Ce que l’Union Soviétique attend de Gorki

De Marxists-fr
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Gorki a atteint sa 60e année, il y a quelques années seulement que je l’ai vu et cependant il n’avait pas de cheveux blancs (malgré sa maladie chronique). Ses yeux brillaient pleins de clarté et d’attention dans son front sillonné de ces rides particulières aux Russes ; la moustache se dressait ironique et son âme hardie, vivante — ô, combien vivante — apparaissait dans sa personne longue et toute en angles. En général, un homme ne peut pas se sentir particulièrement à l’aise lorsque tout le monde vient le trouver avec cette nouvelle agréable : « Petit frère, tu as six décades sur le dos ». Mais ceci inquiète à peine Gorki. Vraiment, à son aspect extérieur, personne ne lui donnera soixante ans et ne l’appellera un « vieillard vénérable ». Même le fait qu’il a une petite fille apparaît comme un paradoxe et une invention de photographe fasciste tant nous avons été habitués à voir Gorki comme une force jeune, créatrice de vie.

Je ne veux maintenant écrire ni sur les mérites formidables de Gorki, ni sur ses hésitations et ses erreurs, ni sur sa renommée littéraire dans le monde entier. Je voudrais dire seulement quelques mots sur ce que l’Union soviétique attend de Gorki, ce quelle attend de Gorki, le grand artiste prolétarien et notre écrivain.

Gorki est collectiviste, il sent la masse, le rythme de sa vie, de sa lutte, de son travail, la respiration de la classe, du peuple, des grandes foules humaines. La période précédente de sa création, la période des brillants va-nu-pieds russes avec tous leurs haillons bigarrés et leur « indépendance de conception » est depuis longtemps périmée bien que cette période, dans la création de Gorki, ait agité les habitants des marécages de « l’Etat russe » et bien qu’elle ait joué un rôle révolutionnaire énorme. Gorki est un artiste qui connaît la masse, Gorki est un producteur de la culture et du travail. Il s’est habitué à juger et à apprécier le travail pardessus tout le monde. Personne ne sent tout le pathétique du travail créateur comme Gorki. Personne ne ressent autant l’importance énorme et révolutionnaire du travail comme cet écrivain prolétarien. Ses fautes en octobre 1927 [coquille pour 1917 ?] ne se sont-elles pas précisément expliquées par le fait que l’artiste a vu et a par trop senti les frais élevés de la Révolution dont les torrents de sang et les gémissements de la destruction masquaient à ses yeux les perspectives de l’avenir créateur.

Gorki est un lutteur contre l’esprit petit boutiquier qui, chez nous, a une base très puissante. Gorki est un observateur éminent, un connaisseur de la vie ; aux yeux avides de savoir, aux mains qui savent se saisir des « matériaux ». Il a accumulé une expérience puissante de la vie et de l’art. Il a développé en lui une capacité incomparable à pénétrer profondément dans la vie. Ses types littéraires sont de la vie et non des êtres maniérés ; chez lui, tout est couleur vivante et non pas du fard, tout est vérité et non de fausses lamentations.

C’est d’un homme comme lui que nous avons besoin maintenant, que nous avons, plus que jamais, le plus grand besoin.

Le travail d’éducation se poursuit dans la fièvre. Notre fourmi soviétique est plus laborieuse que jamais. Les gens roulent de lourdes pierres, commettent des bêtises et des fautes, les réparent ensuite, se trompent encore, se corrigent à nouveau, apprennent, transforment tout autour d’eux et se transforment eux-mêmes, mais jusqu’ici, il n’y a pas eu de description de cette large époque. Il y a des essais, mais ils sont faibles. Le plus fréquemment, il y a le bourdonnement d’outsiders ou les jubilations à 100 % d’écrivains de fer et d’acier à 100 % et d’autres écrivains prolétariens. Chez eux, il n’y a que des mannequins artificiels pour essayer les nouvelles résolutions ou encore des mannequins qui sont « unis » mécaniquement et conformément « à la tache à faire » (Dieu sait quels mots on invente encore).

Le « héros » de notre victoire ouvrière est avant tout la masse. Mais qui donnera sa juste valeur à cette masse dans la lutte. De même qu’en peinture on met en pleine force les « chefs » (il sévit chez nous dans tous les coins une « peinture des saints » — d’ailleurs mauvaise), on préfère aussi dans la littérature les « héros » à la « foule ». Je le répète, il ne s agit pas du tout de décrire je ne sais quel « être » compact, impersonnel et borgne. La « masse » est une certaine unité organique de types divers. Pour représenter la masse, il faut être capable de voir, d’observer et de savoir. Nous crions : « Apportez-nous la masse » mais nous avons à ces [assez ?] peu d’écho.

Le grand travail d’édification qui se déroule dans notre pays n’exclut en aucune façon un nouvel esprit boutiquier de fait qui ressemble, parfois de façon touchante, à l’ancien. Le saisir, comme avec des pincettes, le prendre à rebrousse poil avec une main virile et puissante, mais en le caressant de telle façon que le philistin s’en trouve mal, mais de façon aussi que les lecteurs véritables ne s’ennuient point, mais au contraire s’efforcent, avec d’autant plus d’ardeur de redresser leurs manches afin d’aller d’autant plus vite au travail — serait-ce quelque chose de mal ?

Or chez nous c’est de l’ennui qu’on nous offre au lieu de cela. S’il y avait au moins chez nous une bonne critique ! Mais celle-ci est encore à peine née. Il y a chez nous beaucoup de forts en gueule qui découvrent chaque déviation en un tournemain, les écrivains « se critiquent eux-mêmes », au lieu de l’occuper surtout de leur propre chose, c’est-à-dire de chercher la vie et de la décrire. Il y a déjà chez nous beaucoup de choses bonnes en gestation, mais cette littérature n’est pas encore très riche.

Par toutes ses aptitudes, Gorki est capable de combler une lacune énorme. Il est attendu comme leur artiste par notre Union soviétique, par notre classe ouvrière et notre parti auquel il fut lié au cours de nombreuses et de nombreuses années. C’est pourquoi nous attendons l’arrivée de Gorki, car il vient à nous pour y travailler, pour y faire un bon, un grand, un glorieux travail.