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Discours au plénum du C.C. du SWP à propos des luttes fractionnelles
Auteur·e(s) | James P. Cannon |
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Écriture | 3 novembre 1953 |
Nous sommes tous conscients, camarades, d’être arrivés au terme de cette longue bataille fractionnelle dans le parti. Il ne nous reste plus qu’à en tirer le bilan.
Cela a été une longue bataille fractionnelle, et elle n’a été amenée à sa conclusion définitive que quand elle est parvenue complètement à maturité. La minorité cochranienne a eu une année entière pour travailler et s’organiser en fraction clandestine dans le parti. Une année entière. Ensuite, nous les avons finalement forcés à se montrer au grand jour, et nous avons eu cinq mois d'intenses discussions, avec davantage de bulletins internes publiés que même au cours de la grande bataille de 1939-40. Puis nous avons eu le plénum de mai et la trêve, que les cochraniens ont signée mais n’ont pas respectée.
Ensuite, encore cinq mois de bataille, pendant lesquels les cochraniens ont développé leurs positions jusqu’à leur conclusion logique, et ont montré, dans l’action, qu’ils étaient une tendance antiparti, antitrotskyste. Ils ont organisé une campagne de sabotage des activités du parti et des finances du parti, dont le point culminant a été le boycott de notre meeting pour le 25ème anniversaire. Ensuite, nous en sommes arrivés à ce plénum de novembre, où les dirigeants cochraniens ont été mis en accusation pour leur traîtrise et suspendus. Et c’est la fin de la bataille fractionnelle dans le SWP.
Au vu des faits, personne, en toute justice, ne peut dire que nous avons été impatients, que quoi que ce soit a été fait à la hâte, qu’il n’y a pas eu une discussion libre et ample, qu’il n'y a pas eu abondance de preuves de déloyauté avant qu’on en vienne aux mesures disciplinaires. Et surtout, personne ne peut dire que la direction a hésité à faire tomber le couperet quand le temps était venu. C'était son devoir. Dans notre parti démocratique, les droits d’une minorité n'ont jamais inclus et n'incluront jamais celui d’être déloyal. Il n'y a ni lieu ni place pour les briseurs de grève dans le SWP.
Fusions et scissions
Trotski a fait remarquer qu‘unifications et scissions sont des méthodes similaires de construction du parti révolutionnaire. C'est une remarque d’une profonde vérité, comme l'expérience l'a montré. Le parti qui a mené la Révolution russe à la victoire était le produit de la scission de 1903 avec les menchéviks, de plusieurs fusions et scissions survenues entre-temps, et de la réunification finale avec Trotski en 1917. La combinaison des scissions et fusions a rendu possible le parti de la victoire dans la Révolution russe.
Nous avons vu le même principe à l'œuvre dans notre propre expérience. Nous avons commencé par une scission avec les staliniens. La fusion avec le groupe de Muste en 1934, et plus tard avec l’aile gauche du Parti socialiste, ont été des jalons importants dans la construction de notre organisation. Mais ces fusions n’ont pas été plus importantes, et se situaient plutôt au même niveau, que la scission avec les sectaires ultra-gauches en l935 ou avec les révisionnistes autour de Burnham en 1940, ou que la scission avec les nouveaux révisionnistes aujourd’hui. Tous ces épisodes font partie du processus de construction du parti révolutionnaire, La loi énoncée par Trotski, comme quoi les fusions et les scissions sont des méthodes similaires de construction du parti, n’est vraie qu’à la condition que la fusion comme la scission soient chaque fois correctement motivées. Si elles ne sont pas correctement préparées et correctement motivées, elles peuvent s'avérer avoir un effet perturbateur et désorganisateur. Je peux vous en donner des exemples.
La fusion de l’Opposition de gauche en Espagne, sous la direction de Nin, avec le groupe opportuniste de Maurin, qui donna naissance au POUM, a été un des facteurs décisifs de la défaite de la Révolution espagnole. Le délayage du programme du trotskysme pour les besoins de l'unification avec un groupe opportuniste a privé le prolétariat espagnol du programme clair et de la direction résolue qui auraient pu faire la différence dans la Révolution espagnole en 1936. Inversement, les scissions dans l'organisation trotskyste française avant la Deuxième Guerre mondiale - il y en a eu plusieurs dont aucune n’était correctement motivée - ont contribué à la démoralisation du parti. Nous avons eu la chance de ne pas avoir fait de fausses fusions et de fausses scissions. Nous n‘avons jamais eu de scission après laquelle le parti n’est pas reparti de l’avant dès le lendemain, précisément parce que la scission était correctement préparée et correctement motivée.
Le parti n’était pas prêt pour la scission quand s’est ouvert notre plénum, en mai dernier. A cette époque, la minorité était loin d’avoir développé ses conceptions révisionnistes en actes d’une manière qui puisse convaincre chacun des membres du parti qu’elle n’avait rien à voir avec nous. C’est pour cette raison que nous avons fait des concessions considérables, pour éviter une scission. Avec le même raisonnement, c’est parce que tout était clair et que tout était mûr en novembre, que nous avons scissionné à ce moment-là - sans la moindre hésitation. Et si, en vous rappelant la bataille, vous reconnaissez la patience et la retenue méritoires dont la direction du parti a fait preuve dans cette longue lutte, n’oubliez pas d’ajouter qu’il faut mettre également à son actif faction résolue et décisive engagée à ce plénum pour mettre un terme à cette affaire.
