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Discours au congrès de Lille de la CGT, 30 juillet 1921
Auteur·e(s) | Pierre Monatte |
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Écriture | 30 juillet 1921 |
Camarades, dans un débat pareil, où l'avenir de notre mouvement syndical français est en jeu, est en péril, je crois qu'il est indispensable de parler franc, de faire le possible et l'impossible pour chasser l'obscurité.
Je suis surpris que la thèse de nos adversaires majoritaires laisse tant d'obscurité derrière elle. Nous ne savons pas encore si la qualité de syndiqués révolutionnaires constitue ou non un crime de lèse-confédération, et hier, Dumoulin a suspendu sur ce Congrès la menace des exclusions.
Discuter sur l'orientation syndicale, c'est évidemment rechercher le chemin le meilleur, le plus direct, le plus rapide, pour atteindre le but que la classe ouvrière s'est assigné, celui que lui fixe l'histoire, accomplir sa mission historique, c'est-à-dire faire la Révolution.
Or, nous disons, nous, que la Confédération Générale du Travail, par son bureau actuel, par sa politique actuelle, tourne le dos à la Révolution.
Nous disons même davantage, nous disons que la C.G.T., à qui nous dénions le droit de se dire révolutionnaire, n'a même pas le droit de prétendre qu'elle a été pratiquement réformiste, parce qu'au lieu de l'action corporative syndicale réformiste, que nous avons connue, que nous admettons, que nous comprenons, nous l'avons vue, elle, la C.G.T., descendre, par sa politique actuelle, au-dessous du réformisme, et n'être plus dans l'action nationale comme dans l'action internationale qu'un rouage gouvernemental. Elle n'est plus animée que de préoccupations d'hommes d'Etat et oublie le point de vue de classe, nationalement et internationalement. (Applaudissements.)
Nous disons que l'Union Sacrée de guerre, qui a permis aux gouvernements capitalistes, aux impérialistes assassins de faucher quinze millions d'hommes en Europe, nous disons que cette Union Sacrée de guerre, de laquelle on s'est servi pour calmer la classe ouvrière, pour lui fermer la bouche, pour l'empêcher de crier sa volonté de paix, nous disons qu'à cette Union Sacrée de guerre a succédé l'Union sacrée industrielle d'après-guerre, pour la remise en état des dévastations de guerre, pour la réorganisation économique de ce pays, par l'accord entre toutes les classes.
Et, le plus grand reproche que, pour ma part, je fais aux éléments majoritaires de la Confédération Générale du travail, c'est que le bénéfice moral que nous devions tirer, - qui avait été payé si chèrement : un accroissement de la haine des travailleurs de ce pays contre le régime capitaliste coupable d'enfanter les guerres, la dernière et les prochaines, nous ne pouvons pas le tirer. Nous devions sortir de ces quatre ans de guerre avec une haine décuplée contre le régime capitaliste. (Applaudissements.) Nous devions démontrer que, tant que le régime capitaliste durera, les boucheries comme celles que nous venons de vivre, nous les revirons de nouveau. Et cette haine contre le régime capitaliste, ces haines contre les hommes qui représentent le régime capitaliste, qui sont ses interprètes et son symbole, nous ne la sentons pas grandie, nous ne la retrouvons nulle part plus forte. Pourquoi ? Parce que, dans ce pays, à chaque fois que les ouvriers regardaient les hommes qui incarnent le régime capitaliste, ils voyaient à côté d'eux, opérant dans la guerre, après la guerre, à côté des gouvernants, leurs propres chefs ouvriers. (Applaudissements.) Ils les voient, tout au long de la guerre, prêcher le jusqu'auboutisme, depuis Bordeaux où l'on accepte d'être commissaire à la Nation, jusqu'à Versailles où l'on se voit le secrétaire de la Confédération Générale du travail à la droite de Loucheur, en qualité de conseiller technique de Loucheur.
Il y a quelques jours encore, à côté de Viviani – celui qui a signé la déclaration de guerre le 2 août 1914 -, le secrétaire confédéral, avec un mandat du Bureau International du travail, en compagnie d'autres délégués de la fédération de l'Internationale d'Amsterdam, nous les avons vus, ces représentants de la classe ouvrière, se prêter à la comédie du désarmement, comme s'il était possible d'admettre, après la leçon de la guerre, que ce soient les gouvernants qui brisent les guerres. (Applaudissements.)
Ils faisaient tout cela, sur le devant de la baraque capitaliste, pendant que derrière s'apprêtent, se préparent les futures guerres, où les grands lutteurs de l'Amérique et de l'Angleterre engageront le grand duel de demain. Sur le devant de la baraque, on vient faire la parade, comme à la fête, on vient parler de désarmement, tandis que derrière on prépare la guerre. L'on parle de désarmement afin de calmer l'inquiétude du pays, pour avoir l'air de faire quelque chose. En réalité, on endort ; une partie des gens se mettent à espérer dans l'esprit pacifiste des gouvernants. A la faveur de cela, à la faveur de ce rideau, à la faveur de cette croyance illusoire, la classe ouvrière négligera de se préparer à faire l'effort, le seul effort qui puisse conjurer les guerres, la seule action révolutionnaire contre la guerre. (Applaudissements.)
