Discours de clôture du Congrès

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BOUKHARINE : Camarades, nous sommes à la fin des travaux du VIe Congrès de l’Internationale Communiste. On peut dire, naturellement, que ce fut le « long parlement » du communisme révolutionnaire. Mais notre travail fut utile au plus haut point pour le développement ultérieur du communisme révolutionnaire. A ce congrès, peut-être plus qu’à n’importe quel autre congrès précédent de l’I.C., nous avons passé une grande revue des forces du mouvement communiste international. Si, à l’époque de la IIe Internationale, les débats des congrès se bornaient d’habitude à des discours des leaders les plus en vue des pays « avancés », c’est-à-dire des pays impérialistes, par contre, à notre congrès, ce sont les leaders, les représentants, les champions du prolétariat révolutionnaire de tous les pays qui se sont présentés aux yeux des travailleurs du monde entier.

Les représentants de la classe ouvrière révolutionnaire et des masses travailleuses sont venus à notre congrès, des pays impérialistes les plus « civilisés », les plus importants, les plus puissants, les plus rapaces, comme des colonies les plus éloignées, les plus opprimées, dont les peuples commencent seulement à entrer dans l’arène historique ; des plus puissantes citadelles du capitalisme aux coins les plus reculés de notre planète. Tous ont pris la part la plus active, la plus vivante aux travaux de notre congrès. Des questions qui se trouvaient chez nous à l’ordre du jour étaient d’une ampleur, d’une importance exceptionnelle. A elle seule, la question du Programme de l’Internationale communiste, dont l’adoption représente toute une époque historique du mouvement international de la classe ouvrière, est si exceptionnelle et en même temps si vaste et si difficile, quelle seule aurait justifié la convocation du congrès de l’I.C. Cette question, si vaste par son contenu, aurait pu fournir la matière des travaux de tout un congrès.

L’adoption de ce programme qui est une loi pour nos nombreuses sections et les millions de prolétaires groupés sous notre drapeau révolutionnaire, l’adoption de ce document représente toute une époque dans l’histoire de notre mouvement, considérée non pas à son point de vue spécifique en tant qu’histoire de l’I.C., mais bien comme histoire du mouvement révolutionnaire international de la classe ouvrière en général.

Le fait que l’Internationale Communiste fut capable d’adopter enfin son Programme international — après une longue période préparatoire, il est vrai, après plusieurs tentatives qui ne furent pas toujours réussies, il est vrai — ce fait seul exprime l’énorme développement intérieur et extérieur de notre mouvement. Développement extérieur, dans la mesure où ce congrès a élaboré notre projet dans un long travail collectif avec la participation des représentants des détachements les plus divers de la grande armée révolutionnaire internationale ; développement intérieur dans la mesure où notre discussion et nos travaux ont manifesté à ce congrès l’énorme et incontestable accroissement idéologique de notre mouvement.

En comparant les travaux que nous avons accompli sur cette question aux congrès précédents, au IVe et au Ve congrès, avec le travail énorme que nous avons accompli au VIe Congrès qui se termine, nous pouvons constater une différence considérable, non seulement au point de vue de la quantité du travail effectué, mais aussi au point de vue de la qualité. Nous constatons comment les idées du marxisme, les idées du léninisme pénètrent au plus profond de la classe ouvrière, s’emparent de certains milieux de la paysannerie révolutionnaire, constituent l’axe idéologique du mouvement communiste en voie de croissance, partout, dans les coins les plus reculés du globe terrestre, au sein des partis communistes récemment constitués ou qui viennent à peine de se former dans la périphérie coloniale lointaine de notre mouvement, à des dizaines de milliers de kilomètres de ces centres industriels.

Nous avons établi à ce congrès le bilan de toute une grande phase historique dans le développement de notre mouvement, car, dans les années écoulées depuis le Ve Congrès, le monde entier, les pays de l’impérialisme et le secteur colonial de l’économie mondiale, de même que le puissant pays de la classe ouvrière, le pays récent de la dictature du prolétariat ont traversé bien des événements durant cette période.