La scission de 1940
Je pense qu’il serait utile pour nous de faire une comparaison entre cette scission, que nous considérons comme progressiste et comme une contribution au développement du parti révolutionnaire en Amérique, et la scission de 1940. Il y a des similitudes et des différences. Elles sont similaires dans la mesure où la question fondamentale posée dans chacun des cas était le révisionnisme, Mais le révisionnisme de 1940 était loin d’être aussi profond et aussi tranché que le révisionnisme avec lequel nous avons scissionné aujourd’hui. Burnham, c’est vrai. avait abandonné le programme du marxisme. mais il ne l’a fait ouvertement que dans les dernières étapes de la bataille, quand il a jeté le masque. Et Shachtman ne l’a pas suivi complètement. Shachtman, jusqu‘au moment de la scission, ne révisait pas ouvertement notre programme sur l'Union soviétique, qui était la question centrale en discussion.
Il laissait la question ouverte, et déclara même dans un de ses derniers documents que si les impérialistes attaquaient l‘Union soviétique. il se prononcerait pour la défense. Quant au troisième dirigeant, Abern, il ne faisait absolument aucune concession théorique au révisionnisme. Il se considérait toujours comme un trotskyste orthodoxe. et pensait que toute cette bataille portait sur la question organisationnelle. Il se trompait lourdement, mais la lutte définitive entre le trotskysme orthodoxe et le révisionnisme n’était en aucune manière aussi claire, nette et profonde en 1940 qu‘elle ne l‘est aujourd'hui. Cela a été illustré par le fait que quand Burnham, quelques mois plus tard, poussa son révisionnisme à sa conclusion logique et abandonna complètement le mouvement, Shachtman et Abern reculèrent.
Les deux scissions, celle-ci et celle de 1940, sont similaires en ce qu’elles étaient toutes deux inévitables. Dans les deux cas. les divergences avaient mûri jusqu'au point où nous ne pouvions plus parler le même langage ou vivre dans le même parti. Quand les partisans de Shachtman nous ont présenté leur ultimatum, et ont exigé d’être autorisés à avoir leur propre journal, leur propre revue, leur propre apparition publique, ils ne faisaient qu’exprimer leur conviction profonde qu’ils devaient parler un langage différent du nôtre ; qu’i1s ne pouvaient pas, en conscience, diffuser ce que nous écrivions dans notre presse et qui était conforme à la ligne orthodoxe. Et comme nous ne pouvions pas tolérer cela, la scission était inévitable.
La scission actuelle est différente de celle de 1940, dans le sens où elle est plus définitive. Pas un seul participant à ce plénum n‘envisage quelque relation future que ce soit à fintérieur du même parti avec les briseurs de grève de la bande à Pablo-Cochran. Tout doute à ce sujet est exclu. Il est absolument certain que depuis hier matin, 11 heures, heure à laquelle ils ont quitté la salle - pas avec un éclat mais avec un ricanement - ils sont partis pour de bon. On peut envisager tout au plus que des militants individuels qui ont été pris dans la lame de fond puissent revenir au parti un par un. Et bien sûr, ils seront accueillis. Mais en ce qui concerne le noyau principal de la fraction minoritaire, ils ont rompu avec nous pour toujours. Le jour où ils ont été suspendus du parti, relevés de leurs obligations envers lui, était probablement le plus beau jour de leur vie.
Les partisans de Shachtman, par contre, ont continué à protester pendant longtemps qu’ils voulaient l'unité. Et même six ou sept ans après la scission, en 1946 et en 1947, nous avons effectivement engagé des négociations d’unification avec les shachtmanistes. A un moment, au début de 1947, nous avons conclu un accord de fusion avec eux, ce qui illustre le point que j‘ai fait. comme quoi la scission de 1940 n'était en aucune manière aussi tranchée et finale que la scission d’aujourd’hui. Nous en avons fini avec Pablo et le pablisme pour toujours, non seulement ici mais au niveau international. Et personne ne nous fera perdre de temps avec des négociations pour un compromis, ou une quelconque absurdité de ce genre. Nous sommes en guerre avec ce nouveau révisionnisme, qui s’est épanoui en réaction aux événements qui ont suivi la mort de Staline en Union soviétique, en Allemagne de l’Est et dans la grève générale française.
Différences entre les scissions
Il existe également des différences entre les deux scissions à d’autres égards, des différences importantes, et plus favorables pour le parti. D’abord, en ce qui concerne la taille de la scission. En 1940, les shachtmanistes n’avaient pas moins de 40 % du parti et une majorité de l'organisation de jeunesse. Si vous comptez la jeunesse, qui n’avait pas le droit de vote dans le parti, c’était presque une scission à 5050. Ce groupe-ci emporte avec lui à peine 20 %. C’est une des différences.
Une deuxième différence, c’est qu’en 1940 la scission a carrément coupé en deux la direction. On ne perdait pas seulement quelques personnes dont on pouvait facilement se passer. Pendant des années, le noyau politique central de la direction centrale du parti avait été Burnham, Shachtman et Cannon. Ils en ont pris deux sur les trois. Ils avaient la majorité au comité politique du parti, tel qu’il était constitué, jusqu’au moment où la bataille a éclaté, en septembre 1939. Nous avons dû réorganiser le comité politique au plénum d’octobre 1939, de façon à instaurer le contrôle de la majorité dans le comité politique.
Shachtman et Burnham n’étaient nullement de simples potiches dans le comité politique. Ils étaient les rédacteurs en chef de la revue et du journal et ils assuraient pratiquement tout le travail rédactionnel. Il y avait une division du travail entre eux et moi : je m’occupais de diriger le travail organisationnel et syndical, de l'administration et des finances - et de toutes les autres besognes dont les intellectuels, en règle générale, n’aiment pas s’embarrasser - et ils écrivaient, presque tout. Et quand ils avaient la bonne ligne politique, ils écrivaient très bien, comme vous le savez. Donc, en 1940, il y a eu une réelle scission, non seulement dans la direction politique, mais aussi au niveau des cadres de l’appareil du parti. Au moment de la scission, il y avait beaucoup d’appréhension de la part de certains de nos camarades. Que diable allions-nous faire sans ces forces intellectuelles de première classe, sans ces écrivains efficaces, etc. ? Et de leur part, il y avait une grande jubilation, et une conviction profonde que nous n’allions jamais pouvoir nous en sortir, parce qu’ils avaient pris tous les écrivains.
