Argentine et Bolivie : le bilan

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I : Deux orientations[modifier le wikicode]

Les divergences d'orientation qui amenèrent une minorité de délégués à voter contre la « Résolution sur l'Amérique Latine » au dernier congrès mondial[1], il y a 3 ans, n'ont pas diminué depuis. Bien au contraire, le débat s'est étendu au-delà du cadre de ce continent. En outre, des divergences sont apparues sur d'autres questions diverses, quoique liées. Ces divergences portent essentiellement sur la manière de construire des partis révolutionnaires de masse dans la situation actuelle où se trouve la Quatrième Internationale.

Il est aujourd'hui évident que deux tendances se sont formées sur des problèmes vitaux pour l'avenir du mouvement trotskyste mondial. La première de ces tendances, suivant la ligne exprimée dans la « Résolution sur l'Amérique Latine », c'est-à-dire le « tournant » adopté par la majorité au neuvième congres mondial, 3° congrès depuis la réunification, a comme stratégie d'engager la guérilla, ou de se préparer à ce type de lutte, sans prendre beaucoup en considération l'importance de nos forces ou la situation réelle où elles se trouvent. L'autre tendance s'en tient à la ligne qu'elle a défendue au dernier Congrès Mondial, c’est-à-dire celle de la Quatrième Internationale depuis sa fondation: essayer de se lier aux masses par une application cohérente de la méthode exposée dans le Programme de Transition.

Dans cette contribution au débat, nous nous proposons d'examiner comment les deux lignes ont subi l'épreuve de la réalité en Bolivie et en Argentine, et ce que l'extension de la ligne majoritaire sur la guérilla aux autres continents signifie pour la Quatrième Internationale.

Mais avant d'en arriver à ces problèmes, nous voulons pour la commodité de l'exposé résumer les deux positions.

1 - L'axe de travail principal.[modifier le wikicode]


Selon la majorité, la perspective en Amérique Latine était fondamentalement la guérilla rurale pour une période prolongée. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le déclarait très clairement : « Même dans les pays où peuvent se produire préalablement de larges mobilisations et luttes de classes dans les villes, la guerre civile prendra des formes de lutte armée multiples, dont l'axe principalpour toute une période sera la guérilla rurale, le terme ayant principalement un sens géographico‑militaire et n'impliquant pas nécessairement une composition uniquement paysanne des détachements de combat (ni même nécessairement une composition majoritairement paysanne). En ce sens, la lutte armée en Amérique Latine signifie fondamentalement la guérilla ». (Documentation Internationale, compilation sur l'Amérique Latine, Cahier 1, fascicule a, p. 11)
Le camarade Livio Maitan considérait cela comme si fondamental qu'il le cita dans un article public un an plus tard, déclarant qu'il partageait la « conclusion de l'immense majorité des révolutionnaires latino‑américains ‑ à savoir que pour une phase de la révolution, dont la durée ne peut être prédite à priori, mais qui en général sera probablement longue, la lutte armée sera fondamentalement une lutte de guérilla ». Il ajoutait : « Si l'on tient compte des facteurs géographiques, des structures démographiques de la majorité de la population, et des considérations techniques et militaires mises en évidence par le Che lui‑même, il s'en suit que la variante de la guérilla rurale continentale sera la plus probable » ( « Cuba, réformisme militaire et lutte armée en Amérique Latine », Intercontinental Press, 20 avril 1970,p. 360).
Contre cette position, la minorité prédisait que la lutte révolutionnaire tendrait à revenir dans les centres urbains. Elle insistait sur deux indications significatives en ce sens : le soulèvement de Saint-Domingue en 1965, et les manifestations étudiantes massives à Mexico en 1968, l'année précédant le Congrès Mondial. La minorité affirmait que ces évènements en plus de ceux de mai-juin 68 en France, témoignaient de la justesse du pronostic selon lequel les soulèvements à venir dans le monde se rapprocheraient davantage du schéma léniniste de révolution prolétarienne que ceux qui s'étaient produits de la fin de la seconde guerre mondiale à la victoire de la révolution cubaine.
La majorité a quelque peu évolué par rapport à la position qu'elle avait au dernier congrès mondial. Mais l'évolution a consisté à rabaisser la guérilla rurale et à mettre au premier plan la guérilla urbaine.

2 - « Préparatifs techniques » ou mise en application du programme de transition.[modifier le wikicode]


La tâche fondamentale de notre mouvement en Amérique Latine, selon la majorité, était de préparer techniquement le lancement de la guérilla. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le déclare comme suit:

La perspective fondamentale, la seule perspective réaliste pour l'Amérique Latine, est celle d'une lutte armée susceptible de durer de longues années. C'est pourquoi la préparation technique ne saurait être conçue simplement comme l'un des aspects du travail révolutionnaire, mais comme l'aspect fondamental à l'échelle continentale, et l'un des aspects fondamentaux dans les pays où les conditions minimales ne sont pas encore réunies ». (Documentation Internationale, Amérique Latine, fascicule a, p. 10‑11)

S'engager dans les préparatifs techniques n'est bien sûr qu'une phase nécessaire dans l'application pratique de la théorie de la guerre de guérilla. Si l'on est d'accord avec la théorie, on est bien obligé de la mettre en pratique.

La minorité défendait une autre théorie et insistait par conséquent sur les tâches pratiques correspondant à cette théorie :

"La tâche fondamentale à laquelle est confrontée l'avant-garde latino‑américaine comme ailleurs, demeure la construction d’un parti marxiste‑révolutionnaire. Elle a la priorité sur tous les problèmes de tactique et de stratégie, en ce sens qu'ils doivent viser ce but comme chaînon décisif dans le processus révolutionnaire. Il ne suffit pas de dire comme le fait la résolution au point 19, que « l'existence et l'activité d'un parti révolutionnaire, loin d'être un schéma usé de marxistes démodés, correspondent aux nécessités concrètes et inéluctables du développement de la lutte armée elle‑même... »

Le parti n'est pas un moyen pour la lutte armée, comme semble le dire, cette phrase ; c'est la lutte armée qui est un moyen pour le prolétariat d'accéder au pouvoir sous la direction du parti. La construction du parti doit être considérée et présentée comme la tâche centrale, l'orientation principale, la préoccupation quasi­-exclusive de l'avant‑garde et le caractère explosif de la situation latino‑américaine loin d'en diminuer la nécessité, l'intensifie. »

(compilation Amérique Latine. P. 24. Hansen.« Amendements au projet de résolution »)

La minorité critiquait la résolution sur l'Amérique Latine pour le peu d'attention qu'elle portait à la radicalisation de la jeunesse comme terrain de recrutement, et proposait cette rectification :

Dans la mesure où la stratégie de notre mouvement est concernée, les principales caractéristiques de cette poussée de la jeunesse dans un sens révolutionnaire sont 1) le fait qu'elle se produit dans les centres urbains, 2) le fait qu'elle entraîne des masses considérables, 3) sa tendance à essayer de se lier aux ouvriers ou autres secteurs des masses et de les entraîner dans l'action.

Il s'en suit que le problème d’élaborer des mots d'ordre et des mesures transitoires susceptibles d'attirer ces forces vers la Quatrième Internationale, est d'une acuité particulière. En quoi le projet de résolution sur l'Amérique Latine contribue‑t‑il à résoudre le problème dans cette partie du monde ? En rien. »

(Ibid. p. 26)

La minorité insistait particulièrement sur le peu de place accordée par la résolution, au programme de transition, sa méthode et les tâches pratiques qu'il implique.

3 - Réaction brutale ou concessions possibles.[modifier le wikicode]


Selon les visions de la majorité en 1969, la guerre civile faisait rage dans toute l'Amérique Latine :

Ainsi, non seulement historiquement, mais aussi en un sens plus direct et plus immédiat, l'Amérique Latine est entrée dans une phase d'explosions et d'affrontements révolutionnaires de lutte armée à différents niveaux contre les classes dirigeantes autochtones et l'impérialisme, et de guerres civile prolongée à l'échelle continentale. »

(« Résolution sur l'Amérique Latine », Op. Cit., p. 8‑9)

La majorité tempérait cette affirmation en disant que l'existence d'une guerre civile à l'échelle continentale ne signifiait pas « l'interprétation simpliste d'un effondrement inévitable du système. ». Si les révolutionnaires n'agissent pas à temps, « l'impérialisme et le capitalisme indigène se réorganiseront, même si c'est de façon précaire en oscillant entre des solutions « nouvelles » et « traditionnelles ». ( Ibid. p. 9).

En dépit de cette précaution,, les auteurs de la résolution considéraient en réalité que la marge de manœuvre était faible, aussi bien pour l'impérialisme que, pour la bourgeoisie indigène, « ...confrontée à l'État ouvrier cubain, la bourgeoisie ne peut faire autrement que s'aligner sur l'impérialisme (mis à part des manœuvres diplomatiques temporaires possibles) et se révèle absolument incapable de réaliser même les plus modestes réformes démocratiques » Encore plus précisément : « Les couches bourgeoises nationales liées à l'industrie moderne apparaissent ou se développent en s'imbriquant totalement dans les structures impérialistes et sous leur complète dépendance. Elles sont intrinsèquement incapables de la moindre action indépendante, que ce soit dans le domaine économique ou politique. » (Ibid. p. 9)

En affirmant que des réformes démocratiques substantielles sont « absolument » exclues, que la bourgeoisie nationale est intrinsèquement incapable de la moindre action indépendante, la majorité ne voyait non seulement pas d'autres alternatives que la guérilla, mais soutenait qu'elle aurait un brillant avenir. Elle pourrait très bien être le détonateur d'un processus révolutionnaire, comme le croyait Che Guevara.

Dans une situation de crise pré‑révolutionnaires comme en connaît actuellement l'Amérique Latine à l'échelle continentale, la guérilla peut en fait stimuler une dynamique révolutionnaire, même si au départ la tentative peut sembler venir de l'étranger et être unilatérale (ce qui était le cas pour la guérilla du Che en Bolivie) »

(Ibid, p. 12)

La minorité était d'accord pour dire que la soi‑disante bourgeoisie nationale, en Amérique Latine comme partout ailleurs dans le monde colonial ou semi‑colonial, est incapable de faire aux masses des concessions susceptibles d'ouvrir une période prolongée de démocratie bourgeoise. Mais, disait la minorité, il serait dangereux d'avoir une vision si rigide des limites de la bourgeoisie nationale et de ses soutiens impérialistes qu'on exclut à l'échelle continentale toute capacité de leur part à faire quelque concession significative que ce soit.

La majorité, bien sûr, reconnaissait que des oscillations se produiraient, mais elle était persuadée qu'elles ne seraient pas très significatives. Sur ce point, la « Résolution sur L'Amérique Latine » déclare :

Cela n'exclut pas des oscillations possibles dans les directions les, plus variées, y compris de nouvelles tentatives pseudo-­réformistes éphémères, des manœuvres politiques, et même des variantes dans le cadre des régimes militaires des groupes d'officiers jouent continuellement au « nassérisme » dans plusieurs pays et l’impact immédiat des coups militaires n'est pas toujours le même dans chaque situation donnée. »

Cette prévision, si l'on peut l'appeler ainsi, était contredite par les phrases suivantes :

Mais cela ne changera rien à la tendance générale profonde : dans une situation de crise chronique et de tensions pré‑révolutionnaires, les classes dirigeantes seront inévitablement amenées à prendre des mesures répressives brutales et d'utiliser des régimes despotiques et terroristes. Dans la mesure où ces classes ne sont souvent pas solides en tant que forces sociales et qu'elles peuvent considérer de façon réaliste qu'elles vont résoudre leurs problèmes par des régimes réactionnaires ayant une base populaire, de modèle fasciste, des régimes militaires restent le recours le plus probable »

(Ibid. p. 8)

La minorité disait que la lutte de classes passe par des hauts et des bas qui sont marqués par des avances et des reculs des classes exploitées, qui peuvent être d'une importance considérable sinon décisive pour les sections de la IV° Internationale dans l'état actuel de leur développement. C'est pourquoi il était faux et schématique de dépeindre la situation dans tous les pays d'Amérique Latine comme une situation politique pré­révolutionnaire, laissant de côté les différences existant entre les pays et les conjonctures différentes qui les affectent.

Au moment du 9° Congrès Mondial, la lutte de classes dans certains pays se développait (Chili, Bolivie, Uruguay, Argentine) pendant qu'elle refluait dans d'autres. Le Brésil, le pays le plus important de tous, souffrait encore des effets du coup contre­-révolutionnaire de 1964. Quant aux mouvements de guérilla, ils avaient soufferts d'une série de défaites démoralisantes pays après pays.

Le pire de tout fut l'erreur de la majorité qui consista à établir une orientation tactique (la guérilla) pour tout le continent. Cela fixait à l'avance « la tactique qui devait être suivie par toutes les sections nationales leur laissant simplement pour tâche, l'application de la formule tactique sur la scène locale » (Hansen. Amendement sur le projet de résolution. Compilation sur l'Amérique Latine. p. 25).

L'orientation majoritaire impliquait une rigidité au niveau précis où les sections nationales auraient dû être poussées à laisser ouvertes diverses possibilités, afin d'être mieux capables, de tirer avantage immédiat de toute concession, si limitée soit‑elle, partielle ou temporaire, que la bourgeoisie serait contrainte de faire sous la pression de la lutte de classes.

4 - L'effet de la tendance vers les normes « classiques ».[modifier le wikicode]


La majorité tout en n'excluant pas d'autres variantes telles que des phases de « réformisme militaire » insistait sur une perspective de « répression brutale et croissante de la part des classes dirigeantes autochtones et de l'impérialisme ». La Résolution sur l'Amérique Latine déclarait catégoriquement :

L'expérience de la Bolivie, où toutes les formes d'activité organisationnelle normales sont continuellement réprimées, de même que l'expérience du Pérou où la répression n'a cessé depuis 1962, particulièrement dans la campagne, sont des expériences absolument claires. De même que le Mexique où la classe dirigeante, ayant recours à ses traditions les plus barbares, n'a pas hésité à organiser un vaste massacre des étudiants (la contre‑attaque officielle et semi‑officielle du régime brésilien relève de la même logique) ».

(Compilation Amérique Latine, p. 11)

La minorité ne fut pas surprise par les soulèvements urbains qui ont conduit la bourgeoisie au Pérou, en Bolivie et au Chili à mettre en place des régimes réformistes et qui conduisit dans le cas de la Bolivie à l'apparition de l'Assemblée Populaire :

« Nous avons prédit dans notre argumentation, que la lutte révolutionnaire en Amérique Latine tendrait à se saisir des centres urbains, et nous citions comme un des premiers exemples de cette tendance, ce qui s'est passé à Saint-Domingue »

(« Rapport sur le 9° Congrès Mondial » par Joseph Hansen, Op. Cit., p. 31)

Les événements de Bolivie confirmèrent la position de la minorité du neuvième congrès mondial, position déjà mentionnée, selon laquelle le schéma des luttes révolutionnaires à l'échelle mondiale se rapprochait des normes illustrées par la révolution russe de 1917.

5 - Castrisme ou léninisme.[modifier le wikicode]


Pour défendre sa théorie de la guérilla, la majorité affirmait que la longue série de défaites subies par ceux qui avaient essayé de l'appliquer en Amérique Latine après la révolution cubaine, s'expliquait par des erreurs pratiques,et non par la théorie elle­-même.

L'échec de certaines expériences de guérilla (au Pérou, par exemple) vint, dans une large mesure, plus d'erreurs dans l'appréciation de la situation, des tendances et du rapport de forces au sein des masses, que d'erreurs de conceptions »

(Résolution sur L'Amérique Latine. Op. Cit., p 10)

La minorité reprochait à cette position d'être une adaptation à celle de Fidel Castro et Che Guevara, selon laquelle il est possible de répéter le schéma spécifique de la révolution cubaine, partout ailleurs en Amérique Latine. La minorité soumit cette position, fausse, de même que les erreurs spécifiques faites par Che Guevara en Bolivie, à une analyse détaillée au neuvième Congrès Mondial :

Si l'on résume toutes ces erreurs, on en arrive à la conclusion suivante, c'est que Che Guevara mit la technique de la guérilla ‑ la technique de la lutte armée ‑ au‑dessus de la politique. Il mit l'action militaire au‑dessus de la construction du parti (...)

La conclusion à en tirer est que tout d'abord la guérilla ne peut tenir lieu de stratégie générale même si elle peut servir de tactique dans certaines situations lorsqu'elle est utilisée par un parti de combat bien construit.

Une autre conclusion à tirer de cette expérience est qu'elle prouve à nouveau que la lutte en Amérique Latine est devenue plus difficile et exige un meilleur instrument qu'auparavant, elle exige la construction d'un parti de combat, davantage que disons, en 1958 ou 1959. »

(« Rapport sur le 9° Congrès Mondial » Op. Cit., p. 33‑34)

De même que la majorité au neuvième Congrès Mondial ne put pas appliquer la méthode du programme de transition à la situation actuelle en Amérique Latine, de même elle ne réussit pas à soumettre la théorie guévariste de la guérilla à une analyse critique :

La vérité est que la résolution est un reflet assez fidèle des positions publiques de la direction cubaine sur le sujet ( ...)

La tactique proposée ne peut être appréciée correctement sans faire référence à ses liens avec la victoire de la révolution cubaine, et la façon dont, depuis lors, les dirigeants cubains en Amérique Latine et ailleurs ont fait sur elle des extrapolations. La résolution ne réussit pas à le faire, même de façon extrêmement sommaire »

(Amendements au projet de résolution. Hansen Op. Cit., p. 23)

Le camarade Hugo Gonzalez Moscoso[2], un des leaders de la majorité, a indiqué l'origine de ses positions sur la question, deux ans avant le neuvième Congrès Mondial :

Dans les conditions existantes en Amérique Latine, les résultats obtenus par les guérillas à Cuba peuvent l'être dans n'importe quel pays. J'affirme par conséquent que la guérilla est sans contredit, la voie que doivent prendre les révolutionnaires pour libérer leurs peuples de l'exploitation capitaliste et impérialiste. »

( « La révolution cubaine et ses leçons », Fifty Years of World Révolution, Pathfinder Press, p. 193)

Le camarade Peng Shu‑Tse[3] déclara à propos de cette affirmation: « Les idées du camarade Moscoso sont un reflet direct de celles contenues dans la déclaration générale de l'OLAS » (Retour au trotskysme, Discussion sur l'Amérique Latine, p. 29)

Développant ses commentaires à ce propos, le camarade Peng disait :

L'adoption de la stratégie de guérilla par des sections latino-­américaines et même par la direction de l'Internationale est un reflet direct de l'influence castriste sur l'Internationale. Cette situation soulève logiquement le problème des liens et des divergences entre castrisme et trotskysme. »

(« Retour au trotskysme », Ibid., p. 31)

La justesse avec laquelle le camarade Peng avait mis le doigt sur l'origine des conceptions qui expliquent le « tournant » du neuvième Congrès Mondial, fut démontrée quand on apprit plus tard ( cela ne fut pas rapporté au Congrès) que le PRT El Combatiente[4] avait publiquement adopté la stratégie et la tactique castristes dès 1968 : « Nous croyons que notre parti devrait clairement se prononcer en faveur de la stratégie révolutionnaire mondiale formulée par le castrisme » (« la seule voie au pouvoir des travailleurs et au socialisme », International Information Bulletin, n.4, Octobre 1972, p. 18). Le camarade Peng ajoutait encore :

Bien sûr nous soutenons l'État ouvrier cubain contre l'impérialisme comme les autres États ouvriers, et nous pouvons même sur certains points spécifiques, donner notre soutien critique à la direction cubaine contre telle ou telle tendance, donner par exemple notre soutien critique à ses attaques contre la ligne soviétique de coexistence pacifique et de voie pacifique au socialisme. D'un autre coté, nous devons critiquer des choses telles que son soutien à la stratégie guérillériste, et faire remarquer que ce n'est pas une stratégie alternative à celle du passage pacifique au socialisme prônée par les staliniens et qu'objectivement à long terme, la stratégie guérillériste ne peut qu'aider l'opportunisme stalinien aussi bien que l'impérialisme américain » (« Retour au trotskysme » Discussion sur l'Amérique Latine. p. 32)

6 - Deux positions sur la place de la guérilla.[modifier le wikicode]


La minorité insistait sur le fait qu'elle ne s'opposait pas à la guérilla en soi. La guérilla, affirmait‑elle, pouvait se révéler utile dans certaines situations comme complément aux luttes de masse. L'utilisation de la guérilla était un problème tactique à décider par les diverses sections. Ce à quoi s'opposait la minorité, c'était la transformation de la guérilla de tactique en orientation stratégique qui entravait et supplantait inévitablement l'orientation stratégique de construction d'un parti révolutionnaire de masse.
La minorité faisait remarquer que le mouvement trotskyste ne manquait pas d'expériences en ce qui concerne la guérilla, l'ayant expérimentée depuis la victoire de la révolution cubaine et ayant appris quelques leçons importantes à son sujet, parfois durement.
En particulier, la minorité soulignait l'importance de l'expérience tirée du Pérou, pendant le grand mouvement de paysans dirigé par Hugo Blanco[5] au début des années 60. Jusqu'au « tournant » du 9° Congrès Mondial ceci fut considéré comme un acquis du mouvement trotskyste mondial dans son ensemble. On devrait se rappeler comment le camarade Maitan parlait autrefois de ceci. Dans une polémique contre Régis Debray en 1967, le camarade Maitan soulignait :

L'expérience péruvienne a été sans aucun doute une des plus importantes des 5 dernières années, une expérience riche et variée, issue d'une multiplicité de mouvements, l'application de lignes palpables différentes, de succès temporaires qui furent suivis par des répressions dévastatrices et par des reflux tragiques. On ne peut entreprendre sérieusement de faire des généralisations valables pour toute l'Amérique Latine, sans une analyse détaillée et profonde sur ce qui s'est passé au Pérou.

Problèmes majeurs de la Révolution en Amérique Latine ‑ une réponse à Régis Debray », InternationaI Socialist Review, Sept. Oct. 1967, p. 7.)

Citant contre Debray ce qui fut obtenu sous la direction d'Hugo Blanco, le camarade Maitan disait que :

Afin d'avoir la compréhension la plus minime du travail d'Hugo, Blanco, on doit partir du contexte dans lequel il fut accompli et saisir ses implications subjectives dans les conditions données. Quand il commença son travail parmi les paysans, Blanco réagit d'un côté contre les tendances aventuristes et putschistes qui s'étaient développées dans leur propre organisation, et de l'autre côté, il rompait avec la tradition d'une certaine partie de la gauche urbaine qui était, bien sûr, rattachée en partie à des schémas désuets, et en partie toujours prête à discuter de nouvelles voies bien qu'incapables de franchir les pas pratiques visant à établir des liens avec les masses paysannes. L'expérience de Blanco ne s'est en aucun cas développée en fonction de modèles abstraits mais en liaison sans cesse plus étroite avec le réel mouvement des masses. A présent, après ces faits, seul un aveugle pourrait ne pas réaliser toute l'importance historique qu'un tel travail a eu dans l'éducation des secteurs paysans ; en dehors même du fait qu'il est encore trop tôt pour apprécier l'impact du procès de Tacna et des évènements qui suivirent ‑ dans lesquels Hugo Blanco émergea comme un héros du peuple péruvien et latino‑américain ‑ sur l'avenir du mouvement révolutionnaire. »

(Ibid., p. 7‑8)

La position prise en commun par la direction de la IV° Internationale à cette époque peut être jugée par la façon favorable dont le camarade Maitan citait les opinions d'Hugo Blanco, telles qu'elles sont exprimées dans certaines lettres écrites peu après son emprisonnement :

En premier lieu, pour ceux qui ont imputé des tendances réformistes à Blanco (peut‑être parce qu'il autilisé l'organisation de syndicats comme un moyen et parce qu'il s'est préoccupé aussi des besoins les plus modestes des paysans dans cette région, sans sous-estimer le fait que des gains partiels pouvaient s'avérer valables en renforçant la confiance en eux‑mêmes des paysans), il faudrait souligner le passage suivant : « Nous avons découvert une voie large et sûre, et nous avançons. Pourquoi devrions‑nous perdre la tête à présent ? Les camarades qui sont en prison doivent comprendre que le parti ne peut se mobiliser en fonction de leur épuisement dans l'isolement mais seulement conformément aux besoins du peuple péruvien et aux possibilités ouvertes par eux. Si quelques uns sont libres et pressés et pensent qu'ils sont capables de devenir guérilleros, c'est magnifique ! Qu'ils le prouvent en se dévouant à un syndicat paysan, à celui de Chumbivilcas par exemple se déplaçant à pied. Après cela ils pourront nous parler de guerre de guérillas s'il leur reste assez de forces. L'organisation de syndicats paysans n'éduque‑t‑elle pas des militants à la vie nomade ? Elle donne les plus importants résultats, l'incorporation consciente de grandes masses dans la lutte. Nous devons gagner autant de terrain que possible avant que survienne le conflit armé pour être sûrs de la victoire »

( Ibid. p. 9)

Le camarade Maitan citait un autre passage, disant qu'il était « très important » :

En ce qui concerne la tactique de guérilla, je suis tout à fait d'accord qu'il faut l'enseigner aux Comités de Défense. Ceux‑ci ne doivent pas agir empiriquement, et à ce sujet le parti d'avant‑garde a un rôle à jouer. Il faut tirer avantage de toute connaissance sur la tactique de guérilla quipuisse être adaptée à notre stratégie de milices.

Par exemple, Manco II, qui investit Cuzco et était prêt à l'écraser, fut abandonné par ses troupes parce‑qu'était venu le temps pour planter ou ramasser ‑ je ne me souviens plus ‑ les pommes de terre.

