Interventions sur la question agraire et la situation économique au Ve congrès de l'IC

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Contributions de Varga au Ve Congrès de l’IC d’après le Compte rendu analytique publié à la Librairie de l’Humanité en 1924

  • Rapport sur la situation économique du monde (4e séance, 20 juin 1924)
  • Discours de clôture de la discussion du rapport (15e séance, 26 juin 1924)
  • Intervention sur la question agraire (25e séance, 3 juillet 1924)
  • Texte de la résolution III : SUR LA SITUATION ECONOMIQUE MONDIALE

1. Quatrième séance

Dans la salle Saint-André du Kremlin

(20 juin 1924)

Président : GESCHKE.

Orateur : VARGA.

La situation économique du monde[modifier le wikicode]

VARGA. — Les événements de ces trois dernières années ont confirmé l’idée fondamentale des thèses du IIIe Congrès à savoir que la société capitaliste se trouve actuellement dans une période de crise, avec alternances de hauts et de bas.

Il est difficile de définir ce qu’il faut entendre par période de crise du capitalisme. Je dirai qu’une période de crise est une période où les contradictions de la société capitaliste s’accentuent à tel point que l’unité de l’économie mondiale en est ébranlée, que la production, ascendante en capitalisme normal, reste stagnante ou se réduit, que, par conséquent, la bourgeoisie ne peut plus assurer au prolétariat un niveau d’existence convenable et que par suite la possibilité objective de luttes victorieuses pour le pouvoir est donnée. Les bourgeois et les social-démocrates prétendent que la crise serait déjà surmontée ou en voie de l’être. Cette conception est fausse. Probablement, la crise prendra dès cette année des formes particulièrement aiguës.

La production mondiale n’a pas encore en 1923, la meilleure année de l’après-guerre, regagné le niveau de 1913.

Quant à l’agriculture, il faut constater que la surface ensemencée est de beaucoup inférieure à celle de 1913 ; pour le froment en 1922, 17 % de moins, pour l’avoine 13 %, l’orge 24 %, le seigle 8 %. D’autre part, nous observons dans le coton, le caoutchouc et autres matières premières, une tendance consciente du capitalisme à réduire la production pour obtenir des profits plus élevés. Dans l’industrie lourde, la production du charbon atteint juste celle d’avant-guerre, tandis que le fer et l’acier en sont encore loin. La capacité de production de l’industrie lourde n’est point totalement utilisée. En Angleterre il n’y a que 194 hauts fourneaux sur 457 qui travaillent; en Amérique, seulement 270 hauts fourneaux sur 420 au début de l’année, 230 au mois de mai et en ce moment probablement pas plus de 200. En Allemagne l’industrie lourde a chômé durant toute l’année

C’est même une erreur de parler à présent d’une production mondiale et de la comparer avec celle d’autrefois. L’économie mondiale actuelle se divise avec une netteté assez remarquable en deux parties : l’Amérique et les colonies britanniques, où le capitalisme se trouve encore sur la courbe montante, et le vieux territoire industriel d’Europe où il subit une crise spéciale. Une part de plus en plus grande de la production totale est fournie par l’Amérique et une part de plus en plus petite par l’Europe. En 1913, l’Amérique donnait 40 % du fer, à présent 62 %; 42 % de l’acier, à présent plus de 60 %; 75 % du pétrole, maintenant 72 %. Par contre, en 1913, l’Angleterre produisit 10 200 000 tonnes d’acier, aujourd’hui seulement 7 600 000. En 1913, l’Allemagne produisit 19 200 000 tonnes d’acier, aujourd’hui 5 millions.

Un des signes les plus importants de cette crise est le chômage. Nous constatons ce fait curieux que dans les pays les plus importants, où pendant cette période l’économie capitaliste se serait soidisant assainie, le nombre des sans-travail est resté le même. On évalue aujourd’hui le nombre des chômeurs à 4 ou 5 millions. Ce sont les chiffres officiels, le chiffre réel est certainement encore plus élevé. Avant la guerre, le chômage était un phénomène passager, tandis qu’à présent il est devenu permanent. En Angleterre il y a des ouvriers qui chôment depuis trois ans et que le capitalisme a été incapable d’occuper même pendant la phase prospère qui vient de passer.

J’arrive maintenant à une question qui est discutée vivement, surtout dans le Parti allemand : l’accumulation.

Y a-t-il accumulation ? Nous devons faire la distinction entre l’accumulation de richesses et l’accumulation de capital. Des richesses sont des produits accumulés sous leur forme-nature, et le capital comprend la partie de ces richesses en la possession de capitalistes et servant à l’exploitation. On peut résoudre cette question en étudiant les sommes placées dans les caisses d’épargnes, les émissions, etc... Cependant à l’époque actuelle de la dépréciation de la monnaie, toutes ces observations sont très hypothétiques. En outre, l’interdépendance actuelle des sociétés par actions enlève presque toute possibilité de distinguer une nouvelle accumulation des différentes formes d’interpénétration des actions et du capital. Il est cependant certains critères, comme le bâtiment et la production de fer et d’acier. Or, d’après ces signes, nous nous apercevons qu’aux Etats-Unis il y a certainement eu accumulation de richesses, mais qu’on ne saurait en dire autant des pays européens. La crise des logements est passée à l’état aigu en Europe et le capitalisme a été incapable de faire revivre la construction de bâtiments. Il n’est donc pas capable d’une accumulation normale de richesses ou de capital. On accorde souvent à cette question une importance politique qu’elle ne mérite pas. Dans la Vie Ouvrière, le camarade Ollivier contestait l’opinion de l’Internationale Communiste sur la crise de l’économie mondiale. Pendant la guerre et l’avant-guerre, le capitalisme aurait tant accumulé qu’à présent il ne pourrait être question de crise. Il est naturellement possible que pendant une crise il y ait accumulation du capital et que des succès du prolétariat soient possibles, cette accumulation se poursuivant aux dépens des classes moyennes, ainsi que nous l’avons vu en Allemagne où, sur une richesse totale amoindrie, une part plus grande est passée aux mains des plus gros capitalistes. L’accumulation n’a donc pas eu lieu par acquisition de nouvelles valeurs, mais par expropriation de certaines catégories sociales. La situation était donc favorable au prolétariat autant qu’elle ruinait les classes moyennes.

Par contre la conception de quelques camarades allemands,, qui disent qu’il n’y aurait pas d’accumulation et que le sort du capitalisme serait déjà décidé est très dangereuse. Le capitalisme ne peut être renversé que par de grandes luttes pleines de sacrifices, même s’il ne peut plus accumuler. Le capitalisme, comme organisation servant à opprimer le prolétariat, peut durer même n’accumulant plus, si le prolétariat n’y met par la force un terme.

En observant la situation économique des trois dernières années, nous voyons les trois grands phénomènes nouveaux que voici : 1) la fin de toute économie capitaliste mondiale formant un tout ; 2) une crise spéciale des pays industriels d’Europe Occidentale au milieu de la crise générale et 3) la crise agraire.

Nous devons souligner l’existence de la Russie, république immense en dehors de l’économie capitaliste, où le gouvernement prolétarien est aujourd’hui si fermement assis que les adversaires les plus acharnés n’espèrent plus sa chute.

Il faut aussi remarquer l’absence d’une conjoncture unique mondiale. L’amélioration dans un pays est rachetée la plupart du temps par l’aggravation dans les autres pays. La haute conjoncture américaine est un phénomène isolé. Il est caractéristique que précisément à son apogée la balance commerciale des Etats-Unis était passive. L’économie capitaliste mondiale ne forme plus un tout. La France a également traversé une conjoncture spéciale, basée sur l’inflation lente et sur la nécessité de reconstruire les régions dévastées : lorsque la reconstruction sera achevée, cette prospérité cessera. Le mouvement des changes constitue un autre trait caractéristique de la décomposition de l’économie capitaliste. On parle beaucoup de la stabilisation du change en Autriche, en Allemagne et en Pologne, mais nombre d’autres pays sont entrés dans. la période de dépréciation de la monnaie. Il n’y a plus un seul pays en Europe dont le change soit au pair avec le dollar. On marche non pas à une amélioration, mais à une aggravation.