Eh bien, pratiquement tous les camarades qui dirigent le parti maintenant, et qui font tout le travail de cadres dirigeants, très peu d’entre eux étaient ne serait-ce que membres du comité national [équivalent de comité central] à cette époque. Ceux qui en étaient membres étaient en train d’acquérir leur première expérience, et ils n’avaient pas encore vu reconnaître leurs talents d’écrivains, d’orateurs et de politiciens. Le camarade Dobbs, par exemple. qui vient du mouvement de masse, n’était à New York que depuis deux ou trois mois. Un certain nombre d’autres camarades, qui étaient membres ou membres suppléants du comité national, ne se considéraient pas encore, ou n’étaient pas considérés comme faisant réellement partie de l’équipe de cadres dirigeants du parti. En 1940, la scission a traversé au cœur du collectif dirigeant.
Et puis la scission de 1940 avait une troisième caractéristique. L'opposition petite-bourgeoise a quitté le parti avec la majorité de la jeunesse, qui, comme disait le camarade Dobbs, a plus de « pêche ». Ils étaient convaincus qu’avec leur dynamisme, avec leur capacité de partir au quart de tour, avec leur conception de « parti en campagne », et avec leurs écrivains, ils montreraient bientôt qu’ils pouvaient construire un parti plus vite, plus grand, meilleur - à la californienne - que nous. Nous n’étions pas d’accord avec eux, mais c’est comme ça qu’ils ont commencé.
Et n’oubliez pas qu’ils ont commencé presque la semaine d’après avec un nouveau parti. Ils l’ont appelé le « Parti des travailleurs » [Workers Party] et ils sont arrivés avec un nouvel hebdomadaire et une revue qu’ils nous ont volée. Pendant une période considérable, ils ont pensé qu’ils étaient pour nous des concurrents sérieux dans la lutte pour gagner l'adhésion de l'avant-garde des ouvriers de ce pays. Voilà à quoi nous étions confrontés en 1940. Nous avons été obligés de prendre des cadres sans expérience préalable et de les pousser dans des postes de responsabilité au comité politique [équivalent de bureau politique] et dans la presse ; et de commencer à les former en tant que dirigeants dans le feu de la lutte.
Le parti continue son chemin
La scission de 1953 est très différente, à différents égards. D’abord, j’ai mentionné la taille. Elle est beaucoup plus petite. Deuxièmement, cette fois-ci l’équipe de cadres dirigeants n’est pas coupée en deux, comme certaines personnes pourraient le croire en voyant ces noms - Cochran, Clarke, Bartell, Frankel, etc. Ce sont des gens talentueux ; ils faisaient partie du groupe des cadres dirigeants; mais ils n’en étaient pas un élément indispensable. Nous avons eu cinq mois de « scission à froid » depuis le plénum du mois de mai, pour le confirmer par l’expérience. Pendant toute cette période, les cochraniens n’ont fait absolument aucun travail constructif pour le parti. Inspirés par le grand dieu Pablo, ils ont exclusivement consacré leurs efforts au fractionnalisme, à faire obstruction au travail du parti, et à saboter les finances du parti. Et quel en a été le résultat ? Nous nous sommes aperçus, dans les cinq mois qui ont suivi le plénum de mai, que ces gens-là ne sont nullement indispensables au travail rédactionnel du parti, au travail politique du parti, au travail organisationnel du parti, ou au soutien financier du parti.
Le parti continue son chemin sans eux, et malgré eux, depuis cinq mois. La scission au niveau des cadres s’est avérée n’être que le départ d‘un petit fragment. Nous en avons fait le test pendant cinq mois de scission à froid, avant de finalement faire face au problème avec une scission à chaud, et nous le savons. Il n’y aura absolument aucune perturbation dans la direction, pas de quête frénétique pour trouver qui va occuper les postes laissés vacants par ces extrotskystes devenus des révisionnistes. Les postes sont déjà occupés, débordent presque, pour ainsi dire. Tout marche bien. Voilà l'expérience de la scission à froid qui a traîné en longueur depuis le mois de mai.
Troisièmement, personne ne peut imaginer que ces gens-là oseront même envisager de lancer un nouveau parti et un journal d’agitation, Premièrement, ils ne croient pas en leur propre capacité à construire un parti. Deuxièmement, ils ne croient pas en la capacité de qui que ce soit à construire un parti. Et en troisième lieu, ils ne croient pas à un parti révolutionnaire devant-garde. Ils ne vont donc pas se confronter à nous avec un parti concurrent, qui prétendrait être l’avant-garde trotskyste et le noyau du futur parti de masse de la révolution.
Dans leurs plans optimistes maximum, leur ambition c’est d’être un petit cercle de propagande qui publiera une petite revue, dans laquelle ils observeront, ils analyseront et ils expliqueront les choses au profit des « éléments politiques sophistiqués », c’est-à-dire les staliniens et des charlatans « progressistes » du mouvement ouvrier. Des critiques qui restent sur la touche, des observateurs, des analystes et des abstentionnistes - voilà le genre d’opposition qu’ils vont nous offrir. Pas un parti concurrent.
Ils ne seront pas un obstacle pour nous dans notre lutte en tant que parti dans les campagnes électorales - parce qu’ils ne croient pas aux campagnes électorales. Dans la première période qui a suivi notre scission avec les partisans de Shachtman, ceux-ci avaient pris l’habitude de présenter leurs propres candidats contre nous à New York et ailleurs ; et en général, ils essayaient de nous faire concurrence, leur parti contre notre parti. Ça ne sera pas le cas avec les cochraniens. Si nous voulons avoir un débat quelconque avec ces gens-là, je pense que nous devrons aller les débusquer là où ils se cachent. Et à certains endroits, ce sera une tâche difficile, en particulier à Détroit et à San Francisco.