Rien de tout cela n'interfère avec l'organisation de la guérilla. Quelques unités peuvent être organisées pour aider les milices. Mais l'organisme fondamental pour la lutte ouverte au Pérou sera la milice des syndicats dirigée par le parti. Tirons tous les profits des particularités de notre situation.

Ayant avancé jusque‑là, nous n'abandonnerons rien : vous dîtes que c'est à cheval sur le mouvement paysan que le FIR (Frente de la Izquierda Revolucionaria, section péruvienne de la IV° Internationale) devrait affronter la lutte ouverte pour le pouvoir. Je suis d'accord. Il en fut ainsi à Cuba. La différence réside dans ce qu’ils ont d'abord saisi les armes et puis ont enfourché le cheval. Nous sommes sur le cheval mais nous manquons d'armes. Pourquoi quitterions‑nous le cheval ? »

(Ibid, p. 9‑10, souligné dans l'original)

Hugo Blanco n'a pas changé d'opinion les années suivantes qu'il passa en prison, comme on peut le voir dans le matériel inclus dans son livre La terre ou la mort ‑ La lutte paysanne au Pérou. Dans ses critiques sur ce qui fut fait ou pas fait par les trotskystes péruviens, il indiqua seulement deux faiblesses : on n'a pas assez insisté sur la construction du parti, et à son procès à Tacna, on a trop insisté sur les aspects de lutte de guérilla dans l'intervention trotskyste. Toutefois dans une lettre à Joseph Hansen écrite en Janvier 1970 alors qu'il était encore en prison, il disait :

Un autre problème où Moreno avait raison contre nous : ma défense et celle des évènements de Chanpimayo n'aurait pas dû être celle d'une « guérilla trotskyste » comme cela s'est fait en général, mais comme un exemple d'application du programme de transition par opposition au guérillérisme. Par contraste, c'était un exemple de lutte armée résultant d'un travail de masse ».

(Discussion sur l'Amérique Latine, p. 55. Souligné dans l'original)

Au neuvième Congrès Mondial, les délégués et observateurs de la minorité appelèrent l'assemblée à peser l'expérience de la Quatrième Internationale en matière de guérilla, citant en particulier les leçons tirées lors de la direction des luttes paysannes du Pérou par Hugo Blanco, où notre mouvement eut l'honneur de mobiliser le plus important et le plus dynamique mouvement paysan de l'histoire récente de l'Amérique Latine. Ils insistèrent en particulier sur la façon concrète dont on avait gagné la direction des paysans.

La majorité n'y accorda aucune attention. Elle dédaigna les leçons tirées par le mouvement trotskyste de sa propre participation au mouvement paysan latino‑américain.

7 - Le danger d'une résurgence du stalinisme.[modifier le wikicode]


La majorité, affirmait que la conscience politique des masses Iatino-­américaines, y compris de la paysannerie, était si élevée que cela avait mis fin au débat sur la possibilité de passer au socialisme par des voies pacifiques : « En Amérique Latine, la polémique entre les partisans de la voie « démocratique » et « pacifique » et ceux de la voie révolutionnaire, est complètement dépassée (...) » (« Résolution sur l'Amérique ». Compilation sur l'Amérique Latine p. 10).
La délégation mexicaine influencée par les arguments de la majorité sur ce point, déclarait : « comme le projet de résolution le reconnaît clairement, le débat sur les voies pacifiques et violentes de la révolution latino‑américaine est clos » (« La position de la délégation mexicaine au neuvième Congrès Mondial de la Quatrième Internationale sur la résolution du Secrétariat Unifié sur l'Amérique Latine », Discussion sur l'Amérique Latine, p. 35).
Ces déclarations furent faites évidemment, avant les expériences péruviennes et boliviennes, et surtout avant que le succès de l'Unité Populaire au Chili, n'ait redonné vie au nationalisme bourgeois et, par la même occasion, au frontisme des staliniens et des sociaux‑démocrates à une grande échelle en Amérique Latine, déracinant un bon nombre de guérilleros.
Le rôle du castrisme qui barra le chemin pour un tel développement fut expliqué en détail par la minorité au neuvième Congrès Mondial :

Mais en limitant le débat, avec les staliniens presque exclusivement au problème de la lutte armée, et même plus au problème de la guérilla rurale, les Cubains ont abandonné un précieux terrain politique à leurs adversaires. C'est ainsi que les traîtres staliniens dela lutte révolutionnaire au Venezuela purent avancer des arguments convaincants sur la nécessité pour les ouvriers d'avoir un parti révolutionnaire. Pour les staliniens vénézuéliens, qui citaient Lénine tout à fait abstraitement, ce n'était là qu’un voile de fumée; mais les Cubains furent incapables de leur répondre effectivement, et cela ne pouvait manquer d'influencer au moins quelques militants sincèrement révolutionnaires. De la même façon, les Cubains ne surent pas s'opposer efficacement aux staliniens dans les centres urbains, ce qui permit à ces derniers de conserver une assez large audience qu'ils tentent évidemment maintenant d'utiliser dans leurs manœuvres sur le terrain électoral bourgeois. De même les Cubains ont abandonné le terrain théorique aux staliniens (…) Les staliniens profitèrent de l'incapacité des Cubains ou de leurs hésitations à s'exprimer ouvertement en raison d’unepression économique possible de la part de Moscou, pour obscurcir et embrouiller encore le problème.

Le résultat de ces erreurs fut que même dans une situation aussi favorable que celle du Venezuela, avec derrière eux le prestige de la, révolution cubaine et les avantages non abstraits du pouvoir étatique, les Cubains se retrouvèrent une petite minorité au terme de leur lutte de fraction contre les staliniens »

(Hansen, Amendements au projet de Résolution, p. 24 Op. Cit.)

Les évènements ont confirmé de la façon la plus frappante la justesse de l'analyse faite par là minorité au neuvième Congrès Mondial sur cette question.

8 - Le champ d'action correct.[modifier le wikicode]


La majorité ne considérait pas le prolétariat comme un secteur d'intervention immédiat :

En fait, dans la plupart des pays, la variante la plus probable est que pour une période assez longue, les paysans devront porter le poids principal de la lutte et la petite‑bourgeoisie radicalisée fournira en grande partie les cadres du mouvement. »

(« Résolution sur l'Amérique Latine », Op. Cit., p. 9)

Il est vrai que cette déclaration était intercalée entre une réaffirmation du rôle dirigeant de la classe ouvrière à long terme et une phrase sur la possibilité pour le rôle dirigeant du prolétariat, de s'exercer de diverses façons. Il faut ajouter que nulle part la majorité au neuvième Congrès Mondial n’a nié le rôle révolutionnaire du prolétariat ‑ elle l'a au contraire soigneusement affirmé.

Néanmoins, pourle futur immédiat, la résolution indique très clairement comme champ d'action, la paysannerie pour « force principale de la lutte » et la petite‑bourgeoisie radicalisée pour les « cadres du mouvement ». Evidemment cette conclusion découle logiquement de la théorie de la majorité sur la guérilla et peut‑être de son analyse des différentes expériences de guérilla en Amérique Latine.

La minorité luttait pour l'orientation prolétarienne mise en avant dans le programme de transition et l'enseignement des bolcheviks en ce qui concerne l'émergence de cadres ‑ à savoir que même sous la plus brutale répression, les révolutionnaires n'ont « pas d'autre choix que de poursuivre leur patient travail politique et organisationnel ‑ dans la clandestinité ou en exil » (Hansen, Amendements au projet de résolution. Op. Cit., p. 19)

Le camarade Peng disait :

Remplacer le programme de transition par la stratégie de guérilla, négliger le travail le plus sérieux dans la classe ouvrière et ses organisations de classe traditionnelles, à savoir les syndicats, et continuer à nous adapter aux différents courants et directions petits‑bourgeois, non seulement ne peut construire une Internationale, mais mènera notre mouvement dans une impasse »

(« Retour au trotskysme. », Op. Cit., p. 34.)

Comme il est dit plus haut, la minorité insista sur l'importance de se tourner vers la jeunesse radicalisée, mettant l'accent sur le poids de la jeunesse dans les centres urbains, sa capacité à faire des manifestations imposantes, et sa tendance à essayer de se lier aux ouvriers et autres secteurs de masses, et à les entraîner dans l’action.

La minorité insistait sur cela non seulement à cause des possibilités évidentes démontrées par les expériences françaises, américaine et de beaucoup d'autres pays, mais aussi parce que le mouvement trotskyste mondial a toujours prêté attention depuis sa création, selon l'orientation exprimée dans le programme de transition.

9 - La lutte pour les revendications démocratiques.[modifier le wikicode]


La « Résolution sur l'Amérique Latine » ne s'occupe pas correctement de la lutte pour les revendications démocratiques, dont la principale est la réforme agraire.
La réforme agraire est un problème important dans tout le continent et joue un rôle‑clé dans la politique de pays comme le Brésil, le Pérou, la Colombie, et en Amérique centrale.
La « Résolution sur l'Amérique Latine » contient un paragraphe sur la paysannerie qui mentionne sa « faim de terre » et d'autres causes amenant sa radicalisation. Au lieu d'insister sur l'importance centrale des revendications démocratiques autour du problème de la terre pour mobiliser la paysannerie, la résolution arrive à une appréciation exagérée du niveau politique de la paysannerie à l'échelle continentale. Selon la résolution, la paysannerie a « assimilé la leçon de la révolution cubaine, au sort de laquelle elle ne cesse de s'intéresser ;elle a beaucoup appris des expériences de guérilla et n'est pas isolée des mouvements révolutionnaires étudiants, dont l'influence l'atteint par milles canaux différents » (Op. Cit., p. 5)
Le mouvement paysan est étroitement lié aux luttes des nationalités opprimées. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le mentionne correctement (p. 5), mais seulement en passant. Elle ne tire aucune leçon de leur importance pour les sections latino-américaines de la Quatrième Internationale. Rien n'est dit sur la façon concrète d'assumer cette tâche.
Le camarade Peng se fondant sur les leçons de Lénine et Trotski et sur l'expérience des mouvements révolutionnaires dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux, en particulier en Chine, insista sur la nécessité de clarifier l'aspect démocratique de la révolution latino­-américaine. Il mit au défi la majorité d'expliquer pourquoi elle avait écarté la lutte pour les revendications démocratiques de sa « stratégie continentale ». Son défi n'a pas été relevé.
Le fait est que la majorité ne tenait pas compte de l'aspect démocratique de la révolution latino‑américaine. Tout en admettant la possibilité que la révolution débute « comme une révolution démocratique anti‑impérialiste en ce qui concerne ses objectifs et la conscience des masses », elle considérait que cette possibilité « n'affecte pas la logique du processus avec toutes ses implications nécessaires sur la place et le rôle des classes sociales » . (p. 9)
Le processus en question était celui de la révolution permanente. Abstraitement ce que dit la résolution à ce sujet est correct. Mais en l'absence de toute proposition concrète, la théorie de la révolution permanente n'est pas utilisée comme un guide pour l'action.
Cela vient de l'erreur d'appréciation de la majorité sur le niveau de conscience de la paysannerie. Un programme concret de revendications démocratiques n'est en effet guère nécessaire si dans leur esprit, la paysannerie a déjà dépassé ce stade de la révolution. En ne prêtant pas attention à ce problème, nos camarades peuvent se retrouver sur le bas‑côté, lorsque éclatera le début démocratique de la révolution.

10 - Élargissement et approfondissement d'une ligne erronée.[modifier le wikicode]

La minorité avertit le neuvième Congrès Mondial que l'orientation guérillériste adoptée par la majorité ne pourrait être limitée à l'Amérique Latine :

Si le projet de résolution sur l'Amérique Latine devait passer au prochain Congrès Mondial sous sa forme actuelle, notre mouvement aurait du mal à expliquer pourquoi l'orientation jugée bonne pour l'Amérique Latine serait mauvaise pour le reste du monde colonial et semi‑colonial. On ferait sûrement remarquer qu'une telle position est incohérente et qu'on ne peut raisonnablement faire une coupure géographique aussi brutale »

(Hansen, Amendements au projet de résolution sur l'Amérique Latine, Op. Cit. p. 26)

Les dirigeants de la majorité ne prirent pas une position commune sur cette très importante question. Certains restèrent dans le vague, déclarant que la résolution ne s'occupait que de l'Amérique Latine et qu'il était inopportun de soulever une telle question dans ce contexte. Le camarade Germain déclara avec insistance que l'orientation ne s'appliquait qu'à l'Amérique Latine. Plus tard, les camarades Germain et Knoeller, prêchant la nécessité d'actions armées par de « petits détachements de l'avant‑garde des partis ouvriers et des syndicats », dans certaines conditions, écrivirent :

Répétons à nouveau, pour éviter tout malentendu, que ces considérations ne s'appliquent qu'à des conditions prérévolutionnaires et dans un contexte politique précis (absence de libertés démocratiques, impossibilité d'une montée graduelle du mouvement de masse, etc ...). Il n'est pas question d'étendre mécaniquement ce raisonnement à tous les pays du monde, et surtout pas aux États-Unis, au Japon, à la Grande Bretagne, à l'Allemagne, etc... »

(« L'orientation stratégique des révolutionnaires en Amérique Latine » Compilation sur l'Amérique Latine, fascicule b. p. 64 ‑ italiques dans l'original)

Le raisonnement de la majorité sur cette question fut naturellement étendu par divers camarades à d'autres pays, y compris la France, qui n'appartient guère au monde colonial et semi‑colonial. Nous y reviendrons plus loin.

11 - Une moisson de désastres.[modifier le wikicode]


Au neuvième Congrès Mondial, la majorité ne précisa pas en termes concrets ce qu'elle envisageait de faire. Contre l'euphorie montrée par les leaders de là majorité sur la possibilité d’une rapide « percée » obtenue en recourant à la guérilla dans des parties précises du monde, la minorité exprima les plus grands doutes sur les résultats finaux du projet de ligne d'action.
Ces résultats finaux incluaient un désastre, catastrophique, en Bolivie, et la dégénérescence politique du groupe de guérilla en Argentine. Nous étudierons ces sujets en détail plus tard.

12 - Adaptation à l'ultra‑gauchisme.[modifier le wikicode]


La majorité au neuvième Congrès Mondial n'accorda que peu d'attention aux arguments de ceux qui s'opposaient à ce qu'on adopte la guérilla comme stratégie principale. Au contraire elle persista dans son erreur et l'approfondit. En conséquence, la minorité commença à analyser la signification de cette évolution, arrivant à la conclusion qu'on pouvait la caractériser politiquement comme une adaptation à l'ultra‑gauchisme.

Ainsi deux conceptions concernant la voie principale à la révolution ont été esquissés au Congrès. L'origine de la pression pour transformer la « guérilla rurale » en principe, est évidente. Ce sont les guérilleros en particulier en Amérique Latine (...) et de larges sections de la jeunesse radicalisée, c’est-à-dire ceux qui n'ont pas encore d'expérience politique et qui ont construit toute une mystique autour du sort de Che Guevara et ne connaissent pas grand chose de l'exemple d'Hugo Blanco.

Le cours proposé par Livio Maitan et officialisé par la résolution sur l'Amérique Latine, représente une concession à l'ultra-gauchisme. C'est ainsi qu on doit le caractériser objectivement (...)

Une application sérieuse du cours systématisé par le camarade Maitan se révélerait désastreuse pour la Quatrième Internationale. La ligne ne pouvait guère être limitée à l'Amérique Latine ou même au monde colonial en général, car les mêmes tendances ultra-gauchistes auxquelles on s'est adapté, sont présentes dans les centres impérialistes. Suivre un cours ultra‑gauche en Amérique Latine ne pourrait que s'accompagner d'un opportunisme par rapport à l'ultra‑gauchisme, sinon pire, dans les métropoles impérialistes. En fait, il est évident que cela s'est déjà produit dans le contexte de conditions aussi différent que celui de la Grande Bretagne.

Adopter en Congrès Mondial une résolution qui fait de la «guérilla rurale » une stratégie principale, devrait par conséquent être considéré comme une évolution grave. Après de larges débats de ces problèmes dans toutes les sections de la Quatrième Internationale, il faut s'efforcer que le prochain Congrès Mondial rectifie cette erreur »

( « Contribution au débat sur la stratégie révolutionnaire en Amérique Latine », par Joseph Hansen, Compilation sur l'Amérique Latine. p. 45‑46).

Dans la discussion qui a suivi la majorité a essayé de montrer que le « tournant » vers la guérilla adopté au neuvième Congrès Mondial est dans la tradition de Marx, Engels, Lénine et Trotski. Les seules citations valables qu'elle a pu produire qui semblent soutenir sa position sont quelques phrases de Lénine écrites dans une phase de la révolution russe de 1905. Malgré une recherche assidue, elle a été incapable de trouver quoique ce soit en faveur de sa position dans les volumes qu'écrivit Lénine après cette expérience épisodique. Les camarades de la majorité négligèrent le fait que Lénine ne revint jamais sur le sujet. Cela ne signifiait rien pour eux.

De même pour Trotski, le plus grand théoricien militaire et praticien de la lutte armée que le mouvement marxiste ait jamais produit, la majorité, après quelques essais pour l'utiliser, essais contrés par la minorité, semble avoir abandonné. Après tout la position de Trostky sur la guérilla ‑ sur laquelle il écrivit dans les dernières années de sa vie ‑ est trop connue pour que l'on en abuse facilement.

Une autre tentative de la majorité a été d’utiliser comme des synonymes les termes « guérilla » et « lutte armée ». L'intérêt étant que les guérilleros, en de nombreuses parties du monde, utilisent les termes de la même façon ; c'est pourquoi lorsque la majorité écrit ou parle de « lutte armée », cela signifie « guérilla » pour les partisans de cette stratégie, alors que pour les marxistes, y compris notre propre mouvement ‑ au moins dans le passé ‑ cela signifiait la lutte armée des masses prolétariennes et paysannes dans un véritable soulèvement ou guerre civile.

Par ce tour de passe‑passe sémantique, la majorité cherche à présenter le « tournant » vers la guérilla comme étant dans la tradition de la lutte armée enseignée et pratiquée par Lénine et Trotski.

On peut suggérer que cela clarifierait les divergences si la majorité abandonnait cette argumentation faible et admettait franchement que son orientation n'est pas une simple continuation du trotskysme mais une tentative pour introduire dans le trotskysme une stratégie née ailleurs.

Il est temps de faire avancer le débat. Cela ne peut se faire qu'en se tournant vers la réalité concrète et en la jugeant à la lumière de l'analyse marxiste.

Au cours des trois années qui ont suivi le débat au neuvième Congrès Mondial, les deux lignes ont été soumises à l'épreuve de l'expérience. Il est maintenant possible de tirer un bilan des résultats en Bolivie et en Argentine, c’est-à-dire les deux pays où la décision de faire de la guérilla une orientation stratégique a été mise en pratique. C'est ce que nous proposons maintenant de faire.

II : La leçon de Bolivie[modifier le wikicode]

Au IX° Congrès Mondial, les camarades de la majorité assurèrent les délégués que la justesse du « tournant » vers la guerre de guérilla serait bientôt démontrée en Bolivie. Les camarades de la majorité croyaient absolument exclus des intermèdes réformistes dans un pays frappé de pauvreté, férocement exploité par l'impérialisme et la classe dominante indigène. La perspective immédiate, selon la majorité, ne pouvait se trouver qu'en direction de la guerre de guérilla. Les conditions étaient excellentes pour l'ouverture d'un front. Un accord avait été conclu avec les dirigeants de l'Ejercito de Liberacion Nacional (ELN : armée de libération nationale). Même si une victoire rapide n'était pas remportée, le renouveau de la guerre de guérilla aurait d'importantes répercussions internationales. Avec des trotskystes à la direction, cela pourrait signifier une rapide « percée » pour la IV° Internationale du type de celles jugées absolument essentielles par le camaradeMaitan. Avec un enthousiasme énorme, la majorité approuva la « résolution sur l'Amérique Latine » et après le Congrès commença une campagne de soutien au nouveau front bolivien de guérilla à direction trotskyste bien que ce dernier n'avait pas encore été ouvert.

Il est important de comprendre comment la direction majoritaire percevait la réalité bolivienne. Elle excluait aussi bien un intermède réformiste qu'une insurrection urbaine. Bien avant le IX° Congrès Mondial ceci avait été rendu clair, publiquement, par le camarade Gonzalez (par exemple dans son article dans « 50 ans de Révolution Mondiale »). Une analyse typique dans un rapport provenant de La Paz, était la suivante :

«Il n'y a pas de possibilité pour une période réformiste de luttes légales, pour un retour à l'activité syndicale traditionnelle. Ce sont autant de luxes que le régime militaire ne peut s'offrir.

Donc la perspective ouverte au peuple bolivien est celle de la lutte directe pour chasser les militaires du pouvoir et mettre en place un gouvernement des ouvriers et des paysans qui commencerait la réorganisation du pays sur des bases socialistes. Le combat ne peut être entrepris qu'avec des armes, que par la guerre de guérilla à la campagne, dans les mines et les villes. Voilà la perspective réelle, concrète. Toutes les autres sont utopiques et ne peuvent que conduire à la défaite des masses, même dans le cas hypothétique d'un changement de régime. »

(« Un nouveau ferment révolutionnaire en Bolivie » - Intercontinental Press, 10 Juin 1968, p. 546).

Le camarade Maitan avait pour l'essentiel les mêmes conceptions des perspectives en Bolivie. Lui aussi le soulignait publiquement dès avant le IX° Congrès Mondial. Parlant de la défaite de la guérilla de Che Guevara en Bolivie, il disait :

« Les évènements qui ont suivi la défaite des guérillas ont aussi, en dernière analyse, confirmé l'option fondamentale de Guevara... Les révolutionnaires boliviens non seulement défendent les concepts qui ont inspiré l'action du Che, contre les opportunistes de tout poil, mais ils considèrent également que la perspective de nouveaux conflits armés en Bolivie demeure fondamentale. Etant donné la situation économique et sociale dans le pays, le régime capitaliste ‑ qu'il ait à sa tête Barrientos ou l'un de ses quelconques successeurs éventuels ‑ ne peut survivre que grâce à la violence la plus systématique. Ceci implique que le travail préparatoire et organisationnel plus ou moins légal sera impossible pour le mouvement ouvrier et paysan. Et, dans le présent contexte, cela exclut de même toute perspective de lutte prenant la forme d'une insurrection urbaine au début. Les contradictions explosives demeurant dans le pays et des conflits dramatiques sont toujours possibles. En fait nous devons partir de la réalité : une situation de guerre civile existe en Bolivie...

Cela signifie, plus concrètement, que la méthode de guerre de guérilla commençant dans les régions rurales est encore la méthode correcte. Une fois que la guerre de guérilla est abordée, même dans des conditions qui sont à plus d'un titre moins favorables que l'an dernier, ces possibilités pour des initiatives politiques et militaires croîtront rapidement. »

(« Expériences et perspectives de la lutte armée en Bolivie » ‑ Intercontinental Press, 2 Septembre 1968, p. 706‑707)

Le camarade Maitan énonçait ceci encore plus spécifiquement dans sa lettre de l'époque projetant la possibilité de construire la IV° Internationale grâce à une « percée » en Bolivie. « ...Il est nécessaire d'expliquer et de comprendre qu'au stade actuel l'Internationale sera construite autour de la Bolivie » ( « Un document insuffisant » 15 Mai 1968 ‑ compilation sur l'Amérique Latine ‑ Documentation Internationale, fasc. a).

Tels étaient les perspectives et concepts ratifiés par la Majorité au IX° Congrès Mondial, selon lesquels nos camarades boliviens devaient chercher à accomplir une rapide « percée » dans la lutte de classe bolivienne.

1 - De Barrientos à Banzer.[modifier le wikicode]


Alors même qu'ils développaient leur théorie d'une répression assez sévère pour ne permettre aucun autre recours que la guerre de guérilla dans le combat contre le général René Barrientos, le personnage central dans la junte militaire qui renversa le régime de Paz Estenssoro le 4 Novembre 1964, nos camarades du Partido Obrero Revolucionario (POR ‑ Parti Ouvrier Révolutionnaire) rapportaient des événements montrant en réalité d'autres possibilités. Voici un exemple :

« Le l° Mai 1968, un meeting de masse anti-impérialiste et antimilitaire fut tenu de façon militante avec des mots d'ordre vigoureux et combatifs. Il condamna ouvertement la dictature de Barrientos. Dans les villes principales ‑ Oruro, Cochabamba, Potosi, Santa Cruz ‑ il y eut des manifestations comparables., A Cochabamba, le préfet du district, le général Reque Teran ... apparut à la manifestation et fut repoussé par la force. Il tenta de s'adresser à la foule mais on l'en empêcha. Il y eut une violente réaction des travailleurs qui criaient « Tu as tué le Che ! », « Laquais impérialiste ! », « Gorille ! » Il dut faire retraite sous les imprécations générales.

En plus des mots d'ordre militants déjà indiqués, il y eut des acclamations pour le Che et les guérillas au cours de ces manifestations urbaines. Le gouvernement concentra ~toutes ses forces, police, garde nationale, armée, aviation (des Mustangs vrombissaient au‑dessus des manifestations à La Paz pour effrayer les manifestants) mais il n'osa pas les disperser. La junte fut intimidée et dut battre en retraite. Il est clair que les manifestations du l° Mai, non seulement exprimaient la remontée de l'état d'esprit combattit des masses, elles furent une victoire contre le gouvernement. Même sans direction, les masses descendirent dans les rues prêtes pour le combat. Il était clair que l'état d'esprit des masses était d'assimiler à leurs mobilisations, les leçons laissées par les guérillas. Les masses plaçaient leur combat dans le cadre de la ligne de lutte armée. Dans chaque ville, les guérillas étaient présentes : dans les mots d'ordre, sur les drapeaux, et dans l'esprit des masses. Les masses retirèrent du I° Mai encouragement et confiance. »

(« Un nouveau ferment révolutionnaire en Bolivie » - Intercontinental Press, 2 Septembre 1968, p. 544‑545)

Il est parfaitement vrai que le nom du Che martyr apparut partout, comme nos camarades de La Paz le rapportent. Mais cela n'était pas l'ouverture d'un autre front de guérilla. C'était quelque chose de bien différent. Il s'agissait d'une action menée par les masses dans les rues de toutes les villes importantes. Et même plus significatif : la junte fut intimidée et dut battre en retraite.