Un autre élément important est constitué par la stagnation du mouvement international des capitaux. Quoique le taux de l’intérêt soit monté en Europe à 40, 50, 6O, voire 100 %, au lieu de 2, 3 ou 4 % en Amérique, aucun capital n’afflue d’Amérique en Europe, parce que la sécurité des placements en Europe ne paraît pas suffisante. Voilà pourquoi l’or reflue aux Etats-Unis, où de telles réserves se sont déjà accumulées qu’on ne sait plus ce qu’il faut en faire. Les billets de banque sont déjà couverts par plus de 80 % d’or, et si cela continue rémission de billets ne sera plus lucrative. Cependant les monnaies européennes font les plus folles escapades, faute de couverture.

J’en viens à présent à la crise spéciale des pays industriels d’Europe Centrale. Ces pays vivaient de l’importation de produits alimentaires et de l’exportation de produits manufacturés. Cette possibilité d’exportation s’est de plus en plus réduite au cours des dernières dizaines d’années, à la suite de l’industrialisation-des pays d’outre-mer et de la crise agraire. Nous en effet tous les Etats s’efforcer d’avoir leurs industries à eux : même les colonies anglaises érigent des barrières douanières contre les produits industriels de l’Angleterre. Ainsi se rétrécit de plus en plus la base vitale des pays industriels d’Europe.

La crise agraire réduit encore davantage le pouvoir d’achat des pays agricoles pour les pays industriels.

La crise agraire est causée par le fait que dans presque tous les pays du monde, les prix des produits industriels sont de beaucoup supérieurs aux prix des produits agricoles. Ce phénomène fut observé d’abord en Russie et en Amérique. On pensait d’abord avoir affaire à un phénomène spécial à ces pays, mais on finit vite par se convaincre qu’il se répétait presque partout.

Une autre cause de la crise agraire est l’organisation des trusts pendant la guerre et l’aprèsguerre. Presque tous les produits industriels furent vendus à des prix artificiels de monopole, tandis que la liberté des prix reste entière dans l’agriculture, où il est impossible de réunir des millions de producteurs en cartels ou en trusts. Les « ciseaux » ne sont pas par eux-mêmes la crise agraire, mais ils la deviennent là où le taux des fermages, les intérêts et les impôts sont si élevés que les producteurs ne peuvent plus les payer vu les prix relativement bas des produits agricoles

Bien des fermiers ont quitté leurs fermes et beaucoup d’autres n’ont pu y rester que grâce aux banques qui préfèrent prolonger les crédits que de perdre toute leur créance par l’émigration des « farmers ». Mais en beaucoup d’endroits, ces banques ont fait faillite elles-mêmes.

La crise agraire est aussi très aiguë dans les Etats européens. Pendant un certain temps elle est demeurée cachée par l’inflation, qui permettait aux producteurs agricoles de payer leurs impôts, intérêts, etc... en monnaie se dépréciant à vue d’œil, mais, au moment de la stabilisation, cette crise agraire se révèle avec toute son acuité. Dans quelques pays il est possible que cette crise agraire ne soit qu’un phénomène passager. Les tarifs protectionnistes en Allemagne peuvent considérablement l’atténuer. La crise agraire est d’une très grande importance politique, car elle rapproche les paysans moyens et pauvres du prolétariat. Enfin une cause importante de la crise agraire est la crise de l’industrie : le fait qu’il y a toujours des millions de chômeurs et que les salaires sont réduits, aboutit à une réduction considérable de la vente des vivres.

Tous les phénomènes que j’ai cités pour caractériser l’économie capitaliste, nous mènent au résultat que les antagonismes de classe se sont très accentués. Je m’étonne que Hilferding dise la même chose. En quoi consiste cette accentuation ?

Premièrement, la concentration de la production, la centralisation des fortunes, la formation de trusts et de konzerns, fait des progrès exorbitants. En même temps, les classes moyennes ont été largement expropriées, surtout dans les pays d’inflation. L’abîme entre le petit groupe de capitalistes commandant et la petite et moyenne bourgeoisie devient de plus en plus profond. Une partie de plus en plus grande de la petite bourgeoisie est prolétarisée et tombe sous l’exploitation du capitalisme. Deuxièmement, parallèlement à ce processus, se poursuit un processus d’interpénétration des intérêts du grand capital des différents pays. D’un côté nous voyons l’alliance des Morgan avec Schneider, Stinnes ; d’autre part, Rockefeller et les groupes capitalistes de différents pays européens, dont la dépendance des Etats-Unis apparaît de plus en plus nettement.

Les perspectives. — Nous nous trouvons au commencement d’une des plus graves crises des

Etats-Unis. La crise était à prévoir, nous l’avons attendue déjà pour la fin de 1923. Toutes les informations que nous recevons d’Amérique disent que la production tombe avec une rapidité qu’on n’a jamais vue auparavant aux Etats-Unis. Le trust de l’acier par exemple travaillait en mars à 100 % de sa capacité et fin mai seulement à 60 %. Il y a un million d’automobiles non vendues ; l’industrie du bâtiment s’est réduite en mai de 23 % et à New-York même de 70 %, etc.., etc... Les produits industriels américains sont jetés à présent sur le marché européen et font la plus grande concurrence à l’industrie européenne, la crise actuelle ne manquera certainement pas de peser sur l’Europe. La bourgeoisie américaine n’a pas voulu croire à cette crise économique. Cet optimisme a entraîné même une partie du Parti Communiste. La crise devint matière à discussion entre les camarades américains. Le camarade Pepper était d’avis que la crise était actuelle, mais la majorité l’attendait pour plus tard. Cette majorité s’est basée sur un de mes rapports. Mais elle n’avait pas raison, ce rapport ne se rapportant qu’à l’année 1923 et ne pouvant être applicable à 1924.

Nous sommes d’avis que nous allons vers une crise mondiale générale. La social-démocratie le conteste de toute son énergie. Elle croit que la solution de la question des réparations conduira à l’amélioration de la situation européenne. Voilà pourquoi il est nécessaire que nous nous occupions en détail de ces questions de politique économique, qui sont en rapport avec la question des réparations.

On essaya d’abord d’extorquer à l’Allemagne des réparations en monnaie étrangère. Mais cette tentative aboutit à l’écroulement de la monnaie allemande, ébranla le capitalisme allemand jusque dans ses profondeurs et fit surgir le danger ou d’une révolution prolétarienne ou d’une réaction nationaliste. Il apparut que la question des réparations est insoluble par cette voie. Mais elle n’était pas seulement une question économique, mais aussi une question de puissance. Par les conditions des réparations, l’Allemagne doit être éliminée comme Etat indépendant et devenir la proie des grandes puissances impérialistes.

Deux conceptions s’affrontèrent : premièrement, celle de l’industrie lourde française, qui tendait à annexer la Ruhr et la rive gauche du Rhin économiquement et politiquement à la France, à créer un centre de l’industrie lourde en Europe Occidentale et à établir l’hégémonie de la France sur le continent européen.

Cette conception de puissance politique fut très dangereuse pour l’Angleterre, car elle pouvait aboutir non seulement à la supériorité militaire, mais à la supériorité économique de la France sur l’Angleterre. L’autre conception, celle de la Grande-Bretagne, comprenait que la supériorité militaire momentanée de la France privait l’Angleterre de la possibilité de s’opposer par la violence aux projets impérialistes de la France. Voilà pourquoi l’Angleterre se contentait de pousser l’Allemagne contre la France et la France contre l’Allemagne, de les affaiblir simultanément pour pouvoir ensuite dicter ses conditions. Cette politique devait aboutir sur les points essentiels à la victoire de la politique anglaise, car bien que la France eût vaincu militairement dans la Ruhr, où la résistance passive s’écroula prématurément grâce à la trahison de la bourgeoisie allemande, la France ne pouvait maintenir économiquement cette position. L’Angleterre voulait naturellement affaiblir aussi l’Allemagne. Dans le cas d’une réduction des charges des réparations, la bourgeoisie allemande devait faire en effet à l’industrie anglaise une formidable concurrence, la bourgeoisie allemande ayant pu se débarrasser de ses dettes intérieures pendant la période d’inflation.

Le rapport des experts constitue une tentative de la bourgeoisie alliée pour résoudre en commun la question des réparations. Il poursuit un double but : 1) empêcher la révolution prolétarienne ou une action de revanche nationaliste, laisser vivre la bourgeoisie allemande, mais 2) la laisser vivre de telle sorte que la bourgeoisie de l’Entente garde entre ses mains le contrôle de l’Allemagne afin d’empêcher une concurrence dangereuse de la bourgeoisie allemande. Ainsi l’Allemagne devient une colonie de la bourgeoisie alliée.