Un test pour une direction
Une lutte fractionnelle est un test pour une direction. La lutte fractionnelle fait partie du processus de construction d’un parti révolutionnaire des masses; ce n’est pas toute la lutte, mais ça en fait partie.
Certains camarades, en particulier ceux qui font du travail de masse, qui veulent s’impliquer en permanence dans un travail constructif, qui sont perturbés et irrités par les argumentations, les querelles et les batailles fractionnelles, doivent apprendre qu’ils ne pourront avoir la paix dans le parti que s’ils se battent pour elle. La bataille fractionnelle est un des moyens d’obtenir la paix.
Le parti, comme vous le savez, a connu la paix et la solidarité au niveau interne pendant toute la période qui va de 1940 à 1951 ; onze ans. si l’on excepte cette petite escarmouche avec Goldman et Morrow. qui n’a pas été grand-chose - onze ans de paix et de vie interne normale. Cette « longue paix » fit traverser au parti la guerre, le procès et l'emprisonnement des 18, le boom de l'après-guerre et la première période de la chasse aux sorcières [maccarthyste]. Cette paix et cette solidarité internes rie sont pas tombées du ciel. Elles ne nous ont pas été « données ». Nous nous sommes battus pour ça, et nous l’avons obtenu par la lutte fractionnelle avec l'opposition petite-bourgeoise pendant les huit mois allant de septembre 1939 à avril 1940.
Chaque lutte fractionnelle sérieuse, correctement orientée par une direction consciente, se développe par étapes progressives ; elle a un début, un milieu et une fin : et à chaque étape de la lutte, la direction est mise à l’épreuve. Sans une direction consciente, le fractionnalisme peut dévorer et détruire un parti. Le fractionnalisme sans direction, parfois même la plus petite querelle, peut mettre un parti en pièces. Nous l’avons vu plus d’une fois. Tout dépend des dirigeants, de leur niveau de conscience. Ils doivent savoir comment et quand commencer la bataille fractionnelle, comment la mener; et comment et quand la terminer.
Les deux premières étapes de la lutte contre les révisionnistes-liquidateurs dans le SWP - le début et le milieu - sont déjà derrière nous. Maintenant on arrive à la fin. Nous aurons tout le temps de réfléchir sur l'expérience des deux premières étapes plus tard. Je pense que ce serait malvenu et pire qu’un gaspillage de temps, à l’étape où il faut finalement agir pour terminer la bataille, que de commencer à évoquer des souvenirs et à examiner combien d’erreurs ont été commises, qui a fait telle ou telle erreur, et ainsi de suite.
L’essentiel est que les cadres dirigeants du parti, dans leur ensemble, aient vu le problème à temps, aient pris la situation à bras le corps et l’aient exposée au grand jour, pendant cinq mois de discussion libre. Ensuite, au plénum de mai, nous avons proposé une trêve à la minorité, afin de lui donner une chance de reconsidérer la voie sur laquelle elle s’était engagée, ou de définir les questions plus clairement dans une discussion objective. Ensuite, quand les cochraniens ont rompu la trêve, nous avons vécu cinq mois de « scission à froid », et au plénum nous en avons finalement terminé.
Et tout cela a été accompli sans que le parti soit perturbé ou démoralisé. C’est la chose essentielle. Nous pouvons laisser pour plus tard les retours en arrière, les interrogations ou les analyses pour savoir si une petite erreur a été commise ici ou là par tel ou tel. Maintenant, ça n’est pas important. C’est le troisième point qui est important maintenant, comment finir la bataille fractionnelle. Et là encore, c’est une question de direction.
La question du parti
La direction est le problème non résolu de la classe ouvrière du monde entier. La seule barrière entre la classe ouvrière mondiale et le socialisme est le problème non résolu de la direction. Voilà ce que veut dire « la question du parti ». C'est ce que veut dire le Programme de transition quand il déclare que la crise du mouvement ouvrier est la crise de la direction. Ça veut dire que tant que la classe ouvrière n‘aura pas résolu le problème de créer le parti révolutionnaire, l'expression consciente du processus historique qui pourra diriger les masses en lutte, la question restera non résolue. C‘est la plus importante de toutes les questions : la question du parti.
Et si notre rupture avec le pablisme, comme nous le voyons clairement maintenant; si elle se réduit à un seul point et se concentre en un seul point, c’est ça : c’est la question du parti. Cela nous apparaît clairement maintenant, car nous avons vu, dans l'action, le développement du pablisme. L’essence du révisionnisme pabliste est le renversement de cette partie du trotskysme qui, aujourd’hui, est sa partie la plus vitale - la conception de la crise de l’humanité comme une crise de la direction du mouvement ouvrier, résumée dans la question du parti.
Le pablisme ne vise pas seulement à renverser le trotskysme ; il vise à renverser cette partie du trotskysme que Trotski a apprise de Lénine. La plus grande contribution de Lénine, pour toute son époque, a été son idée et son combat résolu pour construire un parti d'avant-garde capable de diriger les ouvriers dans une révolution. Et il n'a pas limité sa théorie à l’époque de sa propre activité. Il est remonté jusqu’en 1871, et il a dit que le facteur décisif dans la défaite de la première révolution prolétarienne, la Commune de Paris, avait été l'absence d'un parti de l'avant-garde marxiste révolutionnaire, capable de donner au mouvement de masse un programme conscient et une direction résolue. C’est l'acceptation par Trotski de cette partie de Lénine, en 1917, qui a fait de lui un léniniste.
