrite, qu'elle soit politique ou théorique, permet une subtilité et un niveau d'abstraction plus élevés. Le rapport oral, par contre, doit être schématique. L'important est si cette présentation schématique met en noir et en blanc ce qui vraiment doit être en noir et en blanc. Nous affirmons catégoriquement que, en accord avec le trotskysme, quand il y a un programme, il doit y avoir une organisation et une direction. Et quand il n'y a pas de programme, il ne doit pas y avoir une organisation mais un front, un mouvement ou un groupe d'amis. Nous voulons examiner cet axiome. Nous croyons que nous avons un programme : les thèses de la QI-CI, mises à jour par rapport aux gouvernements de front populaire. Nous devons donc nous munir de l'organisation bolchevique internationale qui défend et applique ce programme. Que Lambert et Mandel puissent faire ce qu'ils font en France est dû au fait que notre courant international n'est pas très fort, mais non au fait qu'il n'est pas nécessaire. Au contraire, il est indispensable. On ne peut pas appliquer une politique trotskyste conséquente en France ou au Pérou, à cause de la faiblesse de l'Internationale et de sa direction, et à cause du révisionnisme de Lambert et Mandel. Pour répondre à ces défis, une organisation et une direction internationales sont plus que jamais nécessaires.

Passons maintenant au problème des erreurs. Beaucoup disent : « Ils se sont trompés beaucoup, qui nous garantit qu'ils ne vont pas se tromper à nouveau ? » Regardons les faits, le point de départ pour tout marxiste. Nous nous trompons beaucoup, c'est un fait. Et nous allons nous tromper beaucoup, c'est aussi un fait, et non une hypothèse ou de la futurologie. Je garantis que, comme direction internationale et comme directions nationales, nous allons continuer à nous tromper. Si quelqu'un croit que ce ne sera pas le cas, nous le regrettons pour lui. Nous ne faisons pas de la démagogie : nous allons nous tromper. Moins qu'avant, mais nous allons nous tromper. De cela, je suis sûr. Nous croyons avoir une direction supérieure à celle que nous avions avant, mais il ne faut pas nous demander la garantie de ne pas se tromper pas mal de fois. Cette garantie pourrait être donnée par des directions trotskystes qui prennent le pouvoir à la tête de grands partis, mais pas par nous, produits de la crise de la Quatrième Internationale. Notre mérite est d'avoir résisté - mal ou bien - à l'offensive révisionniste.

Nous sommes marxistes et nous ne croyons pas aux sorcières ni aux miracles. Prenons seulement comme exemple deux endroits du Cône Sud. En Argentine, nous avons eu de grandes possibilités d'avoir un parti fort et nous n'avons pas pu y arriver, par les erreurs graves que nous avons commis. Au Pérou s'est pareil. Je ne sais pas si le camarade Napurí partage cet avis. Voyons, le camarade a insisté sur la force de Vanguardia Revolutionaria. Je le confirme. Si Napurí, quand il dirigeait Vanguardia, avait été trotskyste, et s'il y avait eu une vraie Internationale, on aurait déjà pris le pouvoir au Pérou. Quelque chose dans ce sens aurait eu lieu en Argentine, si nous avions vu l'importance du Partido Laborista dans les années 45. En cette année, il y a eu quatre phénomènes socio-politiques : la liquidation du syndicalisme staliniste et socialiste et le surgissement du syndicalisme péroniste ; le surgissement d'un parti labour, d'une gauche socialiste et d'une grande gauche estudiantine. De ces quatre phénomènes décisifs, nous avons seulement vu celui du syndicalisme péroniste et aucun des trois autres. J'ai été contre le Partido Laborista parce que je considérais qu'il s'agissait d'un parti conservateur. C'est-à-dire, je suis responsable de ne pas avoir vu trois processus fondamentaux, perdant ainsi des occasions décisives. Nous devons reconnaître les erreurs que nous commettons pour que les jeunes trotskystes apprennent à penser et à nous critiquer avec leur tête, sans pour autant cesser de nous respecter. Et, en ce sens, nous revendiquons notre passé, parce que, quand nous étions tout jeunes, nous avons fait une publicité « subliminale » sur cela. Nous ne voyions pas les nouveaux problèmes alors, sauf des exceptions.

De fait, la IVème Internationale n'existait pas pour nous soutenir et nous orienter. Nous nous sommes rendu compte, heureusement, de notre condition d'orphelins et de notre incapacité à donner des réponses correctes et rapides. C'est pourquoi, nous avons donné à notre formation et à notre trotskysme l'épithète de « barbares ». Nous avons construit notre organisation dans un pays semi-colonial situé sur le bord du monde, qui n'était pas un centre révolutionnaire ni culturel comme la Chine et l'Europe. Quand nous avons commencé, il y avait peu de livres marxistes en espagnol.