Tout aussi significative, la nature du combat mené par les masses. Le rapport continue :

« Un mouvement général pour l'augmentation des salaires progresse. Les mineurs proposent le retour au niveau antérieur des salaires et la restitution de tous les locaux syndicaux. Le conflit immédiat est né de la revendication des enseignants de faire passer les salaires de 470 à 900 pesos. Refus du gouvernement. Les enseignants se réunirent en Congrès National et approuvèrent diverses tactiques de lutte menant par étapes à une grève générale. Parmi celles‑ci des arrêts de travail gradués par districts, des meetings éclairs, des blocages de rues, etc... »

(Idem p. 545).

L'auteur de ce rapport a fait de son mieux pour adapter le soulèvement au schéma de la guerre de guérilla. Pourtant les faits parlent d'eux-­mêmes en faveur d'une interprétation différente. Deux choses, en particulier, sont à noter : 1) l'aptitude du régime Barrientos, en dépit de sa nature répressive, à battre en retraite en face d'un soulèvement massif, 2) La tendance de la lutte des masses en Bolivie à suivre le modèle « classique », les normes léninistes de la révolution prolétarienne.

Barrientos tué dans un accident d'avion le 27 Avril 1969 fut remplacé par le vice président Adolfo SILES SALINAS. Simple caution ornementale pour la junte, SILES fut renversé par un coup d'état donnant le pouvoir au général Alfredo OVANDO, le 26 Septembre 1969. Ovando permit aux syndicats de fonctionner. Les activités syndicales traditionnelles furent reprises et la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB : Central Obrera Boliviana) commença à reconstruire ­ses structures. Tout au long d'Avril, Mai, Juin 1970, le prolétariat tira parti de l'ouverture semi‑légale concédée par Ovando et s'engagea dans des mobilisations de masses continuelles. D'autres secteurs se mirent en mouvement ‑ étudiants, enseignants, une partie de la petite bourgeoisie urbaine et même quelques secteurs de la paysannerie. Ces actions de masse furent suffisantes pour permettre à la COB de reprendre une activité ouverte. Sur le terrain des campus, les étudiants allèrent jusqu'à s'emparer des universités.

La classe dominante était confrontée à une crise croissante, incapable qu'elle était aussi bien de supprimer le mouvement de masse à ce moment‑là que d'accorder les concessions économiques nécessaires pour apaiser la lutte de classe.

Les divisions plus profondes se reflétaient au sein des forces armées. Une aile, dirigée par le général Rogelio MIRANDA penchait vers une tentative de coup répressif et le renforcement des liens avec l'impérialisme. L'autre aile dirigée par le général Juan José Torres, penchait vers l'utilisation des masses pour extorquer des concessions à l'impérialisme, et par là à disposer de moyens propres à apaiser les masses temporairement et leur porter des coups à un moment plus favorable. Jusqu'à un certain point, les divisions au sein de l'armée ont même suivi des lignes géographiques ‑ Miranda s'appuyant sur les couches dominantes de Santa Cruz, Torres sur celles de l'Altiplano (la région de La Paz).

Le 13 juin 1970, les corps de deux jeunes gauchistes, Jenny Koeller et son mari Elmo Catalan Aviles, un journaliste chilien, furent découverts près de Cochabamba. Ils avaient été atrocement torturés et puis électrocutés par des agents du gouvernement.

Des manifestations massives de protestation firent irruption partout dans le pays. Des heurts avec l'armée firent des blessés et des morts. Le régime Ovando fut gravement touché.

Ce fut précisément à ce moment de protestation de masse croissante, de heurts dans les rues, que l'ELN ouvrit son dernier front de guérilla. Sous la direction de Osvaldo « Chato » Peredo, environ 75 jeunes révolutionnaires quittèrent la scène sur laquelle se mouvaient les masses et appliquant la théorie de la guerre de guérilla rurale pour une période prolongée à l'échelle continentale, se rendirent au village minier de Teoponte, à peu près à 160 Kms au nord de La Paz.

Aussi solide qu'ait pu être leur « conception » de la guerre de guérilla, le jour où ils arrivèrent, le 19 Juillet 1970, ils commirent une erreur en « estimant la situation ». Ils ouvrirent les hostilités en faisant sauter une usine de sable aurifère appartenant à des américains. Pour l'armée, le défi de la guérilla entraîna la préparation peu coûteuse à la contre-insurrection. A la mi‑octobre, seuls six de ces jeunes révolutionnaires restaient vivants.

Pendant ce temps, la lutte de classe réelle en Bolivie continuait. Durant Août et Septembre, Ovando fit des zigzags en tous sens, d'un côté pressé par les masses exigeant des concessions, de l'autre par une fraction de la classe dominante qui s'y opposait et s'orientait vers une politique de répression. En Août, une bataille pour le contrôle de l'université de San Marcos précipita une crise nationale. Le 6 Octobre, Ovando démissionna laissant les rênes du gouvernement à Miranda.

La conséquence fut une explosion massive immédiate de type classique. Etudiants et travailleurs se précipitèrent dans les rues pour bloquer la tentative de prise du pouvoir par l'extrême droite.

L'armée scissionna ouvertement. Le général Torres déclara son opposition à la nouvelle junte formée par Miranda et rencontra Juan Lechin, dirigeant du syndicat des mineurs et Siles Suazo, ex‑président du pays et l'un des principaux leaders du MNR ‑ mouvement nationaliste révolutionnaire.

Le « Monde » du 8 Octobre rapportait : « Les étudiants commencèrent à construire des barricades dans les rues de la capitale dans le but d'arrêter tout mouvement des forces favorables au général Rogelio Miranda »...« A Catavi, les puissants syndicats des mineurs d'étain dénoncèrent le « coup d'état fasciste des officiers d'extrême droite» et décidèrent d'offrir un « soutien conditionnel » au général Juan Jose Torres. La fédération des mineurs lança un appel aux armes « pour la défense de nos acquis sociaux » et posa comme condition à son soutien « l'établissement des libertés démocratiques, le relâchement des prisonniers politiques, la révision des décrets anti‑grèves, la nationalisation des banque étrangères et de tous les intérêts américains, l'expulsion de tous les organismes impérialistes et l'établissement d’un gouvernement populaire ».

La COB donna également l’ordre à ses membres de bloquer les rues et d'empêcher les mouvements de troupes dans La Paz. Des détachements de paysans se joignirent à l'action. Des civils armés libérèrent des prisonniers politiques. Les demeures des civils et des militaires d'extrême‑droite furent attaquées. Les bâtiments de trois journaux importants furent occupés. Des mineurs d'étain enthousiastes s'emparèrent de postes de police et annoncèrent qu'ils exigeaient des augmentations de salaires rapides. Le « New York Times » rapporte que le 8 Octobre « des étudiants armés s'emparèrent des locaux de la division criminelle de la police nationale. Apparemment sans opposition ils mirent les bureaux à sac et détruisirent les dossiers, fut‑il dit ... Les étudiants ont aussi commencé à attaquer les lieux américains. Ils ont pénétré dans le centre américano‑bolivien hier, amenant le drapeau américain et annonçant qu'ils annexaient le bâtiment à l'université. »

Tandis que ce grand mouvement de masse ‑ qui se développait selon les normes « classiques » d'une révolution prolétarienne ‑ébranlait le gouvernement et déchirait l'armée, les survivants pris au piège de la guérilla de Teoponte étaient toujours traqués. Les derniers finalement se rendirent. « Chato » Peredo et ses 5 compagnons furent déportés au Chili par Torres.

Peut‑il y avoir une preuve plus spectaculaire (et tragique) de la fausseté de la conception selon laquelle la voie vers les masses se trouve dans la guerre de guérilla rurale ?

L'établissement du régime de Torres, produit direct d'un soulèvement urbain des masses, reflétait une situation dans laquelle ni le prolétariat ni la bourgeoisie ne pouvait remporter de victoire décisive, pour le moment. Le prolétariat ne possédait pas la direction marxiste révolutionnaire indispensable pour mener la révolution à la victoire. La bourgeoisie affaiblie, divisée, ne pouvait pas rassembler les forces nécessaires pour imposer une solution contre‑révolutionnaire. Torres hésita entre les deux côtés. Naturellement la situation était instable; ou bien la révolution allait de l'avant vers l'établissement d'un État ouvrier, ou bien la contre-­révolution se trouvait des forces, choisissait un moment opportun pour frapper, et ensuite tentait d'établir une forte dictature militaro‑policière.

Torres resta entre les deux camps. Il accorda des concessions au prolétariat mais empêcha les travailleurs de s'opposer définitivement aux forces d'extrême droite. Il fournit un bouclier à l'extrême droite tout en s'efforçant de la tenir en échec. En dernière analyse, il dirigea une opération de survie pour la bourgeoisie, dans le cadre d'une situation pré‑révolutionnaire.

Du point de vue du prolétariat les concessions garanties par Torres n'étaient ni considérables, ni durables, mais pour le moment elles étaient très importantes. Elles comprenaient la libération des prisonniers politiques et la nationalisation de certains biens impérialistes. La classe ouvrière et la paysannerie pouvaient agir presque entièrement légalement. C'était une possibilité sans prix pour les marxistes révolutionnaires de sortir de la clandestinité et de travailler énergiquement à construire leur parti révolutionnaire et d'approfondir leurs liens avec les masses.

Le 10 Janvier 1971, les forces de la contre‑révolution tentèrent un nouveau coup d'État. A nouveau elles furent mises en échec par la mobilisation des masses. Cette fois les masses étaient mieux organisées, signe des progrès accomplis depuis les mobilisations qui étaient venues à bout du général Miranda 3 mois plus tôt. Des milliers de mineurs armés défilaient à travers La Paz. Le mouvement de masse commençait à proclamer ouvertement l'objectif d'une transformation socialiste en Bolivie.

Sous cette pression montante, le régime Torres fit encore des concessions. La Corporation Internationale de Transformation du Métal (International Metal Processing Corporation) fut nationalisée. En février, Torres accorda des augmentations de salaires aux mineurs.

Au moment de l'insurrection d'Octobre contre le général Miranda, la COB et tous les partis politiques de gauche avaient mis sur pied un « commandement politique » (Commando Politico) pour coordonner leur combat. A la mi‑février, il fut décidé de transformer cet organisme en « Assemblée Populaire ». Ce fut un pas en avant extrêmement significatif. En tant que parlement des travailleurs, l'Assemblée Populaire pouvait éventuellement devenir un Soviet. Le processus offrait l'évidence incontestable que pour l'essentiel, la révolution bolivienne suivait la norme « classique » de la révolution russe.

Le plan témoignait du besoin profond de la classe ouvrière de former un front de lutte commun auquel ses alliés ‑ les étudiants, les paysans, et la petite‑bourgeoisie urbaine ‑ puissent participer. Néanmoins l'absence de représentation de la base de l'armée et de presque toute la paysannerie indiquait une grande faiblesse qu'un parti révolutionnaire aurait mis immédiatement à l'ordre du jour afin d'y remédier.

Une autre grande faiblesse, exigeant également le même type d'initiative, était l’inexistence d'organismes locaux de soutien. Ceux-ci ne commencèrent à être formés qu'à la veille du coup d'état qui renversa Torres.

Les mois suivants, le prolétariat marque le pas. Ce qui manquait c'était une direction révolutionnaire capable de définir les objectifs et les tâches et de dégager une ligne d'action. Les travailleurs boliviens furent aussi confrontés à une crise de direction. Ne pas offrir aux masses populaires d'autre alternative que de soutenir Torres montrait bien une carence dans la direction politique. Ceci amena l'affaiblissement, des forces qui auraient pu être mobilisées derrière la classe ouvrière pour la conquêtedu pouvoir. Résultat : La contre‑révolution commença à reprendre confiance et à fomenter de nouveaux conflits avec une hardiesse croissante. Sous le prétexte d'une manifestation religieuse, les forces contre­-révolutionnaires organisèrent un défilé de 15.000 personnes à Santa Cruz le 15 Août. Oscillant comme toujours Torres tenta d'emprisonner les généraux de droite, y compris Hugo Banzer Suarez. Ce qui enclencha une tentative de coup d'état 4 jours plus tard.

Au début il, n'y avait que des forces limitées ‑ mais résolues ‑ dans le camp de Banzer. Pourtant la direction ouvrière composée de charlatans et de traîtres, tels que Juan Lechin et le parti communiste pro‑Moscou, resta paralysée. Ils attendaient que Torres fit quelque chose. Torres, de son côté, attendait pour voir si un conflit pouvait être évité. Les quelques heures d'indécision fatale face à une guerre civile menaçante signifièrent un rapide changement dans les rapports de forces.

Les rangs de l’armée commençaient à passer dans le camp de la contre‑révolution. Bientôt des secteurs de la classe ouvrière pratiquement désarmée, démoralisés par ce qui se passait, refusèrent de répondre aux appels désespérés de leurs leaders à affronter l'adversaire solidement armé. La période préparatoire avait été gâchée, le moment opportun perdu. A la fin, seule une avant‑garde réduite et quelques éléments épars des masses tentèrent héroïquement d'arrêter le coup. Mais c'était trop peu et trop tard. Torres prit la fuite, trouvant refuge le 22 Août à l'ambassade péruvienne.

Une fois au pouvoir, Banzer commença une répression meurtrière des organisations révolutionnaires. Pourtant ayant besoin de temps, pour consolider son régime, il ajourna l'écrasement du mouvement syndical.

En dépit des mesures répressives, Banzer ne réussit pas à stabiliser les rapports de classe en Bolivie. Un symbole des divergences non‑résolues au sein de la classe dominante réside dans l'unité instable de la phalange et du MNR, tous deux partie prenante du régime. Des désaccords continus se sont manifestés dans les rapports entre personnalités de « droite » et de « gauche » au sein de l'appareil gouvernemental.

L'avant‑garde ouvrière a subi une lourde défaite ; elle est démoralisée et avant tout confuse. Cependant, la lutte de classe en Bolivie demeure explosive.

La classe dominante est incapable de régler fondamentalement la crise socio‑économique permanente en Bolivie ; elle est incapable d'établir un régime fasciste au sens propre du terme en mobilisant la petite‑bourgeoisie et elle est incapable de mettre sur pieds un régime réformiste durable, susceptible d'obtenir un large soutien des masses

On peut compter sur la classe ouvrière pour se mobiliser de nouveau pour des revendications immédiates, recommencer la lutte pour des mesures à caractère démocratique et transitoire, minant le terrain sous les pas de Banzer comme par le passé de Barrientos et d'Ovando.

2 - Une ligne qui désoriente[modifier le wikicode]


La « Résolution sur l’Amérique Latine » qui fut adoptée, au neuvième Congrès Mondial disait que la bourgeoisie nationale en Amérique Latine est intrinsèquement incapable de la moindre action indépendante que ce soit sur le plan économique ou politique. Ceci est une grossière exagération, comme les évènements de Bolivie l'ont montré.
Il est vrai que la bourgeoisie nationale est incapable de mener une lutte conséquente contre l'impérialisme et qu'elle ne rompra jamais, en dernière analyse, son association avec l'impérialisme. Il est aussi vrai que la bourgeoisie nationale est incapable d'accorder quelques importantes concessions durables aux masses. Mais la bourgeoisie nationale, néanmoins, dispose d'une certaine marge de manœuvre à la fois par rapport à l'impérialisme et par rapport aux masses, marge de manœuvres qui dépend de développements conjoncturels dans la lutte de classes.
L'exagération des limites de la bourgeoisie nationale correspond logiquement avec la conviction des camarades majoritaires qu’en Bolivie – particulièrement en Bolivie - était exclu qu'aucun régime autre que répressif ne puisse venir au pouvoir. Cette vue désorientait la section bolivienne de la IV° Internationale. La direction ne vit pas de différence essentielle entre les régimes Barrientos et Ovando. Même le régime de Torres ‑ au moins au début ‑ leur apparut être très semblable. Après tout c'était la ligne adoptée au 9° Congrès Mondial.
Les camarades dirigeants de la majorité en Europe restèrent attachés à la ligne d'une manière semblable. Le camarade Maitan, par exemple, ne pouvait pas discerner de différences substantielles entre les régimes de Barrientos et Ovando en Bolivie :

« Et personne d'entre nous ne saurait fermer les yeux sur le caractère frauduleux du régime Ovando qui n'a fait que remplacer une répression généralisée par une répression sélectionnée et qui est toujours prêt à emprisonner, exiler et même tuer ceux qui n'acceptent pas les règles de son jeu. »

(dans « Encore une fois sur les perspectives révolutionnaires en Amérique Latine : défense d'une orientation et d'une méthode ». Documentation Internationale, Cahier N° 1, page 54)

Les camarades Germain et Knoeller firent une erreur semblable dans l'évaluation du régime Torres :

« Quant à la Bolivie, le premier signe d'une nouvelle montée de luttes des masses a provoqué un coup d'état suivi d'un sanglant affrontement armé. Ceux qui croient que le général Torres sera plus « tolérant », parce qu'il est venu au pouvoir « avec l'appui de la gauche », auront quelques surprises désagréables dès qu'il aura reconstitué l'unité de l'armée, ce qui est actuellement son but prioritaire. »

(dans « L'orientation stratégique des révolutionnaires en Amérique Latine », Documentation Internationale, cahier No 1 page 65.).

Dans le cas du régime Torres, le jugement erroné fut particulièrement éblouissant. A titre de contraste, notons l'opinion d'un camarade qui prit la position minoritaire, Hugo Blanco :

« Ce même prolétariat nous montre qu'il est loin d'avoir essuyé une défaite. La montée de Torres est le produit de la terreur inspirée par la classe ouvrière. Les semaines et les mois à venir seront d'une importance décisive pour la Bolivie. Par rapport à cela, il est triste de voir, précisément en ce moment, qu'on pousse des révolutionnaires de grande valeur, à se lancer dans la guérilla, se séparant ainsi des masses étudiantes et ouvrières qui se mettent en lutte. Il ne serait pas étonnant, en cas de défaite de ces masses, qu'elles en soient rendues responsables, à moins que cela ne soit utilisé pour démontrer « l'impossibilité de la prise du pouvoir par un mouvement de masse ». Si ce malheur se produit, une grande part de responsabilité incombera à ceux qui ont enlevé aux masses une partie de leur précieuse avant‑garde. Comme s'il y avait pléthore de cadres révolutionnaires pour diriger les masses aujourd'hui !

Ainsi un travail léniniste est nécessaire non seulement au Pérou où, nous devons pour l'instant patienter, mais aussi en Bolivie et au Chili, qui sont ou pourraient être au bord de la lutte armée... Il est correct en Bolivie, de discuter de la forme que doit prendre la lutte armée dans le processus de soulèvement de masse, mais les meilleurs enseignements à cet égard sont donnés par l'expérience bolivienne de 1952, qui n'invite pas à prendre le maquis, à s'isoler, ni rien de tout cela. Le travail chez les paysans comme complément du mouvement des travailleurs et citadins est une chose ; un tel travail entraînera certainement la création de guérillas paysannes. Les guérilla de l'ELN sont chose tout à fait différente, puisqu'elles maintiennent une conception guévariste plus ou moins modifiée et non pas une conception léniniste. »

(dans « Lettre de Hugo Blanco à Livio Maitan » Documentation Internationale, Cahier N° 1, p 52)

On pourrait supposer que le camarade Blanco a écrit cela avec l'avantage de la rétrospective. Ce ne fut pas ainsi. Il exprima son opinion dans une lettre du Fronton datée du 17 Octobre 1970. L'article des camarades Germain et Knoeller est daté de Novembre 1970. Torres vint au pouvoir précisément parce que la poussée dans la lutte de classe avait éclaté l'armée. L'armée ne pouvait être réunifiée sans une confrontation victorieuse avec les masses ; et pour préparer cela du temps et des concessions conséquentes aux masses étaient nécessaires.

A cause de la ligne du 9° Congrès Mondial, les camarades du POR (Gonzalez) ne purent voir cela. Alors ils furent totalement non préparés pour un interlude réformiste et une ouverture qui rendirent possible un large travail parmi les masses sur une base plus ou moins légale.

Les camarades de la minorité, qui ont vu qu'à l'échelle mondiale la lutte révolutionnaire était encore en train d'aller vers le modèle « classique », et que, en conséquence, diverses variations tactiques autre que la guérilla rurale devaient être mises en avant, ne furent pas surpris par les développements en Bolivie. Leur prévision avait reçu une confirmation bienvenue. Ils espéraient que les camarades de la majorité feraient les rectifications nécessaires, afin que soient limitées au maximum les pertes résultant de la ligne erronée.

Cependant la désorientation était profonde. La majorité considérait extrêmement invraisemblable que des insurrections urbaines de masse se produisent, et même si des explosions de ce type apparurent, ils insistaient sur le fait que, la ligne essentielle était de s'orienter vers la guerre de guérilla rurale :

« La variante exceptionnelle d'une crise explosive qui comporte une décomposition ou une paralysie de l'appareil étatique et une mobilisation de masses si impétueuse qu'elle empêche ou neutralise le recours à la répression comme moyen décisif, ne saurait être exclue catégoriquement »

déclare la résolution sur l'Amérique Latine,

« Mais une stratégie à l'échelle continentale ne peut pas se baser sur des phénomènes exceptionnels, et dans ce cas il se produirait en outre très probablement une intervention militaire de l'impérialisme (ce qui s'est déjà passé dans le cas de Saint Domingue). »

( Résolution sur l'Amérique Latine, Documentation Internationale, N° 1, page 11)

Une année plus tard, pendant le régime d'Ovando, le camarade Maitan a nuancé quelque peu ceci, en attirant l'attention sur le danger de ne pas donner plus de force à la nécessité d'un parti révolutionnaire fonctionnant :

« Il pourrait aussi y avoir le danger d'oublier qu'il y a des périodes où un effort pour développer le travail de masse et pour créer des instruments pour cela doit avoir une priorité absolue » dit‑il « Par exemple, il serait absurde au Pérou aujourd'hui de se baser avant tout sur la préparation d'une nouvelle vague de guérilla, en ne comprenant pas la nécessité d'une activité profonde de clarification politique et d'exploiter toutes les possibilités que, en dépit de tout, la, nouvelle situation offre pour stimuler des mouvements de masse et établir des liens entre eux. Ceci est vrai aussi, à un degré différent, et probablement pour une période nettement plus courte en Bolivie »

(Cuba, Réformisme militaire, et lutte armée en Amérique Latine.)

Dans un article qui réaffirma énergiquement l'orientation vers la guérilla rurale, de telles remarques n'avaient certainement pas beaucoup de poids.

Et bien que les trotskystes boliviens vécurent une période de développements insurrectionnels en octobre 1970, et janvier 1971 et les décrivirent très bien, ils restèrent plus convaincus que jamais de leur orientation de guerre de guérilla en Bolivie. Ils ne virent pas en quoi cette orientation les rendait incapables de saisir toutes les opportunités offertes par la nouvelle situation politique de l'armée : « durant deux jours il y a eu vacance du pouvoir ;les ministères et le palais gouvernemental étaient vides. » Et ils continuent : « A ce moment il fallait descendre dans les rues avec les masses ;il fallait écraser les mirandistes par l'action directe et la lutte » (« La universidad y el Comando Politico de la COB » Revista de Orientacion Teorico‑Doctrinal, 3a. Epoca Reproduit dans Revista de America, Juillet‑Octobre 1971, p 50)

Le POR (Gonzalez) a reproché au commandement politique de n'avoir pas profité de cette situation : « Le Commandement Politique de la COB n'a pas su tirer avantage de la crise gouvernementale qui s'est présentée en Octobre, et de ce point de vue est responsable d'avoir dilapidé la force des ouvriers et de les avoir frustré d'une victoire » (Ibid, p 50).

En d'autres termes, la direction du POR (Gonzalez) a constaté que s'était produite soudain une vacance du pouvoir en Bolivie et que le Commandement Politique s'était avéré incapable de combler ce vide. En langage marxiste : le Commandement Politique était coupable de n'avoir pas mis à profit ces deux jours cruciaux pour diriger l'insurrection urbaine des travailleurs vers la prise du pouvoir.

Cette critique du Commandement Politique était absolument correcte. Pourtant des questions se posent. De quelle façon nos propres camarades avaient‑ils été préparés à cette tournure des évènements ? Comment leurs perspectives de guérilla rurale s'inséraient‑elles dans la forme réelle qu'avait prise la lutte des classes ? Au lieu de rejoindre l'ELN dans le développement de la guérilla rurale, n'aurait‑il pas mieux valu s'engager dans un travail patient au sein du mouvement de masse pendant la période Barrientos et Ovando, de façon à se trouver dans une meilleure position pour conduire à la victoire l'insurrection urbaine à venir ? Comment le projet d'ouvrir un front de guérilla rurale en collaboration avec l'ELN correspondait‑il à la forme concrète de la lutte de classes, c’est-à-dire un soulèvement des masses, une crise de la classe dominante, la paralysie du gouvernement, une profonde division dans l'armée, et la possibilité soudain offerte aux travailleurs de prendre le pouvoir une insurrection urbaine ?

