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Intervention au congrès de la SFIO sur le rapport parlementaire
Camarades, j'ai d'abord un service de bonne camaraderie à vous demander. Pour être compris malgré la mauvaise acoustique et malgré mes mauvaises qualités d'orateur, j'ai besoin de toute votre attention.
L'existence de notre nouveau Groupe parlementaire, heureusement aussi nombreux qu'actif et vaillant, a déjà une histoire, et cette histoire a déjà deux époques: la première, que j'appellerai héroïque, la seconde est un peu idyllique; je n'appellerai pas la seconde période, malgré les apparences, la période du bloc, c'est la période d'apparentement. (Rires.)
Je voudrais m'étendre sur la période héroïque. Tout le monde dans ce pays, et même dans l'Internationale qui suit avec une grande attention l'action du Parti socialiste en France, tout le monde est d'accord que l'attitude du groupe parlementaire de la nouvelle Chambre était vraiment remarquable.
Un grand nombre de jeunes camarades ont donné non seulement de leur grand talent, mais de toutes les bonnes volontés. On a fait, il faut l'avouer, à la Chambre, ce qu'on n'avait pas fait depuis longtemps: un peu d'action directe. Et moi qui ai toujours cru, qui continue à croire qu'en dehors de la Chambre le moment n'est pas encore venu pour l'action directe, que la parole en France est à l'organisation, à la propagande, à l'agitation socialiste et syndicale, j'ai été très heureux de cette petite action directe à la Chambre, parce que c'était une façon populaire de faire comprendre à la masse qu'enfin nous avions une phalange nombreuse et active à la Chambre. (Applaudissements.)
Et vous savez que même les antiparlementaires, les terribles antiparlementaires qui, au fond, ne sont pas si terribles que cela, parce qu'ils ne demandent pas mieux que de marcher avec les réformistes, croyaient que l'action parlementaire commençait à se réhabiliter. C'est déjà un progrès. Car personne ne peut se dissimuler que le parlementarisme - pas le parlementarisme tout court - mais le parlementarisme bourgeois se compromet de plus en plus aux yeux des masses, et avec juste raison. Il y a donc un grand intérêt, un intérêt permanent, à faire voir à la grande masse, au peuple, à la classe ouvrière, qui malheureusement n'est pas encore avec nous, n'est pas encore arrivée à la conscience de classe, que l'action parlementaire n'exclut pas la lutte de classes et que l'action parlementaire est une des formes de la lutte de classes, et une forme nécessaire.
Pour la première période, je n'ai que quelques critiques à faire, pour ne pas perdre l'habitude. (Rires.)
J'ai une petite critique à faire, ce n'est pas considérable, c'est un péché qui n'est pas tout à fait véniel. Je parle d'un certain député qui a une théorie spéciale: il croit que le plus grand ennemi de l'élu c'est l'électeur… C'est M. Gérault-Richard, qui a trouvé le moyen de supprimer les électeurs en les remplaçant par des bulletins de vote qu'on met soi-même dans les urnes. (Rires.) Mon ami Charles Dumas avait des pièces à conviction à l'appui, qu'il n'a pas pu produire à la Chambre; il a démontré clair comme le jour le scandale électoral, et je me demande comment il s'est pu trouver à la Chambre quelques-uns qui, non seulement se sont abstenus dans le cas de cette élection scandaleuse, si on peut appeler cela une élection, mais qui aient trouvé des excuses à cette génération spontanée de députés qui s'élisent eux-mêmes… Mais je passe rapidement sur ce point. Ce sont de petits péchés. Ce n'est qu'une question de tactique. C'est une question de camaraderie parlementaire. Il faudra un peu plus surveiller cette sorte de camaraderie.
Maintenant je passe à la seconde période, à la période idyllique.
Et tout d'abord, pour faire effacer, disparaître tout malentendu, pour qu'on ne nous accuse pas d'être des hommes figés, des hommes qui ne comprennent pas la réalité, qui répètent toujours les mêmes formules, je déclare carrément qu'avec l'immense majorité des membres du Parti, de toutes les tendances, je préfère un gouvernement vraiment démocratique à un gouvernement réactionnaire. (Applaudissements.) Je préfère, et nous préférons tous, dans l'intérêt de la classe ouvrière française, le gouvernement de ce moment à un gouvernement de renégats. (Applaudissements.)