De toute façon, nous avons eu un certain sens des proportions. Nous nous voyions nous-mêmes comme ce que nous étions : une quantité négligeable dans le mouvement trotskyste. Ce qui nous a peut-être alarmés le plus, c'était de lire et d'écouter Posadas. C'était un ignorant beaucoup plus médiocre que chacun de nous, qui se donnait le luxe de parler à propos de tout, des Wallons et des Flamands ou de la loi de la relativité, convaincu qu'il avait absolument raison. Nous nous sommes alarmés et nous avons dit : nous devons essayer par tous les moyens de ne pas nous transformer en idiots comme Posadas, qui ne sait rien et se croit parfait. Nous avons ensuite connu les grands dirigeants trotskystes. Ceux du SWP, pour lesquels nous avions tant d'admiration, ne mentionnaient jamais leurs erreurs. Leur histoire était celle des génies, avec abondance de succès. Mandel agissait de manière semblable. Les dirigeants du mouvement trotskyste mondial se considéraient comme des colosses qui ne se trompaient jamais.

Toutefois, le trotskysme, dirigé par eux, était pitoyable. Nous avons donc décidé d'invertir le problème : nous allions essayer de préparer la mentalité de ceux qui venaient, en leur enseignant nos erreurs, notre limitation colossale. Nous avons changé la façon de faire l'histoire de notre parti, pour ainsi les obliger à penser par eux-mêmes. Les partis et les directions faisaient leur histoire pour démontrer qu'ils avaient toujours raison. Nous l'avons faite en montrant l'énorme quantité d'erreurs commises.

C'est pourquoi les cours sur le PST argentin se subdivisent par des erreurs et non par des succès : la 1ère étape, centriste petite-bourgeoise (dans les années 48); la 2de étape, propagandiste, syndicaliste et sectaire sur le terrain national, et ainsi successivement. C'était des définitions négatives, parce que nous croyons que nous avons progressé à travers des dépassements et des négations. Cette expérience ennuyeuse de se promener toujours entourés de génies, nous a mené à faire de la propagande indirecte sur notre base pour la convaincre par tous les moyens que nous nous trompons beaucoup, qu'ils doivent penser et encore penser pour leur propre compte puisque notre direction n'est aucune garantie de génialité.

Nous voulons, par tous les moyens, leur inculquer l'esprit autocritique, marxiste et non l'onction religieuse envers une direction modeste, provinciale par sa formation et barbare par sa culture. C'est pourquoi, nous croyons dans la démocratie interne et nous la voyons comme une nécessité énorme.

Nous avons vécu et nous avons appris beaucoup en choquant contre les murs, un processus très semblable à celui de Napurí, mais à l'intérieur du trotskysme. Nous avançons à travers des erreurs et des coups. Nous n'avons pas honte de le dire. Mais pour la même raison, qu'on ne nous demande pas, qu'on ne demande pas à la nouvelle organisation ni à sa direction, de réussir toujours, parce que nous allons nous tromper, et beaucoup. Le problème est, qualitativement et quantitativement, de quelle manière on commet moins d'erreurs.

A mon avis, la tendance est vers de moins en moins d'erreurs si c'est fait dans une organisation internationale, avec une direction et sur base du centralisme démocratique. Voilà ce qui, pour moi, est un fait. J'affirme catégoriquement que tout parti national qui n'est pas dans une organisation internationale bolchevique, avec une direction internationale, commet de plus en plus d'erreurs, dont une qui est qualitative : étant national-trotskyste, il finit inévitablement par renier la IVème Internationale et passe à des positions opportunistes ou sectaires, pour ensuite disparaître. On est trotskyste et on vit alors dans une internationale, ou on disparaît. Nin croyait lui-même être un marxiste révolutionnaire mais, étant marxiste national, il a mené le POUM[3] à la liquidation. Ses 30 ou 40 mille militants, où sont-ils de nos jours ? Par contre, les dix trotskystes espagnols affiliés à l'Internationale à la fin des années 30 se sont multipliés, ils existent.

Le trotskysme international est une réalité. Il est faible, avec une infinité d'erreurs, mais il existe grâce à la méthode, au programme et à l'organisation. Car il ne peut pas y avoir de programme dans l'abstrait, comme il ne peut pas y avoir un être humain avec un cerveau et sans corps. Résumons. Il ne peut pas y avoir un programme international sans un parti du même type.

La fondation de la LITQI est la plus urgente et la plus impérieuse de nos nécessités. Si nous ne la fondions pas, cela signifierait que le révisionnisme international est organisé, structuré dans le SU ou autour de Pablo et de Lambert, tandis que nous, les trotskystes orthodoxes, ne le sommes pas. Ce serait une façon de faciliter le triomphe du révisionnisme et d'assurer notre défaite, puisque, sans organisation centralisée, il n'y a aucune possibilité de mettre en échec nos ennemis révisionnistes et encore moins les grands appareils bureaucratiques.

  1. Henri Lefebvre (1901 - 1991), un sociologue français marxiste, a écrit Logique formelle, logique dialectique - A la lumière du matérialisme dialectique en 1940-41, alors qu'il était dans la Résistance. NdT
  2. En octobre 1980, l'OCI est devenue l'Organisation Communiste Internationaliste Unifiée (OCIU) après le ralliement de la Ligue communiste internationaliste (LCI, Daniel Gluckstein), dissidente de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, la section du SU en France). NdT
  3. Partido Obrero de Unificación Marxista (Parti ouvrier d'unification marxiste), né en 1935 de la fusion entre Izquierda Communista (Gauche communiste), parti d'origine trotskyste dirigé par Andreu Nin, et du Bloque Obrero y Campesino (Bloc ouvrier et paysan), dirigé par Joaquín Maurín, ces deux organisations provenant de scissions du Parti Communiste Espagnol. NdT