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Special pages :
Débats ententistes à Berlin
Auteur·e(s) | Friedrich Engels |
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Écriture | 6 juin 1848 |
Publié en français dans le recueil La Nouvelle Gazette Rhénane aux Éditions sociales (1963-1971). Numérisé par MIA et l'UQAC.
Cologne, 6 juin
Les pourparlers pour une entente, etc., prennent à Berlin le développement le plus réjouissant. On dépose proposition sur proposition, la plupart même cinq ou six fois pour qu'elles ne se perdent pas au cours du long chemin qui passe par les sections et les commissions. Questions préalables, questions subsidiaires, questions incidentes, questions intérieures et questions essentielles sont à chaque occasion soulevées en très grande profusion. À propos de chacune de ces grandes et petites questions, les députés engagent régulièrement « de leur banc » une conversation à bâtons rompus avec le président, les ministres, etc. Celle-ci constitue, au milieu du travail harassant des « grands débats », la détente souhaitée. Ce sont surtout ces ententistes anonymes, que le sténographe a coutume de désigner du terme de « voix », qui aiment à exprimer leur opinion au cours de ce genre d'entretiens familiers. Ces « voix » sont d'ailleurs si fières de leur droit de vote, qu'elles votent parfois pour et aussi contre, comme ce fut le cas le 2 juin. Mais à côté de cette idylle, s'engage, avec tout le sublime de la tragédie, la lutte du grand débat, une lutte qui n'est pas seulement menée de la tribune en paroles; le cœur des ententistes y participe en tambourinant, avec des murmures, un brouhaha, des cris, etc. Le drame se termine naturellement chaque fois par la victoire de la droite vertueuse, et c'est un scrutin réclamé par l'armée des conservateurs qui décide presque toujours de l'issue.
Lors de la séance du 2 juin, M. Jung a interpellé le ministre des Affaires étrangères au sujet du « traité de cartel »[1] avec la Russie. On sait que déjà en 1842, l'opinion publique obtint l'annulation du cartel, et que celui-ci fut rétabli lors de la réaction de 1844. On sait comment le gouvernement russe fit fouetter à mort les hommes qui lui furent livrés, ou les envoya en Sibérie. On sait quel prétexte souhaité offre l'extradition conditionnelle de criminels de droit commun et de vagabonds pour remettre entre les mains des Russes des réfugiés politiques.
M. Arnim, ministre des Affaires étrangères, répondit : « Personne ne fera d'objection à l'extradition de déserteurs, étant donné qu'il est de règle entre États amis de se rendre mutuellement ce service. »
Nous prenons acte de ce que, suivant l'opinion de notre ministre, la Russie et l'Allemagne sont des « États amis ». Assurément les concentrations militaires que la Russie opère sur le Bug et le Niémen n'ont d'autre intention que de délivrer, le plus tôt possible, l'Allemagne « amie » des terreurs de la Révolution.
« La décision concernant l'extradition de criminels appartient d'ailleurs aux tribunaux, de sorte que toute garantie est donnée que les accusés ne seront pas extradés avant la conclusion de l'instruction criminelle. »
M. Arnim cherche à faire croire à l'Assemblée que ce sont les tribunaux prussiens qui mènent l'instruction des faits reprochés au criminel. Bien au contraire. Les autorités judiciaires russes ou russo-polonaises envoient aux autorités prussiennes un arrêté où elles déclarent le réfugié en état d'accusation. Il reste simplement au tribunal prussien à établir si ce document est authentique, et s'il est répondu à la question par l'affirmative, il lui faut décider l'extradition. « De sorte que toute garantie est donnée », qu'il suffit au gouvernement russe de faire un signe à ses juges pour que tout réfugié, tant que ne sont pas encore formulés contre lui des chefs d'accusation politiques, soit remis entre ses mains, ligoté avec des chaînes prussiennes.
« Il va de soi que les propres sujets de Sa Majesté ne seront pas extradés. »
« Les propres sujets », M. le superbaron von Arnim, ne peuvent pas être extradés déjà pour la bonne raison qu'en Allemagne il n'y a pas de « sujets » depuis que le peuple a pris la liberté de s'émanciper sur les barricades.
« Les propres sujets » ! Nous qui élisons des assemblées, qui prescrivons aux rois et aux empereurs des lois souveraines, nous « sujets » de Sa Majesté le roi de Prusse ?
« Les propres sujets » ! Si l'Assemblée avait seulement une étincelle de la fierté révolutionnaire à laquelle elle doit son existence, elle aurait, d'un seul cri d'indignation, foudroyé le ministre servile et l'aurait renvoyé de la tribune et du banc du gouvernement. Mais elle a laissé tranquillement passer cette expression infâmante. On n'a pas entendu la moindre réclamation.
M. Rehfeld interpella M. Hansemann au sujet des nouveaux achats de laine de la Seehandlung[2] et des avantages accordés aux acheteurs allemands. L'industrie de la laine, éprouvée par la crise générale, avait la perspective de se trouver au moins légèrement favorisée en achetant aux prix très bas de cette année. Alors la Seehandlung arrive et fait monter les prix par des achats énormes. Au même moment elle s'offre à faciliter considérablement à des acheteurs anglais la transaction en escomptant de bonnes traites sur Londres; cette mesure est aussi tout à fait propre à faire monter les prix de la laine en attirant de nouveaux acheteurs, et à favoriser considérablement les acheteurs étrangers au détriment des acheteurs indigènes.
