Débat sur la question suédoise au Ve congrès de l'IC

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THAELMANN fait l’historique de la crise du Parti suédois et expose la résolution adoptée par la commission. Ont assisté aux séances de celle-ci, outre les membres de la commission, les délégations des Partis norvégien et danois. Ces deux délégations, appelées à se prononcer, se sont associées au vote de la commission, et la résolution a été adoptée à l’unanimité, moins les voix du groupe Hoeglund.

A la fin de la séance, j’ai demandé au camarade Hoeglund s’il était prêt à travailler dans le Parti suédois sur la base de la résolution. Hoeglund a répondu :

Nul n’est tenu à l’impossible. Si cette résolution est adoptée — et elle sera une catastrophe pour le Parti, — nous ne pouvons nous engager purement et simplement à l’exécuter. Mais naturellement, nous en discuterons très sérieusement dans la Centrale, et si la Centrale est d’avis qu’il est possible de continuer à diriger le Parti sur cette base, je continuerai à le faire. Hoeglund laisse donc ouvertes différentes possibilités. Nous devons dire clairement et sérieusement — la chose est nécessaire à cause des rapports fédératifs des trois partis — que les choses ne peuvent continuer ainsi à l’avenir. Nous devons du moins créer de la clarté, jusqu’à ce que le Congrès suédois se réunisse, après les élections, afin que les membres soient à même de se prononcer et que les décisions du Ve Congrès puissent être exécutées.

Malgré la menace du camarade Hoeglund, il y a moyen que le Parti suédois surmonte très facilement cette crise parce que ses membres, comme la minorité l’a affirmé dans la commission, sont déjà très favorables au soulèvement contre la majorité sur différentes questions. Si l’Exécutif élargi adopte ce projet comme plate-forme, et si la réforme du Parti suédois s’opère en conséquence, il en sera tout comme dans les Partis allemand, polonais, français : 80 à 90 % des membres se placeront sur le terrain de l’I. C. et du Congrès.

HOEGLUND. La majorité de la délégation suédoise repousse la résolution de la commission parce qu’elle la considère comme un acte de méfiance à l’égard de la direction actuelle du Parti. Cette résolution ne résout pas, mais aggrave la crise. Il n’y a pas de divergences considérables, ni politiques ni de principe, dans le Parti. Des membres en vue de la gauche ont observé, sur différentes questions, la même attitude que la droite, attitude qualifiée d’opportuniste par l’Exécutif. Il y a dans le Parti des courants opportunistes, mais au sein des deux tendances. La discussion actuelle n’a trait qu’à des questions d’organisation et de personnes. Nous luttons contre des tendances localistes et décentralistes, qui se présentent sous le masque du radicalisme. La minorité n’a pas observé la discipline, de sorte que le Parti n’avait plus d’unité dans sa direction, et c’est ainsi que la convocation d’un Congrès national extraordinaire est devenue nécessaire. On demande maintenant de le renvoyer. Mais la décision doit être prise avant les élections, si nous ne voulons pas subir une défaite.

Hoeglund présente le projet de résolution que voici :

1. L’Exécutif désavoue expressément l’attitude antistatutaire de la minorité du Parti suédois.

2. Les quatre points dressés par la Centrale sont confirmés par l’Exécutif.

3. Une direction unique du Parti sera créée, où la tendance majoritaire recevra une majorité prépondérante, mais où la minorité sera représentée.

