Discours de clôture du débat sur le rapport de Varga

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Le Ve Congrès de l’Internationale Communiste

15e séance Moscou,

25 juin 1924 (soir)

VARGA réplique : les débats ont été presqu’entièrement consacrés aux questions politiques ; un très petit nombre d’orateurs s’est occupé de la question économique, et encore ils ont parlé moins de la situation de fait que de la tendance, ce qui n’est pas judicieux, car la perspective ne saurait être découverte qu’après la mise en lumière des faits. On m’accuse de n’avoir pas fondé assez révolutionnairement mes conclusions : mais ni les faits sur lesquels je m’appuie, ni les conclusions que j’en tire ne sont faux.

Radek a trouvé des différences entre ma brochure, écrite en avril, et mon discours au congrès.

Je dois remarquer que, précisément dans l’intervalle, de nouveaux faits sont apparus qui ont nécessité un approfondissement des perspectives. Chaque jour la crise s’aggrave en Amérique, en Allemagne, en Haute- Silésie et en Roumanie; en Angleterre même, la semaine dernière justement a marqué une recrudescence de chômage. C’est ce qui m’a déterminé à présenter dans mon rapport la crise capitaliste avec une nuance d’aggravation relativement à ma brochure.

Dunne m’impute une surestimation de la crise américaine. Or, les comptes-rendus bourgeois accusent eux-mêmes une diminution de production qui a atteint dans la métallurgie par exemple 30% en 2 mois. Je crois bien que jamais encore on n’a eu à enregistrer de crise aussi grave. Toutefois cette crise américaine revêt des aspects très spéciaux. Ordinairement chaque début de crise économique est accompagné d’une crise monétaire: mais ce n’est pas le cas présentement en Amérique. Le marché monétaire reste absolument normal. Le capitalisme surmonte la crise aux dépens du prolétariat, en réduisant la production et non les prix.

Wijnkoop a dit que l’Europe Centrale et les Balkans deviennent des colonies de l’Europe Occidentale. Cette conception est fausse. Il y a entre l’Angleterre et la France impérialistes une concurrence acharnée pour la domination de l’Europe. Les réparations ne sont au fond que cette question : l’Allemagne deviendra-t-elle une colonie de la France, de l’Angleterre ou bien de l’Amérique ? Il ne s’agit donc pas d’Europe occidentale ; il s’agit d’un corps-à-corps entre les grandes puissances impérialistes pour l’hégémonie en Europe Centrale. L’industrie lourde, les banques et le militarisme de France veulent une Allemagne démembrée comme avant 1870. Toute la guerre de la Ruhr s’est achevée par la victoire militaire des Français. La faiblesse économique de la France dont une, preuve est la crise du franc, a cependant contraint sa bourgeoisie à renoncer aux fruits de sa victoire militaire et à se subordonner à la politique anglo-américaine.

C’est Dengel qui s’est occupé le plus en détail de mes thèses. Il a dit que la droite seule est d’accord avec elles : pourtant la délégation russe les a acceptées en principe. Il trouve leur tendance fausse. Il s’agit me semble-t-il, de savoir si un capitalisme « normal » peut se rétablir. Au cours de ces cinq dernières années, nous avons vu d’abord, immédiatement après la guerre, la bourgeoisie reculer sur toute la ligne devant le prolétariat. Deux ans après, commençait l’offensive du capital. Mais les antagonismes se sont accentués au sein du capital : la décision des experts a été prononcée en faveur du petit groupe des plus gros capitalistes. Une grave crise agraire sévit sur le monde entier et il y a en Occident une crise spéciale déterminée par l’industrialisation des pays agricoles. Cependant, politiquement, le capitalisme s’est consolidé. Ce serait une utopie que de nier toute possibilité pour lui de surmonter la crise.

Dengel a déclaré que je suppose comme Kautsky, une époque superimpérialiste dans laquelle les contradictions du capitalisme sont si énormes qu’elles s’annihilent. Est-il possible que les antagonismes entre grandes puissances impérialistes cessent ? Oui, cela est possible. La guerre mondiale a supprimé trois grandes puissances sur sept : la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne. On peut penser qu’au cours de la prochaine guerre une ou deux puissances seront de nouveau jetées pardessus bord et dégradées au niveau d’objets de la politique impérialiste. Il n’y a rien de contraire au marxisme à supposer qu’une seule puissance impérialiste ou l’impérialisme anglo-américain unifié puissent se soumettre le reste du monde de façon a rendre impossible toute guerre. Si Dengel entend le superimpérialisme de cette façon et nie sa possibilité, je ne lui donnerai jamais raison.

