Contre l’opposition de droite

De Marxists-fr
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Chers Camarades,

Sous le nom d’Opposition on réunit habituellement deux courants en essence inconciliables : le courant révolutionnaire et le courant opportuniste. Ils ne sont liés que par leur commune hostilité au « centrisme » et au « régime ». Mais ce n’est qu’un lien purement négatif. Notre lutte contre le centrisme découle précisément de ce que, en tant que demi-opportunisme, il couvre l’opportunisme entier malgré des dissensions passagères aiguës. C’est pourquoi il ne peut être question d’un bloc de l’Opposition de droite et de l’Opposition de gauche. Nous n’avons aucun besoin d’en faire la démonstration.

Mais cela ne signifie pas que ce sont exclusivement des éléments opportunistes sans espoir qui se regroupent sous le drapeau de l’Opposition de droite. Les groupements politiques ne se forment pas du premier coup. Dans les premiers temps, il y a toujours bien des malentendus. Les ouvriers mécontents de la politique du parti ne trouvent pas toujours la porte qu’ils cherchent. Il ne faut pas l’oublier, surtout en ce qui concerne la Tchécoslovaquie, où le parti communiste est en train de vivre une crise très grave. Ne connaissant pas le tchèque, je n’ai malheureusement pas eu la possibilité de suivre la vie interne du parti tchécoslovaque. Mais je ne doute pas que l’Opposition actuelle dite de droite n’ait en son sein des sentiments et des tendances qui ne se définiront clairement et sans aucune ambiguïté que dans la période suivante. Il dépend dans une large mesure de l’activité de l’aile léniniste que cette cristallisation se fasse en un sens ou un autre.

Cette affirmation n’a rien de commun avec le point de vue de Souvarine qui nie catégoriquement l’existence des tendances principielles, c’est-à-dire de tendances de classe à l’intérieur du communisme. Non, l’existence d’une droite et d’une gauche, d’un centre, sont un fait indéniable qu’attestent de grands événements à l’échelle mondiale. Ignorer ces tendances et leur lutte implacable, c’est être un doctrinaire sans vie qui, en même temps, couvre la tendance de droite dans le communisme qui constituent le pont direct vers le retour à la social-démocratie.

Opérer clairement, en marxiste, la distinction entre ces trois tendances n’oblige absolument pas à les considérer comme achevées et pétrifiées. Il ne manquera pas de changements de personnes dans les différents groupements. De larges cercles d’ouvriers tournés vers le communisme n’ont même pas commencé encore à se regrouper. Ils demeurent, par tradition, dans les cadres anciens ou sont indifférents.

Bien des symptômes permettent de penser que tous les partis de l’Internationale sont en train de vivre un moment critique. Les fractions actuelles dans le communisme n’ont qu’un caractère préparatoire. Ce sont d’abord des instruments pour un regroupement plus en profondeur dans les partis communistes et dans l’ensemble de la classe ouvrière. C’est entre autres pourquoi l’intervention de l’Opposition léniniste dans la vie interne du P.C. tchécoslovaque a une grande signification.

Mais l’Opposition elle-même est loin d’avoir le même cœur et la même âme. Presque dans tous les pays, il existe deux ou même trois groupes qui affirment leur solidarité avec l’Opposition de gauche du P.C. de l’Union soviétique. C’est là une réaction contre le régime insensé et criminel qui a été instauré dans l’Internationale communiste depuis l’automne 1923 et qui avait pour tâche de transformer le parti international du prolétariat en une caricature de l’ordre des Jésuites. Toutes les maladies qui avaient été refoulées à l’intérieur surgissent maintenant. Y contribue aussi la réaction politique, pas seulement dans le monde capitaliste mais aussi en U.R.S.S.

Le fait que l’Opposition de gauche soit éparpillée en de multiples groupes n’est en soi nullement réjouissant. Mais il faut prendre les faits tels qu’ils sont. Si l’on comprend clairement les raisons de cet éparpillement, on peut trouver aussi le moyen de le surmonter.

On ne peut arriver à l’unité de l’Opposition par des prêches abstraits sur l’unification ou par des combinaisons organisationnelles vides. Cette unité doit être préparée sur le plan théorique et politique. Cette préparation doit mettre en lumière ceux des groupes ou éléments qui sont réellement sur le terrain commun et ceux d’entre eux qui n’ont rejoint l’Opposition léniniste que par suite d’un malentendu.

