Histoire du bolchevisme

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Ce n’est pas ici le lieu de rechercher si l’économie socialiste est meilleure que l’économie capitaliste. Mais ce qu’il est possible d’établir sans conteste, c’est si l’économie d’un pays donné est oui ou non socialiste dans le sens de Marx. Pour que la Russie soviétique fût un État véritablement socialiste il eût fallu qu’elle satisfît au moins à trois conditions : l’industrie aurait dû être organisée en grandes entreprises, librement administrées par les travailleurs eux-mêmes ; l’agri­culture aurait dû être organisée d’une manière ana­logue, et enfin la production réglée d’après les besoins réels des consommateurs et non pas d’après les inté­rêts du marché et du commerce.

Aucune de ces trois conditions n’existe aujour­d’hui en U.R.S.S. A vrai dire, l’industrie est bien organisée selon les méthodes modernes de la grande production. Mais les travailleurs ne jouissent du droit de décider, eux-mêmes, de leur sort ni dans l’écono­mie, ni dans la politique. Le socialisme est inconce­vable sans le droit de la communauté à décider libre­ment de son sort car le socialisme est le royaume de la liberté, où le pouvoir de l’État s’atrophie jusqu’à disparaître. Une administration autoritaire et super­bureaucratique, à laquelle la masse doit obéir, est incompatible avec la société socialiste.

Dans l’agriculture russe, seule une petite part de la production est issue de grandes entreprises modernes. Le type d’exploitation prédominant est le kolkhoze. Comme nous l’avons constaté plus haut, l’Etat ne peut pas encore, actuellement, mettre des machines à la disposition de la majorité de ces coo­pératives. Le paysan travaille donc son ancien lopin de terre avec sa vieille charrue et son vieux cheval, et le calcul commun du revenu, fait par la coopéra­tive, ne voile qu’imparfaitement la tradition petite-bourgeoisie. Dans les fermes collectives qui emploient des tracteurs, le paysan se donne moins de mal pour obtenir un bien meilleur rendement. Mais la ferme collective, en tant que telle, ne poursuit pas d’autre but que de travailler au meilleur compte dans l’in­térêt de ses membres, d’écouler le moins possible de marchandises au prix maxima fixé par l’État et le plus possible aux prix plus avantageux de l’industrie privée.

Une économie réglée sur les besoins n’existe pas plus dans l’industrie d’État que dans les kolkhozes. Ici aussi, règnent le commerce et le marché des cours. Et nous ne tenons pas compte des fluctuations du marché capitaliste mondial qui se font sentir quoti­diennement sur l’U.R.S.S. Dans l’économie intérieure russe c’est pareil. Les divers monopoles d’État et les grandes entreprises sont des organismes autonomes. Une grande fabrique de machines, en Russie, doit se chercher des débouchés et payer ses matières pre­mières tout comme en Europe. Elle a son crédit auprès de la banque d’État. La direction de l’usine doit remplir ses engagements et si elle est insol­vable, les crédits lui sont supprimés et on ne lui livre plus d’acier. Les derniers décrets du gouvernement soviétique, datant de la fin de 1931 et du début de 1932, contraignent, précisément, les entreprises d’État à travailler selon des méthodes rigoureusement commerciales, à se constituer un fonds de roulement et à réaliser des bénéfices. La faillite d’une entreprise soviétique mal gérée est actuellement, du moins en théorie, parfaitement possible. Tout cela est de la pure économie commerciale, usant des procédés modernes de la finance capitaliste.

Du point de vue économique, il importe beau­coup que l’U.R.S.S, puisse produire 60 millions de tonnes de charbon par an, au lieu de 20 millions, ou qu’elle cultive son sol fertile avec le tracteur au lieu de la charrue en bois. Mais malgré ces conquêtes, le pays ne s’est pas rapproché pour cela d’un milli­mètre du vrai socialisme. La Russie soviétique appar­tient aujourd’hui encore au même type social qu’en 1921 : C’est un pays d’ouvriers et de paysans, régi par le capitalisme d’État et où la bureaucratie régnante maintient la cohésion nécessaire entre les deux classes de la société.