Quand vous venez, à propos d'Amsterdam et de Moscou, instituer un débat de mots, de formules, un débat juridique, nous ne vous suivrons pas. Il y a là un débat profond, humain. Ce que nous voulons, nous, c'est une Internationale qui fasse autrement que n'ont fait, le 2 août 1914, les deux Internationales d'alors, et particulièrement l'Internationale syndicale. Nous voulons une Internationale vraiment internationaliste, et Amsterdam ne nous la donne pas, elle ne peut pas nous la donner ; Amsterdam, c'est l'Internationale de tous les nationalistes. (Applaudissements.)
Ce n'est pas moi qui le dis le premier. Au retour de Washington, le délégué de la Confédération Générale du Travail italienne, un réformiste italien (un réformiste italien ça vaut un peu plus qu'un révolutionnaire français), Baldesi, disait, donnant ses impressions dans l'organe de la C.G.T. italienne, que Washington avait été la rencontre internationale de tous les nationalismes. Et, comment pourrait-on contester cette appréciation ? D'où vient l'Internationale d'Amsterdam ? Elle vient – et il est impossible de le contester – elle est la suite, non pas de la première Internationale syndicale, de celle de Legien avant guerre ; elle vient des conférences interalliées qui se sont tenues à Leeds, à Londres, entre syndicats des pays de l'Entente, entre syndicats anglais, français, belges. Je crois que les Italiens n'avaient pas accepté de s'y rendre; Rigola qui était à ce moment-là le secrétaire de la Confédération italienne, et qui avait accepté et promis son adhésion à la Conférence de Leeds, fut précisément désavoué par le Comité de la Confédération italienne. C'est pour cela qu'il se retira.
Mais Français, Anglais, Belges, tous ceux qui, dans le mouvement syndical, étaient soigneusement collés derrière leur gouvernement respectif, Appleton, le plus jingoë des derniers jingoë anglais, Mertens, plus royaliste que son roi belge, Jouhaux, aussi Union sacrée que Poincaré, qui lui fit remettre son sursis d'appel, ce sont eux dont on a fait les présidents et vice-présidents de l'Internationale d'Amsterdam. (Applaudissements.) Ils étaient tout désignés : n'avaient-ils pas été les présidents et vice-présidents de cette organisation hybride de guerre des syndicats alliés. Les armées alliées étant victorieuses, ils sont devenus les maîtres de la nouvelle Internationale syndicale ; là ils se sont adjoints quelques camarades des syndicats hollandais : Oudegeest et Fimmen. Oudegeest, ce bon social-démocrate que nous connaissons pour l'avoir vu lors de la Conférence Internationale Syndicale tenue à Paris en 1909 ; il était à ce moment-là, avec Hueber et la plupart des délégués syndicaux, à l'exception de ceux de deux ou trois pays – ceux qui ont assisté à ce Congrès se souviennent – autant de marionnettes dont le citoyen Huysmans, le secrétaire de l'Internationale socialiste, tirait publiquement les ficelles. Et c'est lui, c'est vous qui venez parler d'autonomie et d'indépendance du mouvement syndical ; allons donc ! (Applaudissement.)
Amsterdam, Internationale nationaliste ! Amsterdam, Internationale de collaboration de classes, de collaboration gouvernementale !
A la première Conférence Internationale d'Amsterdam, dans l'été 1919, c'est là qu'a été décidée la participation à la fameuse conférence de Washington, en se basant sur un article du traité de Versailles, en le reconnaissant donc. Et comment ces délégués syndicaux ne l'auraient-ils pas reconnu puisqu'un certain nombre d'entre leurs chefs ouvriers s'étaient assis autour de la table où se tramait le cynique Traité ?
On va à Washington ; on y va pourquoi faire ? Y va-t-on fidèle à toute la tradition de notre mouvement ouvrier ? Ou bien y va-t-on pour faire ce que toujours le syndicalisme français avait condamné, avait ignoré, avait méprisé ?
Il existait, avant la guerre, un Conseil supérieur du travail ; la C.G.T. avait pris pour règle de le combattre, de n'y point participer. Il existait aussi une association gouvernementale : « L'Association pour la protection légale des travailleurs. » Et de même, ignorance, condamnation de la part de la C.G.T. Et qu'est-ce que nous voyons au sortir de la guerre ? La C.G.T. reprenant tout ce passé qu'elle condamnait et le faisant sien. (Applaudissements.)
Sur Washington j'invoquerai un témoignage, le témoignage d'un compagnon de voyage de la délégation ouvrière française, M. Charles Dulot, directeur de l'Information Sociale et rédacteur au Temps, le même Dulot qui a si bien arrangé ces jours derniers à propos des incidents de lundi. (Applaudissements.)