JAURES. - L'idylle continue ! (Rires)
RAPPOPORT. - Et pour ne pas m'étendre sur des raisons d'ordre historique, d'ordre théorique, je dirai tout simplement, tout pratiquement, ceci: J'aime mieux recevoir cinquante coups de bâton que cent… le marxisme n'exclut pas l'arithmétique… et je dirai plus encore, non seulement le nombre des coups, mais leur intensité nous importe, parce que si le marxisme n'exclut pas l'arithmétique, il n'exclut pas la psychologie non plus. Et je crois qu'il vaut mieux que le bâton de classe, le bâton gouvernemental soit tenu par des mains qui tremblent que par des mains réactionnaires qui frappent comme sourds et comme aveugles. (Rires.)
Cette conception n'est pas nouvelle. En ce moment même des hommes comme Mehring, comme Kautsky, déclarent dans la Neue Zeit qu'il est absurde de dire que tous les ministères se valent. D'abord on ne peut dire cela, car on ignore quels ministères on sera obligé de subir. Mais, en même temps, je dis que nous ne pouvons admettre la constatation de ces petites différences, qui sont, en tout cas, des différences minimes, des différences d'ordre secondaire, qu'à la condition que ce régime de préférence secondaire ne soit pas acheté au prix d'une équivoque et d'une émasculation de l'esprit révolutionnaire de la classe ouvrière.
Nous ne pouvons pas oublier, tant que nous restons sur le terrain de la lutte de classes, tant que nous restons sur le terrain du pacte d'unité qui nous défend toute alliance avec les partis bourgeois qu'à côté de ces petites différences qui sont, je le répète, d'ordre secondaire, il existe un abîme entre le terrain gouvernemental et le terrain de la classe ouvrière, et il ne faut pas qu'à la faveur de cette préférence un vague confusionnisme, un brouillard confusionniste, dissimule cet abîme pour le transformer en piège. Il ne faut pas oublier, et nous n'oublierons jamais que nous sommes trop enclins, que la classe ouvrière, comme l'a très bien expliqué le camarade Jaurès à la réunion publique, est trop habitué à se concilier avec le régime actuel. La classe ouvrière n'est jamais aussi exigeante que la réaction. La classe ouvrière n'est jamais, dans ses revendications, aussi énergique que ses revendications le méritent. Voilà pourquoi nous n'avons pas le droit, en son nom, de diminuer l'énergie de ses revendications.
Il s'agit précisément d'ouvrir les yeux à la classe ouvrière, il s'agit de développer chez elle, en profitant de l'action parlementaire, la conscience de classe, et nous savons qu'il est aussi douloureux d'être battus par le bout droit que par le bout gauche du bâton de classe dont j'ai parlé tout à l'heure. Notre idéal est de ne pas recevoir du tout des coups.
(Une musique municipale jouant l'Internationale sous les fenêtres du Congrès, la séance est suspendue quelques instants)
ROUGER. - Je profiterai de cette interruption pour réparer un petit oubli. Je vous ai indiqué quelques événements qui se sont produits après la confection du rapport du Groupe parlementaire ; j'ai oublié de vous parler de la discussion et de l'interpellation sur la réintégration des cheminots, qui eurent lieu la veille de la séparation des Chambres. Je dois vous dire que le groupe a voté à l'unanimité l'ordre du jour approuvant les déclarations du Gouvernement et comptant sur lui pour mettre les Compagnies de chemins de fer en demeure de réintégrer les cheminots. Il n'y a pas eu d'abstention, mais il y a eu unanimité complète de votes. (Applaudissements.)
RAPPOPORT. - La déclaration que vient de faire Hubert Rouger cadre absolument avec les explications et les observations d'ordre général que je viens de vous donner.
Camarades, qu'est-ce qui s'est passé au début même de la deuxième période, que j'appelle la période pacifiste ou idyllique. Avant même - et ici je demande pardon à Jaurès qui, l'autre jour, a dit en plaisantant à la Chambre qu'il se réserve d'être interpellé pour ses vieux jours - qu'il me permette de devancer ce plaisir et de l'interpeller, pas comme ministre, mais comme socialiste, au Congrès socialiste, parce que je continue à croire qu'il n'y aura jamais dans un ministère bourgeois de ministre socialiste, même en veston…(Rires et applaudissements.)