C’est inscrit dans le Programme de transition, cette conception léniniste du rôle décisif du parti révolutionnaire. Et c’est ce que les pablistes jettent par-dessus bord, pour mettre à la place la conception que les idées pourront réussir d’une manière ou d’une autre à s’infiltrer dans la bureaucratie traître, les staliniens ou les réformistes, et puis d’une manière ou d’une autre, le « Grand Soir », la révolution socialiste sera accomplie et parachevée sans un parti marxiste révolutionnaire, c’est-à-dire léniniste-trotskyste. C’est l’essence du pablisme. Le pablisme, c’est la substitution au parti et au programme de la secte et de la révélation.
Les cadres dirigeants
Le problème du parti a un autre aspect. Le problème du parti c’est le problème de la direction du parti. Je crois que tout comme le problème du parti est le problème que la classe ouvrière doit résoudre avant que la lutte contre le capitalisme puisse aboutir à un succès définitif, le problème du parti est le problème de la direction du parti.
On ne peut pas construire un parti révolutionnaire sans le programme. Nous le savons tous. Avec le temps, le programme créera le parti. Mais c’est là précisément le rôle des dirigeants conscients : gagner du temps. Du temps c’est l’essentiel, à notre époque, alors que les années comptent pour des siècles. Il est assurément difficile de construire un parti sans direction, sans cadres. En fait, c’est impossible. Regardez dans le monde entier, regardez toutes les expériences du dernier quart de siècle, dans un pays après l’autre, là où l’on pouvait trouver les écrits et les enseignements de Trotski, là où le programme était connu, et que voyez-vous ? Là où ils n’avaient pas les dirigeants pour construire le parti, la où ils n’avaient pas les cadres, le parti n’a pas représenté grand-chose. D’un autre côté, les partis qui avaient produit des dirigeants capables de travailler ensemble en tant qu'équipe sont restés fermes et solides et ont préparé leur avenir de façon consciente.
Les cadres dirigeants jouent, relativement au parti, le même rôle décisif que le parti relativement à la classe. Ceux qui essaient de morceler les équipes de cadres des partis trotskystes, forgées par l’histoire, comme le font les pablistes dans un pays après l’autre, visent en réalité à briser ces partis et à liquider le mouvement trotskyste. Notez-le bien : j’ai dit « essayer » et « viser », je n’ai pas dit « réussir ». Ils ne réussiront pas. Les partis trotskystes liquideront les liquidateurs, et le SWP a le haut privilège historique de montrer l’exemple.
Une fois le programme donné, c’est la construction d’équipes de cadres dirigeants qui est la clé pour construire des partis révolutionnaires ; et la première de ces tâches nécessite un niveau de conscience encore plus élevé et un projet plus délibéré que la seconde. Bien sûr, chaque parti, à chaque génération depuis le Manifeste du parti communiste a eu une sorte de direction. Mais il y a eu très peu de choix conscients quant à sa sélection, et c’est pour cette raison, entre autres, que le vrai problème est resté non résolu. Les expériences du passé, à cet égard, sont riches de leçons sur le thème de ce qu’il ne faut pas faire.
La génération actuelle de l'avant-garde révolutionnaire, qui peut bénéficier des enseignements de Lénine et de Trotski, a maintenant pour devoir suprême d’étudier les erreurs tragiques du passé à cet égard, afin de les éviter et de remplacer les méthodes aléatoires par une théorie consciente et un projet délibéré pour construire des équipes dirigeantes.
Types de direction
Le premier, et peut-être le pire, des types de directions de parti que nous avons vues et connues, même dans la Quatrième Internationale, c’est la direction non organisée, composée de stars individuelles douées, qui tirent à hue et à dia. en gaspillant leur énergie dans des rivalités personnelles, en se disputant sur des broutilles, et qui sont incapables d‘organiser une division du travail raisonnable. Cela a été l'expérience tragique de nombreuses sections de la Quatrième Internationale, en particulier de la section française. Je ne sais pas comment vont les choses en France aujourd’hui, mais ce que je sais, c’est que la section française de la Quatrième Internationale ne deviendra jamais un vrai parti si elle n’apprend pas à discipliner ses divas, et à les faire travailler ensemble.
Un deuxième type de direction est la direction d’une clique. Dans chaque clique dirigeante, il y a une certaine coordination, une certaine organisation et une certaine division du travail, et parfois ça a bonne apparence... tant que ça dure. Mais une clique se maintient par des relations personnelles - ce que Trotski, qui détestait les cliques. appelait le « copinage » et elle porte en elle, par ce fait même, un défaut rédhibitoire: des querelles personnelles peuvent la briser. C’est là le sort inévitable de toutes les cliques politiques.
Une clique permanente, ça n’existe pas, et ne peut pas exister, même si les meilleurs amis, les meilleurs copains du monde se mettent ensemble pour former un cercle exclusif et se disent : « Maintenant, nous avons les choses en main, et nous allons tout faire marcher bien. » Les grandes bourrasques et les vagues de la lutte de classe secouent continuellement cette petite clique. Des problèmes se posent. Des incompatibilités personnelles et des frictions se développent. Et ensuite viennent les querelles et les chamailleries personnelles, les batailles fractionnelles dénuées de signification et les scissions insensées, et la clique tourne au désastre. Le parti ne peut pas être dirigé par une clique. Pas pour très longtemps, en tous cas.