4. Les candidatures parlementaires seront réparties entre les fractions proportionnellement à leurs forces.

5. Le Congrès national extraordinaire sera réuni pour confirmer cette décision.

6. Ce Congrès extraordinaire adoptera un programme de travail pour le Parti, qui sera élaboré d’accord avec l’Exécutif.

Voilà notre contre-proposition. La proposition de la commission est injuste et imprudente, elle anéantira notre mouvement électoral et sera très nuisible au Parti. Loin de russifier le Parti, il l’austrifiera ; loin de le bolchéviser, il l’atomisera. Une répercussion s’ensuivra en Danemark et en Norvège. Voilà pourquoi nous demandons qu’elle soit repoussée et notre proposition adoptée. Samuelson convient que la minorité, elle aussi, a bien des faiblesses. La cause en est que l’éducation marxiste, dans notre Parti n’est pas très forte. Hoeglund et Stroem ont montré très peu d’intérêt pour la théorie, et ainsi les deux groupes du Parti manquent d’éducation théorique. La discussion ne touche apparemment que des questions d’organisation, en réalité ce n’est de la part d’Hoeglund qu’une continuation de la campagne qu’il mène depuis des années contre l’Internationale, contre les partisans d’une attitude loyale et sans réserve vis-à-vis de l’I. C. et de l’Exécutif. Hoeglund souligne sa loyauté depuis la « « liquidation » de la crise en décembre passé à Moscou, mais à tort : la majorité de la Centrale poursuit systématiquement les camarades qui sont de notre côté. Pour Hoeglund, il y a deux sortes de centralisme international. Il y a besoin du centralisme national lorsqu’il s’agit de discipliner la minorité et les jeunesses, mais lui-même exige pleine liberté de ne reconnaître la discipline internationale qu’autant qu’elle sert ses buts. Un congrès national ne ferait que nuire en ce moment, parce qu’il serait un congrès de lutte et non de travail. Il ne ferait que saboter la campagne électorale. La majorité du Parti n’est naturellement point intéressée à la réélection des députés sortants. Hoeglund doit donner enfin une déclaration nette sur sa position vis-à-vis de l’I. C.

Boukharine. — Samuelson a déjà constaté que l’opposition n’est pas aussi mauvaise que le prétend Hoeglund. Cependant, même si la description de Hoeglund était juste, ce ne serait pas un argument en sa faveur. Cela signifierait plutôt que le Parti ne vaut absolument rien, car si la gauche est si opportuniste, la droite doit encore l’être davantage. Le Parti suédois se trouve dans une situation où l’ensemble de l’expérience de l’Internationale, l’expérience de tous les partis qui, grâce à Dieu, ne sont pas aussi mauvais que le Parti suédois d’après la description de Hoeglund, doit être utilisée pour sauver le Parti. Hoeglund et la majorité de la centrale constituent un front permanent contre l’I. C., ils se ferment eux-mêmes la seule vole de salut. Le camarade Hoeglund dit : Nous ne sommes pas capables d’observer cette discipline. Il faut tenir compte de la tradition anti-centraliste Scandinave. Cela fait même une impression marxiste, car notre tactique doit s’adapter à la situation 24 concrète. Mais y a-t-il vraiment en Suède d’aussi fortes tendances anti-centralistes ?

Aucunement !Hoeglund même emploie une méthode si fortement centraliste qu’elle paraît exagérée, même à nous, véritables centralistes. Il est super-centraliste. Les « traditions » anti-centralistes ne s’expriment que vis-à-vis de l’I. C. Il faut poser très nettement la question. Laquelle, de la discipline nationale ou de la discipline internationale, est la plus haute ? Il faut répondre, sinon nous ne pourrons résoudre aucun problème d’organisation. Nous pensons que s’il y a conflit, l’I. C. doit soutenir ses partisans, sinon point d’Internationale. Qu’est-ce qu’il y a là de déloyal à l’égard de la centrale du Parti, déloyale vis-à-vis de l’I. C. ?