Dans un article du temps en date du 30 octobre 1919 et envoyé de Washington, M. Dulot écrivait ceci :
Du succès de cette première réunion dépend, dans une certaine mesure, le bon fonctionnement de l'organisme de paix sociale, prévu par le chapitre XIII du Traité… La Conférence du Travail de Washington est, avant la ratification du Traité et sa mise en vigueur, comme la première démonstration de la Société des Nations ; comme le premier essai de réalisation pratique, de ce grandiose effort de réorganisation politique et sociale…
Sa grande nouveauté est d'assurer la collaboration de ces trois groupes : les législateurs, les grands patrons et les syndicats professionnels…
Qu'on me permette d'intercaler là une affirmation qui émane de quelqu'un qui ne peut assister à ce Congrès, mais dont le témoignage tout de même, possède un certain poids, puisqu'il est vice-président de votre Conseil Economique du Travail, je veux parler de Roger Francq.
Roger Francq, au cours d'une polémique avec M. Dulot, lui déclarait : « Ma présence chez vous, rue Pasquier, m'a permis de constater à quel effort de rapprochement entre le patronat et la C.G.T. vous vous livriez, et quelle influence vous cherchiez à exercer sur le mouvement ouvrier dans des réunions très régulières où des tiers étaient conviés en même temps que certains dirigeants de Fédérations. Si c'est le droit chemin, pourquoi donc vous en cacher ? »
Dans le même esprit de rapprochement, le même homme, évoquant tout le passé de l'Association pour la protection légale des Travailleurs, montrant et l'œuvre d'avant-guerre et l'œuvre de Leeds, démontrait que l'une n'est que le prolongement de l'autre, et que ce que nous avions condamné dans le passé, cette œuvre gouvernementale, cette œuvre dérisoire d'impuissance, elle est aujourd'hui le grand espoir qu'on fait luire depuis deux ans aux yeux de la classe ouvrière.
De Washington on devait rapporter la ratification de la journée de huit heures ; on devait généraliser un tas de lois sociales. Qu'y a-t-il de fait ? Que voyons-nous ? La ratification de la loi sur la journée de huit heures, qu'en effet la Conférence de Washington devait faire sanctionner dans le délai d'un an, où est-elle ? Nous nous apercevons que le délai d'un an est passé et que rien n'a été fait par les Etats représentés à Washington. Il ne pouvait pas en être autrement. C'était se payer, se gorger d'illusions que d'attendre des gouvernements l'instauration, l'application, la généralisation de quelque chose qui doit venir de nous, qui ne peut venir que de nous. On nous l'avait donnée la journée de huit heures, mais elle n'était pas le fruit de notre effort, c'était une répercussion de la Révolution russe ; c'est elle qui, il y a deux ans obligeait le gouvernement à jeter du lest, à envisager la nécessité de donner quelques satisfactions à la classe ouvrière ! C'est la Révolution russe qui nous a fait, à nous, ce cadeau.
La Révolution russe et les soldats démobilisés, deux dangers dont le gouvernement, dont la bourgeoisie avaient peur. Ces deux causes : Révolution russe et démobilisation ont fait que le geste de la journée de huit heures a été esquissé. Mais, pas plus que nous n'avions su la conquérir, nous n'avons su défendre, garder la journée de huit heures. Quand la Révolution russe a faibli, quand la crainte gouvernementale a été moins forte, nous l'avons vu disparaître, atelier par atelier, corporation par corporation.
On a tout espéré d'en haut pour l'application de la journée de huit heures ; on n'a rien demandé en bas. On n'a rien fait ensuite pour organiser la résistance contre cette rafle de la journée de huit heures. Et maintenant est-ce que l'action confédérale se limitera à des ambassades auprès des gouvernements ? Est-ce que vous serez simplement des avocats plaidant devant le patronat le procès des revendications ouvrières ? Allons donc ! La classe ouvrière n'est pas engagée dans un procès ; la classe ouvrière est engagée dans une lutte et, sitôt la période des pourparlers, des discussions passées, rendues vaines, c'est aux masses à entrer en action, c'est aux militants de la C.G.T. à les appeler, à les organiser en vue de cette action. Oui, ils se croient des hommes d'Etat, de grands chefs qui n'ont qu'à parler et qui peuvent, eux, apporter quelque chose à la classe ouvrière. Vous n'apporterez rien tant que derrière vous vous n'aurez pas une classe ouvrière appelée par vous à l'action et capable de la faire. (Applaudissements.)
Amsterdam nationaliste, Amsterdam collaboration de classe, Amsterdam politicienne. Que venez-vous nous dire ? que nous voulons subordonner le mouvement syndical à un parti, que nous voulons lier son action à celle d'un parti ? Mais vous, que faites-vous à votre Internationale d'Amsterdam ?
En avril, si je ne me trompe, en tout cas ce n'est pas par vous que nous l'avons appris, car ce qui se passe, tant à l'intérieur de la C.G.T. qu'à l'intérieur de l'Internationale doit rester ignoré des syndiqués français et il a fallu qu'un journal anglais, le journal de l'Independent Labour Party anglais, que vous ne pourrez ranger parmi les extrémistes, nous l'apprenne en donnant, le 6 mai, le compte rendu d'une réunion du Comité exécutif du Parti ouvrier indépendant anglais au cours de laquelle sa députation à Amsterdam devait faire son rapport. Là, nous apprenons que votre Internationale qui se targue de tant d'indépendance, votre Internationale syndicale qui, elle, ignore la II° Internationale et la II° Internationale et demie[1], eh bien ! elle a voulu les marier. Elle les a fait appeler devant elle et leur a dit :
« Vous allez vous mettre d'accord et nous ne marcherons qu'à cette condition. »
Quand avez-vous dit cela dans vos publications officielles françaises ? Pourquoi nous l'avez-vous caché ?
