Et maintenant ?

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Il est quasiment certain que le gouvernement actuel, qui est l’incarnation même de l’incompétence indécise et malveillante, ne soutiendra pas le choc de l’attaque subie à Moscou et connaîtra de nouveaux remaniements. Ce n’est pas en vain que le général Kornilov explique qu’il ne faut pas craindre une nouvelle crise politique. Une telle crise, à l’heure actuelle, peut être très rapidement surmontée par un nouveau glissement à droite. Savoir si Kérensky obtiendra ou non, dans ces circonstance par rapport au contrôle organisé de la démocratie, qui sera remplacé par rapport au contrôle organisé de la démocratie, qui sera remplacé par un « gouvernement invisible » (et d’autant plus réel) des cliques impérialistes ; savoir si le nouveau gouvernement entretiendra des relations précises avec l’état-major des classes possédantes qui sera sans aucun doute créé par la conférence de Moscou ; savoir quelle sera la place des bonapartistes « socialistes » dans la nouvelle combinaison gouvernementale : tout cela est secondaire. Mais, même si l’attaque de la bourgeoisie devait aboutir à une nouvelle sortie des cadets du gouvernement, le pouvoir usurpé de la « démocratie révolutionnaire » ne serait en aucune façon un pouvoir réellement révolutionnaire et démocratique. Complètement ligotés par leurs compromis contre les travailleurs et les soldats de réserve, les leaders officiels du soviet seraient contraints de poursuivre leur politique de double jeu et d’opportunisme. En quittant le ministère, Konovalov n’a fait que transférer sa mission sur les épaules de Skobelev[1]. Le ministère Kérensky-Tsérételli, même sans les cadets, continuerait à appliquer un programme semi-cadet. L’élimination des cadets n’est qu’une goutte d’eau dans la mer ; ce qu’il faut, c’est du sang neuf et des méthodes nouvelles.

La conférence de Moscou, en tout cas, clôt et résume toute la phase de la révolution pendant laquelle le rôle dirigeant était tenu par la tactique S.R. et menchevique de coopération avec la bourgeoisie, coopération fondée sur la renonciation aux buts propres de la révolution et leur subordination à l’idée d’une coalition avec les ennemis de la révolution.

La révolution russe est un produit de la guerre. Celle-ci lui a fourni l’instrument nécessaire d’une organisation à l’échelle nationale, c’est-à-dire l’armée. La paysannerie, qui constitue la majeure partie de la population, a été, au moment de la révolution, organisée de force. Les soviets de délégués de soldats ont obligé l’armée à désigner ses représentants politiques, et les masses paysannes ont automatiquement envoyé au soviet les intellectuels semi-libéraux, qui traduisaient le vague de leurs espoirs et de leurs aspirations dans le langage de l’opportunisme mesquin et chicaneur le plus méprisable. L’intelligentsia petite-bourgeoise, qui est, à tous les points de vue, sous la dépendance de la grande bourgeoisie, a pris la direction de la paysannerie. Les soviets de délégués de soldats-paysans ont obtenu une nette majorité sur les représentants des travailleurs. L’avant-garde prolétarienne de Petrograd fut décrétée masse ignorante. La fine fleur de la révolution se révéla, en la personne des S.R. et mencheviks de février, des intellectuels « provinciaux », appuyés sur les paysans. Sur cette base s’éleva, par l’intermédiaire d’élections à deux et trois niveaux, le comité exécutif central. Le soviet de Petrograd, qui, au cours de la première période, remplissait des fonctions à l’échelle de la nation, était soumis depuis le début à l’influence directe des masses révolutionnaires. Le comité central, au contraire, planait dans les nuages des cimes bureaucratiques révolutionnaires, coupé des ouvriers et soldats de Petrograd et hostile à leur égard.

Il suffit de rappeler que le comité central a jugé nécessaire de rappeler des troupes du front pour briser les manifestations de Petrograd qui, au moment de l’arrivée des troupes, avaient déjà été stoppées par les manifestants eux-mêmes. Les dirigeants philistins ont commis un suicide politique quand ils ont refusé de voir autre chose que chaos, anarchie et émeutes dans la tendance – qui était la conséquence naturelle de toute l’orientation du pays – à équiper, à armer la révolution de tout l’appareil de l’autorité. En désarmant les ouvriers et les soldats de Petrograd, les Tsérételli, les Dan, les Tchernov ont désarmé l’avant-garde de la révolution et causé un préjudice irréparable à l’influence de leur propre comité exécutif.

Aujourd’hui, confrontés aux empiétements de la contre-révolution, ces politiciens parlent de rétablir l’autorité et l’importance des soviets. Leur mot d’ordre abstrait de poser la question constitue déjà un procédé profondément réactionnaire. Sous un prétendu appel à l’organisation, c’est une tentative de contourner la question des buts politiques et des méthodes de lutte. Organiser les masses pour « relever l’autorité » des soviets est une entreprise lamentable et inutile. Les masses avaient confiance dans les soviets, elles les suivaient, elles les ont élevés à une hauteur extraordinaire. Et le résultat qu’elles ont pu constater, c’est la reddition des soviets devant les pires ennemis des masses. Il serait puéril de supposer que les masses pourraient ou voudraient recommencer une expérience historique déjà tranchée. Pour que les masses, après avoir perdu confiance dans le centre aujourd’hui dominant de la démocratie, ne perdent pas aussi confiance dans la révolution elle-même, il faut leur fournir un jugement critique sur tout le travail politique accompli jusqu’ici au cours de la révolution, et cela équivaut à une condamnation sans appel de tous les « efforts » des leaders S.R. et mencheviks.