3 - Le problème de la liaison avec les masses[modifier le wikicode]


Désorientés par l'adaptation de la majorité à la stratégie de guérilla castriste, nos camarades boliviens n'ont pas su avancer une ligne politique correcte pour le mouvement des masses ascendant. Ils se contentèrent de formules abstraites ultra‑gauches.
Ce qu'il fallait c'est une série de revendications transitoires, développées de façon très concrète, c’est-à-dire en accord avec la dynamique vivante de la lutte des classes et en harmonie avec l'objectif d'orienter les organisations crées par les luttes des masses vers la question centrale du pouvoir.
La façon dont le gouvernement Torres est arrivé au pouvoir – à travers l'intervention active des masses contre une tentative de coup d'état de l'extrême droite ‑ et surtout la façon dont l'idée de ­l'Assemblée Populaire a surgi de la lutte elle‑même montraient que la révolution bolivienne avait atteint un point critique. La prise du pouvoir d'État par le prolétariat était une possibilité réaliste. Pour transformer cette possibilité en réalité, il fallait utiliser les progrès accomplis, par le mouvement des masses insurrectionnel pour armer les masses.
Ce qui faisait cruellement défaut, c'est un programme politique en prise sur le niveau de conscience des masses mais les poussant à s'engager sans attendre dans la création de leurs propres organes indépendants de classe et soulignant une série d'étapes concrètes à franchir dans cette direction.
Les travailleurs reconnaissaient qu'ils avaient gagné certains droits démocratiques sous Torres. Ils craignaient un coup d'état de la droite. Mais ce coup d'état se préparait presque ouvertement. La clé, par conséquent, consistait à se faire l'écho de cette crainte légitime, en dénonçant haut et fort le coup d'État de droite imminent et en appelant à la défense armée des droits démocratiques conquis par les travailleurs.
Une telle campagne aurait contribué à contraindre les généraux réactionnaires à la défensive et aurait facilité le travail dans l'armée parmi les simples soldats.
La formation de milices ouvrières pour défendre l'Assemblée Populaire et les conquêtes des masses contre un coup d'état de droite était une extension absolument logique de cette politique. Pourtant cela n'avait aucun sens si ce n'était pas combiné à l'appel à la mobilisation des masses pour protéger l'Assemblée Populaire contre toute tentative de Torres de limiter son propre développement.
Une autre exigence, c'était bien évidemment une formule de gouvernement correcte pour éviter de semer toute illusion sur le régime Torres. Il s'agissait ainsi de s'orienter vers le développement du double pouvoir chose qui ne pourrait être menée qu'ouvertement en tant que processus dans lequel s'engagent les masses elles‑mêmes.
Notre mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan devait être concrétisé et adapté à la situation en Bolivie. Sous Ovando, la COB représentait l'organisation des masses la plus importante du mouvement ouvrier. De ce fait, le mot d'ordre d'un gouvernement de la COB était une possibilité qui aurait dû être soigneusement étudiée à l'époque, comme un moyen réaliste de donner un contenu à la formule abstraite de gouvernement ouvrier et paysan.
Sous Torres, une forme supérieure de front unique ouvrier est apparue ‑ le Commandement Politique. Il était absolument essentiel pour le parti révolutionnaire de pousser le Commandement Politique à saisir le pouvoir gouvernemental. Quand le Commandement Politique s'est développé en Assemblée Populaire la justesse d'un tel mot d'ordre devint encore plus évidente. L'Assemblée Populaire était une formation de front unique très avancée, bénéficiant de la pleine confiance de la classe ouvrière. Les initiatives correctes pour la renforcer et la transformer en quelque chose de plus qu'un soviet naissant exigeaient de la démocratiser et d'organiser des bases d'appui locales dans l'ensemble du pays.
Des Assemblées Populaires dans chaque ville ! - Election de délégués révocables dans toutes les usines, les zones paysannes, et les quartiers populaires ! - Tout le pouvoir à l'Assemblée Populaire !
Un effort énergique était requis pour étendre l'influence de l'Assemblée Populaire dans la paysannerie et surtout l'armée. Le parti révolutionnaire aurait dû se trouver aux avant‑postes de cette campagne. Même si cela devait rester propagandiste dans un premier temps, s'avancer dans cette direction était essentiel pour aider le prolétariat à rompre avec la direction réformiste qui dominait l'Assemblée Populaire dans sa première phase.
Tout cela présupposait une orientation claire vers les masses en premier lieu, vers les travailleurs des villes et des mines.
Pire encore que la tragédie de manquer une occasion éminemment favorable pour la prise du pouvoir par le prolétariat, est le fait qu'aucun parti, pas même la section de la IV° Internationale en Bolivie, n'a annoncé un programme révolutionnaire correct pour la prise du pouvoir.
La direction principale du prolétariat bolivien était empêtrée dans le réformisme ; l'aile révolutionnaire gagnée par le « tournant » du neuvième Congrès Mondial à la «conception correcte» d'engager les préparatifs techniques d'une guerre de guérilla rurale pour une période prolongée à l'échelle continentale, a refusé de s'en laisser dévier par l'apparition d'un « phénomène exceptionnel » en Bolivie. L'orientation stratégique de préparation et engagement de la guérilla était déjà devenue un dogme sectaire et stérilisant.

4 - Quel axe à la lutte pour le pouvoir ?[modifier le wikicode]


Les réformistes comme il fallait s'y attendre, ne s'orientèrent absolument pas vers le pouvoir des travailleurs. Ils n'avancèrent aucun mot d'ordre en ce sens. Au contraire ils soutenaient Torres. Ils firent tout sauf préparer les masses à un affrontement prochain de la contre‑révolution.
Le Parti Communiste Bolivien, acquis à la ligne de «coexistence pacifique» du Kremlin, et le POR (Lora), affilié au « Comité International » de Healy, ont été les premiers protagonistes de cette trahison historique.
A l'opposé, se trouvait un courant ultra‑gauche partisan de la guérilla et de l'organisation de l'« Armée des Travailleurs Révolutionnaires et du Peuple ». Au sein de ce courant se situent les maoïstes, l’ELN castriste, et nos propres camarades de la section bolivienne de la Quatrième Internationale.
Les camarades du POR (Gonzalez), développant l'orientation du neuvième Congrès Mondial au mieux de leurs capacités, étaient intensément engagés dans la préparation technique de la guérilla rurale, lorsque les développements insurrectionnels d'Octobre 1970 portèrent Torres au pouvoir. Leurs activités les ont isolés de la scène des évènements.
Il est très difficile pour un petit groupe d'avant‑garde de combiner les préparatifs de la guerre de guérilla et le travail de masses. La raison en est suffisamment simple. Dans des conditions de clandestinité, se consacrer au transport et stockage d'armes et autre limite les possibilités des cadres disponibles, peu nombreux, de mettre à profit les ouvertures légales ou semi‑légales qui sont cruciales pour un développement relativement accéléré du travail de masse.
Le camarade Gonzalez lui‑même, l'a reconnu :

« Mener à bien ces deux tâches en même temps, les combiner, est quelque chose d'extrêmement difficile. Sous le régime Ovando, le parti a travaillé dans des conditions de clandestinité totale et s'est vu complètement absorbé par le travail armé. Depuis Novembre dernier, après l'arrivée de Torres au pouvoir, nous avons été à même de redévelopper notre travail légal en direction des syndicats mais aussi des paysans et des étudiants, où nous avions fait très peu de choses jusqu'alors. »

( « La situation actuelle en Bolivie », Intercontinental Press, 14 Juin 1971, p 545)

Dans des conditions « de clandestinité totale » il est bien sûr difficile de faire des progrès rapides dans le travail de masses. Néanmoins il est possible de faire quelques progrès comme l'ont démontré les bolcheviks à leur époque et comme le prouvent les militants trotskystes en Espagne et au Brésil. Mais le POR (Gonzalez) était engagé dans d'autres tâches sous les régimes Barrientos et Ovando, et il s'est ainsi trouvé en dehors du mouvement des masses, lors du soulèvement d'Octobre. En conséquence nos camarades n'étaient pas présents dans le front unique qui a dirigé les mobilisations de masse et crée le Commandement Politique.

Au lieu de reconnaître leur erreur et chercher à rétablir leur position en se battant pour participer au Commandement Politique en tant que formation de front unique appuyée par les masses, nos camarades firent de la propagande en faveur de tâches et de formes d'organisation séparées et coupées de la lutte de classes qui se développait. C'est-à-dire qu'au lieu d'accepter les organisations crées dans le processus de la lutte de masse et de se battre à l'intérieur contre les directions réformistes traîtres, le POR (Gonzalez) fit de la propagande pour des formes organisationnelles alternatives qui, aussi excellentes qu'elles aient pu paraître sur le papier, étaient abstraites et sectaires dans pareilles circonstances.

Par exemple, le 11 Octobre 1970, le Comité Exécutif du POR publia une déclaration aux masses proposant les objectifs suivants :

« a) organiser un Commandement révolutionnaire incluant toutes les tendances politiques qui défendent une solution socialiste à la situation actuelle du pays et soutiennent la lutte armée pour le pouvoir. L'objectif de ce Commandement serait de passer par dessus le réformisme et l'économisme, la capitulation et la collaboration de classe qui sont responsables des défaites successives et de la frustration du peuple bolivien.

b) Créer une Armée Révolutionnaire des Travailleurs et du Peuple. Ceci est l'instrument essentiel pour la prise du pouvoir. Il va intégrer de vastes secteurs populaires, ouvriers et paysans dans la lutte armée.

Dans cette nouvelle armée, il peut y avoir place pour des officiers et des soldats ayant rompu avec les forces armées bourgeoises, et qui veulent lutter pour la libération de la Bolivie de l'oppression impérialiste et contre le sous‑développement économique.

c) développer une structure représentative des masses, au travers de laquelle elles expriment tout leur pouvoir révolutionnaire, leur esprit d'initiative, leurs préoccupations et leur détermination à transformer la société. »

(cité dans « The Bolivian Political Crisis and Torres Regime », Intercontinental Press, 23 Novembre 1970, p 1024. Souligné dans l'original.)

Ces trois propositions n'étaient en rien liées à la réalité vivante de la lutte de classe. Elles n'étaient pas liées avec des revendications immédiates, démocratiques ou transitoires, enracinées dans la conscience des masses et correspondant à leur niveau de conscience.

Aucune perspective n'était tracée quant à la manière d'organiser « le commandement révolutionnaire », « l'Armée révolutionnaire des travailleurs et du peuple ». Au lieu de mettre en avant des revendications capables de mobiliser les masses par des actions de front uni qui placeraient les réformistes face à des dilemmes impossibles pour eux, le POR (Gonzalez) a proposé son propre schéma qui n'était guère beaucoup plus qu'une ligne de guerre de guérilla présentée de façon propagandiste et adaptée à la nouvelle situation. Au lieu d'appeler à la guerre de guérilla en alliance avec l’ELN, qui au même moment était engagée dans l'aventure de Teoponte, la déclaration appelait les masses à former une « Armée révolutionnaire des travailleurs et du peuple ». Elle appelait les ultra‑gauche pro‑guérilla à former un « Commandement révolutionnaire ». Et elle appelait en général, c’est-à-dire en direction de personne, à la création d'un « Corps représentatif des masses ». La voie vers l'établissement d'un tel corps passe par le Comando Politico, mais le POR (Gonzalez) ou bien n'a pas vu, ou bien a rejeté une telle possibilité, et il n'a fait qu'un tournant tardif en ce sens après que le Comando Politico se soit transformé en Assemblée Populaire.

Le raisonnement erroné de nos camarades boliviens est illustré par le jugement suivant : « Le Comando Politico de la COB a démontré son absence de compréhension du processus. Il s’est enthousiasmé de manière irréfléchie pour le gouvernement Torres sans voir ses limites, et de ce fait, a démobilisé les masses prématurément. A cause de cela, il est nécessaire de former, en son sein ou à l'extérieur, un « comando politico » révolutionnaire qui à la lumière des expériences précédentes peut mener les masses au pouvoir et au socialisme. » (« L'Université et le Comando Politico de la COB », Revista de America Juillet‑Octobre 1971, p 50.).

Il est inutile de dire qu'un tel Comando Politico révolutionnaire ne vit jamais le jour. Les masses continueront à accepter la direction de Lechin, de la COB, du Parti Communiste de Bolivie, du POR (Lora), regroupés dans le Comando Politique qui était apparu à la tète de l'insurrection de masse. La proposition, de façon purement propagandiste, selon laquelle ceux qui s'étaient auparavant déclarés pour le socialisme et la guérilla, devraient former un « Comando Politique » révolutionnaire a permis aux réformistes de maintenir leur hégémonie sans qu'aucun combat n'ait été mené contre leur trahison.

Même après la vague insurrectionnelle de Janvier 1971 qui répondit à la première tentative sérieuse des généraux droitiers de renverser le gouvernement Torres et qui a mené à la formation de l'Assemblée Populaire, nos camarades ont continué à maintenir une attitude vacillante avant de se décider finalement à faire un tournant.

Après avoir visité la Bolivie, 2 militants de l'IMG (Section britannique de la IV° Internationale), écrivirent :

« En plus, les partis politiques révolutionnaires en particulier le POR (Gonzalez) ont décidé que l'Assemblée Populaire doit être prise au sérieux. Dans un premier temps, ils eurent en fait une attitude d'observateurs par rapport à l'Assemblée Populaire, attendant de voir comment elle allait évoluer, plutôt qu'une attitude de participants. »

(« The meeting of the Popular Assembly », International, Septembre ‑ Octobre, 1971,p 59)

Malheureusement quand ils firent finalement le tournant, ils conçurent leur participation de façon tout à fait limitée utilisant avant tout l'Assemblée comme une tribune. Cela était cohérent avec leur analyse de l'Assemblée Populaire qui selon eux « n'était guère plus qu'une sorte de parlement national », et qu'éventuellement, elle ouvrirait la voie à quelque chose de plus concret, la guerre de guérilla.

Dans une interview accordé en Avril 71, et publié dans le numéro du 17 Mai de ROUGE, le camarade Gonzalez explique :

« La Gauche à laquelle le POR appartient, a développé l'idée selon laquelle l'Assemblée Populaire devrait être une structure discutant des problèmes nationaux, des solutions à leur apporter mais qui laisserait le pouvoir aux mains des organisations de masse, (syndicats, milices populaires ou armée du peuple, etc ...). Les camarades du POR dans l'Assemblée Populaire, qu'ils représentent le parti directement ou qu'ils représentent un syndicat, n'ont guère d'illusions. Ils utilisent l'Assemblée Populaire comme une tribune. C'est tout. »

Il est intéressant de souligner particulièrement que, dans cette déclaration, le camarade Gonzalez est opposé à la revendication de tout le pouvoir pour l'Assemblée Populaire. Ce qu'il propose à la place c'est de laisser le pouvoir aux mains d'organisations de masses syndicats, milices populaires, armée du peuple. La liste est curieuse. Jamais une milice populaire ni une armée du peuple n'ont vu le jour à cette époque en Bolivie. Elles avaient encore à être crées. Cela voulait dire que pour le moment, seuls existaient concrètement les syndicats, c’est-à-dire la COB. Mais la COB fournissait la base de masse à l'Assemblée Populaire. Et c'est précisément l'Assemblée Populaire qui constituait une structure de Front Uni au travers de laquelle les travailleurs pouvaient amener les paysans et les masses urbaines à participer à la lutte pour une forme concrète de gouvernement ouvrier et paysan. Il est évident que nos camarades boliviens n'ont pas envisagé le problème de la prise du pouvoirà partir de la façon spécifique dont il était posé par la lutte de classes réelle à ce moment. Ils étaient victimes de l'illusion selon laquelle ils pouvaient faire une rapide percée en s'engageant dans la guerre de guérilla rurale.

Ils se décidèrent finalement à prendre l'Assemblée Populaire au sérieux. Sous la pression croissante du mouvement de masses (50.000 travailleurs manifestèrent le I° Mai ouvertement pour le socialisme), le POR (Gonzalez) changea de position et appela à ce que l'Assemblée Populaire devienne la base d'un gouvernement ouvrier et paysan.

Dans un article du numéro du I° au 15 Mai de COMBATE, le POR (Gonzalez) énonce ainsi sa position :

« L'Assemblée Populaire ne peut avoir d'autre rôle que celui d'un organe de double pouvoir; cela veut dire qu'elle ne doit pas simplement débattre et surveiller l'action gouvernementale, elle doit en tant qu'expression du pouvoir des masses boliviennes, décider des questions fondamentales auxquelles le pays et les travailleurs sont confrontés. L'A.P. doit devenir un gouvernement ouvrier et paysan et nous devons lutter à la fois en son sein et à l'extérieur pour atteindre cet objectif.

Dans ce processus, un instrument politico‑militaire se développera parallèlement à l'AssembIée, cet instrument pourra être le moyen dont elle manque encore et qui lui permettra de rendre effectives ses décisions. »

(« Put the people's Assembly on the road to the socialism ! », Intercontinental Press, 21 Juin 1971, p 575)

Le tournant fut le bienvenu. Mais il était trop tardif et encore trop confus pour avoir des conséquences effectives.

Que signifiait cet « instrument politico‑militaire » qui « se développerait parallèlement à l'Assernb1ée » ? L'Assemblée Populaire ne pouvait en fait rendre effectives ses décisions sans réaliser la conquête du pouvoir. Des revendications transitoires et des mesures transitoires étaient nécessaires comme nous l'avons déjà souligné plus haut, pour armer les masses. Elles auraient dû être lancées de la façon la plus vigoureuse par nos camarades, au moins 6 mois plus tôt (quand Torres accéda au pouvoir). Les discussions continuelles à propos d'une « Armée révolutionnaire du peuple et des travailleurs » qui devait être crée par des moyens inconnus (guerre de guérilla ?) et on ne sait par quels dirigeants (Le POR ou l’ELN ?) étaient abstraites et par conséquent sectaires et inadaptées dans cette situation marquée par une rapide évolution.

5 - L'armement des masses.[modifier le wikicode]


Quand les masses prennent les armes, elles le font sous deux formes principales qui se combinent de plus en plus. La première forme consiste dans l'organisation par les travailleurs de leurs propres détachements pour défendre leurs luttes et leurs bases (locaux syndicaux etc…) contre les attaques. La forme la plus élémentaire de cette auto‑organisation est bien connue, c'est la formation de piquets d'auto‑défense. Le programme de transition indique les étapes qui prolongent ce premier niveau élémentaire. La seconde forme consiste à développer la sympathie pour les objectifs de la révolution au sein des troupes de l'armée bourgeoise et en gagnant un secteur au moment crucial. Le succès de ces deux processus dépend d'une approche politiquement correcte et ont été illustrés par les bolcheviks.
En Bolivie, sans mot d'ordre gouvernemental concret tel l'appel à donner le pouvoir à l'Assemblée Populaire, et sans une campagne vigoureuse pour mobiliser les forces défensives contre la menace d'un coup de droite, les discours au sujet de la lutte armée ne conduisaient qu'à des bavardages sans conséquence ou à l'aventurisme ultra‑gauche. Un travail politique et consistant en direction des soldats et des officiers inférieurs de l'armée était particulièrement nécessaire comme élément du processus d'armement des masses. L'armée en Bolivie ne pouvait être gagnée simplement grâce à la propagande, quelle qu'ait été son importance. Il était décisif d'organiser ouvertement des milices ouvrières pour montrer au soldat du rang, que les travailleurs étaient absolument décidés à défendre leurs droits et à contrer les complots des généraux d'extrême‑droite.
L'Assemblée Populaire adopta une résolution décidant l'organisation clandestine de milices ouvrières. Ceci était à la fois absurde et opportuniste. Absurde, parce que ce qui était nécessaire à ce moment était une campagne largement publique sur la nécessité de constituer des milices ouvrières ouvertement sous les auspices des organisations de masse ; opportuniste, parce­ que la signification réelle de la résolution était que les masses ne seraient pas armées. Les réformistes et les ultra‑gauches soutinrent tout dans cette résolution. Les opportunistes le firent pour des raisons, évidentes, dont la volonté de se présenter aux masses comme révolutionnaires. Les ultra‑gauches le soutinrent parce‑qu'elle collait étroitement à leur «conception correcte» de la guerre de guérilla, d'armement de l'avant‑garde par des voies clandestines, parce que fondamentalement ils ne croyaient pas à d'autres voies.
L'armée ne pouvait être gagnée sans être confrontée aux masses. Les masses devaient apprendre comment opérer cette confrontation. Comment marcher sur les casernes des soldats, comment leur parler, comment leur lancer de vigoureux appels au cas où ils seraient envoyés dans la rue pour réprimer les travailleurs, ou pour désarmer une unité de milices ouvrières.
Si des citations sont ici nécessaires, Léon Trotski fournit une source à recommander. Nous avons choisi les plus convaincantes pour la majorité, car elles indiquent comment la guerre de guérilla peut jouer un rôle positif ... tactiquement.

« L'attitude de la troupe, cette grande inconnue de toutes les révolutions, ne peut se révéler nettement qu'à l'instant où les soldats se trouvent face à face avec le peuple. Pour que l'armée passe dans le camp de la révolution, il faut d'abord qu'elle subisse une transformation morale, mais cela même n'est pas suffisant. Il y a dans l'armée, des courants divers et des états d'esprit différents qui se croisent et se coupent. C'est une minorité qui se révèle consciemment révolutionnaire ; la majorité hésite et attend une poussée du dehors. Elle n'est capable de déposer les armes ou de diriger ses baïonnettes contre la réaction que quand elle commence à croire à la possibilité de la victoire populaire. Et ce n'est pas la seule propagande qui peut lui donner cette foi.

Il faut que les soldats constatent que de toute évidence, le peuple est descendu dans la rue pour une lutte implacable, qu'il ne s'agit pas d'une manifestation contre l'autorité, mais que l'on va renverser le gouvernement. Alors mais alors seulement, le moment psychologique arrive où les soldats peuvent « passer à la cause du peuple ».

( Trotski : 1905. Edition de minuit. p 237)

Rappelons là que Trotski décrit une situation en Russie durant la révolution de 1905, et non la situation de 1917 où l'armée était formée de conscrits très nombreux et dont beaucoup étaient démoralisés par la défaite subie durant la guerre impérialiste. Il parlait d'une armée qui était certainement plus réactionnaire que celle de Bolivie. Trotski poursuit ainsi :

« Ainsi, l'instruction, est essentiellement, non pas une lutte contre l'armée, mais une lutte pour l'armée. Plus l'insurrection persévère, s'élargit, et réussit, plus la crise de transformation se révèle probable, inéluctable dans l'esprit des soldats. Une guérilla, basée sur la grève révolutionnaire – nous l'avons observé à Moscou ‑ ne peut par elle‑même donner la victoire. Mais elle permet d'éprouver les soldats, et après un premier succès important, c’est-à-dire lorsqu'une partie de la garnison s'est jointe au soulèvement, la lutte par petits détachements, la guerre de partisans, peut devenir le grand combat des masses, où une partie des troupes, soutenue par la population armée, combattra l'autre partie, objet de la haine générale.

En raison des différences d'origine et des divergences morales et politiques existant dans l'armée, le passage de certains soldats à la cause du peuple implique d'abord un conflit entre deux fractions de la troupe : c'est ce que nous avons vu pour la troupe de la mer Noire, ainsi qu'à Cronstadt, en Sibérie, dans la région du Koulan, plus tard à Sveaborg et en beaucoup d'autres lieux. Dans ces diverses circonstances, les ressources les plus perfectionnées du militarisme, fusils, mitrailleuses, artillerie de forteresse, cuirassés, se trouvèrent aussi bien au service de la révolution que dans les mains des gouvernements. »

(Idem, p 237)

On voit, en conséquence, que l'orientation à cette époque de Trotski était loin de tendre dans la direction d'une guerre de guérilla pour une période prolongée à l'échelle continentale. Comme les grands marxistes, sur les questions militaires, il comprenait à la perfection que le travail révolutionnaire à l'égard des troupes devait se fonder, s'il voulait être effectif, sur une mobilisation de masse et les amener à agir sur l'armée comme un puissant solvant.

La ligne du POR (Gonzalez), par contraste, était d'encourager la désertion individuelle, c’est-à-dire de retirer de l'armée chaque élément qui devenait un révolutionnaire convaincu. Comme nous l'avons vu, quand Torres est venu au pouvoir, nos camarades, ne sachant pas répondre aux besoins de l'heure, souhaitaient aux membres de l'armée bourgeoise, pourvu qu'ils se décident à déserter, la bienvenue dans l'inexistante Armée Révolutionnaire Populaire des Travailleurs :

« Dans cette nouvelle armée, il y a place pour les officiers et les soldats de l'armée bourgeoise qui rompent avec cette organisation, et veulent combattre pour libérer la Bolivie de l'oppression impérialiste et l'arracher au sous‑développement »

L'appel à la désertion individuelle surgit automatiquement du schéma de guérilla rurale prolongée à l'échelle continentale.

Ce qui était requis, cependant, c'était un ensemble de revendications autour desquelles les meilleurs militants, soldats du rang, pouvaient commencer le travail de polarisation de la base contre la caste des officiers. Ceci était certainement faisable vu les conditions qui régnaient dans l'armée durant le régime Torres.

L'absence d'une politique effective visant à utiliser les divisions au sein de l'armée et à gagner un secteur des soldats et officiers de rang inférieur fut l'une des faiblesses les plus sérieuses de la direction de la section bolivienne de la IV° Internationale. Le « tournant » du 9° Congrès Mondial les avait détournés de la préparation pour une lutte armée en accord avec le modèle établi par Lénine et Trotski durant la Révolution Russe.