La Seehandlung est un héritage de la monarchie absolue qui s'en servait à maints usages. Pendant vingt ans, elle a rendu illusoire la loi de 1820 sur la dette publique[3] et s'est ingérée de façon très désagréable dans le commerce et l'industrie.
La question soulevée par M. Rehfeld est au fond de peu d'intérêt pour la démocratie. Il s'agit d'un profit de quelques milliers de talers de plus ou de moins pour les producteurs de laine d'une part, pour les fabricants de laine d'autre part.
Les producteurs de laine sont presque exclusivement de grands propriétaires fonciers, des hobereaux de la Marche, de Prusse, de Silésie et de Posnanie.
Les fabricants sont la plupart du temps de grands capitalistes, des Messieurs de la haute-bourgeoisie.
Il ne s'agit donc pas, pour les prix de la laine, d'intérêts généraux, mais d'intérêts de classe; il s'agit de savoir si la haute noblesse terrienne doit laisser tomber la haute bourgeoisie, ou si la haute bourgeoisie doit laisser tomber la haute noblesse terrienne.
M. Hansemann, envoyé à Berlin comme représentant de la haute bourgeoisie, le parti actuellement au pouvoir, la trahit au profit de la noblesse terrienne, le parti vaincu.
Pour nous démocrates, l'affaire n'a d'intérêt que parce que nous voyons M. Hansemann se mettre du côté du parti vaincu, soutenir non seulement la classe simplement conservatrice, mais la classe réactionnaire. Nous l'avouons, nous ne nous serions pas attendus à une telle attitude de la part du bourgeois Hansemann.
M. Hansemann a d'abord assuré qu'il n'était pas un ami de la Seehandlung, puis il a ajouté : on ne peut pas arrêter brutalement les achats de la Seehandlung, ni ses fabriques. En ce qui concerne les achats de laine, il existe des contrats d'après lesquels l'achat d'une certaine quantité de laine... constitue cette année une obligation pour la Seehandlung. Je crois que s'il est une année où de tels achats ne portent aucun préjudice au trafic privé, ce sera justement celle-ci... Sinon les prix pourraient par trop baisser.
Il est visible, dans tout le discours, que M. Hansemann ne se sent pas à son aise quand il parle. Il s'est laissé entraîner à rendre un service aux Arnim, Shaffgotsch et Itzenplitz au détriment des fabricants de laine et il lui faut maintenant défendre avec les raisons de l'économie moderne, si impitoyable pour la noblesse, sa démarche irréfléchie. Il sait mieux que personne qu'il se moque de l'Assemblée tout entière.
« Les achats de la Seehandlung, de même que ses fabriques, ne peuvent pas être arrêtés brusquement. »
La Seehandlung achète donc de la laine et fait tourner bon train ses fabriques. Si les fabriques de la Sechandlung ne « peuvent pas être arrêtées » brusquement, il va de soi que les ventes ne peuvent pas l'être non plus. La Seehandlung portera donc ses produits lainiers au marché; elle encombrera davantage encore le marché déjà encombré, elle comprimera davantage encore les prix déjà comprimés. En un mot, pour procurer aux hobereaux campagnards de la Marche, etc. de l'argent pour leur laine, elle aggravera encore la crise commerciale actuelle et retirera aux fabricants de laine les quelques clients qui leur restent encore.
En ce qui concerne l'histoire des traites anglaises, M. Hansemann déclame une brillante tirade sur les énormes avantages que le pays tout entier retirera quand les guinées anglaises s'en iront dans les poches des hobereaux de la Marche. Nous nous garderons bien d'approfondir sérieusement cette affaire. Ce que nous ne comprenons pas, c'est que M. Hansemann puisse, lui, quand il en parle, garder son sérieux.
À la même séance, on discuta encore d'une commission à désigner pour la Posnanie. Nous en parlerons demain.
- ↑ Cette convention fut conclue le 17 mars entre la Prusse et la Russie. Elle fut renouvelée sous une forme légèrement différente le 8 mai 1844. Elle concernait l'extradition réciproque de déserteurs, de militaires et aussi de criminels. On abusa souvent de cette loi pour extrader des réfugiés politiques. Le 2 juin 1848, le député Jung, dans son interpellation, affirmait avoir lu dans la presse que sur un ordre du général von Pfuel, tous les réfugiés de Russie devaient être extradés.
- ↑ Société créée en 1772 pour le commerce d'outre-mer et transformée en 1820 en un institut d'État pour le crédit et le commerce : elle procurait des capitaux à l'État prussien. C'était « un établissement commercial qui spéculait et trafiquait pour le compte et aux risques de l'État et qui était son courtier depuis longtemps ». (Engels : ouvr. cité, p. 218).
- ↑ La loi sur la dette publique du 17 janvier 1820 stipulait que le gouvernement prussien ne devait accepter d'emprunts qu'avec la garantie de l'Assemblée impériale par corps, et devait rendre chaque année des comptes à cette assemblée.