Politiquement, la défaite de la politique française et la victoire de la politique anglo-américaine constituent une coalition qui va de Morgan à Paul Lévi pour empêcher la révolution prolétarienne. Mais c’est la condition la plus essentielle de l’assainissement qui fera défaut, l’Allemagne ne pouvant exporter sans une forte crise de l’économie anglaise et française les marchandises nécessaires au paiement des réparations. Je ne crois donc pas que l’espoir de Hilferding soit justifié. Il est intéressant d’observer que ce sont justement les social-démocrates qui sont si optimistes. Et c’est naturel, la tâche des partis social-démocrates consistant à inciter les masses du prolétariat à renoncer aux moyens révolutionnaires. Cet optimisme n’est pas partagé par les milieux dirigeants économiques de l’Angleterre. Nous trouvons le plus noir pessimisme dans les affirmations des politiciens économiques dirigeants d’Angleterre. Parallèlement à ce pessimisme, nous voyons se ranimer en Angleterre, d’une part le malthusianisme et, d’autre part, « l’émigration aux colonies ». D’autre part, l’Amérique interdit cette dernière. Cela montre que la bourgeoisie des Etats-Unis ellemême n’espère pas que le relèvement se poursuivra de façon illimitée. Politiquement, cette interdiction de l’immigration constitue une coalition entre l’aristocratie ouvrière, les organisations fascistes et la grande bourgeoisie américaine, afin d’écarter des éléments ouvriers révolutionnaires ou accessibles aux idées révolutionnaires.

La social-démocratie tire des conséquences pacifistes de l’interpénétration des intérêts de la bourgeoisie internationale. Elle croit que cette interpénétration est tellement avancée que toute guerre est impossible à l’avenir. Mais c’est aussi inexact que l’hypothèse de Norman Angel avant la guerre mondiale. Il ne faut pas surestimer cette interpénétration. Elle est encore loin d’être assez avancée pour surmonter les antagonismes d’intérêts.

Pour résumer, nous pouvons indiquer les perspectives que voici pour les années 1924-1925 : de graves crises en Amérique et, en connexion avec elles, une aggravation de la situation économique en Europe ; la possibilité objective de luttes prolétariennes aboutissant à des succès. Si nous ne réussissons pas à unir les masses ouvrières, à reconstruire le Parti sur une base solide, à gagner les paysans à notre cause, cette possibilité objective peut passer. Dans ce cas, le capitalisme pourrait surmonter passagèrement la crise aux dépens du prolétariat. Il appartient au prolétariat de profiter de la possibilité de luttes révolutionnaires pour empêcher cette seconde éventualité.

(Applaudissements).

2. Quinzième séance

Dans la salle saint-andré du kremlin

(26 juin 1924, soir)

Président : wijnkoop

Discours de clôture[modifier le wikicode]

VARGA. — Les débats ont été presqu’entièrement consacrés aux questions politiques ; un très petit nombre d’orateurs s’est occupé de la question économique, et encore ont-ils parlé moins de la situation de fait que de la tendance, ce qui n’est pas judicieux, car la perspective ne saurait être découverte qu’après la mise en lumière des faits. On m’accuse de n’avoir pas fondé assez révolutionnairement mes conclusions : mais ni les faits sur lesquels je m’appuie, ni les conclusions que j’en tire ne sont faux.

Dans l’intervalle entre ma brochure, écrite en avril, et mon discours au congrès, de nouveaux faits sont apparus qui ont nécessité un approfondissement des perspectives. Chaque jour la crise s’aggrave en Amérique, en Allemagne, en Haute-Silésie et en Roumanie; en Angleterre même, la semaine dernière justement a marqué une recrudescence de chômage. C’est ce qui m’a déterminé à présenter dans mon rapport la crise capitaliste avec une nuance d’aggravation relativement à ma brochure.

Dunne m’impute une surestimation de la crise américaine. Or, les comptes rendus bourgeois accusent eux-mêmes une diminution de production qui a atteint dans la métallurgie par exemple 30 % en 2 mois. Je crois bien que jamais encore on n’a eu à enregistrer de crise aussi grave. Toutefois cette crise américaine revêt des aspects très spéciaux. Ordinairement chaque début de crise économique est accompagné d’une crise monétaire : mais ce n’est pas le cas présentement. Le marché monétaire reste absolument normal. Le capitalisme surmonte la crise aux dépens au prolétariat, en réduisant la production et non les prix.

Wijnkoop a dit que l’Europe Centrale et les Balkans deviennent des colonies de l’Europe Occidentale. Cette conception est fausse. Il y a entre l’Angleterre et la France impérialiste une concurrence acharnée pour la domination de l’Europe. Les réparations ne sont au fond que cette question : l’Allemagne deviendra-t-elle une colonie de la France, de l’Angleterre ou bien de l’Amérique ? Il ne s’agit donc pas d’Europe occidentale ; il s’agit d’un corps à corps entre les grandes puissances impérialistes pour l’hégémonie en Europe Centrale. L’industrie lourde, les banques et le militarisme de France veulent une Allemagne démembrée comme avant 1870. Toute la guerre de la Ruhr s’est achevée par la victoire militaire des Français. La faiblesse économique de la France, dont une preuve est la crise du franc, a cependant contraint sa bourgeoisie à renoncer aux fruits de sa victoire militaire et à se subordonner à la politique anglo-américaine.

C’est Dengel qui s’est occupé le plus en détail de mes thèses.[1]

Il a dit que la droite seule est d’accord avec elles : pourtant la délégation russe les a acceptées en principe. Il trouve leur tendance fausse. Il s’agit, me semble-t-il, de savoir si un capitalisme « normal » peut se rétablir. Au cours de ces cinq dernières années, nous avons vu d’abord, immédiatement après la guerre, la bourgeoisie reculer sur toute la ligne devant le prolétariat. Deux ans après, commençait l’offensive du capital. Mais les antagonismes se sont accentués au sein du capital : la décision des experts a été prononcée en faveur du petit groupe des plus gros capitalistes. Une grave crise agraire sévit sur le monde entier et il y a en Occident une crise spéciale déterminée par l’industrialisation des pays agricoles. Cependant, politiquement, le capitalisme s’est consolidé. Ce serait une utopie que de nier toute possibilité pour lui de surmonter la crise.

Dengel a déclaré que je suppose, comme Kautsky, une époque superimpérialiste dans laquelle les contradictions du capitalisme sont si énormes qu’elles s’annihilent. Est-il possible que les antagonismes entre grandes puissances impérialistes cessent ? Oui, cela est possible. La guerre mondiale a supprimé trois grandes puissances sur 7 : la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne. On peut penser qu’au cours de la prochaine guerre, une ou deux puissances seront de nouveau jetées par-dessus bord et dégradées au niveau d’objets de la politique impérialiste. Il n’y a rien de contraire au marxisme à supposer qu’une seule puissance impérialiste ou l’impérialisme anglo-américain unifié puissent se soumettre le reste du monde de façon à rendre impossible toute guerre. Si Dengel entend le superimpérialisme de cette façon et nie sa possibilité, je ne lui donnerai jamais raison.

Dengel estime très dangereux pour l’internationale Communiste d’accepter ce point de vue.

Bien au contraire. Si une tendance du capitalisme à se raffermir est constatée, ce serait trahir les intérêts du prolétariat que de la taire. Je ne veux pas dire que le capitalisme tend à s’assainir, mais je dis énergiquement que, si une telle perspective était là, il serait dangereux de ne pas l’enregistrer. Dengel appartient au nombre des antiléninistes de ce qu’on appelle la gauche allemande, bien qu’il se soit prononcé contre elle. On le voit par cette imputation de « volontarisme » : j’accorde, dit-il, une trop grande importance à la volonté de lutte du prolétariat. Mais ne serait-ce pas une contradiction de condamner la droite pour n’avoir pas voulu combattre dans une situation révolutionnaire, et d’autre part, de me reprocher de souligner que la volonté de lutte du prolétariat est un facteur indispensable de sa victoire ?