C’est après bien des discussions, après bien des débats qui sont l’indice de la croissance et de la vie active de notre grand organisme communiste que nous sommes arrivés finalement à donner une appréciation unanime de la phase historique que nous traversons. Nous dûmes soumettre à une analyse marxiste minutieuse ce que la résolution adoptée qualifie de « troisième période » dans le développement de la crise capitaliste mondiale. Nous avons essayé, et nous pensons que nous sommes parvenus pas nos efforts collectifs à fixer sur la base d’une analyse marxiste précise les particularités qui distinguent la période historique en cours. Nous avons pesé et jugé le nouvel essor technique qui élève les forces productrices du capitalisme. Nous avons pesé et jugé les nouvelles formes d’organisation du capitalisme ; nous avons apprécié à sa juste valeur la phase particulière de la stabilisation capitaliste que nous traversons actuellement ; nous avons apprécié rigoureusement ce que l’on appelle dans le langage habituel les « côtés négatifs » de cette stabilisation et que dans notre langage nous appelons le développement inéluctable des contradictions de cette stabilisation. Nous avons déduit de nombreux faits les tendances fondamentales de ce développement, nous avons constaté partout l’aggravation de la lutte de classes et une série de faits qui nous montrent, qui nous garantissent que de nouveaux renforts d’hommes entreront sur l’arène et mettront finalement un terme non seulement au développement de la société capitaliste, mais aussi à la société capitaliste elle-même. Nous avons donné notre jugement sur les contradictions nombreuses, enchevêtrées, croissantes, bizarres et pleines d’acuité du développement social actuel. Nos résolutions, nos motions posent la ferme base à notre tactique, celle de la lutte révolutionnaire implacable contre le régime capitaliste.

Sous l’angle de ces tendances fondamentales, nous avions pour devoir de poser une question centrale dans la période actuelle, celle de la guerre. L’Internationale Communiste a maintes fois envisagé le problème de la guerre. L’Internationale Communiste est née elle-même de la guerre, dans l’orage et la tourmente de la première grande guerre impérialiste et du commencement de la crise révolutionnaire du capitalisme. Elle n’est pas le produit de la vieille époque en décomposition, du développement pré impérialiste. Elle est le produit d’une époque saturée d’orages. A l’avenir, elle devra poser aussi ce problème, peut-être bien plus concrètement encore qu’à ce congrès. Mais, camarades, nous avons dû poser maintenant la question de la menace de guerre, non pas à un point de vue général, mais au point de vue de la situation particulière actuelle. Les préparatifs de guerre dans tous les pays, la guerre en cours en Chine, la mobilisation des forces armées de l’impérialisme pour la lutte qui se prépare entre les Etats impérialistes, pour l’agression contre la République des Soviets, s’effectuent actuellement sous le couvert d’une duperie idéologique d’une ampleur sans précédent. Jamais encore on n’avait vu tant de projets, tant de déclarations officielles, tant d’assurances « pacifiques », Jamais encore la phraséologie pacifiste ne s’était promenée par les villes et les campagnes aussi insolemment fardée que maintenant. Jamais encore l’idéologie pacifiste complètement pourrie, hypocrite, fausse et mensongère ne fut proclamée avec autant d’énergie que maintenant par les hérauts officiels de l’impérialisme, alors que cet impérialisme fait tout le possible et l’impossible pour déchaîner une nouvelle guerre impérialiste. Jamais encore ce mensonge pacifiste qui, tel un rideau de fumée, sert à masquer les préparatifs militaires de l’impérialisme, ne fut dissimulé avec une telle insistance, une telle énergie et, peut-on dire, un tel cynisme par les partis social-démocrates, agence de l’impérialisme au sein de la classe ouvrière.

Voila pourquoi nous devons envisager le problème de la guerre dans des conditions particulières, le résoudre au point de vue de la phase historique particulière dans laquelle nom venons d’entrer. De même que, pour d’autres questions, nous avons dû mettre celle-ci en relief, tant au point de vue de la lutte directe contre l’impérialisme qu’à celui de la lutte contre son agent encore puissant, la social-démocratie que nous devons renverser, que nous devons terrasser parce que la classe ouvrière ne parviendra à la révolution communiste victorieuse qu’en passant sur son cadavre politique.