6 - Après Torres vient la guerre de guérilla.[modifier le wikicode]


Malgré l'évolution de la lutte de classe en Bolivie, le POR (Gonzales) maintint obstinément ses positions selon lesquelles une révolution socialiste ne pourra surgir que grâce à la guerre de guérilla. Sans tenir compte de faits évidents qui s'offraient à eux, nos camarades boliviens restèrent des partisans rigides de l'orientation adoptée au 9° congrès mondial, une orientation qui n'a rien su prévoir de ce qui est arrivé ( insurrection urbaine, régime réformiste, travail syndical ouvert, possibilité de travail légal, travail au sein des forces armées, etc ...)
Etait‑ce une ««pulsion de mort», comme pourraient le dire les camarades Germain et Knoeller, qui a produit une telle constance dans l'erreur ? Non, ils continuaient simplement à avoir confiance dans la sagesse des dirigeants majoritaires de la Quatrième Internationale. Telle était leur vision du proche avenir : Torres allait tomber et la véritable lutte pour le pouvoir, c'est-à-dire la guerre de guérilla rurale à une échelle nouvelle, pourrait alors s'engager car le successeur de Torres serait le dictateur le plus brutal jamais vu dans le pays. Telle était leur perspective réelle. Voilà pourquoi ils étaient si anxieux de construire un minimum d'appareil militaire séparé et en dehors des organisations de masses. Voilà pourquoi ils ont tenté si longuement, malgré les difficultés, de créer un front uni avec les autres groupes engagés dans la perspective de la guerre de guérilla : l'ELN, les maoïstes et le MIR.
Dans cette interview avec un correspondant de Rouge, le camarade Gonzales, expliquant le travail qu'ils réalisaient, expliqua ce qui suit :

« Mais bien évidemment la capitalisation de ce travail, à terme, n'est possible et n'a de sens que par la préparation de notre organisation en vue de la lutte armée. Pour nous, la situation actuelle, instable, est tout à fait transitoire. La répression qui s'ensuivra marquera pour la Bolivie le signal d'une nouvelle étape de lutte armée à une échelle jusque là inconnue ici »

( « La situation en Bolivie », interview de H.G. Moscoso, « Rouge » N° 14, 14 mai 7 1)

Dans une interview donnée à deux militants de l'IMG, le camarade Gonzales expliqua fort correctement pourquoi la bourgeoisie avait besoin d'un coup de droite. Il poursuivit aussi :

«... si un coup se produisait maintenant, ce serait une victoire militaire pour la droite et l'armée. Mais cela ne lui permettrait pas de contrôler autre chose que certaines villes. Cela provoquerait la relance de la lutte armée à un niveau beaucoup plus élevé que durant la période des guérillas de Nanchahuazu et Teoponte ».

(« Interview with Gonzales Moscoso », « International », septembre‑octobre 1971. p.64)

Poursuivant dans le même sens, le camarade Gonzales dit ce qui suit :

« Si l'armement des travailleurs n'est pas organisé, si l'armée populaire ne se développe pas, nous pensons que le coup rétablira facilement le contrôle de l'armée. Mais ce contrôle ne durera pas. Cette situation sera l'ouverture de la guerre. Nous ne pensons pas en fonction de modèles figés. Ce sera une guerre civile à l'échelle nationale avec différents fronts. Ce sera l'ouverture d'une longue guerre que nous préparons aujourd'hui. »

(Idem, p.65)

L'opinion du camarade Gonzales était donc qu'après le glissement du rapport des forces entre les classes au désavantage de la classe ouvrière, qu'après que la bourgeoisie aurait réussit à réunifier l'armée et à ouvrir une sauvage répression contre l'avant­-garde, qu'après que les masses aient été repoussées et démobilisées, alors, la lutte armée pourrait commencer au plus tôt.

Cette erreur de jugement profonde quant à ce qui arriverait après la chute de Torres sous la botte du Kornilov bolivien était la conséquence logique d'une série d'erreur de jugement commises auparavant, qui avaient interdit aux camarades boliviens de saisir la chance qui leur était offerte. Ils n'étaient pas les seuls à faire des erreurs si colossales. Les dirigeants majoritaires eux‑mêmes en portent la responsabilité. Après tout, si l'on en croit leur théorie, les événements précédant le triomphe de Banzer constituait une « variante exceptionnelle ». Ce qui restait durable, c'était le schéma de la guerre de guérilla rurale, prolongée à l'échelle continentale, dont la Bolivie.

Durant les derniers jours du régime Torres, nos camarades boliviens ont combattu vaillamment contre le coup d'État contre-révolutionnaire, au prix de lourdes pertes, dont des morts. Le mouvement trotskyste mondial les salue pour cela et se souviendra toujours de ceux qui ont donné leurs vies.

Néanmoins, avec le prolétariat bolivien tout entier, ils ont connu une grave défaite. Leurs rangs ont été décimés Le résultat d'années d'un dur travail fut détruit. Certains de nos camarades furent démoralisés. D'amères dissensions et récriminations éclatèrent. Nous devons avoir tout ceci en mémoire en jaugeant les difficultés énormes auxquelles sont maintenant confrontés nos camarades boliviens.

Raison de plus pour mettre à jour l'orientation désastreuse qu'ils suivaient. Garder le silence ou minimiser les critiques politiques qui doivent être faites signifierait que nos martyrs boliviens moururent en vain. La nécessité de critiquer cette ligne est devenue encore plus impérieuse dans la mesure où elle est toujours appliquée en Bolivie.

En fait, peu de choses ont changé. Sous Barrientos, le POR (Gonzalez) était pour mener des actions de guérilla plutôt que de se concentrer sur un travail dans le mouvement de masse. Les échecs les plus sérieux, incluant la défaite de Che Guevara n'ont en rien altéré sa détermination. Il en fut de même sous Ovando. Sous Torres, il fit quelques rectifications, pas de véritable tournant. Les rectifications visaient essentiellement à trouver une base pour la guerre de guérilla lorsque les mobilisations de masse seraient achevées. Aujourd'hui, sous Banzer, il continue ‑ avec une variante significative ‑ comme si toute l'expérience antérieure n'avait servi à rien.

7 - Le Front Révolutionnaire Anti‑impérialiste.[modifier le wikicode]


La variante en question est la suivante. Sous le régime Torres, nos camarades s'accrochèrent obstinément à la position sectaire qui consistait à ne pas participer au Commandement Politique et à rester à l'écart de l'Assemblée Populaire jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour influencer son cours de façon significative. Ils défendirent cette position alors que le Commandement Politique et l'Assemblée Populaire étaient des formations de front unique appuyées sur un soutien de masse. Aujourd'hui, après la chute de Torres et après la dispersion de l'Assemblée Populaire, ils ont rejoint ces mêmes leaders qui étaient à la tête du Commandement Politique et de l'Assemblée Populaire et qui sont responsables de la trahison de la révolution bolivienne par leur orientation réformiste. Ils ont rejoint ces personnages méprisables dans le « Front Révolutionnaire Anti-impérialiste » derrière un même programme bourgeois. Au départ, le FRA regroupait y compris le général Torres !
Il est vrai qu'après que le Secrétariat Unifié de la Q.I. ait critiqué publiquement la section bolivienne pour avoir apposé la signature du POR (Gonzales) au manifeste du FRA appelant à un « gouvernement populaire et national », nos camarades répondirent par une autocritique où ils déclaraient entre autres choses :

« Le FRA qui regroupe toutes les organisations politiques et de masse contre le fascisme de Banzer, étant apparu après le coup d'état du 21 août (1971), le manifeste du mois de décembre 1971 est un document confus qui ne délimite pas clairement les tâches des révolutionnaires boliviens et laisse l'impression qu'il admet des formes de gouvernement d'unité nationale. Le POR ne peut accepter une telle formule contraire à sa conception d'une dynamique socialiste de la révolution et d'un gouvernement ouvrier et paysan. La signature d'un tel document sans qu'ait été publiée parallèlement sa critique et exprimées ses limites, a été une erreur dont nous nous auto‑critiquons. »

La participation du POR au FRA, poursuivent‑ils, était une question purement tactique :

« Le POR en restant au sein du FRA se démarque des réformistes et réaffirme sa stratégie de lutte armée et de guerre révolutionnaire pour renverser le fascisme, détruire le régime capitaliste et construire la société socialiste sous la dictature du prolétariat. En ce sens, sa participation au FRA a un caractère tactique dans les conditions actuelles de la gauche bolivienne et ne compromet pas son indépendance politique, organisationnelle et militaire.»

Dans la même déclaration, la « Direction Collective » promettait de rendre publique ses divergences avec le FRA :

« Le POR, dans une déclaration publique, définira ses conceptions politiques et programmatiques et établira en toute clarté la responsabilité des partis dans les événements d'août et démasquera les tendances politiques responsables de la défaite des masses. En participant au FRA, il n'abandonnera pas son devoir révolutionnaire devant les masses.»

Jusqu'à présent, nous n'avons pas vu la délimitation publique promise vis-à-vis des traîtres réformistes et des valets bourgeois rassemblés dans le FRA. Entre temps, nos camarades convolent en douces noces avec eux, pour des raisons « tactiques ».

Le rôle principal du FRA est de dissimuler la trahison de la révolution bolivienne perpétrée par les partis réformistes sous Torres. Au nom de « l'unité », ce front crapuleux condamne au silence toute critique en la dénonçant comme « sectaire », de façon à être en mesure de tromper à nouveau les masses avec le même programme désastreux qu’ont appuyé le Parti Communiste Bolivien et le POR (Lora).

En mars 72, le FRA a établi certaines règles et stipulations qui lient les mains de ceux qui y participent. Ces décrets sont d'une lecture instructive :

« 1. Aucun parti ou organisation politique ne peut aller à l'encontre de la ligne fondamentale déterminée dans les documents fondamentaux de fondation du FRA signés par les représentants des différents groupes appartenant au FRA.

2. Les partis politiques conservent leur indépendance idéologique et organisationnelle mais leur conduite est déterminée par les engagements auxquels ils ont souscrit.

3. Le FRA doit agir comme une entité unique dans tous les domaines de la vie sociale (syndicats, universités, lycées, organisations populaires, etc ...). Dans les élections de tous types, le Front présentera des listes communes après les avoir pleinement discutées en son sein.

4. Une commission syndicale et universitaire sera mise en place pour prendre en charge la coordination du travail dans les syndicats et à l'université. La commission politico‑syndicalo‑universitaire supérieure constitue la direction du FRA et les partis et organisations politiques doivent s'y subordonner en appliquant l'orientation définie par le Front.

5. Dans les assemblées syndicales, universitaires ou autres, le FRA présentera une orientation préalablement étudiée et adoptée, et il est recommandé que ses orateurs officiels soient agréés par avance.

6. Ceux qui se font les porte‑paroles de la propagande du FRA doivent défendre l'ensemble de sa ligne et non pas seulement une ligne partielle ou certains de ses composants.»

(Revista de America, N°8/9, mai‑aoùt 1972, p.21)

Ces règles et stipulations ont le but clair d'étouffer les points de vue critiques que pourrait défendre telle ou telle autre composante du FRA. Rester dans un tel front signifie participer à un bloc sans principes avec des traîtres réformistes de la révolution ou lier pieds et poings le parti révolutionnaire.

Au lieu de former un bloc avec Juan Lechin, le Parti Communiste Bolivien, le POR (Lora) et d'autres crapules politiques, nos camarades devraient s'employer au maximum à expliquer comment et pourquoi ces personnages ont trahi la révolution bolivienne. C'est une pré condition absolue pour repartir d'un bon pied en Bolivie et regrouper les, cadres nécessaires à la construction du parti capable de présenter une alternative valable au programme des réformistes.

Il est pourtant compréhensible ‑ sinon excusable - que nos camarades boliviens aient décidé de pratiquer un entrisme sui generis dans le FRA. La logique de l'orientation guerilleriste adoptée par la majorité au 9° C.M. les a conduits à subordonner des considérations politiques à ce qu'ils s'obstinaient à prendre pour une nécessité majeure.‑ les préparatifs techniques pour la guerre de guérilla rurale. Ils participèrent à ce front sans principe indépendamment de sa coloration politique et de son orientation idéologique parce qu'ils considèrent l'étiquette du FRA utile pour le lancement de la « lutte armée ».

En outre, ils sont sous l'influence de l'aspiration actuelle au sein de l'avant‑garde bolivienne vers « l'unité à tout prix ». Cette aspiration est une réaction contre les disputes mesquines et sans relief des réformistes qui se disputent les faveurs de Torre et l'influence sur les masses.

Se plier à cette aspiration est extrêmement dangereux, car elle se dresse comme un obstacle à la construction d'un parti de type léniniste ayant une pensée et une expression claires, capable d'utiliser la méthode préconisée dans le Programme de Transition pour atteindre les masses boliviennes.

Au lieu du premier article des statuts du FRA stipulant « qu'aucun parti ou organisation politiques ne peut aller à l'encontre de la ligne fondamentale déterminée dans les documents fondamentaux de fondation » de ce front, nos camarades boliviens devaient établir comme leur première règle de s'opposer aussitôt à cette orientation fondamentale. La section bolivienne doit briser ce carcan et apporter sa propre orientation aux masses à travers un travail quotidien sérieux et persistant dans le prolétariat, parmi les étudiants, les paysans et les couches misérables de la population des villes. Son attitude à l'égard du FRA devrait être de le confronter aux dilemmes qui finiraient par le briser politiquement, c’est-à-dire par des propositions de front unique sur des sujets spécifiques.

De nouvelles luttes de masses jailliront inévitablement de nouveau en Bolivie ‑ peut être plus tôt qu'on ne peut s'y attendre. Mais pour conquérir un poste de direction dans ces luttes, nos camarades doivent s'enraciner profondément dans les masses. Ils doivent rompre définitivement avec la « stratégie » de la guerre de guérilla guévariste qui s'est avérée être un piège aussi funeste pour le mouvement révolutionnaire en Amérique Latine. Les considérations « techniques » doivent être subordonnées ‑mais réellement subordonnées ‑ à la nécessité politique de conquérir la direction de la lutte des masses.

Cela implique une politique ‑ pour une « période prolongée » et « à l'échelle continentale » ‑ qui écarte les actions conduisant au sacrifice inutile de la vie de cadres et offrant à la contre‑révolution des prétextes commodes pour recourir à de sauvages représailles. Cela signifie revenir sur l'orientation du 9° Congrès Mondial défendant une « stratégie » guerrilleriste en Amérique Latine. Cela signifie, en bref, revenir à la stratégie léniniste de construction du parti.

III : La leçon de l’Argentine[modifier le wikicode]

Depuis Mai 1969, la situation en Argentine est pré­révolutionnaire. Au cours de ce mois‑là, le pays fut secoué par des luttes de masses, déclenchées par des mouvements de protestations étudiants. Une grève générale paralysa Rosario, deuxième grande ville d'Argentine.

Des flambées soudaines de grande ampleur se produisirent ensuite dans différentes villes, la plus importante et la plus violente se produisant à Cordoba, d'où le nom de « Cordobazo » donné à cette lutte historique. Les deux grandes fédérations syndicales appelèrent à une grève nationale de solidarité.

Ce vaste mouvement de mai fut l'équivalent d'une semi-­insurrection.

L'emploi du terme « semi‑insurrection », plutôt que « révolte spontanée » ou « soulèvement » est délibéré. Il indique avec précision la nature de la lutte ‑ lutte dans les rues, les masses faisant face à l'armée et à la police et le but que les masses avaient en tête : le gouvernement national. Ce qui lui donnait le caractère d'une semi-insurrection était l'objectif politique clair des mobilisations et des affrontements : abattre le gouvernement.

C'est là la différence profonde avec les soulèvements des ghettos noirs aux États‑Unis, qui étaient des révoltes spontanées, sans revendications politiques spécifiques, ni explicites, ni implicites.

Mais même les explosions en Argentine n'étaient pas des insurrections. Pour cela une direction révolutionnaire appliquant un programme clair pour la conquête du pouvoir était nécessaire. Aucune des mobilisations de la classe ouvrière en Argentine n'a présenté ce caractère.

Nous avons caractérisé la situation en Argentine depuis Mai 1969 comme « pré‑révolutionnaire » pour diverses raisons :

  1. La confusion dans les milieux gouvernementaux et dans les forces bourgeoises en général, est devenue de plus en plus intense, tandis qu'ils pataugent de tous côtés, essayant de trouver une issue à la situation économique critique, et de faire dérailler le mouvement de masse montant ou de lui casser les reins.
  2. La petite‑bourgeoisie est en train de perdre toute confiance dans le système capitaliste et certains secteurs importants inclinent vers des positions révolutionnaires ou pro‑socialistes.
  3. La Classe Ouvrière veut un changement révolutionnaire au gouvernement. Elle a perdu toute confiance dans le gouvernement, à mesure que les différents régimes se sont succédés sans remédier à la crise qui tourmente le pays en ne faisant que l'aggraver.

Il est vrai que la masse de la classe ouvrière a encore confiance politiquement dans le péronisme. Mais c'est parce que les ouvriers croient à tort, qu'à travers le péronisme on peut trouver un moyen de changer le système, En d'autres termes, ils n'ont pas encore conscience que le parti péroniste est un parti bourgeois. C'est l'une des conséquences du refus d'accorder à Péron les droits démocratiques et de son exil du pays depuis 17 ans.

Les principaux obstacles qui barrent aux ouvriers la route vers le pouvoir dans la situation actuelle résident dans la direction bureaucratique des syndicats, seules organisations de masse du prolétariat existantes, et dans le général Péron, leader incontesté des masses laborieuses.

Le grand problème auquel est confronté le mouvement révolutionnaire argentin est de savoir comment transformer la situation pré‑révolutionnaire en une situation révolutionnaire, c’est-à-dire en une lutte directe pour le pouvoir.

1 - Le renversement de la Marée.[modifier le wikicode]

Le régime parlementaire bourgeois établi après la chute de Péron en 1955 prit fin en 1966 avec un coup d'état militaire qui amena le général Juan Carlos Ongania au pouvoir. Le coup d'état reflétait un fléchissement temporaire de la lutte des classes. La pénétration de l'impérialisme U.S. fit un bond en avant, se développant dans de nouveaux secteurs, tels que les banques.

Ongania s'aligna avec la dictature brésilienne dans la croisade mondiale contre le communisme. Tout en s'abstenant de créer des cours spéciales, ou de modifier la structure judiciaire traditionnelle dans l'ensemble, préférant donner à son régime une façade « légale », il imposa des mesures répressives contre la classe ouvrière sur le plan économique comme sur le plan politique.

Mais il n'osa pas tenter de dissoudre les syndicats, ou la structure de base des comités d'usines. Une tentative de ce genre avait été faite sans succès dix ans plus tôt. Les syndicats subsistèrent sous formes d'organisations clandestines jusqu'à ce que le régime bourgeois reconnaisse sa défaite et légalise les syndicats vers la fin des années 50.

La tentative d'Ongania d'instaurer un régime personnel bonapartiste, qui, avait‑il promis, devait durer 10 ans, fut stoppée par les évènements de mai 1969.

Les évènements de Rosario et de Cordoba modifièrent les rapports de force entre les classes. Le recul de la classe ouvrière prit fin.

Déjà des efforts importants avaient été faits pour reprendre du terrain, mais ces efforts avaient été sans succès. Maintenant la classe ouvrière allait prendre l'offensive. Les masses, en différentes étapes, assénèrent une série de coups aux régimes bourgeois successifs, obtenant des concessions en cours de route.

La classe dirigeante a oscillé entre la répression et les concessions. Cette tactique, cependant, s'est trouvée nécessairement confinée dans les limites de la crise générale qui a secoué l'Argentine. La situation semi‑coloniale du pays n'a pas permis à la bourgeoisie d'accorder des concessions importantes, sauf pendant la période qui a suivi immédiatement la seconde guerre mondiale. Les concessions accordées, qu'elles aient été de caractère économique minimal, ou que de façon plus typique, elles aient eu trait au domine des droits démocratiques, n'ont servi qu'à encourager les ouvriers et à les amener à élargir leur offensive.

Les premières semi‑insurrections furent traitées par une répression sélective. Durant toutela période qu'a suivi 1966, la classe dirigeante n'a pas exécuté un seul massacre du mouvement de masse. Sans disposer de chiffres précis, on peut penser qu'il y eut plus de victimes, au cours du massacre d'Octobre 1968 à Mexico que pendant les six années de régime militaire en Argentine, au cours desquelles se produisit une série de soulèvements de masse. Ce n'est pas parce que la classe dirigeante en Argentine est en aucune façon moins brutale et moins sanguinaire que celle du Mexique, mais parce qu'elle comprend le caractère explosif de la lutte de classes et la force détenue par le prolétariat en Argentine.

Sous la pression du premier Cordobazo, le gouvernement promit un relâchement de la répression. Dès qu'il sentit que la situation était relativement sûre, le gouvernement oublia sa promesse et reprit sa ligne dure. La réaction des ouvriers fut une reprise des actions de masse, des grèves paralysantes qui frappèrent les villes et s'étendirent parfois jusqu'au niveau provincial et national. Dans différentes villes secondaires, les grèves générales furent accompagnées de manifestations militantes dans la rue.

(Il faut noter cependant que les manifestations de masse dans les rues, accompagnées d'érection de barricades et de heurts avec la police ne se sont pas produites d'une manière semblable à Buenos Aires, où la population est de 800.000, et à Rosario et Cordoba, seconde et troisième villes du pays, où les manifestations ont fait l'objet de gros titres dans le monde entier, n'ont respectivement que 672.000 et 589.000 habitants.)

La lente montée des luttes de masses se traduisit par plusieurs modifications du cabinet. La classe dirigeante se sentit contrainte de changer son orientation sous la dictature d'Ongania, pour éliminer finalement le général lui‑même par un coup d'état en Juin 1970. Son remplaçant, le général Roberto Marcelo Levingston, fut chassé à son tour par un coup d'état neuf jours après le second Cordobazo en mars 1971.

Chaque changement de gouvernement marqua une tentative d'éviter un affrontement direct avec les masses et de les détourner des luttes de rues qui inclinaient vers une grève générale insurrectionnelle à l'échelle nationale. Les tentatives de diversion ont consisté à offrir des issues légales, mais relativement sans danger, à l'expression du mécontentement. Le général Alejandro Lanusse, qui remplaça Levingston en Mars 1971, prit la suite logique en demandant le retour au régime parlementaire.

Ce tournant représente un effort de la caste militaire pour maintenir l'unité dans ses propres rangs, établir un front solide de la classe dirigeante, aider la bureaucratie syndicale à détourner les masses, et à gagner du temps de façon à être en meilleure position pour écraser le mouvement ouvrier au moment opportun. L'idée est de faire participer les masses une fois encore à l'escroquerie du parlementarisme bourgeois. Pour cela, ils ont besoin des bons offices du mouvement péroniste et de son chef, seule figure bourgeoise qui soit populaire parmi les masses. Le plan, cependant, ne peut être retardé trop longtemps. Deux grèves générales l'ont rappelé à la classe dirigeante.

Dans le cadre de l'intensification générale de la lutte des classes, un fléchissement s'est produit dans l'action de la classe ouvrière industrielle à partir de la fin 1971. On peut imputer cela à l'organisation des élections parlementaires et au rôle de la bureaucratie syndicale. Aucune direction militante de gauche n'existe dans les syndicats à une échelle suffisante pour porter un défi efficace à ce jeu politique. Mais en 1972, de nouveaux soulèvements populaires éclatèrent (Mendoza, Tucuman, Général Roca). Ceux‑ci forcèrent le mouvement péroniste à adopter une position plus indépendante, affectant le « Gran Acuerdo Nacional » (GAN) de Lanusse, front de la bourgeoisie.

De plus, la poursuite de la radicalisation, qui a entraîné des couches de plus en plus larges des travailleurs inorganisés, des « col blancs », et de l'échelon inférieur de la petite‑bourgeoisie, a contribué à maintenir la classe dirigeante sur la défensive.

2 - Le mouvement ouvrier.[modifier le wikicode]

Bien que la moderne « Confederacion Général del Trabajo » (CGT) ait pris naissance dans les années 30, au cours d'une série de grèves menées par le Parti Communiste, ce ne fut pas avant la montée du mouvement péroniste que les syndicats d'industrie s'établirent. Ce fut aussi la période où les « Cuerpos de Delegados » (Corps de Délégués) et les « Comisiones Internas » (Commissions Internes) s'établirent en, tant que structure de base des syndicats.

Le « Cuerpo de Delegados » est un comité d'usine élu soit par les secteurs de chaque usine ou par l'ensemble. La « Comision Interna » est un comité de direction élu par le « Cuerpo de Delegados», mais quelquefois par suffrage direct.

Tandis que cette évolution positive marquait la montée de l'une des structures de la classe ouvrière les plus puissamment organisées du monde, une bureaucratie conservatrice, liée à l'état sous Péron, s'implanta profondément.

La contradiction entre une base militante et une bureaucratie jouant le rôle d'agent de la classe dirigeante est le caractère central du mouvement ouvrier argentin.

Avec le renversement de Péron en 1955, le gouvernement décida de dissoudre les syndicats. Mais à ce moment‑là, cependant, la CGT avait entraîné 90% des ouvriers organisés dans une structure syndicale unique.

La résistance au gouvernement se concentra dans les « Cuerpos de Delegados » et les « Comisiones Internas ». Le nouveau régime découvrit qu'il était impossible d'écraser cette base puissante du mouvement syndical. Péron, en exil, ordonna à son mouvement de passer au terrorisme. Une vague d'attentats à la bombe et d'autres actions terroristes, sans équivalent dans l'histoire de l'Amérique Latine, balaya le pays. Cependant, elle fut incapable de modifier la voie suivie par le gouvernement, de façon significative. D'un autre côté, les grèves continuelles menées par les comités d'usines produisirent leur effet, obligeant le gouvernement à reculer. Constatant l'impossibilité de réprimer la classe ouvrière au niveau des usines, la classe dirigeante décida de légaliser au sommet l'appareil du mouvement syndical dans l'espoir d'utiliser là bureaucratie comme un moyen de contenir les comités d'usine et de tenir en échec le militantisme général des masses. Une mesure spéciale, la « Ley de Asociaciones Profesionales » fut décrétée, reconnaissant la structure syndicale, mais destinée à placer les syndicats sous le contrôle du gouvernement.