Dengel voit une contradiction en ce que je parle d’une part de la tendance des pays capitalistes à s’isoler et d’autre part de l’enchevêtrement international des intérêts capitalistes. Il n’y a pas là la moindre contradiction. La bourgeoisie de chaque pays aspire à s’assurer le monopole du marché intérieur et s’entoure d’une haute barrière de douanes. Le capital étranger, qui jusque là avait livré telle ou telle marchandise à ce pays, réduit tout naturellement la production de ces articles. L’organe théorique du parti allemand a publié ces derniers temps de nombreuses attaques contre moi. Elles se réduisent dans leur essence à me reprocher de n’avoir pas dressé une théorie de la période de crise aussi claire que celle du marxisme appliqué au capitalisme normal. Je dois relever que personne n’a encore bâti cette théorie. Marx et Engels avaient étudié 20 ans le capitalisme et seulement après 20 ans d’observation ils ont écrit leur Capital. Maintenant que le capitalisme s’est grandement compliqué, il est naturellement encore moins possible d’exiger une théorie improvisée. Les camarades qui me font des reproches n’ont rien donné de positif, pas la moindre tentative d’analyse réelle.

Permettez-moi pour finir de toucher une question dont il n’a pas du tout été parlé. Il y a cinq ans, il y avait, outre la Russie, un autre pays fermement prolétarien : la Hongrie. La dictature prolétarienne en Hongrie a tenu 4 mois et demi. Or le prolétariat hongrois n’est pas représenté au Congrès. Il n’y a pas de Parti Communiste hongrois. Ce fait n’est pas dû à la carence de l’émigration ni à un mauvais fractionnement. Tout au contraire : il y a des fractions parce que nous n’avons pas réussi à créer en Hongrie un mouvement viable. C’est un fait qui mérite d’être soupesé, car il existe là-bas un fort mouvement ouvrier. Les syndicats hongrois sont les seuls au monde dont l’effectif ait augmenté ces trois dernières années. La vérité est que la dictature hongroise s’est faite avant la création organique d’un Parti Communiste. La bourgeoisie a senti ce que c’était que la dictature prolétarienne : aussi les persécutions de la réaction contre les communistes ont-elles acquis une violence particulière. La tâche du Parti hongrois est exceptionnelle dans l’histoire : après la dictature, reprendre par le commencement la création d’un parti communiste, à travers la terreur et l’illégalité. Le temps est venu d’aborder franchement cette question. Il serait bon que le Congrès charge l’Exécutif de faire un effort énergique pour surmonter les divergences de fractions au sein du Parti hongrois.

Le mouvement ouvrier fondra ces fractions en un bloc ayant un seul et même but : poser les fondements d’un vrai Parti Communiste hongrois. Une fois ces premières mesures prises, les semences révolutionnaires laissées dans les masses par la dictature lèveront rapidement et le Parti Communiste hongrois acquerra la grandeur et la force qu’il a méritées par son passé.

(Applaudissements.)

3. Vingt-cinquième séance

Dans la salle saint-andré du kremlin

(3 juillet 1924)

Président : smeral.

La question agraire[modifier le wikicode]

VARGA. — L’Exécutif m’avait chargé de rédiger un grand ouvrage sur la question agraire. Le premier fascicule vient de paraître. Mais la qualité de mon travail a souffert du peu d’intérêt témoigné à son égard par les militants. Je prie les camarades présents de me faciliter la composition des fascicules suivants en m’envoyant des matériaux, en me faisant part de leurs critiques et de leurs conseils.

Le paysan est dénué d’esprit de classe. Dans l’industrie, nous voyons nettement se différencier entre eux le salarié, le contremaître, le capitaliste, tandis que dans l’agriculture on passe d’une catégorie à l’autre imperceptiblement. La cause en est que le principal moyen de production, c’est le sol lui-même, qu’on peut partager sans porter atteinte à la production, tandis que dans l’industrie la fragmentation d’une grosse entreprise, ou au contraire, l’agrandissement d’un atelier jusqu’aux dimensions d’une usine gigantesque sont techniquement impossibles. Il faut étudier les faits agricoles beaucoup plus en détail que l’industrie si nous voulons atteindre des résultats meilleurs. Que doit faire le Parti Communiste si, dans un pays capitaliste, un fort mouvement paysan s’amorce pour prendre possession d’une partie des terres des gros propriétaires? Doit-il observer la neutralité ou soutenir ce mouvement ? Je suis d’avis que, comme il est dit dans les thèses du IVe Congrès, le mouvement doit être soutenu par les communistes, qui doivent porter plus loin les revendications paysannes. Par exemple, si le paysan exige une répartition des terres pour un prix modique, le Parti Communiste doit dire :

« Nous vous soutenons, mais nous formulons la revendication plus large de la confiscation du sol et de sa répartition gratuite aux paysans. »

L’extrême-gauche nous dit qu’une fois les paysans bien lotis, ils cesseront d’être un élément révolutionnaire. — Evidemment, l’idéal serait que les révolutions paysanne et prolétarienne coïncident et que les paysans reçoivent gratis leur terre de la dictature prolétarienne.

Mais nous devons assumer ce risque de voir les paysans atteindre leur but avant la prise du pouvoir par le prolétariat, car il nous est impossible de gagner la paysannerie en refusant de faire droit à ses revendications foncières. C’est seulement en marchant avec les paysans et en révolutionnarisant leurs revendications, que nous pouvons espérer faire agir en notre sens les forces révolutionnaires latentes qui résident au sein de la paysannerie.

4. Résolution [rédigée par Varga]

Sur la Situation économique mondiale[modifier le wikicode]

I. L’offensive du capital — continuation de la crise[modifier le wikicode]

1) Entre le IIIe Congrès, qui a adopté les dernières thèses sur la situation économique mondiale, et le Ve Congrès, la bourgeoisie a réussi à terminer presque partout victorieusement son offensive contre le prolétariat. Les concessions que, d’accord avec les chefs social-démocrates, elle avait faites au prolétariat immédiatement après la fin de la guerre pour calmer les masses révolutionnaires, ont été retirées avec l’appui ouvert des chefs social-démocrates et syndicaux. Le niveau d’existence du prolétariat a partout été abaissé; la journée de huit heures est effectivement supprimée dans la plupart des pays; à l’usine, le pouvoir absolu du capitalisme est rétabli.

2) La tactique de la bourgeoisie a varié selon les-pays. Là où les chefs opportunistes jouissent encore d’un prestige solide dans le prolétariat, là où les masses conservent encore l’illusion de pouvoir améliorer leur situation au sein du capitalisme et par les moyens pacifiques habituels : grèves, démocratie parlementaire, la bourgeoisie a employé les vieux procédés démocratiques par lesquels elle couvrit sa dictature : lockouts, lois et décrets. Mais même là (Norvège, Angleterre, etc.), l’exaspération des antagonismes sociaux a exaspéré également les méthodes de la dictature bourgeoise. De longs chômages et l’inflation ont épuisé les caisses de secours des syndicats. En face des organisations du patronat, de plus en plus fermement organisé en konzerns, les vieilles méthodes de lutte isolée et pacifique de syndicats isolés devaient nécessairement échouer, même si la bourgeoisie syndicale avait sincèrement voulu la lutte. Dans quelques pays (Angleterre, Danemark, Australie), la bourgeoisie va jusqu’à confier le gouvernement, complètement ou partiellement, aux chefs des partis « ouvriers », jusqu’à faire exercer la dictature bourgeoise par les chefs des partis ouvriers réformistes.

3) Là où le mouvement ouvrier a pris des formes révolutionnaires et où l’influence des chefs social-démocrates, agents de la bourgeoisie, — comme Lénine les appela justement toujours, — ne suffit plus à maintenir la classe ouvrière sous le joug, la bourgeoisie a eu recours à la terreur : coups de main militaires, comme en Bulgarie et en Espagne; exploitation, contre le prolétariat, de l’esprit de révolte des classes moyennes ruinées (le fascisme en Italie), ou combinaison des deux moyens, comme en Allemagne. Le fascisme et la social-démocratie sont, de la même façon, les instruments des classes dirigeantes contre le prolétariat révolutionnaire. La social-démocratie bulgare a participé, en alliance déclarée avec une bande d’officiers, à la lutte contre le prolétariat révolutionnaire et contre les paysans pauvres. Ailleurs, en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis, la social- démocratie combat en apparence le fascisme, mais elle collabore en réalité avec lui contre le prolétariat révolutionnaire (D’Aragona et Mussolini en Italie; consentement de la social-démocratie au renversement du prolétariat en Saxe et en Thuringe; grande coalition en Prusse; Gompers et la Légion américaine aux Etats-Unis).