Permettez-moi de vous donner cette citation du Labour Leader. Je crois que les faits sont plus éloquents que tous les commentaires :
Le président dit que certaines informations paraissant dans la presse ont rendu nécessaire de parler de la réunion avec le bureau de l'Internationale syndicale.
(Il s'agit, je le rappelle, d'une discussion au sein du Comité exécutif de l'un des partis socialistes anglais, de l'Independent Labour Party.)
La question d'une telle réunion fut examinée sous le rapport de la présence de la seconde Internationale à Amsterdam, la conversation eut lieu entre l'Internationale syndicale et les sections française, anglaise et allemande de l'organisation de Vienne. Finalement il fut convenu que la section irait au Bureau syndical dans le dessein de discuter la question des réparations. La question de tenir ensuite une réunion commune avec des représentants de la seconde Internationale avait été laissée entièrement ouverte comme étant une chose à discuter après la discussion avec la section des syndicats sur la question des réparations. Cependant quand la délégation se réunit avec les syndicalistes, elle fut informée par M. J.-H. Thomas qui présidait, que ceux-ci n'avait pas du tout fait appel aux délégués dans le dessein de discuter sur les réparations, mais en vue d'utiliser leur influence pour les rapprocher de la seconde Internationale.
Ils refusèrent absolument de discuter la question des réparations avec la délégation, à moins que la délégation ne fût préparée à rencontrer les représentants de la seconde Internationale, et à discuter avec eux en même temps. Et, comme les délégués anglais, français et allemands n'étaient pas préparés à le faire, la réunion échoua et la délégation se retira.
S'il n'y a pas de liaison entre l'Internationale syndicale d'Amsterdam et la II° Internationale socialiste, - celle qui a si bien travaillé le 2 août 1914 – qu'est-ce que vous appelez donc la liaison ?
Il me semble que le fait de procéder à un tel essai de raccommodage de la II° Internationale avec la II° Internationale et demie, vous enlève tout droit pour déclarer aujourd'hui, que vous avez le moindre souci d'indépendance du mouvement syndical, et que vous n'êtes point à la remorque de l'Internationale des ministres de rois, de l'Internationale des traîtres au socialisme, de tous ceux qui ont coopéré à l'assassinat des peuples.
Amsterdam, Internationale nationaliste, Internationale de collaboration de classes, Amsterdam, Internationale mariée avec la II° Internationale politique, mariée clandestinement, mariage blanc si vous voulez mais mariée avec elle.
Il y a pire : ce qui est sorti de Washington, ce Bureau international du Travail, mais c'est lui qui vous sert aujourd'hui d'Internationale. C'est en lui que vous mettez votre confiance. C'est à lui que vous demandez de faire votre travail.
C'est à vous-mêmes que j'en emprunterai la preuve : c'est à Bartuel[2] qui, après une visite auprès de son ami, de son éminent ami Albert Thomas, écrivait dans la Revue du Travail de septembre 1919 :
Le Bureau international du Travail peut et doit devenir le centre mondial de documentation et de renseignements, d'étude et de préparation, d'où émaneront les propositions qui devront être forcément appliquées, appuyées qu'elles seront par l'ensemble des travailleurs organisés.
Comment c'est du Bureau international qu'émaneront les propositions qui devront forcément être appliquées ! Et l'organisation syndicale alors ?
Continuant, Bartuel disait :
Le Bureau international du Travail m'apparaît donc pouvoir être placé au sommet de l'ensemble des organisations syndicales du monde entier, et devoir devenir le point central d'où partiront les jets de lumière destinés à éclairer le monde du travail sur les routes de l'avenir, en lui évitant les heurts préjudiciables dans sa marche continue vers le progrès pour l'émancipation totale. A condition toutefois que le monde du travail lui-même, par ses organismes particuliers, nationaux et internationaux, apporte à cette centrale d'énergie transformatrice qui est sienne tous les éléments actifs susceptibles d'accroître sa puissance irradiante…
Eh bien ! nous ne sommes pas de votre avis, la centrale d'énergie transformatrice n'est pas à Genève, et vous devriez avoir au moins la pudeur, sinon l'ambition de dire que votre centrale d'énergie est à Amsterdam.
Nous disons, nous, que c'est dans notre organisation, que c'est dans la C.G.T. (applaudissements), que c'est dans l'Internationale qu'est la centrale d'énergie. Pour nous elle ne peut pas être dans l'organisme de la collaboration de classes où coopèrent : patrons, délégués gouvernementaux et chefs ouvriers. Ah non ! non ! non ! La centrale d'énergie c'est notre organisation confédérale française qui doit l'être pour ce pays, c'est l'Internationale syndicale réelle que nous voulons créer, établir à Moscou, qui le sera internationalement.