La clé de la politique en Argentine dans la période récente est semblable à celle de la Bolivie jusqu'au coup d'état de Banzer. Le plan destiné à soumettre le mouvement de masse à un contrôle direct grâce aux régimes dictatoriaux échoua; la classe dirigeante fut obligée d'essayer des méthodes plus subtiles.

En 1968, une division dans les rangs de la bourgeoisie aboutit à une tentative de chasser Ongania au moyen d'un coup de force. Cette tentative était soutenue par deux grands partis politiques, les Péronistes et les Radicaux. Mais les ouvriers, marquaient encore le pas, et les bureaucrates du sommet, autour de Vandor, leader central de la CGT, tout en gardant l'étiquette péroniste, faisaient encore de la « participation » avec la dictature Ongania. Les désaccords amenèrent à une scission dans la CGT. Les grands syndicats de l'industrie (textiles, automobiles, construction, viande, éclairage et énergie etc... ) suivirent Vandor. Des syndicats moins puissants suivirent Ongaro, qui forma la « CGT des Argentins ».

Le coup de force projeté ne se réalisa jamais, et les syndicats affiliés à la CGT (A.) commencèrent à rentrer peu à peu au sein de la CGT, jusqu'à ce qu'il ne reste plus à Ongaro que quelques très petits syndicats (imprimerie, industrie pharmaceutique etc... ). Finalement, en 1971, Ongaro lui‑même rentra au sein de la CGT, réunissant une fois encore l'ensemble du mouvement syndical en Argentine.

3 - L'approche de l'orage.[modifier le wikicode]

Avant le « Cordobazo », la lutte de classe monta graduellement, les grèves cependant, finissant l'une après l'autre par des défaites. Par exemple en Septembre 1968, les ouvriers de la plus grande raffinerie de pétrole de la région du Grand Buenos Aires firent grève pendant 50 jours pour‑ lutter contre l'aggravation des conditions de travail, pour perdre finalement.

En Janvier 1969, une autre grève militante à l'importante imprimerie Fabril Financiera dura trois mois, pour être finalement trahie par la bureaucratie.

En février, les ouvriers des automobiles Citroën firent grève par solidarité avec douze ouvriers qui avaient été licenciés de l'usine. C'étaient des dirigeants de la « Comision Interna », l'un d'entre eux, leader prolétarien hautement respecté et membre du Comité Central du « Partido Revolucionario de los Trabajadores » (La Verdad). Parmi les piquets de grèves, il y avait des escouades armées. Dans une échauffourée, l'un des représentants du patronat les plus haïs fut blessé mortellement.

La bureaucratie du syndicat de l'automobile SMATA (Sindicato de Mecanicos y Afines del Transporte Automotor de Automovil) utilisa cet incident pour imposer un arrêt de la grève pendant 20 jours : ceci cassa le moral et la bureaucratie en profita pour consolider son emprise sur l'usine Citroën.

A l'intérieur de l'Argentine, surtout dans le secteur nord, une série de luttes militantes eurent lieu avant le mouvement de mai 1969. Elles furent causées en partie par la mauvaise situation dans l'industrie du sucre et le marasme économique général dans cette région. Les luttes les plus importantes éclatèrent à Villa Ocampo et à Villa Quinteros. Dans cette dernière ville, une manifestation de masse pacifique fut l'objet d'une répression brutale par la police. Les masses réagirent en dressant des barricades dans les rues. Le gouvernement fulmina, en lançant une répression générale de toute la population.

A Cordoba, il y eut une flambée de luttes en série, A la veille des évènements de mai. Le 24 février, les ouvriers de la métallurgie votèrent pour décréter la grève. Quatre jours plus tard, les ouvriers de « Luz y Fuerza » (éclairage et énergie) tinrent des assemblées. Les luttes de cette période étaient accompagnées de temps en temps par des marches. Le mois suivant, tous les ouvriers de la métallurgie, se mirent en grève, et en avril, les enseignants commencèrent à se mobiliser et votèrent un plan de lutte.

4 - Le « Rosariazo » et le « Cordobazo ».[modifier le wikicode]

L'agitation éclata sur le campus de l'université de Corrientos, le 11 mai. La question en cause était une augmentation arbitraire des prix au restaurant étudiant. Le 15 mai, la police tua un étudiant. Le tumulte du campus gagna Rosario le 16 Mai. Deux jours plus tard, la police tua un autre jeune.

Les ouvriers répondirent aux appels des étudiants et mirent sur pied une grève de solidarité. Les bureaucrates CGT, sentant la marée montante, donnèrent leur aval à la grève. Le 21 mai, la police tua un jeune métallurgiste : ceci amena des manifestations de rues et des affrontements avec la police. Des barricades s'élevèrent, et les masses, d'une manière tout à fait spontanée, s'emparèrent d'une zone de vingt pâtés de maisons.

Sous l'impact de ce qui s'était passé à Rosario, Cordoba explosa.

Le mécontentement des masses, en s'accumulant, tendait à un aboutissement de ce genre dans ce puissant centre prolétarien, siège des industries automobiles et aéronautiques de l'Argentine. Le 5 mai, les ouvriers des transports et de la métallurgie se mirent en grève. En signe de solidarité, la CGT de Cordoba vota une grève générale de soutien de 24 heures. Ceci aboutit à un affrontement avec la police le 14 Mai, au cours duquel un ouvrier fut blessé.

C'est alors que les étudiants s'avancèrent. Sensibilisés par les évènements de Corrientes, et enthousiasmés par l'action des ouvriers, ils organisèrent une marche. Celle‑ci fut réprimée. Les étudiants en médecine répondirent à la police en organisant la résistance dans leur propre quartier. Une semaine de lutte fut votée par les étudiants. Face à la tension montante, la police arrêta Tosco, dirigeant du syndicat de l'électricité. Les lycéens commencèrent à se montrer dans les manifestations organisées par les étudiants d'université. Les étudiants de l'université catholique se joignirent à la lutte et les manifestations étudiantes s'étendirent au‑delà de Rosario et de Cordoba jusqu'à Tucuman et d'autres villes.

Négligeant les vœux des bureaucrates de la CGT, les comités d'usines commencèrent par décréter une grève générale. Les étudiants affirmèrent leur soutien complet à cette action.

Les 30 et 31 Mai, une grève générale de 36 heures paralysa Cordoba. Elle passa par trois étapes :

  1. Le taux d'absentéisme dans les principales usines atteignant 98%, les ouvriers marchèrent vers le centre de la ville. La police lança toutes ses forces dans les rues pour une bataille cartes sur table. La bataille balaya une vaste zone, et des milliers d'étudiants et d'ouvriers y participèrent. Le résultat fut une défaite pour la police. Ce fut le point culminant de la semi‑insurrection.
  2. L'armée entra dans la ville à 5 heures de l'après‑midi. La troupe occupa les points stratégiques, puis élargit ses positions. Avançant à pied et tirant vers les toits, les soldats repoussèrent les ouvriers et les étudiants de la manifestation, reprenant les bâtiments qu'ils avaient occupés. Les ouvriers et les étudiants se retirèrent dans leurs « barrios » (les quartiers où ils habitaient).
  3. Pendant la nuit, plusieurs postes de police furent attaqués et incendiés. Des actions semblables continuèrent le jour suivant sur une grande échelle. Des comités ouvriers‑étudiants commencèrent à apparaître. Ils discutèrent de la manière de résister à l'armée et d'organiser et de coordonner le mouvement à partir des « barrios ». De la propagande commença à être adressée à la troupe. Il y eut ce slogan significatif : « Soldats, vous êtes nos frères - Ne tires pas ». . L'armée réussit à étendre son contrôle. Les, soldats armés de fusils, s'emparèrent du quartier général syndical des ouvriers de l'électricité et de la métallurgie. Trois dirigeants syndicaux de premier plan, Agustin Tosco, Ramon Contreras, et Elpidio Torres, furent arrêtés.

La revue de Cordoba, « Jeronimo » estima le total des victimes pendant les deux jours de combat à 6 tués, 51 blessés et 300 arrestations. Quinze à vingt grandes entreprises furent fortement endommagées et environ 60 automobiles furent brûlées.

Le Cordobazo marque le début d'une nouvelle montée de la lutte des classes. Quand le gouvernement décida d'appliquer de dures sentences à ceux qui avaient été arrêtés pendant le Cordobazo, et de serrer son étau sur les syndicats, les masses réagirent par une journée de protestation nationale le 30 juin 1969. Ce même jour, Vandor, dirigeant réactionnaire de la CGT, fut assassiné. L'identité du tueur et la raison de son acte sont encore inconnues.

Le gouvernement essaya d'utiliser cet assassinat comme prétexte pour développer les mesures, répressives contre les ouvriers. La réponse à cette tentative fut une grève générale nationale de 48h à la fin août.

Dans certaines zones, les luttes continuèrent à monter jusque dans le courant de Septembre. Vers la fin de l'année, le gouvernement fit machine arrière, modifiant le cabinet, et relâchant les prisonniers arrêtés pendant le Cordobazo.

Le gouvernement alterna entre des concessions symboliques et des mesures répressives, créant des conditions d'une seconde série d'explosions par la suite.

5 - Défi de gauche à la bureaucratie CGT.[modifier le wikicode]

Les semi‑insurrections de Rosario et de Cordoba modifièrent l'attitude de la gauche vis à vis des travailleurs. Le mouvement étudiant, particulièrement s'orienta vers les travailleurs. Ce changement affecta non seulement les courants réformistes mais aussi l'extrême‑gauche. L'enthousiasme étudiant pour les travailleurs fut particulièrement remarquable à Cordoba. Le « Partido Comunista Revolucionario » ‑, issu d'une scission de gauche du Parti Communiste, et I'« Avant‑garde Communiste Maoïste » acquirent de l'influence dans les syndicats‑clés de Cordoba. Ils jouèrent un rôle important dans le développement de 2 syndicats qui rompirent avec la bureaucratie collaboratrice de classe : SITRAC et SITRAM (syndicats de deux usines d'automobiles, le « Sindicato de los Trabajadores de Concord», et le « Sindicato de los Trabajadores de Matafer ».

Dans la première étape du développement du courant anti-bureaucratique, c’est-à-dire à la fin de 1969 et au début de 1970, la bureaucratie réussit à tenir en échec le défi lancé à sa direction. Cela se fit dans certains cas, en collusion avec les patrons. L’un de ces cas fut la grève de Chocon.

Pendant la construction d'un barrage dans la province de Neuquen, trois dirigeants anti‑bureaucratiques, Olivari, Alac, et Torres, qui avaient été élus au syndicat local des ouvriers du bâtiment, furent licenciés avec la complicité de la bureaucratie. Les ouvriers, au nombre de presque 3000, lancèrent une grève de solidarité. Ils dressèrent des barricades et menacèrent d'employer la dynamite si la police était appelée. Ils résistèrent pendant 20 jours avant d'être obligés de reconnaître leur défaite. Les trois délégués, dont deux étaient membres du Parti Communiste furent arrêtés.

Au cours des élections syndicales, quelques batailles significatives furent lancées contre les bureaucrates. A Avellaneda par exemple, la liste Bleue, combinaison de jeunes militants et d'un ancien groupe oppositionnel du syndicat de la métallurgie, lança un défi, mais ne réussit pas à vaincre.

Dans la capitale, à Buenos Aires, deux listes d'opposition apparurent dans le syndicat de la métallurgie. L'une, la liste Rose, fut soutenue par les fractions PC et PRT (La Verdad)[6], l'autre par les péronistes de gauche. Les deux listes d'opposition subirent des manœuvres bureaucratiques grossières et durent se retirer.

Les travailleurs du commerce de la capitale produisirent une liste d'opposition soutenue par le PRT (La Verdad), elle recueillit 2000 votes contre 4000 à la bureaucratie.

Chez les travailleurs de la banque, une liste d'opposition obtint la majorité du vote, mais avec l'aide de la police, la bureaucratie confisqua l'élection.

Dans l'industrie automobile, une tendance syndicale PRT (La Verdad), ayant des dirigeants dans les usines Peugeot, Citroën, Mercedes Benz et Chrysler, s'allia avec une opposition de base péroniste menée par Perez, qui avait des soutiens chez Ford, Deca et Filtros Fram, et avec un dirigeant appartenant à l'usine Peugeot, et affilié au groupe Posadas. La bureaucratie, craignant une défaite possible, empêcha la liste de se présenter.

Ces exemples suffisent à indiquer la tendance dans la période qui suivit le Cordobazo, c’est-à-dire l'apparition de groupes d'opposition dans les syndicats, qui se rapprochaient d'une ligne « lutte de classes », mais qui étaient encore trop faibles pour infliger des défaites à la bureaucratie.

La tendance favorisait la croissance de ces courants.

La montée de la lutte de classes affecta aussi les groupes de guérilla. A cette période, les plus importants étaient ceux qui adhéraient au péronisme. Ils accrurent leurs activités. Elle affecta aussi le PRT (Combatiente). Ils mirent fin pour le moment à leurs plans de guérilla rurale et tournèrent leur attention vers la guérilla urbaine.

Pendant l'année 1970, le groupe de guérilla le mieux connu était les Montoneros. Ils kidnappèrent et assassinèrent Aramburu, ancien président de l'Argentine. Le I° Juillet 1970, les Montoneros s'emparèrent de la petite ville de Garin, dans la banlieue de Buenos Aires. L'Ejercito Revolucionario del Pueblo (ERP), qui apparut en juillet 1970, sous la direction du PRT (Combatiente), s'avança au premier plan au cours de 1971.

6 - Montée‑d'une opposition militante[modifier le wikicode]

Vers le milieu de 1970, une avance significative avait été réalisée contre la bureaucratie syndicale. Cette tendance s'accrut jusque vers la fin de 1971.

En Août 1970, le syndicat du bâtiment impliqué dans la grève de Chocon tint de nouvelles élections. L'opposition gagna aisément.

A San Lorenzo, près de Rosario, un courant lutte de classes fonda un groupement inter‑syndical qui organisa une grève générale. Entre autres revendications, elle demandait la libération des prisonniers politiques.

A La Plata, juste en dehors de Buenos Aires, un courant oppositionnel commença à prendre de l'importance dans l'usine textile Petroquimica en 1970. La direction de cette usine chercha à licencier quelques uns des activistes de la « Comision Interna » et du « Cuerpo de Delegados » ; cela provoqua immédiatement une grève qui fut victorieuse. En 1971, à la fin d'une période inévitable d'« apaisement », la société licencia 105 ouvriers, y compris les activistes. La réponse à cette mesure fut une grève qui dura 67 jours. Les 1100 ouvriers obtinrent une augmentation de leur salaire de 50%, mais par une décision gouvernementale, 74 ouvriers furent licenciés, y compris les activistes de la Comision Interna et du Cuerpo de Delegados. En moins de huit mois, le courant lutte de classes fut de nouveau capable d'exercer une influence considérable dans ces organismes.

En tant que partie prenante à la direction de la grève de Petroquimica, le PRT (La Verdad) joua un rôle important. Toutes les tendances de l'extrême‑gauche s'unirent pour la défense de cette grève décisive. L'ERP et le FAR, par exemple, donnèrent des fonds.

Industrie automobile :

Dans cette industrie, la tendance lutte de classes commença à faire des progrès considérables à Buenos Aires. A FAE (700 ouvriers), l'opposition, ayant à sa tête le péroniste Perez, fut capable (avec l'aide que le PRT (La Verdad) fut capable de mobiliser, dans d'autres usines d'automobiles) de remporter une grève importante, qui avait été provoquée par les patrons.

L'usine Mercedes Benz, traditionnellement conservatrice (3000 ouvriers) commença à glisser vers la gauche. Chez Chrysler (1500 ouvriers) et Citroën (1100 ouvriers), le courant dirigé par le PRT (La Verdad) gagna considérablement en force.

Au lieu de négocier un contrat pour l'ensemble de l'industrie, la bureaucratie de l'industrie automobile négocia usine par usine. S'opposant à cette tradition, le PRT (La Verdad) essaya de susciter une résistance dans au moins quelques‑unes des usines contre cette politique de coup par coup. Ce fut en bataillant contre les efforts des ouvriers pour réaliser l'unité d'action que les patrons provoquèrent la grève chez Chrysler.

Bien que la grève fut organisée de façon exemplaire, avec un bulletin de grève journalier, des piquets de grève réguliers, et des assemblées de masses pour prendre les décisions, les ouvriers furent incapables de vaincre. Ils résistèrent pendant 15 jours avant de devoir céder. Quelques uns des meilleurs militants de l'usine furent licenciés, y compris un bon nombre d'ouvriers du PRT (La Verdad).

Cette défaite laissa l'opposition dans les usines d'automobiles de Buenos Aires trop faible pour offrir aux SITRAC‑SITRAM un soutien efficace quand ils furent soumis à des attaques par la suite.

Encouragés par les résultats de la grève chez Chrysler, les patrons décidèrent de tenter une tactique semblable chez Citroën ; ils licencièrent les dirigeants du courant lutte de classes. La grève qui en résulta fut de nouveau menée par le PRT (La Verdad). Cette fois, les ouvriers furent capables de résister à l'attaque et d'arrêter l'offensive des patrons dans l'industrie automobile à Buenos Aires.

Les travailleurs des banques :

L'une des plus importantes victoires de la nouvelle avant‑garde ouvrière montante eut lieu chez les travailleurs des banques, secteur traditionnellement très militant, avec 6500 travailleurs au siège de la « Banco de la Nacion Argentina » et 2500 dans ses succursales de la ville et de la banlieue. Après une série de batailles, un courant lutte de classes commença à jouer un rôle de premier plan dans les Comisiones Internas et les Cuerpos de Delegados. La force du PRT (La Verdad) dans ce syndicat est reconnue par la gauche toute entière en Argentine.

Un signe de l'estime dans laquelle sont tenus les camarades du PRT (La Verdad) fut fournie par la réaction, en février 1972, contre la tentative de rosser un dirigeant PRT (La Verdad) à la « Banco de la Nacion ». Les 6000 travailleurs organisèrent une grève de protestation d'une heure.

A Buenos Aires, les travailleurs de la « Banco de la Nacion » jouent un rôle d'avant‑garde depuis la seconde moitié de 1970.

Les travailleurs du téléphone :

A la différence des travailleurs de la banque, qui étaient relativement calmes après avoir subi une amère défaite en 1959, les travailleurs du téléphone, organisés dans la « Federacion de Obreros y Empleados Telefonicos de la Republica Argentina » jouèrent un rôle actif à l'intérieur de l'aile gauche du mouvement péroniste, sous la direction principale de Guillan.

Aux élections de Septembre 1971, différents groupes oppositionnels formèrent une combinaison nommée « Frente Clasista de Renovacion Telefonica » ( « Front Lutte de classes pour la Rénovation du Syndicat du Téléphone » ) qui présenta des candidats sur la liste Rose. La liste Brune, de Guillan, fut victorieuse avec l'appui du Parti Communiste. Une liste de droite obtint 1000 suffrages, la liste Rose seulement 800.

SITRAC‑SITRAM :

De tous les courants lutte de classes qui se développèrent, le plus important fut à Cordoba aux deux usines Fiat représentées par SITRAC‑SITRAM.

Beaucoup de techniciens de ces deux usines sont passés par l'université. En conséquence, la radicalisation qui eut lieu sur le campus se trouve reflétée dans les rangs des syndicats. Deux courants étaient particulièrement forts dans le mouvement étudiant à Cordoba : le PCR et la Vanguardia Comunista maoïste. Leur influence gauchiste et sectaire fit le jeu des péronistes et empêcha SITRAC‑SITRAM de jouer pleinement le rôle d'avant­-garde qui s'offrait à eux à l'échelle nationale. A cause des scissions de 1968 dans ses propres rangs, c’est-à-dire avec les camarades du PRT (Combatiente), le PRT (La Verdad) fut grandement affaibli dans des villes telles que Rosario, Tucuman, et Cordoba. Jusqu'en 1972, il n'eut aucune influence dans aucune des deux usines Fiat.

Comme dans d'autres cas que nous avons cités, le courant lutte de classes à l'intérieur de SITRAC‑SITRAM se développa à travers de difficiles batailles. Parallèlement, la direction chercha à miner et à détruire toute tendance indépendante en licenciant les militants‑clés. La réaction des ouvriers fut également semblable à celles qui eurent lieu ailleurs.

En janvier 1971, quand sept ouvriers furent licenciés A Concord, les ouvriers s'emparèrent de l'usine. L'ERP participa en désarmant les gardes de l'usine. Les ouvriers de Materfer et d'autres usines déclarèrent leur solidarité avec Concord. Le gouvernement menaça d'intervenir par la force. Les ouvriers tinrent bon et la direction capitula.

Cependant, les dirigeants de SITRAC‑SITRAM en luttant contre la CGT de Cordoba, qui était menée par des bureaucrates péronistes assez adroits pour affecter une façade de gauche quand c'était nécessaire, tendaient à suivre une ligne sectaire, et ainsi, ne réussirent pas à polariser autour d'eux des forces suffisantes pour pouvoir prendre la succession comme direction de rechange. Affligée du fléau gauchiste, la tendance lutte de classes de SITRAC‑SITRAM n'offrit pas, en opposition à la bureaucratie CGT, un programme clair qui aurait pu attirer efficacement les ouvriers des autres syndicats de Cordoba.

Au cours des actions de SITRAC‑SITRAM, par exemple, les gauchistes, parmi d'autres appels inaptes, brandirent des slogans stupides tels que « Ni coup de force, ni élections : la Révolution ». Présenté comme la réponse à la manœuvre de Lanusse de projeter des élections, ce slogan gauchiste abstrait et sectaire fut avancé par des groupes étudiants et la section argentine officielle de la IV° Internationale : le PRT (Combatiente).

Quand les bureaucrates CGT de Cordoba, par crainte des syndicats SITRAC‑SITRAM et en réponse à la pression de la base, prirent l'initiative de projeter des luttes de masses, les dirigeants SITRAC‑SITRAM prirent parfois des positions sectaires.

Par exemple, en Mars 1971, la CGT institua une « Comision de Lucha» (Commission de Lutte) et appela à une manifestation massive mais pacifique contre le gouvernement. Au lieu de former un Front Uni avec la CGT, les dirigeants de SITRAC‑SITRAM appelèrent à une manifestation séparée. La réponse à la Commission de Lutte CGT fut massive. La marche organisée par les ouvriers SITRAC‑SITRAM aboutit à un affrontement au cours duquel un ouvrier de 19 ans, Adolfo Cepeda, fut tué. Ce fait secoua la classe ouvrière.

Sous la direction de Tosco, la Commission de Lutte CGT prit l'initiative, s'orientant vers la gauche. Environ 5000 personnes assistèrent à l'enterrement de Cepeda dont le cercueil était enveloppé dans le drapeau de l'ERP. Tosco fut le seul orateur.

Une série d'actions suivirent, faisant exploser ce qu'on désigne maintenant comme le « second Cordobazo ». L'un des aboutissements importants fut de faire progresser l'autorité de la Commission de Lutte CGT et d'affaiblir relativement la position des dirigeants de SITRAC‑SITRAM, étant donné qu'ils continuèrent à refuser de participer aux délibérations et aux décisions de l'organisme CGT.

Après le second Cordobazo, la direction de SITRAC‑SITRAM, se rendant compte qu'elle commençait à s'isoler, modifia son attitude sectaire et se mit à chercher des alliés.

Une tentative fut faite, par exemple, à Buenos Aires, de mettre sur pied une commission, dont le rôle était d'appuyer SITRAC­-SITRAM. En même temps que d'autres groupements, le « Partido Comunista Revolucionario », la « Vanguardia Comunista », le PRT (Combatiente), et le PRT (La Verdad) y participèrent. Cependant, la commission fut paralysée par l'attitude sectaire des gauchistes. L'un de leurs premiers mouvements fut de proposer l'expulsion du Parti Communiste et de Politica Obrera[7] (les lambertistes) de la Commission. Puis ils s'opposèrent à la participation du PRT (La Verdad) en donnant pour raison qu'il était « réformiste » et non pour la « lutte armée ». Malheureusement pour eux la masse de la représentation ouvrière à la commission provenait de l'influence du PRT (La Verdad).

A Cordoba, sous le contrôle direct de la direction SITRAC-­SITRAM, la commission de soutien évolua dans une atmosphère plus démocratique à cause de la pression des ouvriers.

En tant que deux puissants syndicats, au premier plan de la lutte à Cordoba, et occupant une position très influente dans l'avant-­garde argentine, il était naturel que SITRAC‑SITRAM soient choisis comme l'objectif des attaques du gouvernement. Les autorités attendirent leur heure jusqu'à ce qu'elles sentent que les deux syndicats étaient devenus relativement isolés. Le 26 Octobre 1971 le gouvernement intervint et donna l'ordre de dissoudre les deux syndicats. Des centaines de militants ouvriers furent licenciés par la direction. La gendarmerie occupa les usines.

La réaction contre ces mesures fut très limitée, même à l'intérieur des usines. Pour comprendre cela, il est nécessaire d'étudier deux assemblées plénières, réunies par la direction de SITRAC-­SITRAM pour tenter d'établir une tendance nationale lutte de classes.

7 - Les Assemblées plénières de SITRAC‑SITRAM.[modifier le wikicode]

La direction de SITRAC‑SITRAM convoqua une conférence (assemblée générale), pour les 28‑29 Août 1971. L'ordre du jour suivant était proposé :

«

  1. analyse de la situation économique, sociale et politique confrontant le pays.
  2. problèmes du mouvement ouvrier, rejet de l'attitude passive de Jose Rucci et de sa clique syndicale traîtresse de la CGT Azopardo.
  3. Coordination nationale des mouvements de protestation de la classe ouvrière et des secteurs populaires contre les salaires de famine, l'abandon de la nation à l'impérialisme et l'intensification de la politique de répression du gouvernement. »

Toutes les organisations syndicales et les organisations de, base étaient invitées.