Camarades, nous avions aussi à examiner la question coloniale. Mais il existe une différence énorme entre l’époque où nous discutions ce problème aux congrès précédents, voire même au IIe Congrès sous la direction immédiate de Lénine, et la situation actuelle. De nombreuses questions de notre action dans les colonies ont un autre aspect qu’alors. Pendant ce temps, notre mouvement révolutionnaire international a traversé dans son secteur colonial des événements si considérables, si gigantesques, notre horizon s’est tellement agrandi, les partis qui se trouvent ou qui bientôt se trouveront dans le feu même de féroces luttes de classes dans les colonies et en collision directe avec l’impérialisme étranger, ont recueilli des expériences si formidables, que nous avons dû poser et résoudre de nombreuses tâches nouvelles.

La révolution chinoise et le soulèvement en Indonésie ont fait naître à nos yeux, à eux seuls, de nouveaux problèmes. Auparavant, nous nous posions les problèmes coloniaux à un point de vue général, sans les étudier en détail ; auparavant, nous ébauchions le tracé approximatif, général, de notre stratégie et de notre tactique dans les colonies. Maintenant, les événements de la révolution chinoise ont soulevé un grand nombre de questions concrètes, une série de questions de stratégie et de tactique. Une des tâches de notre congrès fut de tenir compte de cette expérience, énorme en vérité.

Enfin, camarades, nous avons dû à ce congrès tirer le dernier trait — Je l’espère — sous la page de notre histoire intérieure, que l’on pourrait appeler la crise trotskiste au sein de l’Internationale Communiste.

Au congrès précédent, au Ve Congrès, nous avons dû poser cette question. Mais depuis elle s’est accrue au point de devenir un problème des plus considérables pour la dictature du prolétariat en U.R.S.S. et pour l’Internationale Communiste. Il y a longtemps, très longtemps, dans un fragment de ses écrits, le génial prophète du communiste scientifique et son fondateur, Marx, écrivit que, finalement, le véritable essor du communisme révolutionnaire n’aurait lieu que lorsque la classe ouvrière s’emparerait du pouvoir politique dans un pays quelconque et qu’alors le mouvement international recevrait ainsi une base solide et puissante.

Le mouvement communiste international a reçu cette base : c’est la dictature prolétarienne dans le pays de l’ancien despotisme tsariste. Mais camarades si, d’une part, le mouvement ouvrier international et les révolutions dans les pays coloniaux trouvent ici leur puissant soutien, il est clair que des fissures et des vacillements dans la charpente du parti, dans les fondements du mouvement ouvrier international ébranlent tout le système de notre mouvement, ébranlent et désagrègent fatalement toute l’armée communiste internationale. Ce n’est pas sans convulsions internes, sans frictions, que le parti a traversé cette crise. Le bon sens de la classe ouvrière, le bon sens de son avant-garde communiste qui est aujourd’hui en face de la perspective de combats importants et décisifs, cet instinct de l’unité de classe, de la nécessité de l’unité des rangs communistes en premier lieu, fit que l’opposition trotskiste fut complètement battue chez nous et que ses quelques débris se sont dispersés presque d’emblée dans tous les autres partis qui ont chassé de leurs rangs les émissaires de la social-démocratie. Le congrès a tiré un trait définitif, Nous avons écarté de nombreux anciens militants et la liste que Kolarov vient de vous lire dans son discours, de même que le vote qui fut fait ici à ce sujet, signifient la mort politique de ces personnes.