Ah ! je sais bien que dans l'existence toutes les prévisions que l'on fait ne se réalisent pas. Jouhaux disait en 1919 ou 1918, quand il publiait sa brochure Les Travailleurs devant la Paix : « Une nouvelle nuit du 4 août[3] doit terminer cette guerre. »
Une nouvelle nuit du 4 août devait terminer cette guerre ! quelle illusion… Ah ! ils vous ont bien monté le coup les ministres républicains à qui vous avez donné votre confiance pendant la guerre et que vous alliez embrasser sur le quai du départ ! Ah ! vous aviez une capacité d'illusion si vous pensiez qu'au sortir de la guerre, la bourgeoisie pourrait, spontanément, abandonner ses privilèges. Ignorez-vous donc que la nuit du 4 août 1789 vint quand les châteaux flambèrent dans les campagnes ? Le capitalisme ne renoncera pas à ses privilèges dans d'autres conditions. Il n'y aura une nouvelle nuit du 4 août que le jour où, comme en 89, flamberont les châteaux de la féodalité nouvelle.
A quelle conception dans l'action peut-on aboutir quand on a de telles illusions, quand on a une telle crédulité ou une telle puissance d'aveuglement ?
Nous vous disons, nous, sur le terrain national, sur le terrain corporatif, vous n'avez pas fait la besogne que les syndiqués étaient en droit d'attendre de vous.
Vous n'avez pas fait internationalement non plus la besogne qui s'imposait.
Nationalement, pour les deux grands problèmes de cette année : le chômage et la diminution des salaires, qu'a fait la C.G.T. pour organiser la résistance de ses Syndicats, de ses Fédérations, pour dresser la digue contre la diminution des salaires ? Rien !
On a fait de grands projets utopiques. Pour le chômage qu'a-t-on fait ? Votre programme des régions dévastées est insuffisant, et ce n'est pas (oui, souriez) dans ce département que la démagogie pourra porter. A ceux qui ont vu passer ici votre Commission d'enquête, allant dans certains centres visiter les bourgeois et oubliant de visiter la Bourse du travail, vous ne ferez pas prendre au sérieux le travail fait par cette Commission. Et l'on vous racontera des anecdotes charmantes dans le genre de celle-ci : Un membre de la délégation tapant sur l'épaule du maire de Bailleul – tout près d'ici – et lui disant : « Mon brave vous avez besoin de ceci, de cela ; allez trouver le ministre de ma part, vous aurez satisfaction immédiatement. Dites lui que c'est Chanvin qui vous envoie. » (Applaudissements.)
Ah ! c'est nous, minoritaires, qui serions responsables que les ruines du Nord ne sont pas relevées ? S'il y a tant de ruines, dites-vous bien, majoritaires, que c'est un peu de votre faute. Si dans ce pays on avait répondu à l'appel des pacifistes, des internationalistes, il y aurait moins de ruines, vous auriez moins de morts à déplorer, moins de dévastations et de maisons à relever. (Applaudissements.) Autre faute : vous vous apercevez seulement au bout de deux ans qu'il y a des maisons à relever. Dites-vous bien qu'un problème tel que celui-ci – qui n'est évidemment pas spécifiquement ouvrier, toute une population – n'a qu'une seule solution, et cette unique solution elle ne viendra que le jour où ceux qui souffrent dans le Nord par le fait des dévastations, des ruines non relevées, trouveront dans cette région leur Marcelin Albert comme l'ont trouvé les vignerons du Midi au moment de la mévente des vins. On ne donne pas à ceux qui apportent des projets, si bien bâtis soient-ils, - et le vôtre ne l'est pas – on donne à ceux qui parlent fort et qui agissent, à ceux qui font exploser la souffrance.
Contrôle ouvrier ! Ne dites pas que nous en sommes des adversaires. Le contrôle ouvrier qu'est-ce que c'est donc, sinon un nom nouveau sur une vieille chose ? Quelle a donc toujours été la préoccupation du syndicat, sinon d'exercer dans l'atelier ce contrôle ? Et il l'a exercé à chaque fois qu'il a été fort, à chaque fois aussi que la situation industrielle a mis le patronat ayant besoin de main-d'œuvre dans l'obligation de lui consentir une somme plus grande de liberté.
Le contrôle ouvrier dans sa première forme, contrôle seulement de la main-d'œuvre et des conditions de travail, nous l'aurons, nous le conquerrons, nous devons le conquérir dans une période de reprise industrielle, dans une période où le chômage sera moindre. Oui, tenter aujourd'hui cet effort, faire autre chose que semer l'idée, qu'engager la propagande, ce serait agir à contretemps.
Envisager l'autre contrôle, le grand contrôle de la production ; mais cela c'est la revendication révolutionnaire par excellence. L'expérience allemande nous montre que les Conseils d'usines, que le contrôle ouvrier dans les ateliers, dans les usines sur la production, on l'obtient par la Révolution, dans la première phase révolutionnaire et que si la Révolution est en décroissance, on le perd. (Applaudissements.)
Vous avez fait à nos C.S.R. les reproches les plus divers, vous auriez pu vous rendre compte que si quelqu'un a fait une action de propagande, pour généraliser, pour répandre ces Conseils d'usine, cette idée du contrôle ouvrier, cette idée de l'organisation syndicale s'apprêtant à diriger et à gérer la production, c'est nous, ce sont les C.S.R. (Applaudissements.)