Il y a une troisième méthode de direction que je n’ai découverte, je vous l’avoue franchement, qu’après mon soixantième anniversaire. C’est la direction de secte. Je dois reconnaître que j‘ai vécu soixante ans dans ce monde avant de me rendre compte, par hasard, que les sectes politiques ça existe. Je n‘en croyais pas mes yeux quand j’ai vu le groupe Johnson en action dans notre parti. J’ai vu une secte dépendant d’une seule personne. une sorte de messie. Et je me suis dit; «Incroyable mais vrai ! On n‘est jamais trop vieux pour apprendre quelque chose de nouveau. »
Une secte a besoin comme base de nigauds sans cervelle. Mais ce n‘est pas tout. Pour qu’une secte existe, il ne suffit pas qu'un dirigeant ait des partisans attachés à sa personne - tous les dirigeants ont une influence personnelle, plus ou moins grande - mais le dirigeant d’une secte doit être lui-même animé d’une mentalité de secte. Il doit être un mégalomane qui reçoit des révélations de l'extérieur du domaine de la réalité. Le dirigeant mégalomane d’une secte est susceptible de sauter dans n’importe quelle direction à n’importe quel moment, et tous les disciples le suivent automatiquement, comme des moutons de Panurge, même jusqu’à l’abattoir.
C’est ce qui s’est passé avec les johnsonistes. La secte a suivi Johnson, pas simplement à cause de sa théorie de l‘Union soviétique - d’autres gens ont cette théorie: il y a beaucoup de gens dans le monde qui ont cette théorie sur le « capitalisme d’État ». Les johnsonistes étaient les disciples personnels de Johnson en tant que messie ; et quand il leur a finalement fait signe de sauter hors de ce parti, pour des raisons connues de lui seul, mais soi-disant à cause de griefs personnels qu’il avait conçus, dont eux ignoraient tout et venaient juste d’apprendre l'existence, ils ont tous quitté le parti au même instant, heure de New York. Une secte, c’est ça. La secte pabliste est, comme n’importe quelle autre, capable de bondir dans n’importe quelle direction à n’importe quel moment, à chaque fois que le dirigeant a une révélation. On ne peut pas laisser le parti de l'avant-garde ouvrière dans les mains d’une secte ou d’un dirigeant de secte.
Il y a une quatrième méthode de direction, qui est assez courante. Je l’ai beaucoup vue en mon temps - c’est la direction d’une fraction permanente. Et c’est là quelque chose contre quoi nous devons être vigilants, parce que nous venons de traverser une bataille fractionnelle rude, et qu’à travers cette bataille des liens très étroits se sont tissés entre nous. Il est absolument nécessaire que la direction voit clairement ce qu’est une fraction temporaire, quels sont ses buts légitimes, quelles sont ses limites, et le danger que la fraction se durcisse en une fraction permanente.
Le durcissement des fractions
Il n‘y a pas dans le mouvement ouvrier politique de pire abomination qu’une fraction permanente. Il n’y a rien qui puisse démoraliser la vie interne d‘un parti plus efficacement qu’une fraction permanente, Vous allez dire que c’est en contradiction avec l'expérience de Lénine. N’a-t-il pas organisé une fraction en 1903, la fraction bolchévique, et cette fraction n’est-elle pas restée une fraction dure et solide jusqu’à la révolution ? Pas totalement. La fraction de Lénine, qui avait scissionné des menchéviks en 1903, et qui par la suite a eu des négociations avec eux, et à plusieurs reprises s‘est unie avec eux dans un seul parti, tout en restant une fraction, n’était une fraction que dans sa forme extérieure.
Fondamentalement, le noyau du parti bolchévique de la révolution d’Octobre était la fraction bolchévique de Lénine. C’était un parti. Et la preuve que c’était un parti et non une fraction exclusive de Lénine, c’est qu’à l'intérieur de la fraction bolchévique il y avait différentes tendances. Il y avait des bolcheviks de gauche et de droite. A certains moments, certains d’entre eux ont polémique ouvertement avec Lénine. Les bolchéviks ont même eu des scissions et des réunifications entre eux. Lénine ne considérait pas la fraction bolchévique comme une corporation fermée qu’il allait garder toute sa vie avec lui.
Pendant les jours décisifs de 1917, quand il a produit ses Thèses d’avril, il a montré que sa conception était en réalité celle d’un parti en s’unissant avec Trotski, ce qui faisait toute la différence du monde. C’était un acte pro-parti. Et quelques mois plus tard, quand Zinoviev et Kamenev. les plus proches collaborateurs de Lénine. se sont lourdement trompés sur l'insurrection, il a fait cause commune avec Trotski pour les terrasser. La fraction de Lénine était en réalité un parti.
Nous avons vu des fractions qui sont nées d’une lutte séparée, qui se sont consolidées et durcies, et qui se sont maintenues après que les événements qui les avaient fait naître ont cessé d’exister. C’était dans le vieux Parti communiste.
Son équipe dirigeante, dans son ensemble, était issue de la fusion de gens aux expériences différentes. Il y avait les New-Yorkais, et quelques autres, qui venaient du Parti socialiste, dont l’expérience était du domaine du socialisme parlementaire, des campagnes électorales, etc. - un groupement purement « politique », Ruthenberg, Lovestone, etc. représentaient cette expérience. Il y avait une autre tendance dans le parti, représentée par « ceux de l’Ouest » - ceux qui avaient une expérience syndicaliste, de travail dans le mouvement syndical, dans les grèves, dans l’« action directe » de la lutte de classe. Foster, Bill Dunne, Swabeck, moi-même, etc. représentaient cette origine.
Nous avons formé tout naturellement des tendances différentes. Chacune avait en partie raison et en partie tort. Et dès le début nous n’avons cessé de ferrailler les uns contre les autres. Ces tendances ont fini par se durcir et devenir des fractions. Et plus tard, après quelques années d’expérience, nous en avons appris davantage les uns sur les autres, et les vraies divergences se sont réduites. Mais les fractions en tant que formations sont restées. Combien de fois les deux fractions se mettaient d’accord sur ce qu’il fallait faire; se mettaient d’accord sur toutes les résolutions pour la convention ; et pourtant, les fractions continuaient à exister.