4) Les succès de l’offensive du capital contre le prolétariat révolutionnaire, la « haute conjoncture » aux Etats-Unis, la décroissance du chômage en Angleterre, la stabilisation provisoire du change allemand, autrichien et polonais, donnent aux social-démocrates, laquais de la bourgeoisie, la possibilité de proclamer que la crise du capitalisme est surmontée, qu’une nouvelle période de prospérité commence. C’est pourquoi, selon eux, les méthodes révolutionnaires proposées par les Partis Communistes sont fausses et pourquoi le sort du prolétariat peut être amélioré par les moyens pacifiques.

Cependant, un examen approfondi de l’histoire économique de ces trois dernières années, ainsi que l’état actuel du capitalisme dans le monde, prouvent que la conception fondamentale du IIIe Congrès de l’internationale Communiste était juste. L’ébranlement de l’économie capitaliste a fait, dans maints pays essentiels, des progrès considérables. L’offensive du capital peut soulager provisoirement certains Etats capitalistes ou certains groupes de capitalistes, mais cela ne fait qu’aggraver les antagonismes entre ces Etats et ces groupes. Dire, comme les réformistes, que le capitalisme est en hausse et que, par suite, le sort du prolétariat peut être amélioré par des moyens pacifiques à l’intérieur du capitalisme, cela est une erreur.

II. La période de crise — désagrégation de l’économie mondiale[modifier le wikicode]

Pas de conjoncture d’ensemble[modifier le wikicode]

5) En capitalisme « normal », la production des pays capitalistes s’accroît beaucoup plus rapidement que la population. La production de 1923, l’année la meilleure d’après-guerre, année de haute conjoncture dans l’Etat capitaliste le plus important, les Etats-Unis, atteint à peine le niveau d’avant-guerre. L’industrie métallurgique, la plus caractéristique pour le capitalisme moderne, n’en est pas encore là. Dans le vieux centre du capitalisme, l’Europe, ce sont toutes les branches qui sont encore loin d’avoir retrouvé les chiffres d’avant- guerre. L’outillage, agrandi pendant la guerre, reste en grande partie inutilisé. Le bâtiment, forme typique de l’accumulation des richesses réelles, est arrêté dans toute l’Europe.

6) Le chômage, dans tous les pays capitalistes, n’est pas moins grand qu’il y a trois ans. S’il décroît dans un pays, il croît dans un autre. Il ne s’agit plus d’une « armée de réserve du travail » au sens d’autrefois, mais d’une armée de chômeurs permanents que même une bonne conjoncture ne réussit pas à résorber complètement.

7) Il n’y a plus d’économie capitaliste mondiale homogène.

La Russie soviétique, un sixième de la terre, est définitivement perdue pour le capitalisme. Les pays capitalistes, jusqu’aux petits pays de l’Europe balkanisée, entravent entre eux la circulation économique par des douanes prohibitives et des interdictions d’importation et d’exportation. L’équilibre capitaliste mondial est fondamentalement dérangé. Nombre de pays consomment, en permanence ou pour un temps, plus qu’ils ne produisent. Le centre de gravité de l’économie capitaliste se déplace toujours davantage vers l’Amérique. Un torrent ininterrompu d’or afflue aux Etats-Unis. La réserve d’or des Etats européens a tellement diminué que le rétablissement d’une monnaie à base d’or apparaît presque impossible, même au point de vue technique. La monnaie or est remplacée par le papier-monnaie, exposé à des oscillations sans bornes. L’afflux et le reflux du capital d’emprunt d’un pays capitaliste dans l’autre n’a plus lieu. En Angleterre, le taux de l’intérêt est de 3 en Allemagne de 50 %. A la place du mécanisme relativement ferme et facile à pénétrer du capitalisme normal, c’est une insécurité générale. Au lieu de produire et de calculer, on s’adonne au jeu et à la spéculation.

8) Les phases de prospérité et de crise n’alternent plus simultanément dans tous les pays.

Chacun a sa conjoncture particulière et l’amélioration de la situation économique dans un pays est rachetée par une aggravation dans un autre. Dans un même pays, on passe d’une crise de vente pendant la stabilisation passagère de la monnaie, à une conjoncture de liquidation facile à la première chute du change.

9) Le meilleur exemple de la marche irrégulière de la conjoncture est la haute conjoncture que les Etats-Unis viennent de connaître. Les premiers signes d’amélioration se montraient déjà vers le milieu de 1921. La courbe monta sans discontinuer jusqu’en avril 1923. A partir de cette date, elle descendit lentement, sauf améliorations passagères, jusqu’à ce que, vers la fin d’avril 1924, se produisit le revirement définitif. La haute conjoncture américaine touche visiblement à sa fin; la crise est là.

La prospérité des Etats-Unis fut réelle. La production dépassa de beaucoup celle d’avant-guerre. A son apogée, il n’y eut pas de chômage. Il y eut une forte accumulation s’exprimant par l’augmentation de l’appareil de production, par une activité inouïe du bâtiment, par une multiplication fabuleuse des automobiles, etc...

10) Mais cette prospérité reste entièrement limitée aux États-Unis (seules les colonies anglaises y participèrent dans une faible mesure). Elle était fondée exclusivement sur la capacité d’achat du marché intérieur ; la construction de bâtiments pour rattraper le temps perdu pendant la guerre et le renouvellement d’un immense matériel de chemin de fer y jouèrent un rôle important. La haute conjoncture américaine resta sans rapport avec les phénomènes qui se produisirent dans les autres parties du monde capitaliste. Les exportations diminuaient, la capacité d’achat du marché intérieur était si grande qu’au printemps de 1923, les Etats-Unis eurent durant quatre mois une balance commerciale passive. Mais l’importation accrue de marchandises européennes et la diminution de la concurrence américaine sur le marché mondial ne suffisaient pas à étendre à l’Europe la haute conjoncture.

III. La crise particulière à l'Europe occidentale[modifier le wikicode]

11) La haute conjoncture américaine a passé presque sans laisser de traces en Europe.

L’influence de la crise en Europe était si forte qu’elle en supprimait totalement les effets. Il y a une crise spéciale traversée par les pays industriels d’Europe.

Cette crise est due : 1) à l’industrialisation des pays autrefois fournisseurs de matières premières et de produits alimentaires et acheteurs de produits industriels; 2) à la politique protectionniste des Etats qui veulent assurer un marché intérieur à leur industrie. Les pays industriels d’Europe ne trouvent plus de marché pour leurs marchandises d’exportation, d’où crise de vente chronique et chômage. Le chômage à son tour réduit le pouvoir d’achat du marché intérieur. Ainsi l’économie européenne se traîne dans un cercle vicieux.

12) L’Angleterre est le pays qui possède la plus petite base agraire et qui dépend le plus de l’exportation de ses produits industriels, pour pouvoir importer les matières premières et les produits alimentaires nécessaires. Voilà pourquoi la crise s’y manifeste sous la forme d’une crise des industries d’exportation : textile, construction de machines et de navires. Le chiffre officiel des sanstravail, quoique en diminution depuis assez longtemps, dépasse toujours un million. Le chiffre réel est plus élevé encore de quelques centaines de milliers. Le chômage se concentre toujours dans les industries d’exportation. Les efforts de la bourgeoisie anglaise et les impôts très forts qu’elle paye ont réussi à rétablir le budget et à reconquérir à la livre sterling sa position dominante dans le monde. Mais aucune mesure de politique économique n’a pu venir à bout de la crise des industries d’exportation. Même la réduction des salaires, ramenés dans ces branches d’industrie à niveau de beaucoup inférieur à celui d’avant- guerre, n’a rien changé à la situation. L’amélioration de 1923 était due principalement à la réduction de la production de l’industrie lourde en Allemagne, en France et en Belgique, par suite de l’occupation de la Ruhr.

13) La France a moins souffert de la crise que les autres pays industriels d’Europe. Elle disposait d’un débouché particulièrement assuré pour son industrie : la reconstruction des régions dévastées. Elle a subi à la guerre de grandes pertes d’hommes, qu’elle ne remplace que fort difficilement, vu la stagnation de la natalité. Voilà pourquoi le chômage est insignifiant en France. Au contraire, les ouvriers étrangers y trouvent du travail. La reconstruction cependant s’est faite essentiellement aux dépens des classes expropriées par l’inflation, la dette publique accrue sans interruption et le franc tombé à un cinquième de sa valeur nominale. Cela prouve que la situation de l’économie française est très favorable. La base économique du pays ne peut supporter son ambitieuse superstructure politique.