Les C.S.R. ont deux sortes de travaux, deux préoccupations. Nous poursuivons une œuvre de redressement de notre mouvement, et qui ne consiste pas seulement à faire partir certains hommes du Bureau confédéral. Oui, nous entendons qu'ils partent, et c'est une question de vie ou de mort pour notre mouvement, parce que vous-mêmes majoritaires, vous ne leur donnez plus votre confiance, et vous n'osez pas le dire. (Applaudissements.) Mais ce n'est pas seulement pour chasser ces hommes, c'est pour ramener à la tête de la C.G.T. l'esprit révolutionnaire d'autrefois qui n'aurait jamais dû lui manquer. C'est la première phase des tâches de nos C.S.R.
Oui, redresser notre mouvement, le redresser dans la Confédération Générale du Travail, dans nos Fédérations, nos Unions départementales, nos Syndicats, partout. Mais hélas ! dites-moi donc un peu, nous n'avons pas besoin de redresser nos syndicats minoritaires, et pourtant nous sommes d'avis d'y former des C.S.R., c'est donc qu'ils ont pour nous d'autres raisons d'être. Nous voudrions trouver dans chaque syndicat une poignée de militants qui étudient dans son sein et à côté, toutes les questions qui ne sont pas étudiées dans nos Assemblées générales, dans nos Conseils syndicaux. Ce besoin, Digat le reconnaissait aussi, quand il disait que les militants devaient faire leur éducation dans leur syndicat. Nous disons que le remède est dans les C.S.R., et, même victorieux, nous continuerions demain. (Applaudissements.)
Nous maintiendrions nos C.S.R. Ils sont pour nous le groupement des minorités clairvoyantes et agissantes d'hier ; la force qui pourra électriser nos syndicats, empêcher qu'ils ne s'assoupissent.
Le mouvement impulsif que vous semblez tant craindre, que Digat présentait hier comme un épouvantail, cette peur d'un insurrectionnalisme nouveau ne correspond à rien. Qui donc jadis désapprouva l'insurrectionnalisme plus que nous ? Pour reprocher à Lénine et aux Russes leur internationalisme, il faut, comme certains hommes, être ignorant de toutes les théories socialistes, et avoir des lunettes de bois sur les yeux. Comment ! mais s'il est une école qui ne puisse pas être rendue responsable de ce qu'en France on a appelé l'insurrectionnalisme, ce sont bien ceux qui se revendiquent du communisme russe. Quant à nous qui nous revendiquons toujours du syndicalisme révolutionnaire, qui n'avons pas coupé hier dans le panneau de l'insurrectionnalisme d'Hervé, parce que nous avions notre conception syndicaliste, notre mouvement de classe, à nous qui savons dans quelles conditions il peut et doit agir ; vous nous reprochez aujourd'hui de vouloir nous lancer, nous risquer dans des aventures sans tenir compte des vies humaines ; vous nous dites que nous voudrions de gaieté de cœur, avec joie, manier la chair à révolution ! Allons donc ! mais dites-vous bien, Digat, que dans la vie il y a parfois des nécessités où l'on doit choisir.
Chair à Révolution ! dites-vous. Moi je réplique : Il n'y a pas une Révolution, durât-elle dix ans, qui coûtera ce qu'a coûté une semaine de votre guerre. (Applaudissements.) Vous n'aviez pas de la vie humaine un respect si grand il y a deux ou trois ans. (Applaudissements.) Chair à Révolution ! Dites-vous bien que devant nous, un jour, nous aurons cette nécessité de choisir. Et si au 2 août 1914, nous avions eu une Internationale véritable, ayant fait le travail préparatoire, ayant soudé les travailleurs entre eux, et qu'elle nous eût placé devant cette nécessité et le grand sacrifice, au nom de notre espérance révolutionnaire, croyez-vous, Digat, que quelques milliers, même quelques centaines de milliers de mort parmi nous n'auraient pas empêché, racheté, compensé les quinze millions de mort que vous avez fait ou laissé faire ? (Applaudissements.)
Le temps passe plus vite que je ne le croyais, je m'en vais achever vivement… Ce que nous voulons, ce dont nous avons un besoin impérieux, c'est d'une Internationale internationaliste et révolutionnaire. Celle d'Amsterdam ne l'est pas, il faut que nous en ayons une autre.
Je ne m'explique pas que vous invoquiez avec tant de force la Charte d'Amiens, vous, majoritaires, qui, au début de la guerre, avec constitué le Comité d'action entre le Parti, les Syndicats et les Coopératives, Comité d'action qui a duré jusqu'à quel moment ? Jusqu'au moment où la minorité pacifiste du Parti socialiste a triomphé dans le Parti. Vous avez accepté la liaison permanente, organique, pendant toute la guerre, au profit du jusqu'auboutisme. Merrheim en était, il était partisan du Comité d'action, contrairement à l'avis des camarades du Rhône dont il avait le mandat, en qualité de titulaire et moi de suppléant. L'Union du Rhône s'était prononcé nettement contre la constitution de ce Comité d'action ; Merrheim, votre délégué, ne partageait pas votre avis, camarades du Rhône, et seul votre délégué suppléant le partageait.