Nous ne savons pas si elles ressusciteront jamais. S’il en était ainsi, nous ne le regretterions pas un seul instant. Au contraire. Mais nous sommes heureux de constater en même temps qu’en perdant plusieurs personnes, nous avons acquis de nouveaux partis, nous avons acquis de nouvelles collectivités, en Corée et en Nouvelle-Zélande, en Irlande, en Uruguay, au Paraguay, en Equateur et en Colombie. Nous avons acquis des détachements importants de nouveaux militants et nous entrons dans la période qui vient avec de nouvelles forces, avec une nouvelle certitude de notre victoire définitive.

Camarades, en établissant le bilan des travaux de notre congrès, nous pouvons déclarer ici :

Votre jour viendra, il ne peut pas ne pas venir. Le temps est passé où les prophètes social-démocrates de la stabilisation capitaliste annonçaient la ruine de notre parti. Nos partis se sont trempés sous les coups du marteau de l’histoire, nos partis deviennent toujours plus cohésifs, nos partis deviennent toujours de plus puissants facteurs de la vie politique. Et si maintenant la bourgeoisie internationale tente de lancer contre nous ses valets — et elle le tentera selon toute probabilité, toute son attitude l’indique dans ce sens — si elle prend les armes, si elle plonge l’humanité dans une nouvelle guerre, si elle met en jeu l’existence de notre Union, elle mettra en même temps en jeu sa propre existence historique — c’est notre certitude la plus profonde et notre espoir le plus ferme.

De nombreuses années se sont écoulées depuis la première guerre impérialiste et notre République soviétique entre déjà dans sa douzième année. L’Internationale communiste, fondée en 1919, célébrera bientôt aussi son dixième anniversaire. Si nous comparons les forces que nous possédions lors de la première guerre impérialiste, les petites poignées et parfois même les quelques personnes qui suivaient l’emblème révolutionnaire, si nous les comparons aux puissants détachements du mouvement révolutionnaire international qui suivent l’Internationale Communiste, nous pouvons déclarer en toute assurance : Notre force est invincible. Jamais, pas un seul instant, nous n’avons lieu de craindre aucune attaque contre nous car nous savons que nous nous sommes considérablement renforcé pendant cette période, notre cause est une cause historiquement progressive, notre classe a la charge de la plus grande mission historique, notre classe est celle qui est destinée à conquérir le pouvoir dans le monde entier. Elle n’a rien à perdre hormis ses chaînes, elle gagnera le monde entier ! (Vifs applaudissements. Les délégués se lèvent et chantent l’ « Internationale ».)

Camarades, au nom du Présidium du présent congrès, je propose d’adopter à la séance plénière du congrès le manifeste suivant au nom du VIe Congrès de l’Internationale Communiste. Il est adressé « A tous les ouvriers du monde entier, à tous les paysans travailleurs, à tous les peuples opprimés des colonies, aux soldats et aux marins des armées capitalistes. » (Il donne lecture du Manifeste.) (Applaudissements, tous les délégués se lèvent et chantent l’« Internationale ».) Camarades, je vous prie de voter le texte du manifeste que je viens de vous lire. Qui est pour le texte du manifeste du VIe Congrès de l’Internationale communiste proposé au nom du Présidium ? (Applaudissements.) Qui vote contre ? Qui s’est abstenu ?

Le Manifeste du VIe Congrès de l’I.C. aux ouvriers du monde entier, à tous les paysans travailleurs, aux peuples opprimés des colonies, aux soldats et aux marins des armées capitalistes est adopté à l’unanimité. (Applaudissements. Ovations.)

Camarades, en terminant le congrès et en remerciant tous nos collaborateurs qui ont beaucoup travaillé ici, je remercie sincèrement tout notre appareil au nom du Présidium, au nom du Congrès. Permettez-moi de souhaiter à tous les militants de notre parti de mener leur lutte avec succès en Europe, en Amérique et dans toutes les autres parties du monde où notre drapeau est hautement dressé et où il devra flotter encore plus haut. Notre but est de briser la résistance de la bourgeoisie, notre tâche est de réaliser la victoire définitive, universelle de la classe ouvrière.

Je déclare la clôture de la session du VIe Congrès. (Applaudissements effrénés, longues ovations. Les délégués chantent l’« Internationale » et d’autres chants révolutionnaires.)