Sur la base de cet appel, la Comision Interna de la Banco de la Nacion réunit une assemblée à Buenos Aires pour désigner une délégation devant aller à Cordoba. La police intervint, empêchant toute réunion publique. Néanmoins un certain nombre de délégués et d'activistes des Comisiones Internas se réunirent effectivement et votèrent une déclaration à transmettre à l'assemblée de Cordoba.

La séance s'ouvrit comme prévu, mais quelques délégués n'étaient pas là : 35 avaient été arrêtés, y compris ceux de l'Intersyndicale de San Lorenzo. Il y avait entre 800 et 1000 personnes présentes. La plupart représentaient le mouvement étudiant et les différentes organisations révolutionnaires. On demanda, à ces groupes de partir après avoir désignés deux délégués pour chaque organisation; mais la plupart d'entre eux restèrent.

La présence d'un grand nombre de gauchistes n'appartenant pas directement au mouvement ouvrier eut un certain effet préjudiciable au fonctionnement du Congrès. Il fallut deux heures de discussion pour décider si les délégués de la « Convencion Nacional de Trabajadores » d'Uruguay devaient être inclus dans le présidium d'honneur.

Les forces présentes les plus importantes étaient les syndicats de la pharmacie et de l'imprimerie influencés par Ongaro, la CGT de Corrientes, la Comision Interna de l'usine textile d'Escalada, les cheminots de Tafi Viejo, la délégation de Buenos Aires ayant à sa tête les travailleurs des banques nationales (y compris des représentants de 14 Comisiones Internas) et des dirigeants qui avaient été licenciés de chez Chrysler et Petroquimica. Les dirigeants du Partido Comunista Revolucionario étaient présents, bien qu'ils ne représentent presque pas d'ouvriers. Politica Obrera était là avec quelques ouvriers. Différentes petites formations ouvrières indépendantes de Cordoba, étaient représentées. Il y avait aussi quelques groupuscules comme Milicia Obrera, scission du PRT (Combatiente).

Malgré la confusion les propositions faites par la direction SITRAC‑SITRAM étaient généralement positives. Les amis d'Ongaro menacèrent de sortir si la déclaration de politique générale était mise au vote, et la direction SITRAC‑SITRAM prit la position correcte de se replier sur ce point, laissant la déclaration soumise à une nouvelle discussion par les différents groupements.

La direction SITRAC‑SITRAM proposa qu'un Comité Provisoire de Coordination, composé des représentants des syndicats et des tendances présentes, soit institué pour prendre en main les activités qui suivraient le Congrès. Les gauchistes protestèrent contre l'inclusion des travailleurs des banques nationales de Buenos Aires, étant donné que cela donnerait au PRT (La Verdad) une voix dans la commission. Il en résulta une modification de la proposition, excluant les Comisiones Internas et les Cuerpos de Delegados.

Le Congrès dans l'ensemble révéla l'extrême faiblesse des tendances luttes de classes. Les seules véritables forces syndicales présentes comprenaient SITRAC‑SITRAM, les petits syndicats Ongaro, les travailleurs des banques nationales et d'autres Comisiones Internas de Buenos Aires, ainsi que le groupement Intersyndical de San Lorenzo qui ne parvint jamais jusqu'à la réunion à cause de la police. Beaucoup des orateurs traitèrent de généralités abstraites, et le congrès n'alla jamais au­-delà du premier point de l'ordre du jour.

Une seconde assemblée plénière fut tenue le 22 Septembre. Cette fois il n'y eut que 300 personnes présentes. A certains égards, c'était une amélioration, étant donné que cela donnait un plus grand poids relatif aux ouvriers. La réunion se déroula de façon plus harmonieuse et fit de meilleurs progrès, y compris l’acceptation d'une motion présentée par les travailleurs des banques de Buenos Aires, visant à former une tendance nationale lutte de classes au congrès suivant. Mais l'assemblée ne représentait que des forces limitées, les syndicats Ongaro n'y participaient pas.

Il n'y eut jamais de troisième réunion étant donné que SITRAC­-SITRAM fut dissous par le gouvernement. Malgré les immenses mobilisations, la bureaucratie péroniste gardait encore une emprise de fer sur les organisations de masse centrales, les syndicats. Dans la deuxième moitié de 1971, une accalmie partielle apparut dans la lutte des classes. Le gouvernement profita pleinement de l'isolement de SITRAC‑SITRAM, calculant que les deux syndicats n'étaient plus en mesure de mobiliser une défense efficace contre un effort vigoureux d'écraser la position la plus forte de la tendance nationale lutte de classes à ses débuts.

8 - Larges mobilisations de masse.[modifier le wikicode]

Les mouvements de protestation massifs, contre le gouvernement ne cessèrent pas au cours de 1972. Cependant l'axe des mouvements de protestation se déplaça du prolétariat industriel aux secteurs des « cols blancs » et de la petite bourgeoisie.

D'importantes actions entamées par de nombreux étudiants obtinrent soit la sympathie des masses (Tucuman), soit l'appui direct des masses (Mar del Plata). L'action à Mar del Plata fut particulièrement importante, en tant que modèle de construction d'un front de défense uni contre la répression. La manifestation résultait d'une tentative de la police d'empêcher des témoins oculaires de témoigner devant un juge au sujet d'un meurtre commis par des voyous fascisants liés à la bureaucratie CGT locale.

A la fin de 1971, les gangsters attaquèrent une assemblée d'étudiants, tuant une étudiante, Silvia Filler, et en blessant un autre, Marcos Chueque. La réaction immédiate des étudiants fut une réaction gauchiste. Ils descendirent dans les rues et brisèrent des vitrines.

Six mois plus tard, quand l'assassin passa en jugement, la police, dans l'espoir de discréditer la déposition des principaux témoins, arrêta quatre étudiants qui avaient assisté à un meeting de 1000 personnes protestant contre l'assassinat. Trois d'entre eux étaient membres du PRT (La Verdad), qui à ce moment‑là était devenu le Partido Socialista Argentino.

L'implication du PRT (La Verdad) permit d'orienter la protestation selon une ligne de Front Uni. D'abord un comité de Front Uni fut créé à l'université. Les étudiants manifestèrent contre la police, mais en faisant appel à la classe ouvrière pour qu'elle se joigne aux mouvements de protestation par l'intermédiaire de leurs syndicats. Les étudiants appelèrent à une marche silencieuse le 8 Juin 1972, sous le slogan « Liberté pour les companeros ». Les appuis commencèrent à monter de tous côtés. De nombreux groupements professionnels déclarèrent leur solidarité. Le recteur de l'université et le Conseil d'Administration envoyèrent des télégrammes à Lanusse. Des professeurs, des assistants et des étudiants diplômés votèrent des résolutions.

Différents syndicats commencèrent à faire des déclarations de soutien. Parmi eux, se trouvaient les syndicats de l'électricité, de l'imprimerie, des pétroles, des transports, des moulins et des banques.

Sous l'impact de l'accroissement du soutien des masses et des actions de masse, les bureaucrates CGT, malgré leurs liens avec les coupables du crime, décidèrent une grève générale de solidarité pour le 14 Juin.

De nombreux partis politiques apportèrent leur appui à la campagne, et créèrent un large comité de coordination.

La grève générale fut un véritable succès. Les lycéens vinrent en masse et se joignirent aux jeunes ouvriers pour aller d'usine en usine s'assurer que toute la ville participait.

L'armée fut mobilisée, mais la troupe se trouva dans l'impossibilité d'arrêter les manifestants, qui se divisèrent en groupes de 300 à 1000 qui parcoururent la ville. Les gens sur les trottoirs acclamèrent les manifestants, reflétant la popularité écrasante de l'action anti‑gouvernementale.

Le gouvernement décida de battre en retraite. Tous les prisonniers furent libérés sauf Jorge Sprovieri, membre du Partido Socialista Argentino, qui fut libéré 56 jours plus tard.

En Avril 1972, en réponse à l'augmentation des tarifs de l'électricité, des manifestations éclatèrent à Cordoba, Rosario, San Juan, et Mendoza.

Le sommet fut la mobilisation de masse à Mendoza. Sous la conduite des enseignants et d'autres « cols blancs » avec un certain appui des travailleurs de l'industrie, la ville entière se leva pour protester contre les augmentations des tarifs. Les manifestations durèrent 4 jours. Les forces de répression tuèrent 4 personnes, mais ne purent pas ralentir les manifestations.

Finalement le gouvernement capitula et rabaissa les tarifs à leur niveau précédent dans toute la zone où il avait tenté d'appliquer l'augmentation.

Dans la ville de Général Roca, l'explosion populaire fut d'une importance particulière à cause du fait que c'était le premier soulèvement ayant une direction clairement définie, bien que cette direction fut bourgeoise.

Le « Rocazo » résulta d'un conflit entre la classe dirigeante de la province et le gouvernement fédéral. La classe dirigeante locale mit sur pied ce qui équivalait à un gouvernement provisoire, opposé au gouvernement officiel de Lanusse dans cette zone.

Les efforts faits par les masses pour influencer la troupe furent aussi un aspect significatif du « Rocazo » De nouvelles méthodes de lutte furent utilisées et des formes plus avancées d'organisation apparurent de manière embryonnaire. Un sympathisant du « Partido Socialista Argentino » créa une « Radio Roca Libre » donnant au petit groupe de membres du PSA vivant à cet endroit une occasion de proposer une ligne opposée au gouvernement provisoire bourgeois. Ils appelèrent à former des comités de coordination des quartiers ouvriers, des comités de défense, etc...

La tactique de l'armée dut être d'arrêter un grand nombre de manifestants, de les rosser, puis de les relâcher. Aucun ne fut tué. Au bout d'une semaine d'actions de protestation et de heurts avec les forces d'occupation, l'armée relâcha tous les prisonniers qu'elle avait faits.

Après que le gouvernement eut réussi à dissoudre SITRAC-­SITRAM et qu'un fléchissement relatif eut été ressenti dans le mouvement ouvrier, les groupes de guérillas se détournèrent d'actions telles que les distributions de lait et de viande dans les quartiers pauvres, et eurent davantage recours au terrorisme. Leur activité comprit un certain nombre d'assassinats, parmi lesquels celui d'un ancien chef de la police de Tucuman d'un dirigeant du Parti de la Force Nouvelle à Buenos Aires, d'un simple soldat qui avait refusé de livrer ses armes, du directeur de l'entreprise Fiat italienne, et d'un général de l'armée.

L'ERP et les Montoneros furent les plus actifs pendant cette période. Mais en général, les groupes de guérilla ont décliné, comme le montre le nombre décroissant de leurs actions.

Cela est dû à différents facteurs, parmi lesquels l'efficacité accrue de la répression gouvernementale, et l'intérêt décroissant parmi les couches frustrées de la petite bourgeoisie pour le terrorisme, et les actes de violence clandestine contre la classe dirigeante, devant l'appât, offert par le régime, d'une solution de rechange électorale.

9 - Le test de deux lignes en Argentine.[modifier le wikicode]

Nous avons vu comment le « tournant » adopté au neuvième Congrès Mondial a conduit au désastre en Bolivie. Cependant on peut argumenter que toute autre ligne aurait conduit au même résultat. Dans le cas de l'Argentine la situation est différente. Le PRT (La Verdad) a voté contre le « tournant » alors que le PRT (Combatiente) a voté pour et s'efforce de montrer les résultats qui pouvaient être obtenus par sa mise en pratique. Le PRT (Combatiente) appliqua la ligne fidèlement, comme les camarades Maïtan, Mandel, et les autres camarades de la majorité du S.U. l'ont attesté.

Le PRT (La Verdad), d'autre part, a continué d'appliquer la méthode du programme de transition et peut montrer les résultats de ses activités comme un test positif de l'exactitude de la position de la minorité au 9° Congrès Mondial. L'essence de la politique suivie par le PRT (La Verdad) a été de tenter de construire un parti de type léniniste en pénétrant dans le mouvement de masse, en participant aux mobilisations de masse, et en se présentant comme une direction alternative révolutionnaire dans les organisations de masses existantes. C'est-à-dire qu'il n'a pas essayé de contourner les formations de masses existantes au leur façon d'agir. Il a cherché au contraire à mettre en avant en leur sein des revendications transitoires capables de les aider à avancer au‑delà des formes actuelles de la lutte de classe vers des formes plus hautes, progressant vers la conquête du pouvoir.

La conception du PRT (La Verdad) est que pour diriger les masses, il faut un programme qui prenne en compte leurs besoins les plus profondément ressentis à leur niveau actuel de compréhension. La question de la lutte armée, de la même façon, est à avancer dans une logique transitoire et non comme un schéma auquel les masses ont à s'adapter.

C'est pourquoi l'histoire du PRT (La Verdad) depuis le 9° Congrès Mondial est directement liée à l'histoire des luttes de masses qui ont surgi en Argentine. Le PRT (La Verdad) a cherché en chaque chose qu'il a faite à embrayer sur la situation objective qui était façonnée par la lutte de classe, participant au mouvement de masse afin de le faire progresser selon sa propre logique interne.

Avec le PRT (Combatiente), c'est le contraire qui s'est passé, comme nous l'avons vu. Ils se sont embarqués dans une « guerre prolongée » qui demande la construction d'une « armée révolutionnaire ».

Ils ont sous‑estimé les évènements qui dans la lutte de classes, impliquaient les masses, sauf ceux qui pouvaient être utilisés dans le sens de leur étroit schéma d'appel à la construction d'un appareil armé sous leur propre direction. Ceci était un objectif sectaire qui contrastait avec l'ampleur de l'objectif poursuivi par le PRT (La Verdad), de construction d'une direction politique qui émerge de la lutte de classe actuelle elle‑même.

Dans le but d'avoir une meilleure appréciation de la voie suivie en pratique par le PRT (Combatiente), il est nécessaire de connaître les lignes principales de leur orientation politique. Leur perspective internationale est particulièrement importante ainsi que leur vue de la IV° Internationale.

10 - Appel pour une nouvelle Internationale.[modifier le wikicode]

Le PRT (Combatiente) pense que la IV° Internationale est finie, en tant qu'Internationale révolutionnaire et qu'une nouvelle internationale doit être construite.

Les bases de cette nouvelle Internationale sont, disent‑ils, disponibles en Chine, en Albanie, en Corée du Nord, au Nord Vietnam, à Cuba, et quelques organisations actuelles hors de la IV° Internationale avec au moins une partie de la IV° Internationale.

Après son 5° Congrès (qui s'est tenu en Juillet 70), le CC du PRT (Combatiente) clarifia ses positions sur la IV° Internationale dans un document fait par un de ses membres, et intitulé « Minuta sobre Internacional » (Mémorandum sur l'Internationale). Il fut rendu public avec les autres décisions du 5° Congrès du PRT (Combatiente) :

« Il est nécessaire de réaffirmer, de façon qu'il ne puisse y avoir ni erreur ou exagérations, ni fausses illusions, le point de vue réaliste que j'ai maintenu au Congrès, à savoir que nous ne croyons pas à la possibilité pour la 4° Internationale d'être transformée en un parti révolutionnaire international, dont nous affirmons la nécessité. Nous croyons que c'est maintenant historiquement impossible et que le rôle de l'Internationale, en faisant l'hypothèse favorable qu'elle se convertisse en une organisation révolutionnaire prolétarienne, doit être de chercher à construire une nouvelle Internationale révolutionnaire sur le modèle de la 3° Internationale, léniniste et sur la base des partis vietnamiens, chinois, cubain, coréen et albanais. »

(Documents du 5° Congrès du Comité Central et du Comité Exécutif)

Ainsi, le PRT (Combatiente) a indiqué publiquement qu'il se bat pour des changements fondamentaux dans le programme de la IV° Internationale. D'abord ils veulent convertir l'Internationale en une organisation « révolutionnaire » ; c’est-à-dire une organisation qui soit d'accord avec et mette en pratique leur orientation de « guerre prolongée » et de construction « d'armées révolutionnaires » sur tous les continents. Ensuite, ils insistent pour que l'Internationale abandonne sa position d'appel à une révolution politique en Chine et dans les autres États ouvriers déformés, et à la place soutienne politiquement les régimes et partis staliniens, en les poussant seulement à construire une « nouvelle internationale révolutionnaire » ouverte à certains autres groupements.

« Nous ratifions notre adhésion au projet de prolétarisation de l'Internationale, de transformation de celle‑ci en une organisation révolutionnaire, et de nous battre pour l'orienter vers la formation d'une nouvelle Internationale révolutionnaire basée sur les partis chinois, cubain, coréen, vietnamien et albanais, et les organisations sœurs qui se battent de façon révolutionnaire contre le capitalisme et l'impérialisme dans chaque pays. »

(Op. Cit., p. 42.)

Les dirigeants du PRT (Combatiente) ont exprimé les mêmes vues, quoique moins explicitement, à la veille du IX° Congrès Mondial. Dans leur brochure programmatique, « La seule voie vers le pouvoir des travailleurs et le socialisme », écrite en 68, ils invitaient la IV° Internationale à adopter la stratégie mondiale et les tactiques castristes.

« Dans le cadre de la IV° Internationale nous avons d'importantes contributions à apporter, mais pour ce faire, nous devons définir notre propre stratégie pour l'étape actuelle de la révolution mondiale.

Nous croyons que notre parti devrait se prononcer clairement, en faveur de la stratégie mondiale formulée par le castrisme.

D'abord nous sommes pour annoncer notre accord avec la stratégie et la tactique castriste pour la révolution mondiale et continentale pour les raisons suivantes : a) Nous les considérons comme essentiellement correctes... »

(International Information Bulletin, N° 4, 1972, p.18.)

Ils ont aussi clarifié leur jugement sur les différents courants castrisme, maoïsme, trotskysme, à l'échelle mondiale. De leur point de vue, le trotskysme et le maoïsme sont tous deux des continuations du léninisme ; le trotskysme sur le plan de la théorie, le maoïsme sur le plan de l'action. Ainsi la tâche centrale, aujourd'hui, telle qu'ils la voient, est d'atteindre une unité supérieure, qui représente pour eux un retour au léninisme. C'est affirment‑ils, la signification essentielle du développement du castrisme.

« Aujourd'hui, la tâche théorique des marxistes révolutionnaires est de fondre les contributions principales du trotskysme et du maoïsme en une unité supérieure, capable d'être un retour réel au léninisme.

Le développement de la révolution mondiale conduit inévitablement à ce but, comme c'est indiqué par les avances unilatérales du maoïsme vers l'assimilation du trostkysme (la rupture avec la bureaucratie soviétique, la révolution culturelle) ; la tendance du trotskysme à l'incorporation des contributions maoïstes (la théorie de la guerre révolutionnaire) et, par dessus tout, l'effort de la direction cubaine pour achever cette unité supérieure »

(Op. Cit., p.8)

Dans ses exposés publics et dans ses publications, le PRT (Combatiente) expose ce point de vue. Il refuse publiquement de se définir comme trotskyste.

Par exemple quand il fut demandé dans une interview publiée dans le numéro du 29 Août 19‑72 du Punto Final, un magazine largement lu en Amérique Latine, si le PRT (Combatiente) était une organisation trotskyste, les camarades Santucho[8] et Gorriaran, qui sont les dirigeants principaux de la section argentine officielle de la IV° Internationale répondirent :

« Le parti qui dirige l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP), le Parti Révolutionnaire des Travailleurs (PRT Combatiente), se définît idéologiquement lui‑même« comme marxiste‑léniniste et accueille les contributions de divers révolutionnaires d'autres pays, y compris celle de notre principal commandant, Che Guevara, Il accueille aussi les contributions que Trotski, Kim Il Sum, Mao Tsé Toung et le général Giap ont apportés à la révolution. Nous croyons qu'il est inadéquat et non approprié de définir idéologiquement cette organisation comme, trotskyste. Nous pensons certainement que Trotski était un révolutionnaire et la plupart de nos membres ont lu ses contributions à la révolution, en particulier ses contributions à une critique de la bureaucratie et sur la révolution permanente.

(Intercontinental Press, 27 novembre 72, p. 1317. « La lutte armée est la seule voie pour libérer l'Argentine »)

Sur tous les évènements internationaux majeurs, le PRT (Combatiente) publie sa propre ligne même quand elle est diamétralement opposée à celle du mouvement trotskyste mondial. Ainsi, ils ont soutenu publiquement la conférence au sommet Nixon‑Mao Tsé Toung comme une victoire de la révolution mondiale. (Voir l'article « Una Victoria Revolucionaria » dans El Combatiente, n° 5.9, 9 Août, 71).

D'autre part, ils n'ont jamais publié une prise de position ou une résolution de la IV° Internationale. Récemment ils ont même changé de position sur l'invasion de la Tchécoslovaquie. A l'origine, ils avaient accepté la position de la IV° Internationale condamnant l'invasion. A présent ils soutiennent l'invasion se plaçant ainsi sur la position du Parti Communiste Cubain.

Le PRT (Combatiente) est opposé à la construction de partis trotskystes dans les pays où on peut trouver des groupes qui correspondent à leur critère de construction d'une « nouvelle Internationale Révolutionnaire » composée de maoïstes, castristes, et de ceux des trotskystes qui approuvent le « tournant » opéré au 9° Congrès Mondial. Ainsi ils s'opposent à la construction d'un groupe trotskyste au Chili où le Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR) occupe déjà le terrain. Même chose pour l'Uruguay où opèrent les Tupamaros. Et bien sûr cela va de même pour la Chine où ils considèrent que le Parti Communiste Chinois est une authentique organisation marxiste‑léniniste. Un groupement ne sera certainement pas inclu dans la « Nouvelle Internationale Révolutionnaire », le PRT (La Verdad). En fait, les camarades du PRT (Combatiente) font pression pour l'expulsion du PRT (La Verdad) des rangs de la IV° Internationale.

D'autres aussi pourraient être compris dans une éviction sommaire si les vues du PRT (Combatiente) sur la composition de la IV° Internationale venaient à prévaloir. L'interview des camarades Santucho et Gorriaran dans « Punto Final » incluait l'affirmation calomnieuse suivante, adoptée en 1970 au 5° Congrès de l'organisation :

« Le mouvement trotskyste, on doit l'expliquer, comprend des secteurs hétérogènes : depuis des aventuriers contre‑révolutionnaires qui se servent de sa bannière en le prostituant en même temps, jusqu'à des révolutionnaires conséquents. »,

Justement qui sont, les « aventuriers contre-révolutionnaires » dans le mouvement trotskyste ? Ils demeurent non‑identifiés dans cette monstrueuse assertion empruntée à l'école stalinienne.

Il est clair comme du cristal que le PRT (Combatiente) n'est pas trotskyste. En lançant leur appel à la constitution d'une nouvelle internationale révolutionnaire, les dirigeants du PRT (Combatiente) n'ont pas attendu de discuter la question à l'intérieur de la IV° Internationale. Ils l'ont envoyé au monde, s'assu­rant en particulier qu'il arriverait à l'attention des cubains. C'est incompréhensible jusqu'à ce qu'ils s'avouent publiquement castristes.

De leur point de vue, on peut voir pour quoi ils furent exaltés par le « tournant » fait par le 9° Congrès Mondial sur l'Amérique Latine. Comme castristes, ils l'ont vu comme un pas qualitatif dans leur direction. Par là même ils montrèrent combien la minorité était correcte au 9° Congrès Mondial en jugeant la résolution sur l'Amérique Latine comme une adaptation au castrisme.

En Argentine, donc, nous avons deux groupes rattachés à la IV° Internationale. Un, le PRT (Combatiente) est une organisation qui avoue publiquement être castriste. Elle soutient le parti majoritaire d'orientation vers une guérilla pour une période prolongée à l'échelle continentale. L'autre organisation, le PRT (La Verdad) est opposée à la ligne castriste. Dédiée à la stratégie de construction d'un parti léniniste de combat, elle soutient la position minoritaire au neuvième Congrès Mondial.

Contrairement au PRT (Combatiente), le PRT (La Verdad) considère la croissance du trotskysme comme une nécessité absolue pour le triomphe de la révolution mondiale. Il se considère comme un contingent dans la lutte internationale conduite par le mouvement trotskyste contre les bureaucraties des États Ouvriers déformés ou dégénérés et les partis staliniens, qui prônent la coexistence pacifique avec l'impérialisme et la collaboration de classe avec la bourgeoisie indigène. C'est pourquoi dans tous les pays où l'État est contrôlé par le parti que le PRT (Combatiente) aimerait inclure dans une « nouvelle Internationale Révolutionnaire », le PRT (La Verdad) est favorable à une révolution politique, à l'exception de Cuba pour laquelle la position du PRT (La Verdad) est la même que celle du reste de la IV° Internationale.

Le PRT (La Verdad) s'est toujours défini lui‑même comme un parti trotskyste et comme faisant partie de la IV° Internationale. Il suit la méthode esquissée dans le Programme de Transition en cherchant à conquérir la direction des masses argentines.

Cette différence entre le PRT (Combatiente) et le PRT (La Verdad) sur la question‑clé de l'attitude à l'égard de la IV° Internationale est bien sûr reflétée dans leur attitude sur la scène nationale. Cela devient même plus clair si nous examinons l'activité des deux groupes en Argentine.

11 - Deux vues du « Cordobazo ».[modifier le wikicode]

Toutes les organisations en Argentine qui se considèrent comme socialistes estiment que le Cordobazo a marqué un tournant dans l'histoire du pays. De l'opinion du PRT (La Verdad), le Cordobazo a ouvert une période pré‑révolutionnaire. Le PRT (Combatiente) avait le point de vue que l'Argentine était entrée dans une période pré‑révolutionnaire avant même le Cordobazo et même quand la classe ouvrière était encore en retrait ou marquait un temps. Ce jugement correspondait à la position prise par !à majorité au 9° Congrès Mondial, à savoir que le continent tout entier était entré dans une période pré­révolutionnaire, et était au bord de la guerre civile à l'échelle continentale. Le PRT (Combatiente) était d'accord, naturellement, que cela était vrai pour l'Argentine aussi bien que n'importe où ailleurs, sinon davantage. Ainsi, pour le PRT (Combatiente) le Cordobazo marquait la fin de la période prérévolutionnaire et le début de la « guerre civile ».