Quand vous êtes allés en février 1915 à la Conférence interalliée de Londres, délégués de la C.G.T., délégués du parti, des Syndicats et des Partis alliés, est-ce que vous respectiez la Charte d'Amiens ?
Je me souviens qu'au cours de la discussion, au Comité confédéral sur la Conférence de Copenhague, qui provoqua ma démission, Luquet jeta dans la discussion : « Nous ne pouvons pas ici, Comité confédéral, prendre une décision sans en référer au parti, parce que l'on n'admettrait pas qu'en France, après la constitution de notre Comité d'action, un organisme puisse dire blanc et l'autre noir. »
Du côté de la droite de ce Congrès, vous ne pouvez plus vous réclamer de la Charte d'Amiens. Vous n'en avez nul droit. Mais il y a quelqu'un qui, lui, a pêché à droite, pêché à gauche, qui l'a violée dans les réunions interalliées de guerre et qui l'a violée aussi – car c'était la violer que d'aller à Zimmerwald – c'est Merrheim. Mais à ce moment-là, mettant au-dessus de certaines formules, l'intérêt supérieur de la paix, du pacifisme révolutionnaire, personne dans ce pays, parmi les éléments révolutionnaires n'est venu dire à Merrheim : « Tu as mal fait d'aller à Zimmerwald. » Au contraire, son geste a rallié, non seulement le sentiment, mais l'enthousiasme de tous les révolutionnaires de ce pays. Voyez combien les circonstances, les conditions particulières, peuvent à certains moments faire fléchir une résolution tactique.
Dans la Charte d'Amiens, ce qu'il y a d'essentiel pour nous, de durable, d'éternellement durable, c'est cette conception du syndicalisme : grand artisan de la Révolution, capable de la faire tout seul si possible, capable d'organiser tout seul le lendemain de la Révolution. C'est là notre force, notre volonté, c'est là notre espoir. (Applaudissements.)
Mais ne crions pas « Raca » aux forces révolutionnaires qui sont à côté de nous. Nous ne disons pas : Haine au Parti communiste, qui se dit révolutionnaire ; nous lui disons : Marche, fais ta besogne ; nous, dans les syndicats, - où sont tous les ouvriers, où tous y ont leur place, même ceux qui ne sont pas révolutionnaires mais qui le seront à une heure donnée, parce qu'il y a toujours une heure où l'esprit exige, demande, appelle la Révolution - , nous ferons la nôtre.
Quelle est la différence entre notre mouvement d'aujourd'hui et celui d'hier ? Aujourd'hui vous dites : Les masses ont-elles confiance en la Révolution, sont-elles révolutionnaires ? Ah ! je sais bien que les masses ne restent pas, ne peuvent pas être toujours tendues dans un effort révolutionnaire, que seuls les militants des minorités agissantes peuvent savoir se maintenir à ce diapason. Mais alors, quand ces masses assoupies se réveillent un jour, se lancent, se dressent, c'est à nous de nous jeter à leur tête, c'est à nous de faire ce que nous faisions autrefois (applaudissements), et si nous avions procédé ainsi, nous n'aurions pas vu la série interminable des échecs de grèves que nous avons connues depuis 1919.
Vous dénonciez, en juin 1919, avant le 21 juillet, les grèves politiques. Un mois après vous appelez les travailleurs, vous faites semblant de les appeler, pour une grève politique, et vous vous étonnez qu'après votre contre-propagande du mois précédent les troupes ne répondent pas à votre appel. La grève des Métaux, la grande grève des Métaux parisiens, partie instinctivement ; et la grève des Cheminots de février 1920, cette grève qu'il suffisait de saisir et que vous ne saisissez pas pour lui faire rendre le maximum de résultats. (Applaudissements.) Ni vous, Fédération des Cheminots d'alors, ni vous C.G.T., ne les avez saisies ; vous les avez laissées se briser.
Deux mois après il était trop tard, l'occasion était passée ; le patronat avait pris ses dispositions, c'était la défaite. Mais vous auriez eu la victoire si vous étiez restés des esprits révolutionnaires (Applaudissements.)
Cette Internationale dont nous avons besoin, Internationale syndicale, elle ne peut avoir son siège ailleurs qu'à Moscou. Quand on se dit révolutionnaire et qu'un pays a fait la Révolution, c'est là que doit être le siège de notre organisation internationale et non ailleurs. (Applaudissements.) Et, sur la route de Moscou où nous nous sommes arrêtés, nous vous demanderons ici le retrait d'Amsterdam, de l'Internationale nationaliste ; de l'Internationale de collaboration de classes, de l'Internationale parlementaire, de l'Internationale mille fois plus politicienne que celle de Moscou car j'estime que c'est une injure gratuite que de traiter de politiciens des gens qui ont fait la Révolution. Vous n'avez pas le droit de les appeler des politiciens. En tout cas, faites-le si le cœur vous en dit ; mais remarquez bien une chose, c'est qu'Amsterdam ne signifie rien pour le dernier ouvrier de nos syndicats. Prenez le moins cultivé ; il sait ce que signifie Moscou, que c'est le pays où la Révolution est enfantée, et parce que nous sommes des révolutionnaires, parce que notre syndicalisme ne s'enferme pas dans les limites de ce régime, parce qu'il veut briser ce régime, parce qu'il est révolutionnaire, il a forcément sa place là-bas. Nous entendons y aller, nous espérons y aller, nous sommes sûrs d'y aller (applaudissements), en gardant notre conception syndicaliste révolutionnaire. (Applaudissements.)
