Des témoignages sur l’origine de la légende du « Trotskisme »

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Tels sont les témoignages que j’ai pu recueillir à Moscou. Ils ne font que mettre crûment en lumière ce que les camarades mieux informés comprenaient déjà clairement avant de les connaître.

La légende du « trotskysme » qui fut créée, détruite et de nouveau reconstituée par les seuls et mêmes hommes, suivant les besoins du moment, nous amène à examiner une autre question plus générale : celle des méthodes à admettre dans la lutte politique au sein du parti révolutionnaire. Il n’est pas rare d’entendre dire par des représentants de la majorité actuelle (naturellement dans une conversation privée) :

« Il va de soi que nous savons très bien que l’Opposition n’a rien de commun avec le menchevisme. Mais il s’agit de deux groupes luttant pour le pouvoir, il faut donc de puissants moyens. »

Les maquignons qui sont maintenant dans l’appareil croient qu’une telle façon d’aborder les questions idéologiques est tout à fait réaliste et même véritablement bolchevique. Elle est pourtant profondément imprégnée de cynisme. L’idéologie est dans la lutte de classes une arme tranchante : elle se venge cruellement de ceux qui en abusent. Les cadres du parti se sont formés au cours d’années et de dizaines d’années, sur la base des thèses du marxisme contrôlées par l’expérience de la vie et de la lutte. Abuser des valeurs idéologiques, falsifier les théories, transformer les mots de « menchevisme », de « social-démocrate » etc. en injures vides de sens, tout cela sape inévitablement les bases de la vie du parti, détruit les liens d’idées, démoralise les cadres, désoriente les masses.

Nous ne reconnaissons pas l’existence d’une morale abstraite au-dessus de la réalité, des classes et des intérêts de celles-ci. Mais cela ne signifie nullement que nous ne reconnaissons l’existence d'aucune morale. Ce que l’on peut et ce que l’on ne peut pas faire est déterminé par les intérêts historiques du prolétariat et non par les besoins actuels de l’appareil – ou de la poignée de ceux qui le dirigent.

Il suffit de se représenter clairement, un instant seulement, le jeu répugnant de saute-mouton pratiqué dans le domaine des idées à propos du « trotskysme ». Il n’en a même pas été question entre 1917 et 1923. Pour nous en tenir à l’essentiel, c’est pendant cette période qu’a été élaboré le programme du parti, qu’a été fondée l’Internationale communiste, qu’ont été constitués ses cadres et établis ses documents principaux, parmi lesquels les thèses du Programme et les Manifestes de l’Internationale communiste. En 1923, après que Lénine ait été écarté de toute activité, de sérieuses divergences de vue sont apparues dans le noyau principal du comité central et ces divergences se sont développées, dans le cours des quatre années suivantes, autour de deux lignes de conduite irréconciliables. Le spectre du trotskysme a été lancé sur la scène en 1924 après une soigneuse préparation en coulisses. Zinoviev et Kamenev étaient les inspirateurs de cette campagne. Ils étaient à la tête de ce qu’on appelait à l’époque « la vieille garde bolchevique ». En face, le prétendu « trotskysme ». Mais le noyau des soi-disant « léninistes » scissionne en 1925. Quelques mois plus tard, Zinoviev et Kamenev ont été obligés de reconnaître que le noyau principal de l’Opposition de 23, les prétendus « trotskystes » avaient eu raison dans les questions essentielles sur lesquelles il y avait eu des divergences. Cet aveu est le plus cruel des châtiments encourus par les abus scandaleux commis dans le domaine théorique.

Mais il y a plus : bientôt Zinoviev et Kamenev sont eux-mêmes catalogués comme « trotskystes ». Il est difficile d’imaginer plus implacable ironie du hasard. Zinoviev et Kamenev s’unissent aux dirigeants de l’Opposition de 1923 dans un groupe parfaitement fondé à se dénommer gauche prolétarienne du parti ou bolcheviks-léninistes (Opposition) en opposition au groupe opportuniste Staline, Rykov, Boukharine. Le 15e congrès n’a rien changé à la ligne politique de la majorité ; au contraire, il l’a renforcée. Il a condamné l’Opposition et l’a exclue du parti. Pour Zinoviev et Kamenev, c’est apparu suffisant pour dissimuler le danger de Thermidor et tenter en revanche de ressusciter le fantôme du trotskysme. Il ne serait pas surprenant que Zinoviev se mette à rédiger une brochure contre le danger trotskyste et que Kamenev se mette à faire référence à ses discours et articles de 23-24.

Le manque de principes porte en lui son châtiment. Il se brise contre les faits, sape la confiance et en fin de compte se ridiculise.

Des individualités, même aussi considérables que Zinoviev et Kamenev, viennent et passent. La ligne politique, elle, demeure