Que s'est-il passé au début même de la seconde période, avant même que le ministère ait fait ces déclarations ? Nous avons lu dans L'Humanité un tel éloge, un tel transport de joie à propos de ce nouvel avènement, nous avons constaté un tel débordement de passion ministérielle que Monis lui-même…
Une voix. - Il n'est pas délégué. (Rires.)
RAPPOPORT. - Oui, il n'est pas encore du parti… que Monis lui-même avait peur de se noyer dans l'océan de cette passion ministérielle, et il a jeté la douche de sa déclaration sur l'enthousiasme du camarade Jaurès. On aurait dit d'une passion longuement contenue qui débordait…
Il est impossible pour nous d'admettre cette façon de voir, d'admettre ces changements d'attitude vis-à-vis de gouvernements bourgeois. Nous avons, nous, toujours le devoir d'être méfiants non seulement avant les déclarations, mais après les déclarations, parce que nous savons que les gouvernements, même avec la meilleure volonté du monde, ne sont pas des maîtres de la Chambre, ni les maîtres du régime.
Vous en avez maintenant la meilleure preuve. Tout le monde a été frappé d'admiration pour la nouvelle déclaration de Monis et pour celle de son collègue, le ministre des Travaux publics à propos des cheminots. Le camarade Jaurès s'est empressé de les déclarer comme un commencement possible… pas certain, d'une nouvelle période de la démocratie sociale… c'est presque de la démocratie socialiste, parce que nous disons souvent la République sociale à la place de la République socialiste… Mais que prouvent ces déclarations ? Elles prouvent seulement ceci: que le gouvernement bourgeois est formidablement armé contre la classe ouvrière, mais qu'il est ridiculement désarmé pour la classe ouvrière. Il le déclare lui-même. Il est désarmé contre les Compagnies.
Vous voyez donc qu'en admettant même que le gouvernement soit inspiré de la meilleure volonté du monde, la nature même du régime capitaliste veut que le gouvernement ne puisse pas changer de son propre gré les lois fondamentales de ce régime qui font que le gouvernement est le gardien de ce régime et qu'il fera tout le nécessaire pour le maintenir. (Applaudissements.)
Et voyez bien, le jour même de sa déclaration étonnante, extraordinaire, il y avait un massacre ouvrier à Marseille, où 43 ouvriers ont été blessés. (Mouvement.) Je ne veux pas devancer le débat sur l'Humanité, je reste strictement sur le terrain de l'activité parlementaire, mais je m'étonne que justement dans l'Humanité, contrairement à toute la pratique habituelle, le samedi 15 avril, jour de la tragédie ouvrière, je ne trouve ni sur la première page ni sur la seconde, ni sur la troisième ni sur la quatrième, non seulement pas une ligne, mais pas un mot sur le massacre ouvrier.
Je ne dis pas que cela a été fait exprès, c'est une coïncidence, mais qu'on peut interpréter mal, étant donné l'enthousiasme, l'esprit nouveau qui paraît régner dans les sphères dirigeantes du Groupe parlementaire.
RENAUDEL (Seine-inférieure). - Est-ce que quelqu'un en a parlé à la Chambre ?
RAPPOPORT. - Non, mais cela s'est passé dans le pays.
RENAUDEL. - Il n'y a pas un seul député qui en ait parlé à la Chambre.
RAPPOPORT. - Etant donné l'esprit nouveau… (Rires.) on a le droit d'expliquer le silence sur ce massacre ouvrier par la passion ministérielle qui a débordé sur tous les numéros de l'Humanité. C'est un petit détail…
Examinons rapidement la situation telle qu'elle est au point de vue politique et parlementaire.
