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Demain (Réponse à Trotski)
Dans la péroraison de son remarquable discours au Congrès, Trotsky, parlant de la révolution russe, a fait en traits concis les pronostics de l’étape prochaine du développement des pays autres que la Russie ; il en ressort que, dans les conditions actuelles, une période de pacifisme et de réformisme est inévitable, tant en France qu’en Angleterre. Trotsky prête à cette circonstance une importance décisive ; c’est là le postulat de sa position, dirigée contre les dangers opportunistes qui menacent soi-disant, les Partis Communistes.
Il y a de sérieuses objections à ces pronostics ; je veux les indiquer ici.
L’objection principale sera dirigée contre le point de départ des pronostics de Trotsky. C’est là la clef de toute la question. Les considérations fondamentales de Trotsky contredisent l’interprétation du développement de la Révolution donnée par l’I.C. et confirmée par le Congrès. Le point de départ pour Trotsky n’est point l’Allemagne. Il la laisse de côté ; mais il suppose que, grâce à l’évolution pacifiste et réformiste de l’Angleterre, les social-démocrates allemands respireront un air plus frais. De l’exposé qu’il donne ensuite, il ressort qu’il considère cette étape de l’évolution comme devant durer non pas des mois, mais des années. Jusqu'à présent, et nous croyons que c’était juste, c’était l’Allemagne que l’on attribuait le rôle décisif dans le processus de l’évolution prochaine, du moins en ce qui concerne l’Europe. On pensait, et on pense encore à juste titre, que l’évolution intérieure de l’Allemagne, de même que la constellation politique extérieure dont l’Allemagne est le foyer d’attraction, amèneront de grands événements et des combats décisifs entre le prolétariat et la bourgeoisie allemande. Quant à Trotsky, il base ses pronostics sur la supposition que l’on ne saurait s’attendre dans un avenir prochain à une aggravation catastrophique des antagonismes de classes en Allemagne et que, par conséquent, dans la détermination des perspectives d’avenir de l’Europe, il faut faire abstraction du développement révolutionnaire en Allemagne, en tant que facteur décisif.
A la base des considérations de Trotsky (il est impossible d’aboutir à une autre conclusion), il y a l’hypothèse que l’Allemagne devra marcher dans la même voie que l’Autriche, qu’elle cessera d’être, sur l’échelle internationale ou même sur l’échelle nationale, un facteur d’action politique et se transformera en un objet tout à fait passif pour l’action des puissances de l’Entente . Une telle interprétation est injustifiée : l’Autriche est une puissance insignifiante, éprouvant un grand besoin de produits alimentaires et de matières premières, un pays non viable, incapable d’agir, dépendant de l’étranger ; mais pour l’Allemagne, c’est autre chose. Elle a d’autres possibilités politiques et économiques, particulièrement grâce à son accord avec la Russie des Soviets. Elle n’a aucune ressemblance avec l’état tragi-comique de l’Autriche. A la différence de la grande masse du prolétariat autrichien, le prolétariat allemand est incapable d’une soumission fataliste à l’Entente, il ne se pliera pas sans combat sous le joug horrible de l’exploitation et de la paupérisation.
Il est beaucoup plus probable que, dans le processus d’une telle évolution, le prolétariat allemand entreprendra une lutte décisive contre le gouvernement bourgeois. Cette lutte décisive influera sur tout le reste de l’Europe et tout particulièrement sur la France et l’Angleterre.
Toutes ces considérations protestent contre les perspectives d’avenir dessinées par Trotsky, pour qui le rôle décisif était joué par la domination économique et politique de l’Angleterre et de la France en Europe. Il y a encore d’autres objections. A part l’Allemagne, il existe encore d’autres foyers de développement révolutionnaire, en particulier dans l’Europe centrale et méridionale. La situation y est instable. De là la vague de réaction, la tentative de rétablir un équilibre stable, - dans l’acceptioncapitaliste du mot, - entre l’Europe centrale et l’Europe méridionale, à l’aide des moyens politiques les plus féroces. Cette vague de réaction avance encore et il n’y a aucune raison de croire qu’elle se brisera contre le pacifisme ou le réformisme de l’Angleterre ou de la France.
En outre, il y a le conflit oriental et les machinations militaires qui, par malheur, en découlent.
Bref, la perspective dessinée par Trotsky est peu probable ; car, outre qu’elle est une révision de l’ancienne interprétation de l’évolution révolutionnaire et que, par conséquent, elle entraîne une modification des bases de la politique concrète de l’Internationale Communiste dans la période prochaine, il n’aurait point fallu la masquer, mais la mettre à découvert.
Friedlander.