Dengel estime très dangereux pour l’I. C. d’accepter ce point de vue. Bien au contraire. Si une tendance du capitalisme à se raffermir est constatée, ce serait trahir les intérêts du prolétariat que de la taire, je ne veux pas dire que le capitalisme tend à s’assainir, mais je nie énergiquement que, si une telle perspective était là, il serait dangereux de l’enregistrer. Dengel appartient au nombre des antiléninistes de ce qu’on appelle la gauche allemande, bien qu’il se soit prononcé contre elle. On le voit par cette imputation de « volontarisme » : j’accorde, dit-il, une trop grande importance à la volonté de lutte du prolétariat. Mais ne serait-ce pas une contradiction de dire : Nous condamnons là droite pour n’avoir pas voulu combattre dans une situation révolutionnaire, et d’autre part, de me reprocher de souligner que la volonté de lutte du prolétariat est un facteur indispensable de sa victoire ?

Dengel voit une contradiction en ce que je parle d’une part de la tendance des pays capitalistes à s’isoler et d’autre part de l’enchevêtrement international des intérêts capitalistes. Il n’y a pas là la moindre contradiction. La bourgeoisie de chaque pays aspire à s’assurer le monopole du marché intérieur et s’entoure d’une haute barrière de douanes. Le capital étranger, qui jusque là avait livré telle ou telle marchandise à ce pays, réduit tout naturellement la production de ces articles. L’organe théorique du parti allemand a publié ces derniers temps de nombreuses attaques contre moi. Elles se réduisent dans leur essence à me reprocher de n’avoir pas dressé une théorie de la période de crise aussi claire que celle du marxisme appliqué au capitalisme normal. Je dois relever que personne n’a encore bâti cette théorie. Marx et Engels avaient étudié 20 ans le capitalisme et seulement après 20 ans d’observation ils ont écrit leur « Capital ». Maintenant que le capitalisme s’est grandement compliqué, il est naturellement encore moins possible d’exiger une théorie improvisée. Les camarades qui me font des reproches n’ont rien donné de positif, pas la moindre tentative d’analyse réelle.

Permettez-moi pour finir de toucher une question dont il n’a pas du tout été parlé. Il y a cinq ans il y avait, outre la Russie, un autre pays fermement prolétarien : la Hongrie. La dictature prolétarienne en Hongrie a tenu 4 mois et demi. Or le prolétariat hongrois n’est pas représenté au Congrès. Il n’y a pas de parti communiste hongrois. Ce fait n’est pas dû à la carence de l’émigration ni à un mauvais fractionnement. Tout au contraire : il y a des fractions parce que nous n’avons pas réussi à créer en Hongrie un mouvement communiste viable. C’est un fait qui mérite d’être soupesé, car il existe là-bas un fort mouvement ouvrier. Les syndicats hongrois sont les seuls au monde dont l’effectif ait augmenté ces trois dernières années. La vérité est que la dictature hongroise s’est faite avant la création organique d’un parti communiste. La bourgeoisie a senti ce que c’était que la dictature prolétarienne : aussi les persécutions de la réaction contre les communistes ont-elles acquis une violence particulière. La tâche du parti hongrois est exceptionnelle dans l’histoire ; après la dictature, reprendre par le commencement la création d’un parti communiste, à travers la terreur et l’illégalité. Le temps est venu d’aborder franchement cette question. Il serait bon que le Congrès charge l’Exécutif de faire un effort énergique pour surmonter les divergences de fractions au sein du parti hongrois.

Le mouvement ouvrier fondra ces fractions en un bloc ayant un seul et même but : poser les fondements d’un vrai parti communiste hongrois. Une fois ces premières mesures prises, les semences révolutionnaires laissées dans les masses par la dictature lèveront rapidement et le parti communiste hongrois acquerra la grandeur et la force qu’il a méritées par son passé (Applaudissements).

16e Séance

Moscou, 27 juin 1924 (matin).

La parole est donnée à plusieurs orateurs pour des déclarations personnelles.

Varga — Mes remarques sur l’inexistence d’un parti communiste organisé en Hongrie avant la dictature ont provoqué un malentendu. Je ne veux pas nier l’importance du parti Hongrois dans la lutte pour la dictature. Le Parti hongrois s’est créé en automne 1918 et a fusionné avec le parti socialdémocrate au moment de l’instauration de la dictature. Cette dernière a surtout été l’œuvre du parti communiste. Mais sa durée n’a pas été assez longue pour permettre la formation d’un parti illégal après l’écrasement de la dictature.