Le critère le plus important est, ou plutôt doit être la Plateforme. Ce critère sera d’autant plus sûr que chaque groupe, indépendamment de sa force du moment, en tirera des conclusions politiques dans la lutte quotidienne et agira en conséquence. Je veux dire ici avant tout une plate-forme nationale. En effet, sans une intervention incessante de l’Opposition dans la vie du prolétariat et celle du pays, l’Opposition deviendra une secte stérile. Il est pourtant nécessaire, en même temps, d’élaborer une plate-forme internationale de l’Opposition qui servira de pont au programme futur de l’Internationale communiste. Car il est tout à fait clair que l’Internationale communiste ressuscitée devra avoir un programme nouveau. Seule l’Opposition peut le préparer. Et il faut s’y mettre immédiatement.

Il est indiscutable que les questions de la politique du P.C.U.S., de la révolution chinoise et du comité anglo-russe sont les trois critères fondamentaux des groupements à l’intérieur du communisme et par conséquent également de l’Opposition. Cela ne signifie naturellement pas qu’il suffise de donner les réponses justes à ces trois questions. La vie ne s’arrête pas. Il faut marcher à son pas. Mais sans une réponse juste aux trois questions mentionnées, on ne peut non plus trouver maintenant de réponse à quelque autre question que ce soit. De même que, si l’on ne comprenait pas bien la révolution de 1905, on ne pouvait trouver de réponse juste aux problèmes de l’époque de la réaction et de la révolution de 1917. Celui qui ne veut rien savoir des leçons de la révolution chinoise, de la grève anglaise, du comité anglo-russe, est perdu sans espoir. Les gigantesques leçons de ces événements doivent être assimilées avec précision si l’on veut prendre une position juste sur toutes les questions de la vie et du prolétariat.

L’instrument de l’élaboration de la plate-forme internationale est un organe international de l’Opposition, d’abord mensuel puis bi-mensuel : c’est la tâche la plus urgente, et la plus impérative du moment. Un tel organe, sous une rédaction attachée aux principes, doit être dans un premier temps ouvert à tous les groupes qui se comptent comme de l’Opposition de gauche ou qui tendent à s’en rapprocher. Cet organe aura pour tâche, non de consolider les vieilles cloisons, mais de réaliser un regroupement des forces sur une base plus large. Si l’on ne peut pas encore surmonter l’éparpillement de l’Opposition dans le cadre national, on peut pourtant déjà se préparer à le surmonter sur le plan international.

Avec une ligne claire et nette de la rédaction, cette revue doit être également une tribune libre. Elle devra en particulier effectuer le contrôle international sur les divergences entre les différents groupes nationaux de l’Opposition de gauche. Un tel contrôle attentif et consciencieux permettra de distinguer entre les désaccords réels et les désaccords imaginaires, et de rassembler les marxistes révolutionnaires, en éliminant les éléments étrangers.

Du fait de sa signification, cette revue devra être éditée en plusieurs langues. Il est vraisemblable que nous n’en aurons pas les forces dans la période qui vient. Il faut donc, dans cette affaire, se contenter d’un petit compromis pratique. Les articles pourraient être publiés dans la langue du pays qu’ils intéressent en premier lieu ou dans celle où ils ont été écrits. Les articles les plus importants pourraient être accompagnés d’un bref commentaire en langue étrangère. Et finalement, les organes nationaux de l’Opposition publieraient les articles les plus importants en traduction dans leurs propres pages.

Certains camarades disent et écrivent que l’Opposition russe ne fait pas assez pour l’organisation d’une direction organisée de l’Opposition internationale. Je crois qu’il se dissimule derrière ce reproche une tendance dangereuse. Nous ne voulons pas renouveler dans notre fraction internationale les mœurs et les méthodes de l’Internationale de Staline et de Zinoviev. Les cadres révolutionnaires dans chaque pays doivent se dégager et se regrouper à partir de leur expérience propre et doivent se tenir sur leurs jambes tout seuls. L’Opposition russe ne dispose — on est tout près d’ajouter ici « heureusement » — ni des armes de la répression étatique ni des ressources financières d’un État Elle ne peut compter ici que sur l’influence des idées pour nourrir l’échange d’expériences. Au moyen d’une direction juste de la fraction internationale, on pourra réaliser cet échange des expériences entre les forces de l’Opposition dans chaque pays. Mais les sources de cette influence et de ces forces, chaque section nationale doit aller les chercher à la base et non au sommet, au milieu des travailleurs eux-mêmes, en rassemblant la jeunesse, en travaillant infatigablement, énergiquement et avec un véritable esprit de sacrifice.

G. Gourov