La situation dans le Parti suédois est très grave. La majorité a contre elle les Jeunesses, qui sont une fois et demie plus fortes que le Parti, et en outre les organisations les plus importantes du Parti, Stockholm, Göteborg et le nord : presque moitié contre moitié. Le camarade Hoeglund se trouvera dans une situation pareille à celle de Brandler, en Allemagne, qui nous disait toujours : « Nous avons derrière nous le Parti tout entier », et qui n’a ensuite obtenu aucune voix. Il faut essayer de résoudre cette crise par la collaboration des deux groupes avec l’aide de l’I. C. Or, tous les camarades ont entendu le discours du camarade Hoeglund. Il a dit entre autres : « Nous avons suivi les directives sur la dictature du prolétariat, aussi avons-nous remporté une jolie défaite. » Il a dit cela avec son scepticisme mélancolique habituel : Nous avons fait la bêtise, en voici le bilan. » Cela caractérise l’orientation morale du Parti. Naturellement, il y a des situations où quelques couches de travailleurs inconscients sont séparés de nous, c’est une preuve que le Parti n’a pas été capable de lancer le mot d’ordre qu’il fallait pour ne pas s’isoler de la masse. Mais dans le discours du camarade Hoeglund, c’était comme un argument caché à l’égard des mots d’ordre mêmes.

Nous connaissons les opinions du camarade Hoeglund sur Stauning et sa politique de désarmement : elle conduit à l’égard des social-démocrates à des concessions inacceptables. Nous avons à présent, pour toute l’I. C. peut-être, l’expérience la plus instructive dans notre Parti ouvrier norvégien. Rappelez-vous la position du camarade Hoeglund dans cette question, lorsque les choses s’aggravaient de plus en plus jusqu’à la scission. On disait que les partisans de Tranmael étaient beaucoup plus à gauche que ceux de Schefflo. Mais lorsque la lutte fut engagée, il devint clair que les tranmaelistes représentaient les tendances social-démocrates opportunistes. Où était alors Hoeglund ? Naturellement du côté de Tranmael. A présent, il peut voir que notre tactique était tout à fait juste : en Norvège s’accomplît inévitablement la bolchévisation du Parti.

Un nouveau livre de Stroem, qui a trouvé la pleine approbation de Hoeglund, nous renseigne sur les conceptions qu’on voudrait nous présenter comme l’expression de la « particularité » Scandinave. Ce livre est petit-bourgeois, idyllique, sentimental, pleurnichard, mais pas communiste. Et Hoeglund se solidarise avec ! « Nous sommes, dit-il, les représentants de petits pays, où règne une situation assez idyllique entre les classes. » Mais, camarades, cette situation ne durera plus longtemps, et nous devons nous préparer pour d’autres circonstances. En Norvège, il y avait également une situation idyllique. Mais au bout de six mois de lutte véritable, elle a déjà disparu en partie. Pouvons-nous vivre éternellement dans une situation tactique, politique, doctrinale, convenant à de telles circonstances idylliques. Ne devons-nous pas élever enfin les ouvriers à une autre idéologie, susceptible de servir d’instrument dans la lutte réelle ? Nous devons pousser à la réorientation idéologique du Parti. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons sauver le Parti frère suédois. Thaelmann résume dans sa conclusion les résultats de la discussion, et il s’adresse ensuite à Hoeglund :

Si Hoeglund ne comprend pas combien la décision de la commission est sérieuse, et s’il refuse d’accepter la résolution, s’il ne reconnaît pas que les décisions de l’internationale ont été contrecarrées en Suède à plusieurs reprises, il montre nettement qu’il n’a rien appris et qu’il ne veut rien apprendre. Si Hoeglund n’accepte pas et n’exécute pas les décisions de l’Exécutif élargi, il s’engagera dans la voie que d’autres ont suivie avant lui. La question suédoise est une affaire internationale. Si nous avions dans les différentes sections des tendances hoeglundistes, ce serait un danger pour l’Internationale Communiste et pour son existence. Voilà pourquoi nous devons dire aux travailleurs suédois et au prolétariat international que des tendances comme celles que Hoeglund représente doivent être combattues. Si Hoeglund se déclare prêt à exécuter les décisions du Congrès, il restera avec nous. Sinon, il se mettra hors de l’Internationale. La situation en Suède exige un Parti Communiste ferme et discipliné, dirigé par un camarade ayant les qualités qu’on doit demander à un communiste, surtout à un chef communiste. (Applaudissements).

On passe au vote. La résolution est adoptée contre deux voix de la délégation suédoise.