Nous, nous dirons aux masses : ils rejettent toute la responsabilité sur le dos des bolcheviks, mais pourquoi ont-ils été incapables de battre les bolcheviks ? Ils avaient pour eux non seulement la majorité des soviets, mais aussi toute l’autorité du gouvernement, et ils ont quand même trouvé le moyen de se faire battre par un « complot » de ceux qu’ils appellent une bande infime de bolcheviks.

Après les événements des 16-18 juillet, les S.R. et les mencheviks, à Petrograd, n’ont cessé de s’affaiblir, tandis que les bolcheviks se renforçaient. Même chose à Moscou. Cela démontre clairement que la révolution à mesure qu’elle développe, fait que la politique des bolcheviks exprime les exigences tandis que la « majorité » S.R. et menchevique ne fait que perpétuer l’impuissance et l’arriération antérieures des masses. Mais, aujourd’hui cet immobilisme n’est plus de mise ; il doit donc être imposé et renforcé par la répression la plus féroce. Ces gens se battent contre la logique la plus féroce. Ces gens se battent contre la logique même de la révolution, et c’est pourquoi on les trouve dans le même camp que les ennemis de classe conscients de la révolution. Et c’est justement pour cette raison que nous avons le devoir d’affaiblir la confiance qu’on a envers eux, au nom du jour de la révolution qui est notre avenir.

Le caractère absolument vide du mot d’ordre « renforcement des soviets » ressort le plus clairement du monde des relations entre le comité exécutif central et le soviet, appuyé sur les rangs avancés du prolétariat et des soldats qui sont passés de leur côté, marchait de plus en plus résolument vers les positions du socialisme révolutionnaire, le comité exécutif central a systématiquement sapé l’autorité et l’importance du soviet de Petrograd. Pendant des mois entiers, celui-ci n’a pas été convoqué. On lui a, de fait, enlevé son journal, les Izvestia, où les pensées et la vie du prolétariat de Petrograd ne trouvent plus aucune expression. Quand la presse bourgeoise en fureur calomnie et diffame les dirigeants du prolétariat de Petrograd, les Izvestia ne voient rien et n’entendent rien. Dans ces circonstances, quel peut bien être le sens du mot d’ordre « renforcement des soviets » ? Une seule réponse est possible. Il veut dire renforcer le soviet de Petrograd contre le comité exécutif central, qui s’est bureaucratisé et dont la composition est demeurée inchangée. Nous devons obtenir pour le soviet de Petrograd l’indépendance complète d’organisation, de protection et de fonctionnement politique.

C’est là le problème le plus important, et sa résolution est le premier point à l’ordre du jour. Le soviet de Petrograd doit devenir le centre d’une nouvelle mobilisation révolutionnaire des masses de travailleurs, de soldats et de paysans, dans une nouvelle lutte pour le pouvoir. Nous devons soutenir de toutes nos forces l’initiative prise par la conférence des comités d’ouvriers d’usine, pour la convocation du congrès panrusse des délégués ouvriers. Pour que le prolétariat puisse rallier les masses appauvries de soldats et de paysans, sa politique doit être radicale et inexorablement opposée à la tactique du comité exécutif central. Il est clair, d’après la Novaia Zin d’une union entre mencheviks et nous est vaine, réactionnaire et utopique. Ce résultat ne peut être obtenu que si le prolétariat en tant que classe restructure son organisation centrale à l’échelle du pays. Il nous est impossible de prédire tous les tours et détours du cheminement de l’histoire. En tant que parti politique, nous ne pouvons pas être tenus pour responsables du cours de l’histoire. Mais nous n’en sommes que plus responsables devant notre classe : la rendre capable de mener à bien sa mission à travers toutes les déviations du cheminement historique, voilà notre devoir fondamental.

Les classes dirigeantes, avec le « gouvernement de salut[2] », font tout ce qui est en leur pouvoir pour imposer les problèmes politiques de la révolution à l’attention non seulement des travailleurs, mais aussi de l’armée et des provinces, et sous une forme aussi aiguë que possible. Les S.R. et les mencheviks ont fait et font encore tout ce qu’ils peuvent pour étaler devant les secteurs les plus larges des masses laborieuses du pays la faillite complète de leur tactique. Il appartient maintenant à notre parti, avec énergie, vigilance et insistance, de tirer toutes les conclusions inévitables de la situation actuelle et de se mettre la tête des masses déshéritées et épuisées pour livrer une bataille résolue en faveur de leur dictature révolutionnaire.

  1. Konovalov, ministre du Commerce dans le gouvernement provisoire du prince Lvov, démissionna le 31 mai 1917.
  2. Cf. chap. 2, note 5.