14) L’Allemagne a traversé une série de crises propres. A la conjoncture de vente facile de 1921, succède la première crise de stabilisation au printemps de 1922. Cette crise cède la place à une nouvelle conjoncture d’inflation. L’occupation de la Ruhr paralyse la région industrielle la plus importante. La bourgeoisie allemande et, avant tout l’industrie lourde, ont employé l’inflation à piller les classes moyennes et à réduire au minimum le salaire réel jusqu’au jour où la crise sociale ainsi provoquée (refus par le paysan de livrer ses produits à la ville, arrêt de la circulation, explosions spontanées de désespoir), les força à créer une nouvelle monnaie. Le prolétariat une fois réprimé par la force, on pratique à ses dépens la stabilisation du mark. Cette opération entraîna une crise violente que les capitalistes exploitent systématiquement contre le prolétariat. Ils ont profité de la défaite d’Octobre pour raffermir leurs positions, arrêtant les entreprises, renvoyant en masse les ouvriers, chassant des usines les éléments révolutionnaires. Au début de l’année plus de la moitié des ouvriers étaient sans travail ou au travail réduit. Les capitalistes se dédommagent de la perte des bénéfices de l’inflation en allongeant la journée de travail et en diminuant les salaires.

Cette tentative de restauration capitaliste de l’économie allemande au moyen d’une monnaie stable et aux dépens du prolétariat a paru dans les premiers mois de 1924 devoir réussir. La stabilisation du mark mit un frein à la dépossession des classes moyennes et améliora la condition des ouvriers occupés. Il s’ensuivit un relèvement de la capacité d’achat. La production reprit. Le chômage baissa sensiblement.

Cependant, le succès est compromis par l’écart grandissant entre les prix agricoles et industriels, le pouvoir d’achat diminué de l’agriculture, la cessation des exportations, les grands conflits s’étendant à toutes les branches, enfin les lourdes charges prévues dans le projet des experts. Le manque de crédit, l’écroulement des grandes entreprises, la disette de capitaux, témoignent de l’extrême faiblesse de l’économie allemande.

15) Les autres Etats européens qui ont une industrie vivant de l’exportation (Belgique, TchécoSlovaquie, Autriche, Pologne) souffrent pareillement de la crise industrielle, proportionnellement à leurs besoins d’exportation. La période de crise s’exprime en outre par une crise agraire embrassant le monde entier. Les prix des produits agricoles sont considérablement tombés par rapport aux prix des produits industriels. Les producteurs agricoles se voient hors d’état de payer leur fermage, les intérêts de leurs dettes et leurs impôts. Ils sont obligés par millions de quitter leurs champs et de gagner leur pain comme salariés. La chute des prix est particulièrement forte pour les céréales, moins pour le bétail, tandis que les matières premières de l’industrie textile atteignent des prix considérables. La crise agraire est le plus accentuée aux Etats-Unis et dans quelques colonies anglaises. Mais aussi l’agriculture continentale, surtout celles des pays protégés avant la guerre par de fortes taxes protectionnistes (Allemagne, Tchécoslovaquie, Italie et France), en souffre considérablement.

IV. La crise agraire[modifier le wikicode]

16) La cause de ce phénomène n’est pas une surproduction absolue. Bien que la population du globe se soit fortement accrue au cours des dix dernières années, malgré la guerre mondiale, la surface ensemencée et la production agricole sont moins élevées qu’avant la guerre.

La cause en doit être recherchée avant tout dans la crise générale du capitalisme. Le chômage permanent et la diminution des salaires réels réduisent la consommation alimentaire. (En Allemagne, par exemple, la consommation annuelle de blé est tombée par tête d’habitant de 239 kilos en 1913 à 150 kilos en 1923 ; la consommation de viande de 46 à 25 kilos). D’autre part, le capital groupé en cartels, trusts, konzerns monopolisateurs, empêche plus que jamais une réduction des prix industriels, seul moyen de diminuer l’écart. Le pouvoir d’achat de la population agricole se trouvant réduit partout, la crise agraire accentue ainsi à son tour la crise des pays industriels d’Europe.

V. La crise de la politique économique[modifier le wikicode]

Autonomie économique ou intégration internationale, protectionnisme ou libre-échange, inflation, dettes interalliées[modifier le wikicode]

18) Le capitalisme s’est montré incapable de résoudre les grands problèmes économiques internationaux.

Tous les Etats, à l’exception de l’Angleterre, s’efforcent de se suffire à eux-mêmes. Des tarifs douaniers très élevés, des interdictions d’importation et d’exportation entravent les échanges internationaux. Les pays autrefois agricoles et producteurs de matières premières, tant les Etats indépendants que les colonies anglaises (y compris les Indes), s’efforcent de protéger leur industrie nouvellement éclose par des barrières douanières. Les petits Etats de l’Europe balkanisée se ferment les uns aux autres. Outre les rivalités économiques de la bourgeoisie, la question des préparatifs de guerre joue un rôle prédominant : chaque Etat s’efforce de produire à l’intérieur de ses frontières la plus grande part possible des objets nécessaires à la conduite de la guerre. Comme contre-tendance en face de cet isolement, nous voyons de plus en plus une subordination économique de l’Europe continentale à l’influence anglo-américaine.

19) Jusqu’ici, l’Angleterre fait exception. La tentative de la Conférence d’Empire pour former, à l’aide de tarifs d’exception réciproques, un Empire britannique se suffisant à lui-même, a échoué partiellement grâce à la résistance des colonies, qui ne veulent pas sacrifier leur jeune industrie à l’Angleterre. Mais elle a échoué aussi à cause de la nécessité qui en serait résulté d’imposer l’importation des produits comestibles, d’où élévation des salaires et diminution de la capacité de concurrence de l’industrie anglaise sur le marché mondial. C’est pourquoi la bourgeoisie anglaise s’en tient pour le moment au libre-échange, tandis que l’Empire marche rapidement à sa ruine grâce au détachement progressif des colonies à population d’origine anglaise et au mouvement révolutionnaire des peuples coloniaux opprimés.

20) La bourgeoisie s’est montrée également incapable de résoudre le chaos monétaire. Il semble que dans certains Etats d’Europe, en Allemagne, en Pologne, en Autriche, après une pression sans exemple dans l’histoire, on soit arrivé pour le moment à stabiliser la monnaie à un niveau très bas, quoique cette stabilisation repose sur une base économique très faible. D’un autre côté, plusieurs monnaies regardées jusqu’ici comme stables — le yen, la peseta, la couronne norvégienne ou danoise — commencent à entrer dans le processus de dépression. Le franc français a, pendant un mois, accusé des oscillations de 50 %. La livre sterling qui, au commencement de cette période, avait atteint la parité de l’or moins 3 ou 4 %, a de nouveau un disagio de 10 %. Tous les projets de création de monnaie stable ont échoué devant le conflit des intérêts entre classes diverses de chaque pays ou entre bourgeoisies de différents pays.

21) Les différentes catégories de la bourgeoisie ne peuvent adopter une politique commune au sujet du change. Théoriquement, tout le monde est d’accord que la stabilisation de toutes les monnaies au niveau actuel serait très favorable pour le capitalisme. Mais la bourgeoisie des pays à monnaie appréciée regarde avec envie et crainte la bourgeoisie des pays, et en premier lieu de l’Allemagne, qui, par une dépréciation extraordinaire, ont été libérés de leurs dettes publique et privée et n’ont plus à nourrir aux dépens de la production une classe improductive de rentiers. Des milieux influents de la grande bourgeoisie travaillent ouvertement ou secrètement en Angleterre et en France en faveur d’une inflation, qui ramènerait l’égalité de la concurrence avec l’Allemagne..

22) Le problème des dettes interalliées reste jusqu’ici insoluble. Il n’y a que l’Angleterre qui ait commencé le paiement des intérêts et l’amortissement de sa dette envers l’Amérique. Mais l’expérience montre que cette solution est également nuisible à l’Angleterre et aux Etats-Unis. Elle augmente la réserve d’or de l’Angleterre pour les marchandises américaines et entrave la stabilisation de la livre. L’annulation réciproque des dettes se heurte à de profondes contradictions et rivalités pour l’hégémonie politique entre les différentes puissances de l’Entente.

VI. La question des réparations et les conflits internationaux — la situation en Russie soviétique[modifier le wikicode]

23) La question des réparations reste insoluble. La tentative faite par l’Allemagne pour payer les réparations en monnaie étrangère, sans se soucier des répercussions sur le cours du mark, a ébranlé de fond en comble la monnaie allemande et toute l’économie capitaliste. Par là, les antagonismes sociaux ont été, en Allemagne, tellement accrus, que le danger de révolution sociale ou de coup d’Etat nationaliste est devenu immédiat.

