Congrès de Genève, Discussion sur le travail des femmes et des enfants

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Séance du 7 septembre

Le citoyen Dupont (Londres) donne lecture du rapport du Conseil central.

Le congrès doit s’occuper sérieusement de l’apprenti. Un contrat existe entre le patron et l’apprenti. Celui-ci est tenu de le remplir et le patron s’en moque, car pendant la durée de l’apprentissage, l’enfant est exploité de toute manière par le patron, qui le fait servir à toutes sortes de travaux en dehors de sa profession; aussi ne commence-t-il à apprendre son métier que du jour où il a fini son apprentissage et devient ouvrier. Nous devons nous appesantir sur cette question, car l’exploitation de l’enfant a quelque chose de plus inique que celle de l’homme.

Le citoyen Coullery (La Chaux-de-Fonds): «Je suis heureux de voir le congrès s’occuper de la femme; nous devons déclarer d’une façon catégorique que nous travaillons aussi bien pour l’émancipation de la femme que pour celle de l’homme. Il faut que non seulement nous l’arrachions à la prostitution de la rue, mais encore à celle de l’atelier. Il faut que, comme celle de l’homme, son instruction soit complète, pour qu’elle ne devienne pas la proie des ministres d’aucune religion. En un mot, il faut qu’elle puisse se développer complètement, cérébralement et corporellement, car elle est l’espoir de l’espèce humaine».

Les citoyens Chemalé, Fribourg, Perrachon, Camélinat font la proposition suivante:

«Au point de vue physique, moral et social, le travail des femmes et des enfants dans les manufactures doit être énergiquement condamné en principe comme une des causes les plus actives de la dégénérescence de l’espèce humaine et comme un des plus puissants moyens de démoralisation mis en œuvre par la caste capitaliste.

La femme, ajoutent-ils, n’est point faite pour travailler, sa place est au foyer de la famille, elle est l’éducatrice naturelle de l’enfant, elle seule peut le préparer à l’existence civique, mâle et libre. Cette question doit être mise à l’ordre du jour du prochain congrès, la statistique fournira des documents assez puissants pour que nous puissions condamner le travail des femmes dans les manufactures».

Le citoyen Varlin (Paris): «Comme vous tous, je reconnais que le travail des femmes dans les manufactures, tel qu’il se pratique, ruine le corps et engendre la corruption. Mais partant de ce fait, nous ne pouvons condamner le travail des femmes d’une manière générale; car vous qui voulez enlever la femme à la prostitution, comment pourrez-vous le faire si vous ne lui donnez le moyen de gagner sa vie. Que deviendront les veuves et les orphelins? Elles seront obligées ou de tendre la main ou de se prostituer. Condamner le travail des femmes, c’est reconnaître la charité et autoriser la prostitution». Le citoyen Fribourg (Paris): «Les veuves et les orphelins seront toujours une exception et ne peuvent en aucune façon infirmer la loi que nous posons. Car, dit-il, en voulant que tous les hommes travaillent, nous savons parfaitement que beaucoup en seront empêchés par des accidents naturels, et le pendant nous réclamons la loi générale. Les veuves et les orphelins sont dans le même cas que les infirmes». Le citoyen Tolain (Paris): «Tant que la manufacture existera pour la femme, elle ne sera jamais un être libre, elle ne pourra jamais développer ses facultés naturelles. L’atelier l’abâtardit».

Le citoyen Lawrence (Londres): «Il y a quelque chose de plus fort que tous les raisonnements que nous tenons ici de plus vrai que tous les sentiments philanthropiques que nous émettons: c’est la marche de la Société. Nous ne devons pas faire des théories, nous sommes des ouvriers, des hommes pratiques et non des utopistes. Eh bien! si nous voulons aider d’une façon efficace l’émancipation de notre classe, il faut que notre rôle se borne à observer ce qui se passe autour de nous, à comprendre le mouvement social et non à lui imposer nos sentiments et nos vues particulières. Comme le rapport du Conseil central le dit très bien la tendance de l’industrie moderne est de faire coopérer la femme et l’enfant à la production sociale. Et ceci est tellement vrai que dans certaines parties de l’Angleterre, la femme ne demeure plus à la maison, et c’est l’homme qui est réduit à faire la cuisine. Nous sommes cependant loin d’admirer la manière dont on fait travailler la femme, mais le fait existe et ce serait folie que de vouloir condamner d’une façon générale le travail de la femme; mais ce que nous pouvons faire, c’est de protester énergiquement contre l’exploitation de la femme telle que la pratique la caste capitaliste».

L’extrait du rapport du Conseil central concernant le travail des femmes est mis aux voix et voté à la grande majorité.

L’amendement suivant, présenté par les citoyens Varlin (Paris) et Bourdon (Paris), tendant à accentuer davantage le rapport anglais, est mis aux voix et rejeté:

«Le manque d’éducation, l’excès de travail, la rémunération trop minime et les mauvaises conditions hygiéniques des manufactures sont actuellement pour les femmes qui y travaillent des causes d’abaissement physique et moral; ces causes peuvent être détruites par une meilleure organisation du travail, par la coopération. La femme ayant besoin de travailler pour vivre honorablement, on doit chercher à améliorer son travail et non à le supprimer. Quant aux enfants, on doit retarder leur entrée dans la fabrique et restreindre autant que possible la durée de leur travail».

La proposition des citoyens Chemalé, Fribourg, Perrachon, Camélinat est mise aux voix et adoptée.

Au sujet de l’éducation des enfants, la délégation française fait la proposition suivante, qui est adoptée à l’unanimité:

«Le congrès déclare que l’enseignement professionnel doit être théorique et pratique, sous peine de voir se constituer une aristocratie à l’aide de l’instruction spéciale, qui ferait non des artisans, mais des directeurs d’ouvriers».