Vous savez tous que le gouvernement n'a pas une majorité vraiment démocratique, que c'est la même majorité qui a soutenu l'illégalité briandiste, que c'est la même majorité qui a approuvé les actes du gouvernement qui a brisé la grève des cheminots. Qu'est-ce qu'il y a de changé ? Est-ce que le gouvernement peut à lui seul, sans sa majorité, changer de politique ? Donc, il n'y a pas de raison pour nous de changer de tactique. Il y a d'autres raisons encore plus fortes qui parlent pour la continuité de notre tactique d'opposition, et je me permets, encore une fois, de ne pas être d'accord avec le camarade Jaurès - à l'activité et à l'autorité parlementaire duquel nous rendons tous hommage - (Applaudissements) écrivant, pendant la crise ministérielle, que l'opposition est amère… Moi, je ne savais pas que le socialisme était une question de goût. (Rires et applaudissements.) Je comprends, il faut le dire franchement entre nous que nos intellectuels, nos élus, qui ont la vie un peu plus douce que le prolétariat… (Applaudissements) je comprends bien que pour eux la critique est peut-être amère, mais pour le prolétariat qui souffre, non seulement dans son pain quotidien, mais dans sa dignité, pour la classe ouvrière pour laquelle la vie n'est pas douce, la critique n'est pas amère; au contraire, pour elle la critique est douce. La classe ouvrière étoufferait si elle n'avait pas la protestation, si elle n'avait pas la possibilité de luttes énergiques !…
Nous n'avons pas à nous occuper à la Chambre de ce qui nous paraît doux ou amer, nous avons à défendre les intérêts de la classe ouvrière; nous avons à faire sortir la masse ouvrière de la torpeur, nous avons donc à appliquer, à employer les moyens les plus énergiques.
Actuellement, en France, il n'y a qu'un seul Parti qui soit l'espoir de la classe ouvrière, qui soit l'espoir de la majorité du pays. Vous le savez bien, les hommes comme Pelletan, les chefs du Parti radical… l'autre jour Pelletan a fait une conférence rue de la Sorbonne…
NORANGE (Seine). - Je me demande où l'on est, si l'on est sur la question du rapport parlementaire, ou si Rappoport est délégué pour nous faire une conférence académique.
LE PRESIDENT. - Rappoport tiendra compte de votre observation.
RAPPOPORT. - On ne peut parler du rapport parlementaire sans parler de la tactique que nous devons suivre. En ce moment je demande la permission de dire à Norange que je suis un peu plus près de ce qui se passe au Parlement que lui-même, et je sais bien - il doit le savoir, lui aussi - que nous sommes à un tournant très grave, que l'attitude actuelle du groupe peut nous créer des difficultés dans l'intérieur du parti. Je m'explique donc l'interruption de mon ami Norange par mes mauvaises qualités d'orateur dont je parlais tout à l'heure.
NORANGE. - Je ne me plains pas que tu parles, mais que tu parles trop longtemps. (Rires.)
RAPPOPORT. - Beaucoup de camarades se demandent en ce moment dans le pays quel est l'état d'esprit du groupe parlementaire. Où allons-nous ? Allons-nous vers un nouveau bloc, allons-nous faire une collaboration ouverte ou dissimulée ?…
Je vous supplie, camarades, il faut dissiper cette équivoque; il faut dire au Parti socialiste: que, quel que soit le gouvernement, nous sommes toujours dans la même attitude…
Pelletan a déclaré lui-même, - et il importe de souligner ce fait, qui est capital, - Pelletan a déclaré, lui, chef du Parti radical, que le Parti radical a failli à tous ses engagements. En face de ces trahisons, il ne reste que le Parti socialiste qui est debout.
Si vous voulez, et je termine par cela, si vous voulez que notre attitude d'opposition nous rapporte tous les bénéfices, si vous voulez que notre attitude de seul Parti en France qui n'est pas compromis, si vous voulez que les bénéfices de cette attitude restent intacts, il faut que l'équivoque, qui n'est qu'à son début, disparaisse; il faut que le porte-parole de notre groupe parlementaire à la Chambre, dont personne ne suspecte la bonne foi, vienne ici expliquer la situation, et que toute équivoque disparaisse. Nous ne demandons pas mieux que de travailler comme par le passé.
Le passé, notre passé, est grand et glorieux. Nous voulons continuer, mais nous ne voulons pas qu'un esprit nouveau s'installe ouvertement ou autrement au parti socialiste et à son groupe parlementaire. (Applaudissements.)