La rivalité des grandes puissances impérialistes pour l’hégémonie politique : France, Angleterre, Etats-Unis, ainsi que l’opposition aiguë des différentes classes au sein de chacun de ces Etats, ont empêché jusqu’ici toute tentative d’intervention concertée dans la question des réparations.

24) Le plan de l’industrie lourde et des militaristes de France prévoyait l’annexion politique et économique de la rive gauche du Rhin et du bassin de la Ruhr ; la séparation de l’Allemagne du Sud et de l’Allemagne du Nord ; l’extension de l’hégémonie continentale française sur l’Allemagne ainsi morcelée ; la garantie à l’industrie française du charbon et du coke nécessaires, ainsi que d’un débouché en Allemagne pour ses produits métallurgiques.

Cette solution aurait fait de l’Allemagne une colonie française. La supériorité militaire de la France par rapport à l’Angleterre et son armement plus perfectionné (sous-marins, aviation) auraient encore été consolidés par l’annexion de la Ruhr et de ses grandes usines chimiques. L’occupation violente et l’opération de rapine de la Ruhr étaient une tentative pour réaliser ce programme impérialiste.

25) La supériorité militaire momentanée de la France mettait l’Angleterre hors d’état de s’opposer par la force à ce plan impérialiste. L’Angleterre se contenta de soutenir ouvertement et secrètement l’Allemagne dans sa résistance passive, dans l’espoir que les deux adversaires sortiraient tellement affaiblis de la lutte économique qu’ils seraient tous les deux obligés de se soumettre à ses conditions.

26) L’Angleterre appréhende également la restauration économique de l’Allemagne et la prédominance militaire de la France. Une réduction des charges des réparations à un niveau facile à porter ferait reparaître la concurrence allemande, sa plus dangereuse rivale sur le marché mondial. Le sens économique de la guerre serait perdu pour l’Angleterre. C’est pourquoi la politique anglaise ne veut nullement libérer l’Allemagne du fardeau des réparations, mais au contraire l’asservir économiquement afin de l’empêcher de tomber sous l’hégémonie impérialiste de la France.

27) La bourgeoisie des Etats-Unis dans son ensemble, par suite de la période de prospérité, n’a eu aucun besoin de s’immiscer dans les affaires européennes. Le fait que cette période de prospérité a pu se développer, malgré l’état chaotique de l’Europe, était une raison de plus pour s’isoler de l’Europe malade. En faveur d’une participation à la solution du problème des réparations, c’est-àdire au pillage du prolétariat allemand, se déclarèrent les groupes suivants : une partie de la bourgeoisie industrielle qui, par crainte de la contagion communiste, voulait éviter le contact des immigrants avec les ouvriers américains corrompus par Gompers et Cie, et exploiter la classe ouvrière européenne et particulièrement la classe ouvrière allemande non pas en Amérique en tant qu’immigrants, mais chez elle en Allemagne ; le capital bancaire, et en premier lieu le trust Morgan, qui voulait accorder de larges emprunts et obtenir le contrôle de toute l’industrie métallurgique allemande ; enfin les paysans, qui attendaient un assainissement de l’Allemagne et de l’Europe une hausse des produits de consommation. La fin de la phase de prospérité et la nécessité d’écouler sur le marché mondial le superflu des produits manufacturés américains augmentent l’intérêt qu’a l’Europe pour la bourgeoisie américaine et la participation à l’exploitation de l’Allemagne paraît maintenant plus désirable à celle-ci.

28) La guerre de la Ruhr s’est terminée par la capitulation de l’Allemagne, après que la bourgeoisie allemande, au lieu de consentir des sacrifices, eut profité de la résistance passive pour s’enrichir en pillant le trésor public. Les grands industriels de la Ruhr et du Rhin ont été contraints par la France à accepter les lourdes charges des contrats avec la M. I. C. U. M., moyennant quoi ils s’assuraient le concours des autorités d’occupation pour l’exploitation renforcée des ouvriers. Poincaré avait enfin en mains les « gages productifs » si souvent réclamés.

Mais la France s’est montrée trop faible pour profiter de sa victoire. La chute rapide du franc dans l’hiver de 1924 la força à recourir à l’aide du capital bancaire anglais et américain. Elle dut renoncer à la solution « française » de la question des réparations et au morcellement de l’Allemagne et se résigner à une nouvelle solution internationale répondant aux intérêts de l’Angleterre et de l’Amérique. La victoire du Bloc des gauches aux élections montre que les petit-bourgeois et les paysans français désirent avant tout une reprise du franc et non une politique impérialiste.

29) Le rapport des experts constitue une tentative de la bourgeoisie des puissances impérialistes pour arriver à une solution commune du problème des réparations. Ce rapport biffe l’Allemagne du nombre des Etats indépendants et la place sous la surveillance financière et économique de l’Entente. Le système exposé dans ce rapport en ce qui concerne le paiement des réparations doit protéger le mark contre une nouvelle chute catastrophique et l’Europe contre le danger d’une révolution prolétarienne. La métallurgie française recevra le combustible nécessaire. Le contrôle de la politique de crédit, des impôts et des finances de l’Allemagne protégera les pays industriels de l’Europe Occidentale contre toute possibilité de concurrence sérieuse.

La question des réparations est insoluble objectivement. Le capitalisme de l’Entente n’est pas en mesure de trouver une forme sous laquelle il puisse, sans de graves inconvénients pour lui-même, percevoir les réparations de l’Allemagne. Il se contente d’asservir l’industrie allemande.

Au lieu de la conquête de nouveaux marchés, qui indiquerait un progrès du capitalisme et une capacité croissante de production, nous voyons ici clairement une tentative d’entraver violemment la production d’un des grands pays capitalistes.

30) La situation économique et politique de l’Union des Républiques soviétiques s’est remarquablement affermie. Etant donné la crise de débouchés des pays industriels européens, le marché russe acquiert une signification particulière. Cette considération et aussi la rivalité politique des puissances impérialistes forcent tous les Etats les uns après les autres à entrer en rapports politiques et économiques avec la Russie. Le front unique du capital qu’on avait essayé d’établir à Gênes et à La Haye s’est brisé sur les conflits entre impérialismes. L’espoir que les Républiques soviétistes, en conservant extérieurement le système soviétiste, se laisseraient réduire en colonies de l’Entente a été détruit par l’énergique résistance du gouvernement des Soviets. Par suite, malgré l’intérêt économique qu’a pour la bourgeoisie le marché russe, une nouvelle intervention contre la Russie n’est aucunement exclue.

La bourgeoisie anglaise et américaine inclinait à confier la besogne d’abattre l’Union Soviétique avant tout à la bourgeoisie allemande si toutefois une solution temporaire de la question des réparations n’eut pu être obtenue. Mais la crainte de la bourgeoisie française devant un armement de l’Allemagne est trop grande. Cela rendes difficile l’établissement d’une ligne de conduite commune.

31) Mais la crise du capitalisme peut s’aggraver au point que la bourgeoisie de l’Entente ne trouve plus d’autre issue pour refréner le mouvement révolutionnaire que de s’engager dans une nouvelle guerre, soit contre la Russie soviétiste, soit entre puissances de l’Entente. Malgré toutes les assurances de paix, malgré le traité de Washington, les armements se multiplient. On invente et on produit avec zèle des instruments meurtriers pour faire la guerre sur terre, sur la mer, sous la mer et dans l’air avec des gaz asphyxiants et des bacilles. Malgré la Société des Nations, malgré les perpétuelles assurances de paix, malgré le Gouvernement travailliste en Angleterre et le Bloc des gauches pacifiste en France, la bourgeoisie de tous les pays poursuit les préparatifs de guerre.

L’expérience montre que dans ces conditions la guerre peut éclater « d’elle-même ». Guerre impérialiste ou révolution prolétarienne, voilà toujours la seule alternative.

VII. Exacerbation des conflits sociaux[modifier le wikicode]

32) Le processus de concentration et de centralisation, de formation de cartels et de trusts se développe rapidement dans la période actuelle du déclin capitaliste. Bien que, dans beaucoup de pays, la richesse réelle diminue, la part des capitalistes les plus puissants devient toujours plus grande. L’abîme entre le petit groupe de capitalistes contrôlant les trusts et les couches moyennes et petite-bourgeoises s’élargit de plus en plus. Le nombre des petit-bourgeois ayant une indépendance apparente et devenant la proie du capitalisme augmente toujours.