Dégénérescence du fractionnalisme
Dans de telles circonstances, les fractions ont dégénéré et sont devenues des bandes qui luttaient pour le pouvoir, et ceci a grandement facilité la dégénérescence du Parti communiste. Le Comintern aurait dû nous aider à unifer les cadres dirigeants, mais au lieu de cela, il a attisé les flammes du fractionnalisme afin de pêcher lui-même dans ces eaux troubles pour créer sa propre fraction stalinienne. C’était une époque amère. J’ai commencé à me révolter contre ce genre de lutte stérile, et j’ai fait plusieurs tentatives des années avant que nous soyons exclus du parti pour trotskysme - j’ai fait plusieurs tentatives pour briser ces fractions politiquement dénuées de sens. Un certain nombre d’entre nous ont rompu avec la bande de Foster, ont formé un groupe séparé et se sont unis avec un groupe que Weinstone avait fait rompre avec les lovestonistes, avec la même révolte contre ce fractionnalisme de bande sans objet. Nous avons formé un «groupe du milieu», avec le mot d’ordre : « Dissolution des fractions. »
Nous avons mené une bataille pendant un an ou deux pour dissoudre les fractions dans le parti. Mais à cette époque, les partisans de Lovestone, comme de Foster, - étaient tellement endurcis dans l’esprit de bande et de clique qu’il était impossible de le faire. Ceci a contribué à la dégénérescence du Parti communiste, parce que les fractions permanentes deviennent des cliques et excluent tous les autres. Si par hasard une fraction permanente s’empare de la direction du parti et dirige le parti comme une fraction, elle exclut forcément les autres de toute responsabilité réelle dans la direction. Elle pousse par là-même les autres à organiser des contre-cliques et des contre-fractions, et il n’y a plus une équipe de cadres unique dans la direction du parti. Nous avons vu cela se produire dans le CP. Nous devons apprendre quelque chose de cette expérience.
Dans notre parti, sur la base de nos expériences et de nos études, nous avons une conception de la direction, non comme une collection de stars individuelles sans coordination entre elles; non comme une clique; non - pour l’amour du ciel ! - comme une secte ; et non comme une fraction permanente. Notre conception de la direction est celle d’une équipe de cadres dirigeants.
C'est un dessein conscient, élaboré patiemment pendant des années. Une équipe de cadres dirigeants. selon notre conception, a les caractéristiques fondamentales suivantes : elle est faite de gens qui sont, avant tout, unis sur le programme ; pas sur chaque question qui se pose dans le travail quotidien, mais unis sur le programme fondamental du trotskysme. C’est la première chose.
La deuxième caractéristique, c’est que l’équipe dirigeante est une sélection inclusive, et non exclusive. Elle n’a pas de composition fixe, mais laisse délibérément la porte ouverte pour inclure des éléments nouveaux, pour en assimiler et développer d’autres, de sorte que l’équipe dirigeante, insensiblement, s’élargit en nombre et en influence tout le temps. Notre équipe de cadres dirigeants a une autre caractéristique. Elle construit le comité national comme une représentation démocratique large du parti. Je ne sais pas comment la direction est construite dans d’autres partis, mais notre parti ici n’est pas exclusivement dirigé par le groupe de travail politique central à New York. La direction, nous avons toujours insisté là-dessus, ce n’est pas le secrétariat. Ce n’est pas le comité politique. Ce n’est pas le comité de rédaction. C’est le plénum. Le plénum inclut le secrétariat, le comité politique et le comité de rédaction, plus les camarades dirigeants de tous les districts du parti.
Une direction réellement représentative
Ces représentants de district, comme vous le savez, ne sont pas triés sur le volet à New York et poussés en avant par des manœuvres particulières. Nous savons tous comment faire ce genre de choses, et nous nous retenons délibérément de le faire. Les dirigeants centraux n'interviennent jamais dans les délibérations de la commission des nominations aux conférences du parti. Les représentants des districts sont choisis librement par les délégués de leur district. et confirmés par la commission des nominations. Ils représentent réellement leur section ou leur comité local, et quand ils siègent au plénum vous avez une représentation réellement démocratique du parti tout entier. C’est une des raisons pour lesquelles nos plénums ont une autorité aussi indiscutable dans le parti.
Quand le plénum a lieu, nous pouvons dire que nous sommes la direction parce que nous le sommes réellement. Chaque fois qu’il y a un plénum du comité national. c’est une petite conférence. Cela fait partie de notre programme pour construire délibérément une direction représentative, qui soit démocratiquement contrôlée.
Un troisième aspect de notre conception d’une équipe de cadres dirigeants, que nous recherchons en permanence de façon consciente et délibérée, est de cultiver parmi tous les dirigeants la capacité à travailler ensemble ; à ne pas être des stars individuelles; à ne pas être des pédants impossibles à vivre, mais à être des gens qui s'intègrent dans une machine; qui travaillent avec les autres; qui reconnaissent les qualités des autres et respectent leurs opinions ; qui reconnaissent qu’une personne sans importance ça n’existe pas, que quiconque défendant le programme, et qui est envoyé au comité national par sa section ou son comité local a une contribution à apporter. La tâche des dirigeants centraux du parti est de lui ouvrir la porte, de découvrir ce qu’il peut faire, et de l'aider à se former pour faire mieux à l’avenir.
Être capable de travailler ensemble est une caractéristique essentielle de notre conception de l’équipe des cadres dirigéants, et la caractéristique suivante est la division du travail. Il n’est pas nécessaire qu’un ou deux gros malins sachent tout et fassent tout. Il vaut beaucoup mieux, c’est plus solide et plus sûr. avoir un large choix d’individus, dont chacun apporte sa contribution aux décisions, fait un travail particulier spécialisé pour lequel il est qualifié, et coordonne son travail avec les autres.