L’influence prolétarienne se traduit dans l’industrie par ceci que le profit personnel n’est pas admis. Mais la bureaucratie au pouvoir, qui tient son droit à l’existence de la classe paysanne, impose sa volonté aux ouvriers et crée une économie qui emploie les méthodes commerciales et financières du capitalisme.

Dans les campagnes, c’est l’influence prolétarienne qui empêche que se constitue une classe de pro­priétaires terriens. La puissance des paysans se manifeste dans toutes les concessions que l’État consent aux fermes collectives ; et l’existence des masses paysannes justifie indirectement la dictature du parti et de l’appareil administratif sur l’U.R.S.S.

Seul celui qui apprécie exactement le caractère social mixte de la Russie soviétique peut se garder de faux jugements. Il est tout aussi absurde d’igno­rer le rôle du prolétariat dans la Russie actuelle que de sous-estimer l’importance des éléments paysans bourgeois. D’après une statistique officielle, les dépôts, dans les caisses d’épargne russes, se mon­taient en 1930 à 722 milions de roubles. 91 millions seulement sont la propriété d’ouvriers ; 205 millions appartiennent aux employés et fonctionnaires du parti ; 134 millions aux membres des « autres pro­fessions », c’est-à-dire aux membres des professions libérales, aux artisans, etc. ; 46 millions, seulement, aux paysans non collectivisés. Mais à cela s’ajoutent 246 millions appartenant à des « personnes juri­diques » derrière lesquelles il faut voir surtout les kolkhozes et d’autres coopératives. Cette vue d’en­semble montre très bien la coexistence des différentes classes en Russie soviétique et l’on voit aussi que les ouvriers ne viennent nullement en première ligne, pour ce qui concerne le niveau de vie et la possibilité de faire des économies.

Le capitalisme d’État représente pour l’U.R.S.S, une forme sociale et économique extrêmement moderne. Il a son correspondant dans l’esprit avancé qui règne dans le domaine de la culture. C’est ce qui permet à la Russie soviétique d’exclure toute influence de l’Église de la vie publique, d’employer les méthodes pédagogiques les plus récentes, et de réaliser en faveur de la mère et de l’enfant des réformes remar­quables. Mais on ne trouve pas en U.R.S.S. cette liberté spirituelle complète qui est le propre de la vraie société socialiste, parce que la dictature du parti au pouvoir ne pourrait s’y maintenir sans une doctrine rigide et absolue : ce qu’on, appelle le léninisme.

Sur le papier, le salaire de l’ouvrier russe a aug­menté au cours des dernières années. Mais les condi­tions réelles de la vie ont empiré depuis 1927. Car l’approvisionnement des villes en produits industriels ne s’est pas amélioré et l’approvisionnement en pro­duits alimentaires est plus mauvais. Cependant, il n’y a pas de vraie famine, le chômage a été prati­quement supprimé et, avec tous les moyens dont le gouvernement soviétique dispose et les nouvelles concessions qu’il a faites aux paysans, il devrait lui être possible de rétablir un approvisionnement nor­mal de la population dans un temps assez court.

Dans les campagnes, la grande action contre les koulaks a réussi à abattre ces ennemis déclarés du gouvernement soviétique. La situation des paysans, petits et moyens, dans les exploitations collectives, s’est améliorée partout où ils peuvent disposer de machines modernes. Le gouvernement ne manifeste aucune intention de persécuter les paysans.
D’autre part, la théorie stalinienne du socialisme doit permettre au gouvernement, dans les prochaines années, une assez grande liberté de manœuvre. Actuellement on prépare en Russie un nouveau plan quinquennal1. On pourra, en quelques années, achever la collectivisation complète de l’agriculture et déve­lopper en même temps sensiblement la production industrielle. Le gouvernement soviétique pourra alors constater que « l’édification du socialisme » est achevée et la « société sans classes » réalisée.