33) Dans les pays à monnaie dépréciée, la petite bourgeoisie se trouve expropriée de ses biens au profit de la grande bourgeoisie. Les rentiers ont disparu. Le capital investi dans les emprunts, dans les obligations des villes ou de l’industrie est complètement perdu. Les épargnes, les assurances sur la vie, les pensions de vieillesse, tout est dévoré par l’inflation.

L’expropriation de la petite bourgeoisie adonnée au commerce et aux métiers s’est poursuivie de la façon suivante : dans la période d’inflation, elle a vendu les marchandises au-dessous du prix de rachat et, tout en paraissant s’enrichir, elle allait au-devant de sa ruine.

Le revenu des professions libérales, des fonctionnaires et des employés est descendu considérablement au-dessous du niveau d’avant-guerre et se rapproche de celui du prolétariat. Des catégories qui, autrefois, jouissaient d’un niveau élevé d’existence et vivaient en partie du travail d’autrui, se trouvent ainsi déclassées. Les uns ont été poussés dans le mouvement fasciste ; les autres ont grossi les bataillons du prolétariat révolutionnaire.

34) Le crise agraire ruine des millions de paysans et de fermiers, les réduit à s’endetter et les rejette dans le prolétariat. La fidélité aveugle de la paysannerie au régime capitaliste commence à devenir hésitante. L’union du prolétariat avec les éléments laborieux de la paysannerie contre le capitalisme et la grande propriété, union qui trouve son expression politique dans le mot d’ordre

« Gouvernement des ouvriers et des paysans » — gagne de plus en plus, grâce à la crise agraire, les sympathies de la paysannerie laborieuse.

35) L’offensive du capital contre la classe ouvrière se poursuit par tous les moyens. Le salaire réel est diminué et le conflit des classes se trouve ainsi exaspéré. D’un autre côté, le capital essaie d accuser des différences dans les salaires, de créer une aristocratie ouvrière aux dépens des ouvriers non qualifiés ou des apprentis, de favoriser les hommes aux dépens des femmes et des jeunes gens afin de briser la résistance de la classe ouvrière.

36) L’appauvrissement de la petite bourgeoisie urbaine, les graves dommages que subit la paysannerie à cause de la crise agraire rendent hésitantes ces classes qui acceptaient sans mot dire, en temps normal, la direction des classes dominantes. L’expression de cette hésita ton est, entre autres le renforcement du mouvement populiste en Allemagne, les succès du bloc des gauches en France, du Labour Party en Angleterre. Dans le prolétariat lui-même, le passage des éléments les plus conscients de la social-démocratie au Parti Communiste reflète l’exacerbation des conflits. L’interdiction de l’immigration en Amérique ferme la dernière soupape de sûreté offerte au capitalisme européen et active, sur le continent, la fermentation révolutionnaire.

VIII. Perspectives[modifier le wikicode]

37) La crise continue. La période de prospérité aux Etats-Unis est demeurée un phénomène isolé. La crise industrielle chronique dans les grands pays capitalistes européens, la crise agraire dans le monde entier sont les formes principales de cette crise.

Pour l’avenir prochain, il faut compter aux Etats-Unis avec une phase de crise qui vient de s’annoncer avec une violence inouïe. La crise prolongée des pays industriels européens, au cas où se produirait une tentative sérieuse pour appliquer le rapport des experts, pourrait dégénérer en une nouvelle crise aiguë, s’étendant simultanément à tous les pays européens, au lieu de ces alternatives d’essor et de crise se produisant séparément dans les différents pays de l’Europe.

Les vues des théoriciens social-démocrates (Hilferding), d’après lesquelles le capitalisme aurait surmonté la crise d’après-guerre et se trouverait à la veille d’une grande période de prospérité mondiale, sont absolument sans fondement. Une telle conception rend seulement service à la bourgeoisie; elle a pour but de tenir les couches ouvrières encore hésitantes loin du mouvement révolutionnaire communiste.

38) L’avenir immédiat offrira de nouveaux combats acharnés entre le capital et le prolétariat, qui n’aura pas seulement à repousser les attaques du capital, mais aussi à reconquérir ses positions antérieures. Le capital, dans la période de déclin de l’économie capitaliste, est objectivement incapable de satisfaire les revendications du prolétariat. Ces luttes se déroulent dans une situation où la petite bourgeoisie et la paysannerie traversent une crise douloureuse et ne peuvent plus constituer pour la bourgeoisie des alliés sûrs et fidèles, quand bien même une partie (fascistes) s’engagerait comme son avant-garde contre le prolétariat. La dislocation politique des couches moyennes et leurs hésitations entre la bourgeoisie et le prolétariat donnent au prolétariat de grandes chances de succès si le Parti Communiste réussit à transformer les luttes économiques en les élargissant en luttes politiques.

39) Le moment actuel de la période de déclin du capitalisme aboutira-t-il à la chute de la bourgeoisie ou à une nouvelle consolidation, relativement durable de sa domination ? Cela dépend dans une large mesure des partis communistes, selon qu’ils seront en état ou non d’exploiter les situations objectivement révolutionnaires qui se présentent. Automatiquement, sans une attaque décidée, acharnée et dévouée du prolétariat révolutionnaire, le régime des classes ne sera jamais détruit. De puissants mouvements du prolétariat sont à bref délai inévitables. Si nous arrivons à briser définitivement l’influence des partis social-démocrates et nationalistes ou fascistes sur le prolétariat, à mobiliser la majorité des fractions décisives de ce prolétariat sous la direction des partis communistes en vue du combat pour le pouvoir, à faire entrer les paysans travailleurs, qui ont tant à souffrir de la crise agraire, dans une alliance de combat, ces combats, dans la période actuelle de déclin du capitalisme, conduiront à d’autres combats, couronnés de succès, pour le pouvoir.

  1. Intervention de DENGEL (Allemagne) douzième séance (25 Juin 1924, soir). — La question allemande a occupé une très grande place au Congrès. Par contre, d’autres questions n’ont presque pas été discutées : ainsi celle des perspectives économiques. Seuls quelques camarades ont touché les thèses de Varga; et c’est un fait remarquable que ce sont justement les représentants de la droite qui sont d’accord avec elles. Varga dit que la situation n’est pas claire et que, pour cette raison, on ne peut pas avoir non plus de perspectives précises. C’est une erreur. Il y a pas mal de choses qui ne sont pas claires aussi bien dans son livre que dans son rapport. On y distingue cependant une tendance à combattre le plus énergiquement possible : il croit possible un retour du capitalisme à l’état normal. Il entrevoit, comme Kautsky, une période de sur-impérialisme durant laquelle les intérêts du capitalisme seront liés entre eux au point que les contradictions pourront être supprimées. Or, nous n’avons aucune raison de faire pareille supposition. Les contradictions du capitalisme subsistent dans toute leur acuité. Nous les voyons au contraire s’aggraver. De même, l’attitude de Varga à l’égard du rapport des experts manifeste des tendances pacifistes. Il adopte le point de vue de la presse anglaise, inspiré par la City. Enfin il affirme que la crise tire à sa fin, et il prétend cependant qu’elle peut encore conduire à la révolution, si les Partis Communistes montrent assez de volonté. Ce n’est pas là un point de vue marxiste. Les situations révolutionnaires ne peuvent être utilisées qu’avec la volonté de lutte de la classe ouvrière, mais sans une situation révolutionnaire, la volonté d’individus ou du Parti ne peut rien faire. Je suis convaincu que le Congrès s’en tiendra au point de vue de Lénine, que la guerre mondiale a ouvert l’époque de la révolution. Sans doute, il est nécessaire de voir si le capitalisme peut en général se sauver de la crise, mais nous sommes d’avis que ses contradictions, loin de s’affaiblir, se sont encore renforcées. La question des réparations doit rester au centre de notre étude économique, car elle est l’abcès qui mûrit sur le corps du capitalisme. Le point de vue anglais vise ouvertement à empêcher l’exportation allemande. Le paiement des réparations rendra nécessaire cette exportation qui conduirait à la ruine du capitalisme anglais. Ces contradictions, loin d’améliorer la situation mondiale du capitalisme, ne font que l’aggraver. La délégation allemande est convaincue que nous restons dans la période de la révolution mondiale et que la prochaine étape sera bientôt franchie en Allemagne. Toutes les décisions que prendra le Congrès devront donc s’orienter sur la question allemande, parce que celle-ci, dans un avenir prochain, sera la question décisive de l’Internationale.