Nous allons faire, au sortir de ce Congrès, la demande, que nous soyons minorité ou majorité, d'une réunion nouvelle de l'Internationale Syndicale Rouge, où sera remise en question la question des rapports entre les partis et les syndicats, entre l'Internationale communiste et l'Internationale syndicale, et nous défendrons notre point de vue. Nos amis russes sont entiers, nos amis russes ont leur conception propre ; c'est votre ancienne conception, à vous les majoritaires, les réformistes, c'est la conception des guesdistes de ce Nord, vous l'avez donc oublié ? Vous avez donc oublié que nous sommes aussi révolutionnaires qu'eux, bien que nous ayons de la Révolution une idée à nous, que nous croyions que par la grève générale et l'insurrection, que par un mélange de grève générale et d'insurrection, nous pouvons démolir, réduire le régime, et que nous pouvons sur la base de nos syndicats édifier le régime communiste nouveau. Car communistes, nous le sommes ; partisans de l'égalité sociale dans le régime de demain, nous le sommes sur la trame de nos organisations syndicales, par nos Fédérations d'industries transformées demain en instruments de production. Et là-bas, nous arriverions en meilleure posture si des hommes ne nous avez pas quittés, si le syndicalisme français s'était redressé. Nous arriverions là-bas, et nous obtiendrions plus facilement gain de cause, si nous n'avions pas été trahis par ceux qui, hier, étaient à Zimmerwald et qui, aujourd'hui, sont avec la contre-révolution et s'allient avec tous ceux qui salissent la Révolution russe et qui ont la peur petite bourgeoise de la Révolution.
Je me permettrai seulement, et ce sera ma conclusion, de citer deux témoignages. Nous espérons, nous, que notre indépendance syndicale sera reconnue à Moscou, en nous basant sur certains témoignages.
Voilà ce que disait Humbert-Droz au retour du deuxième Congrès de l'Internationale communiste :
Le Congrès qui marquait avec netteté ce qui le séparait des centristes, n'a malheureusement pas marqué suffisamment ce qui sépare les communistes des syndicalistes révolutionnaires. Sous prétexte d'attirer et d'éduquer ces éléments sincèrement révolutionnaires, on a laissé la porte ouverte aux organisations syndicalistes. Elles ont certes été battues dans les diverses questions posées au Congrès, mais tandis qu'on impose une discipline sévère aux partis politiques, on admet presque sans conditions les organisations syndicalistes et l'on jette la confusion là où l'on veut la clarté/ Ainsi tandis qu'on imposait – avec raison – une épuration au Parti italien pour en faire un Parti communiste fortement discipliné, on admettait l'Union italienne, formée en grande majorité de syndicalistes-anarchistes, sans lui imposer la même opération à l'égard de ceux qui n'admettent pas les thèses du Congrès. Il y a donc en Italie deux sections de l'Internationale communiste, et c'est la confusion aussi bien dans l'organisation que dans les principes.
Nous pensons que cette erreur devra être rectifié par l'Exécutif dans le courant de l'année. Il ne doit et il ne peut y avoir dans chaque pays qu'un seul Parti communiste, les organisations syndicales qui sont hostiles à l'action politique, à la centralisation, etc., ne peuvent, pas plus que les centristes, trouver place dans l'Internationale communiste, sans faire dévier sa politique et sans l'affaiblir ; leur place est dans l'Internationale syndicale rouge, non dans la III° Internationale, qui doit être et rester une Internationale de partis politiques.
Nous n'en demandons pas plus ; notre place dans l'Internationale Syndicale Rouge avec toute notre conception, la tête droite à côté de nos frères de Russie. (Applaudissements.)
Au retour de ce Congrès précisément, le secrétaire de l'Union syndicale italienne, notre ami Borghi, rappelait ces mots de Lénine, par lesquels je veux terminer ici :
Il n'est pas vrai que les Russes imposent aux révolutionnaires des autres pays de copier servilement et fidèlement leur Révolution, et de l'accomplir à leur modèle. Allez plus loin que nous, me disait Lénine, dépassez-nous, faites mieux que nous, mais faites.
Voilà ce qu'ils nous disent en Russie alors que nous ne faisons rien.
(Applaudissements.)
- ↑ « Internationale II et ½ » : surnom de l'Union des Partis Socialistes pour l'Action Internationale, regroupement centriste effectué en février 1921à Vienne par l'I.L.P. anglais, le parti socialiste autrichien, l'U.S.P.D. allemande et la S.F.I.O. maintenue. L'Union de Vienne se réunifiera avec la II° Internationale dès 1923.
- ↑ Casimir Bartuel (1869-1946), secrétaire général de la Fédération nationale des Mineurs, socialiste réformiste.
- ↑ Allusion à la nuit du 4 août 1789 où la jeune Assemblée nationale décidait d'abolir le régime féodal en France.