Il serait alors possible de modérer le rythme fré­nétique de l’industrialisation. On pourrait même relâcher la dictature du parti, revenir à un système administratif plus largement démocratique. Car dans une « société sans classes » la dictature du prolé­tariat est inutile. Des concessions matérielles aux paysans seront facilement justifiables, puisqu’il n’y aura plus de « paysans », au sens capitaliste privé du mot, mais seulement des producteurs agricoles, dans le cadre de la société socialiste parachevée.

Actuellement on entrevoit qu’à la longue, les contra­dictions de classes ne pourront plus être voilées en U.R.S.S. La réussite même des plans quinquennaux, en améliorant les conditions de vie, fortifiera la conscience de classe aussi bien chez les ouvriers que chez les paysans. Ainsi, dans un avenir plus ou moins proche, la Russie ne pourra pas, elle non plus, échap­per aux décisifs conflits de classes, conflits que le « socialisme » narodnik sera incapable de résoudre.
En réalité, dans leur effort pour faire rattraper à la Russie son retard, sur la route du progrès, les bolcheviks se considèrent comme les exécuteurs du testament de Pierre le Grand. Dans un discours tenu le 19 novembre 1928 devant le comité central du parti communiste, Staline a déclaré :

Ce n’est pas nous qui avons découvert l’état techniquement et économiquement arriéré où se trouve notre pays. Cet état dure depuis des siècles et nous fut légué par toute notre histoire. Il existait et il était déploré avant la révolution, il s’est prolongé après la révolution. Lorsque Pierre le Grand, qui était entré en contact avec les pays plus développés d’Occident, construisit fiévreusement des chantiers et des usines, pour approvisionner ses armées et augmenter la capacité de défense du pays, il tentait, à sa manière, d’arracher la Russie à son état arriéré. Mais il est tout naturel qu’aucune des anciennes classes, ni l’aristocratie féodale, ni la bourgeoisie n’ait été capable de mener à bout cette tâche. Bien plus, elles ne se sont même pas montrées capables de poser convenablement le problème. Le retard de plu­sieurs siècles dont souffre notre pays ne peut être rattrapé que par le succès dans l’édification du socia­lisme. Seul le prolétariat, qui a établi sa dictature et pris la direction du pays, peut y parvenir.

Cette tâche historique que le bolchevisme s’était fixée, il l’a, on peut dire, réalisée. Avec l’aide du prolétariat, il a renversé le tsarisme et achevé la révolution bourgeoise. Il a arraché la Russie à l’état rétrograde où elle croupissait et l’a amenée au niveau de civilisation des États bourgeois modernes de l’Europe. Il a même pu, grâce à l’énergie de la classe ouvrière, remplacer l’économie et la société capita­listes privées par une organisation très moderne de capitalisme d’État.

Mais ce sont ces succès mêmes des bolcheviks sur le plan national qui devaient entraîner leurs échecs sur le plan international. Ce n’est pas un hasard si, depuis 1921, la Russie soviétique ne cesse de pro­gresser et l’Internationale communiste de rétrograder. La doctrine et les méthodes bolcheviques étaient extraordinairement avancées pour la Russie des tsars. Elles étaient réactionnaires pour les pays industriels d’Occident, où la révolution bourgeoise est, on peut dire, achevée, où les paysans ne constituent plus la partie la plus importante de la société et où le pro­létariat a déjà appris à s’organiser et à s’administrer lui-même.

L’action héroïque des ouvriers russes, de 1917 à 1920, a empêché, pendant quelque temps, le carac­tère rétrograde du bolchevisme d’apparaître au jour et a fait croire que ce régime pouvait devenir la forme universelle de la révolution prolétarienne. Une importante partie du prolétariat européen voulut alors se lancer à la conquête du pouvoir en s’alliant avec les bolcheviks. Mais avec le temps il est apparu de plus en plus impossible de confier la direction du prolétariat mondial au gouvernement d’un pays agraire tel que la Russie. C’est pourquoi, l’Etat russe et la classe ouvrière internationale se séparèrent de nouveau ; la théorie stalinienne de « l’édification du socialisme dans un seul pays » n’est que l’expression de ce fait. (…)