Je dois dire que je suis extrêmement satisfait de la manière dont l’équipe de cadres dirigeants de notre parti a évolué et s’est développée dans la période qui s’est écoulée depuis le début de la bataille ouverte avec les révisionnistes de Pablo-Cochran. Je pense que cette équipe a fait au mouvement mondial une démonstration modèle d’un groupe fort, de personnes ayant des talents et des expériences différentes, qui ont appris à coordonner leurs efforts, à diviser le travail entre eux, et à travailler collectivement de sorte que les points forts de chacun deviennent les points forts de tous. Nous nous retrouvons avec une machine puissante, qui combine les talents de tous les individus qui la composent pour démultiplier leurs forces.
Et ce ne sont pas seulement les talents qu’on combine et dont on tire profit. On peut aussi parfois obtenir des résultats bons et positifs d’une combinaison de défauts. Cela aussi se produit dans un collectif dirigeant convenablement organisé et coordonné. Cette idée m’a été expliquée dans une lettre de Trotski. Ce que je vous dis là n’est pas exclusivement ce que j’ai vu, vécu et ruminé dans ma tête. Ce n’est pas seulement l'expérience, mais aussi beaucoup de directives personnelles de Trotski. Il avait pris l’habitude de m’écrire très souvent, quand il a compris que j’étais disposé à écouter, et que je ne me formalisais pas de critiques amicales.
Les conseils de Trotski
Il me donnait tout le temps des conseils sur les problèmes de direction. En 1935 et en 1936 déjà, pendant la bataille avec les partisans de Muste et d’OehIer, il nous a donné de tels conseils. Il faisait toujours référence à Lénine, comment Lénine avait obtenu la cohésion de ses cadres dirigeants. Il disait : Lénine prenait un homme que ses impulsions portaient vers l’action, qui sentait les opportunités, et qui avait tendance à aller plus vite que la musique, et faisait contrepoids avec un homme qui était un peu plus prudent - et le compromis entre les deux produisait une décision équilibrée, bénéfique pour le parti.
Il m’a dit, par exemple, dans une lettre où il me conseillait de prendre bien garde à ne pas proposer une liste exclusive pour le comité, et de ne pas en exclure des gens qui avaient certains défauts qui me déplaisent tout particulièrement - comme l'hésitation, le conciliationnisme et l'indécision en général ; il a dit, vous savez, Lénine disait autrefois de Kamenev qu’il était vacillant par nature ; qu’au moment crucial il avait toujours tendance à «mollir», à vaciller et à chercher la conciliation. Kamenev, effectivement, avait fait partie de la fraction des bolchéviks conciliateurs entre 1907 et 1917, avec une tendance à la conciliation avec les menchéviks, mais il était resté dans le Parti bolchévique.
Et Lénine avait coutume de dire - comme me l’a expliqué Trotski - que nous avions besoin de Kamenev au comité central parce que sa tendance à vaciller et à chercher la conciliation reflétait une tendance de ce type à la base du parti, que nous voulions pouvoir surveiller. Quand Kamenev parlait, nous savions qu’il existait au sein du parti un sentiment du même type, que nous devions prendre en considération. Et sans pour autant accepter les vacillations et le conciliationnisme de Kamenev, nous ralentissions et nous en tenions compte, parce que quand nous allions de l’avant, nous voulions entraîner avec nous le parti tout entier. S’il soulevait trop d‘objections, nous faisions une pause et consacrions un peu plus de temps à éduquer les rangs du parti, pour nous assurer que notre base était solide.
Notre force réside dans la combinaison et de nos défauts et de nos vertus. Ceci, pris dans son ensemble, est ce que j’appelle la conception d’une équipe de cadres dirigeants. Cette équipe, depuis presque un an, est constituée en fraction - du moins dans sa grande majorité. Nous nous sommes engagés dans une lutte fractionnelle. Mais dans quel but cette équipe s’est-elle organisée en fraction ? Ce n’était pas l’équipe toute entière ; c’était la majorité, mais pas tout le monde. Les camarades de Buffalo et Youngstown n’en faisaient pas partie. Il y avait là-bas au début un certain nombre de divergences, mais elles ont été pratiquement éliminées au cours de la bataille. Les décisions prises par ce plénum sont toutes unanimes. Mais, au début, la majorité de l’équipe s’est organisée en fraction, a tenu ses propres réunions, pris ses propres décisions, et ainsi de suite.
Cependant, cette fraction n'a pas été constituée pour le plaisir d’avoir une fraction. Elle n’a pas été constituée comme une combinaison permanente de gens de bien, qui vont rester ensemble jusqu’au jugement dernier et ne laisseront personne d’autre les rejoindre. Ce n’est ni une bande, ni un clan, ni une clique. C’est simplement une organisation politico-militaire constituée dans un but déterminé. Mais quel était ce but ? C’était de vaincre et d’isoler la fraction révisionniste de Pablo-Cochran. Cet objectif a été atteint.
Dissolution de la fraction majoritaire
Ceci étant fait, quel est maintenant le devoir de cette fraction ? Allons-nous rester ensemble en souvenir du bon vieux temps, former une sorte de « Grande armée de la République » [l'association des anciens combattants de l’armée de l’Union dans la guerre civile américaine], seuls habilités a porter des décorations, à exiger privilèges et honneurs particuliers ? Non. Le devoir de cette fraction maintenant est de dire : « La tâche est terminée, la fraction n’est plus nécessaire, et la fraction doit se dissoudre dans le parti. » Dorénavant, la direction du parti appartient à l’ensemble des cadres, rassemblés à ce plénum. Tous les problèmes, toutes les questions en discussion, doivent être portés directement devant les sections locales du parti.
Je voudrais inaugurer cette nouvelle étape de la vie du parti en annonçant ici, au nom de la fraction majoritaire du comité national, sa décision unanime : la fraction majoritaire qui avait été constituée pour les buts de la lutte, ayant accompli sa tâche, se dissout par conséquent dans le parti.