Demande d'autorisation de séjour à Berne de Friedrich Engels

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PROJET

À la direction susdite du département de Justice et de Police du canton de Berne, à Berne.

Je soussigné me permets, à la suite des indications fournies par le bureau des passeports de déposer ma demande d'autorisation de séjour à Berne[1] .

Je vivais à Cologne (Prusse rhénane), comme écrivain, lorsqu'à la suite de troubles qui se sont produits dans cette ville les 25 et 26 septembre j'ai été impliqué dans l'enquête judiciaire intentée, et menacé d'arrestation. J'ai échappé à cette arrestation par la fuite et, quelques jours plus tard, une lettre de cachet fut lancée contre moi (Kölnische Zeitung des 1, 2 ou 3 octobre[2] ) ce qui établit ma qualité de réfugié politique. Je m'offre à joindre au besoin une copie de cette lettre de cachet à la direction susdite.

Arrivé en Suisse, j'ai préféré demander l'hospitalité du canton et de la ville de Berne plutôt que d'une autre ville :

1) Parce que Berne est située suffisamment loin de la frontière allemande pour retirer aux autorités allemandes tout prétexte à importuner le gouvernement suisse par des réclamations et des affirmations comme quoi j'abuserais du droit d'asile pour me livrer à des menées incendiaires, etc.;

2) parce que justement Berne me donne l'occasion d'étudier, par l'activité de l'Assemblée fédérale suisse, l'efficacité pratique d'une Constitution dont l'Allemagne peut, dans tous les cas, apprendre bien des choses, surtout à une époque où le peuple allemand peut se trouver amené à se donner une Constitution ayant, avec celle de la Suisse, tel ou tel point de ressemblance.

Je présume que mon exil ne sera pas de trop longue durée; indépendamment de la faible perspective de stabilité de la situation présente en Prusse, j'ai tous les motifs d'attendre des jurés de Cologne un verdict d'acquittement et je n'ai essentiellement cherché en fuyant qu'à me soustraire à une longue détention préventive. En conséquence, je pense pouvoir rentrer dans mon pays dès le printemps prochain.

Quant à mes moyens d'existence, ils sont pleinement assurés comme je peux le prouver au besoin.

Conformément aussi aux indications du bureau des passeports, je joins celui que le gouvernement provisoire français m'a fait établir sur ma demande lorsque j'ai quitté Paris en avril dernier pour rentrer dans mon pays; on m'avait fait suivre ce passeport de Cologne.

Je saisis cette occasion d'assurer la direction susdite de mon entière considération.

Friedrich ENGELS

Berne, Postgasse n°43 B.

Chez M. Haeberli, le 15 novembre 1848.

  1. Le Conseil cantonal de Berne accorda le droit d'asile à Engels le 9 décembre 1848.
  2. Cf. document 20, extrait de la Kölnische Zeitung, n° 271 du 4 octobre 1848 : « Lettre de cachet contre F. ENGELS et H. BURGERS ».