Et c'est ainsi qu'ils évaluèrent la situation à leur 5° Congrès où ils mirent les choses à jour :

« Le 4° Congrès (1968) souligna que l'Argentine dans son ensemble était dans une situation pré‑révolutionnaire ; les faits l'ont confirmé jour après jour ; et aujourd'hui, nous en avons un témoignage encore plus concret, la guerre civile révolutionnaire a commencé. »

(Documents du 5° Congrès, p. 27. « Resoluciones sobre dinamica y relaciones de nuestra querra revolucionaria » )

Voyons maintenant comment les deux organisations ont répondu à la mobilisation des masses.

Dans le numéro du 21 Juillet 69 de La Verdad, publié au moment du 9° Congrès Mondial et un mois avant le premier Cordobazo, le PRT (La Verdad) affirmait que « les mobilisations à Villa Quinteros et Villa Campo, et celles des étudiants de Tucuman et de Rosario, montraient clairement que le mouvement dans le Nord est en train de s'étendre sur une échelle nationale. Les actions dans les trois endroits, ont montré quelques-unes des méthodes nécessaires pour affronter le régime : manifestations de masse, occupations de services et de bâtiments d'école, résistance aux forces de répression. Il est nécessaire d'étendre et de coordonner des actions. »

Le PRT (Combatiente) a tiré les conclusions opposées. Au lieu de voir la nécessité de projeter des actions de masse dans les rues comme un pas nécessaire pour l'éducation et l'organisation des masses dans le combat contre la répression, ils projetèrent des actions clandestines par de petits groupes d'avant‑garde, ajournant les actions de masses pour le jour où une forme militaire suffisamment large pouvait être assemblée pour battre les formes de répression militairement. Cela signifie en pratique, ne pas chercher à mobiliser les masses nulle part, à aucun moment.

Juste avant le Cordobazo, le PRT (Combatiente) écrivit dans son journal (21 Mai 69) :

« L'organisation répressive du régime et la conscience de l'avant-­garde des ouvriers révolutionnaires qui apprennent que c'est un suicide d'affronter la police les mains nues, ont eu pour résultat que le gouvernement apparemment a remporté une victoire, d'autant plus qu'il n'y a eu seulement que quelques petites grèves courtes et quelques actions autorisées entreprises dans le pays... Et ainsi nous avons vu ce jour de Mai, les débuts de l'application de la violence sous une forme clandestine, frappant même faiblement des sociétés impérialistes, des institutions, le gouvernement...

Des meetings publics et des concentrations massives pourront être engagés là où nous avons des forces militaires capables de résister aux forces répressives du régime. Dans l'intervalle, nous devons nous renforcer à travers des milliers d'escarmouches et d'actions clandestines qui les affaibliront. Un terrain favorable, l'usage de la surprise seront les meilleurs alliés de l'avant‑garde consciente, s'ancrant de plus en plus dans le peuple travailleur, surmontant la répression de la dictature militaire, aux ordres des monopoles étrangers. »

Notant le début d'actions de masses dans les rues, le PRT (La Verdad) attira l'attention sur le besoin de les élargir et de les étendre à l'échelle nationale. Le PRT (Combatiente) au contraire, avertit que c'était un suicide d'affronter les forces de répression avant d'avoir construit un appareil militaire suffisamment fort pour agir contre elles. Jusque là, le PRT (Combatiente) conseille que l'avant‑garde doit se consacrer à une violence de harcèlement.

Ce qui ressort de la façon la plus saillante de la ligne du PRT (Combatiente) est la complète absence d'un programme pratique pour entraîner les masses et les aider à avancer vers des formes de lutte supérieures. Les masses doivent attendre, bras croisés, en endurant patiemment les coups qu'elles subissent, jusqu'à ce que le problème militaire soit résolu à travers la lente accumulation de guérilleros. La conception est de caractère gradualiste.

12 - Deux points de vue sur la grève générale[modifier le wikicode]

Les différences entre le PRT (La Verdad) et le PRT (Combatiente) reflétées dans les citations ci‑dessus peuvent être retracées à travers leur implication (ou leur absence d'implication) dans la lutte de classe. On peut s'y attendre car les deux organisations ont suivi deux méthodes différentes. Le PRT (La Verdad) est parti du fait que la lutte de classes actuelle vivante indique elle‑même les formes que prendra la révolution. En conséquence à chaque pas dans cette lutte, il cherche à trouver et à mettre en avant des mots d'ordre qui aideront les masses à avancer dans leur compréhension politique, qui aideront à construire le parti jusqu'à ce qu'il devienne un parti révolutionnaire de masse capable d'apparaître comme une direction, alternative réaliste pour la classe dans son entier.

Le PRT (Combatiente), d'autre part, a décidé à priori, sur la base de la ligne adoptée par la majorité au 9° Congrès Mondial que la forme que prendrait la révolution en Argentine serait une tactique de guérilla rurale, dans le cadre d'une guerre civile prolongée à l'échelle continentale. Avec ce schéma fixé de façon inaltérable, exception faite de la modulation sur la guérilla urbaine, lés dirigeants du PRT (Combatiente) essayèrent d'adapter le mouvement de masse qui se développait au modèle a priori. Pour eux, les évènements actuels leur donnent tout simplement une arène pour ce qui est conçu comme le réel travail révolutionnaire, c’est-à-dire la préparation à la guérilla et la construction d'une armée séparée et à côté des organisations de masse de la classe ouvrière.

Les évènements actuels, qui ont commencé avec le Cordobazo et de nouveau en diverses occasions, montrent que l'arme la plus puissante dont le prolétariat dispose pour avancer ses revendications immédiates et se préparer à des phases supérieures de la lutte contre les capitalistes, et qui inclut la question de la conquête du pouvoir, est la grève générale élevée à un niveau politique. La tendance de telles grèves à apparaître, même à un niveau provincial ou d'une ville et à tendre à l'insurrection, aurait dû alerter tout marxiste qui ne soit pas happé dans un quelque schéma ultra‑gauchiste, que c'était la voie par laquelle les masses se préparaient à la conquête du pouvoir en Argentine.

Ainsi, à. chaque pas des luttes qui se développaient, le PRT (La Verdad) a avancé des mots d'ordre visant à affaiblir la bureaucratie syndicale, à faire avancer les actions des massés, et à enfoncer les racines du parti plus profondément dans les organisations de masses.

Par exemple, quand une grève générale de 36 heures fut déclarée par la CGT, les 12 et 13 Novembre 70, le PRT (La Verdad) avança dans le mouvement ouvrier les revendications suivantes que le parti chercha à populariser de la façon la plus large possible :

« En avant avec la grève de 36 heures ! Que cela nous aide à nous préparer à une grève illimitée pour :

• une augmentation immédiate de 26.000 pesos, y compris pour les travailleurs et employés du gouvernement.

• fin immédiate de l'état de siège et abrogation de toutes les lois répressives, y compris la monstrueuse peine de mort.

• reconnaissance de tous les partis appartenant à la classe ouvrière et des personnalités, y compris le général Péron.

Cette grève de 36 heures doit être utilisée pour préparer l'affrontement décisif, qui ne se terminera pas avec l'obtention de miettes. Nous devons comprendre que cette lutte n'est pas contre l'équipe économique du gouvernement mais contre la totalité de ce gouvernement misérable et sinistre qui sert les patrons.

La meilleure voie pour garantir le succès de la grève est d'organiser des assemblées générales d'usine à travers le pays. Dans tous les lieux de travail, les assemblées doivent être établies, avec le droit de voter et d'organiser par zone, se servant des grandes entreprises comme base, et mettant en place des piquets d'activistes, qui garantiront le succès de la lutte. »

(Déclaration publiée dans La Verdad, numéro 243, Novembre 70)

C'était dans un but de faire prendre conscience du rôle de la bureaucratie que le PRT (La Verdad) avança la demande que la grève générale soit organisée par les comités d'usine existants et à travers les assemblées. Les mots d'ordre, issus des luttes actuelles, frappèrent une corde sensible. Il en résultat que dans quelques usines les propositions du PRT (La Verdad) furent adoptées et que l'influence du parti grandit dans les entreprises.

Le PRT (Combatiente), au contraire, avança son schéma de « guerre révolutionnaire ». Juste quelques mois avant la grève générale de 70, il annonça l'existence d'une « armée », l'ERP. Le PRT (Combatiente) reconnut la puissance de la grève générale quand elle se développa, mais il ne proposa aucun programme pour la grève, aucune ligne d'approche pour les travailleurs, aucune forme organisationnelle pour développer la grève. A la place, en relatant la grève générale dans Combatiente N° 50 (Décembre 70), le rédacteur sermonnait les travailleurs d'avant-­garde sur la nécessité d'élever leur conscience au niveau de la guerre de guérilla.

«… Pour eux, il est nécessaire de développer une conscience révolutionnaire qui prenne clairement la prise du pouvoir comme l'objectif ‑ la tactique et la stratégie de notre révolution : un gouvernement populaire et des travailleurs révolutionnaires, qui se formera à travers une guerre révolutionnaire prolongée de masse, une guerre civile à l'origine et probablement nationale à un stade ultérieur devant l'intervention de l'impérialisme. »

Pas un mot n'est dit d'une façon ou d'une autre concernant un mouvement en avant vers de nouvelles grèves comme résultat de cette colossale grève générale. Le PRT (Combatiente) n'envisagea purement la grève générale que comme offrant une aventure plus favorable pour ses actions « révolutionnaires ». Ceci étant reflété dans un rapport, dans le même numéro de El Combatiente, concernant une session du Comité Central qui eut lieu en Octobre 70, après les énormes grèves du 9 et 22 Octobre, quand la grève générale de Novembre avait été déjà appelée. Le CC ne proposa pas une ligne destinée aux masses ni ne proposa d'y participer. Ils avaient autre chose en tête.

« Nous devons être en état d'alerte et organiser nos faibles forces pour agir efficacement et méthodiquement dans l'éventualité de mobilisations de masse. Il est clair que si elles apparaissent, toutes les possibilités seront du côté des forces révolutionnaires. »

Pas un mot de la grève générale prévue, pas un traître mot.

13 - La lutte de classes au jour le jour.[modifier le wikicode]

La lutte de classe apparaît sous des formes concrètes. Par exemple, à la fin de 70, et au début de 71, les grandes entreprises devaient négocier de nouveaux contrats. Traditionnellement cela se passe tous les deux ans en Argentine ; mais le régime Ongania avait suspendu les négociations pour 4 ans ; imposant ses propres termes du combat pendant cette période. Dans le contexte de la radicalisation qui se développait, il était doublement nécessaire d'avancer les mots d'ordre corrects pour cette période et de se battre dans les entreprises sur les nouveaux termes des contrats. L'importance de ceci fut soulignée par la grève qui se développa dans l'industrie automobile.

Bien que nous puissions citer longuement les propositions avancées par le PRT (La Verdad) dans les usines, une brève citation servira à indiquer leur nature :

« Une augmentation de salaires d'au moins 40 % et de 20.000 pesos au minimum ; personne ne doit signer à moins ; pour une échelle mobile des salaires ; pour un nombre d'heures garanti ; que la CGT dresse un plan de lutte sur ce point, pour qu'il soit voté dans les assemblées générales de délégués, de militants et en assemblées par entreprise ou unions locales ».

La Verdad, 9 Mars 71.

Un exemple d'une forme concrète différente de lutte fut donné par le second Cordobazo et ses suites. Le PRT (La Verdad) avança le mot d'ordre d'une « grève de 24 heures à l'échelle nationale » et il ajoutait à ses plans de lutte les mots d'ordre : « Libérez les prisonniers politiques », « contre les attaques contre les syndicats de Cordoba ».

Le PRT (Combatiente) agit en accord avec une conception complètement différente de comment le parti grandirait, comment la conscience des masses se développerait, et comment la lutte pour le pouvoir évoluerait. Il publia ces conceptions dans une interview qui parut dans le numéro de Janvier ‑ Février 71, de Cristianismo y Revolucion.

A la question « est‑ce que le PRT renonce alors à l'action légale et se concentre sur les activités militaires ? », les dirigeants du PRT (Combatiente) répondirent comment ils comptaient gagner les masses :

« Le principe stratégique qui nous guide est d'étendre la guerre, qui à notre avis a déjà commencé. Nous voulons éclaircir complètement un point qui est que nous n'essayons pas de gagner cette guerre en ce moment, mais de l'étendre par notre rôle de détachement armé de l'avant‑garde (car nous ne proclamons pas être l'avant‑garde, qui dans notre pays n'existe pas comme organisation constituée). Nous faisons avancer cette extension de la guerre civile du peuple par des actions politiques et des actions militaires. Ceci explique beaucoup de nos actions « non spectaculaires » et même « mesquines ». Evidemment, il est facile pour un commando révolutionnaire de prendre un camion chargé de bouteilles de lait ou de viande et de le distribuer dans les taudis. Cependant, nous n'essayons pas de résoudre le problème de la faim dans ces taudis, mais de démontrer aux masses que cette action et beaucoup d'autres semblables sont faisables avec peu d'armes et peu de participants. Quand ces idées prennent dans le peuple, la guerre des masses est invincible. De même, pour des raisons analogues, nous signons nos actions, celles qui tournent bien et celles qui tournent mal, parce qu'il est nécessaire de montrer que la lutte armée n'est pas la tâche de quelques uns, d'une « élite hyper‑qualifiée », mais que c'est une tâche du peuple et que des défaites et des erreurs peuvent arriver ».

(Intercontinental Press. 28 Juin 71. page 615. souligné dans l'original )

Le contraste peut difficilement être plus grand. Autour d'eux surgissent les luttes de masses. Une amère bataille se développe, pour la direction des masses. Dans les syndicats, les vrais révolutionnaires sont investis dans des escarmouches quotidiennes avec les bureaucrates. Mais le PRT (Combatiente) ne participe à rien de ça. Il a découvert le vrai secret pour atteindre les masses, il démontre par des petites actions exemplaires combien il est facile de pratiquer la guérilla. Il libère (péniblement) et distribue des bouteilles de lait, des saucisses et des steaks pour « montrer » aux masses comment elles, aussi, peuvent suivre le « tournant » inauguré par le 9° Congrès Mondial. Naturellement, c'est fait modes­tement, avec la possibilité d'erreurs occasionnelles inévi­tables dans les captures ou les délivrances.

Dans la totalité de l'interview de Cristianismo y Revolucion, le PRT (Combatiente) ne mentionne pas une fois la CGT ou une lutte syndicale. A la place, ils répètent quelques phrases standards qu'on retrouve toujours dans leurs exposés et résolutions se référant au « travail dans les entreprises, les magasins, les taudis, les universités, luttant pour défendre les intérêts spécifiques et avancer une ligne politique qui tienne compte du niveau des masses ... » (Ibid. p. 615 ).

Mais le PRT (Combatiente) ne nous informe jamais quelle est concrètement la ligne politique qui dans les usines, les magasins, les taudis, et les universités, prend en compte le niveau des masses. Pas un seul exemple concret n'est donné d'une orientation prolétarienne dans leur travail de masse. Ils parlent en détail de leurs actions armées, des relations entre leur armée et le parti. Ils se réfèrent même à l'élévation de leur propre niveau de conscience par la lecture des œuvres de Mao et les contributions de Carlos Marighela et des Tupamaros. Cependant, à l'égard de la lutte des classes en Argentine, ils n'ont presque rien à dire.

Dans les documents du 5° Congrès les actions de guérilla futures sont discutées jusqu'au point subtil de savoir combien d'hommes le gouvernement argentin aura à déployer contre chaque unité de guérilla rurale. Le document n'inclut rien, absolument rien, ‑ ni faits, ni analyse ‑ de la lutte de classe concrète qui se déroule en Argentine.

Sur les 56 pages de leur rapport sur les décisions du 5° Congrès ils laissent moins de 3 pages (p. 31, 32, 33, ) au mouvement de masse. Le chapitre intitulé « Résolution sur le travail dans les syndicats et les mouvements de masses » ne mentionne pas une seule fois la CGT. Il ne mentionne non plus aucune grève, aucune tendance, ou aucun syndicat !

A la place, ils répètent simplement des généralités standards utilisées par le PRT (Combatiente) sur les luttes pour toutes les revendications syndicales, pour la direction des organisations de masse, pour pénétrer dans les masses, etc.

14 - Quelques statistiques révélatrices.[modifier le wikicode]

L'échec du 5° Congrès à faire plus que mentionner les évènements prenant place dans la lutte de classe, et encore moins à offrir une ligne politique pour une intervention active dans ces événements, n'est pas exceptionnel pour le PRT (Combatiente).

Dans les 50 numéros de El Combatiente qui ont été publiés en 71 (nous n'avons pas été capables d'obtenir deux des numéros, les 52 et 54), très peu d'articles parlent du mouvement ouvrier en Argentine. El Combatiente n'est pas concerné par l'analyse de luttes spécifiques. Quelques évènements trouvent un reflet dans les pages de El Combatiente, mais seulement légèrement. Le numéro de janvier, comportant un reportage sur les travailleurs de Fiat à Cordoba. Le numéro de Septembre commentait la conférence de la SITRAC‑SITRAM de Cordoba. Le numéro de Décembre jouait le rôle de critique de la tendance lutte de classe telle qu'elle était apparue aux conférences de la SITRAC-­SITRAM.

Une ligne d'intervention dans les luttes de classe est remarquable par son absence. Des compte‑rendus ou des commentaires sur les grèves qui balayent le pays d'un bout à l'autre ne semblent pas atteindre les rédacteurs.

L'organe de l'ERP « Estrella Roja » (Etoile Rouge) est alimenté en détail sur la « lutte armée » qui se déroule, telle que la distribution de lait et de saucisses. Sans aucun doute, cette intéressante variante recueille une mince audience. Mais elle a peu en commun avec la lutte de classes en Argentine.

Si nous parcourons « La Verdad » pour la même période de 1971, alors qu'elle aussi était publiée clandestinement, une image totalement différente des événements d'Argentine émerge. Au cours de cette année, pas moins de 250 articles traitent de luttes de classe concrètes. Le développement de divers courants syndicalistes est présenté, des rapports sont faits sur des actions spécifiques, des suggestions d'orientations sont soigneusement délimitées.

Les articles de « La Verdad » ne sont pas que des commentaires. Ils reflètent la réelle participation du PRT (La Verdad) dans la lutte des classes.

En dépit de ses effectifs limités, le PRT (La Verdad) est intervenu dans presque chaque conflit de classe majeur. Des membres ont été actifs dans toutes sortes de grèves ‑ y compris à Chrysler, Petroquimica ‑ parmi les travailleurs du téléphone et de la banque nationale. Il était présent et partie prenante du mouvement de masse lors des conférences de la SITRAM, SITRAC, dans les mobilisations étudiantes à Tucuman, la Plata, dans les mobilisations de masse à Mar del Plata. Il était au premier plan dans l'organisation des efforts de front unique contre la répression et dans la présentation d'une lutte de classes alternative au coeur même de la bataille lors du soulèvement à la Général Roca.

A chaque tournant, il s'efforce de présenter les revendications adéquates, transitoires, démocratiques ou immédiates, correspondant aux besoins et à la conscience des travailleurs. Il s'efforce d'utiliser la tactique du front unique pour mettre les masses en mouvement sur des bases de principes. Il met en avant des mots d'ordre visant à aider les travailleurs à gagner une plus claire compréhension des tâches politiques et de la nécessité d'organiser des unités de défense comme pas vers la lutte armée sur une échelle de masse.

En réponse à la manœuvre du gouvernement de Lanusse de faire dévier les masses par des élections parlementaires, ce fut le PRT (La Verdad) qui présenta une alternative de classe au travers du pôle socialiste et ouvrier. Il a toujours cherché à mobiliser et à organiser les masses et à construire le parti au travers de la méthode incorporée dans le programme de transition. C'est cette réalité politique qui se reflète dans les statistiques de ses articles dans « La Verdad ».

Les camarades du PRT (Combatiente) placent l'accent de façon totalement différente quant à ce qui devrait être fait en Argentine. Ils sont, bien sûr, soutenus en cela par les dirigeants de la majorité du SU. Le camarade Livio Maitan a mis cela en lumière dans son article du 26 avril 1971, pour « Intercontinental Press », « Crise révolutionnaire et lutte révolutionnaire en Argentine » :

« Les organisations qui se consacrent à la lutte armée ont gagné une influence considérable et organisé des actions spectaculaires », écrit‑il, « les leçons de Mai 1969 et les récentes répressions ont rendu clair aux yeux de milliers et dizaines de milliers de travailleurs, le fait que la lutte de classes en Argentine a maintenant atteint le niveau de la confrontation armée et que la dictature militaire ne peut être combattue que par la violence révolutionnaire ».

p. 388

Le camarade Maitan précise ce qu'il entend par « violence révolutionnaire » comme seul moyen de combattre la dictature militaire :

« Ces actions qui se sont rapidement succédées depuis le début de l'année, particulièrement en février et dans la première moitié de mars, et qui ont fait forte impression sur la presse quotidienne et hebdomadaire bourgeoise, peuvent être ainsi classées :

a) actions visant à acquérir des fonds par des expropriations selon la vieille tradition bolchevique (la saisie la plus spectaculaire fut celle de Cordoba qui, selon la presse argentine, rapporta à ses organisateurs 121 000 000 pesos, 350 vieux pesos égalent un dollar US) ;

b) actions visant à acquérir des armes et des médicaments (la saisie la plus spectaculaire dans ce domaine fut dans une clinique de Buenos Aires) ;

c) actions visant à gagner la sympathie des couches les plus déshéritées par la distribution de nourriture (viande, lait, etc.) prise dans les grosses entreprises de distribution ;

d) des actions liées aux luttes ouvrières (la plus importante jusque là fut celle qui fut menée par un détachement armé qui envahit l'usine FIAT à Cordoba et y tint meeting ».)

p. 388.

Ces actions sont intimement liées à la conception qui guide le PRT (Combatiente). Le camarade Maitan poursuit :

« Toutes ces actions ont atteint effectivement leur objectif de propagande armée. En même temps, l'ERP est l'organisation révolutionnaire la plus connue et s'est acquis une très large sympathie : y compris dans quelques grandes usines. Du point de vue technique, même l'ennemi a dû reconnaître que l’ERP a marqué quelques points ».

p. 388

Pour ne laisser subsister aucun doute sur l'identité de la ligne du PRT (Combatiente) et celle de la majorité, le camarade Maitan précise qu'il s'agit d'une extension, d'une application pratique du « tournant » voté au IX° Congrès Mondial :

« La perspective stratégique que les camarades argentins sont en train de poursuivre est celle qui fut déterminée par le IX° Congrès Mondial de la IV° ‑ élaborée et précisée davantage par les deux derniers congrès du PRT ‑ une perspective de lutte armée prolongée, de guerre révolutionnaire, qui pourrait impliquer l'intervention des impérialistes et ne pourrait donc être monnayée sans de profonds liens avec les masses et la participation croissante de celles‑ci ».

p. 388.

Est‑ce que les dirigeants du PRT (Combatiente) auraient été d'accord avec l'affirmation du camarade Maitan que la source ultime de leur ligne est le IX° Congrès Mondial. On peut en douter ‑ ils accordent un certain crédit à la pensée originale de Mao Tse Toung, du Général Giap, de Kim Il Sung, et par dessus tout au Commandant Guevara. Mais il est vrai qu'ils partagent avec le camarade Maitan, l'erreur d'apprécier leurs « actions armées » comme le développement le plus important de la lutte de classes argentine.

15 - Sur la politique de front populaire[modifier le wikicode]

Jusqu'alors, nous avons traité des différentes orientations qui guidaient le travail des deux organisations. Le PRT (La Verdad) a entrepris d'avancer le drapeau du trotskysme dans les syndicats et le mouvement de masse. Le PRT (Combatiente) a entrepris la formation de groupes armés clandestins sous des drapeaux politiques qui doivent être suffisamment amples pour attirer des tendances variées, voire contradictoires (de la IV° Internationale aux maoïstes).

Bien que les deux groupes soient formellement impliqués dans une lutte pour l'indépendance de la classe ouvrière à l'égard de la bourgeoisie, le PRT (Combatiente) s'est éloigné de la position trotskyste sur cette question. La sous‑estimation de l'importance d'une ligne claire pour l'action politique est une caractéristique de presque tous les groupes qui s'orientent vers la guérilla en Amérique Latine. C'est un des aspects négatifs du castrisme.

La position programmatique du PRT (La Verdad) sur cette question est tout à fait claire : pour l'indépendance de la classe ouvrière, contre toute concession programmatique à la bourgeoisie, contre tout bloc politique avec un quelconque secteur de la classe dirigeante ou de ses appendices. Le PRT (La Verdad) est fermement opposé politiquement au régime Allende au Chili et à tous les autres régimes bourgeois nationalistes en Amérique Latine ou ailleurs.

« Nous pensons que la chose essentielle est de lutter pour l'indépendance politique du mouvement ouvrier. En Argentine, on ne peut parler sérieusement ni d'une révolution ni du socialisme tant que les travailleurs restent sous l'influence politique de partis et de dirigeants bourgeois et en particulier de Peron ou du péronisme ».

La Verdad N° 229, I° nov. 1971

« Pour que cette grève ne soit pas utilisée par les bureaucrates qui veulent seulement exercer des pressions pour pousser le gouvernement à se séparer de l'aide Frondizi. Pour que cette grève ne soit pas de même utilisée par la moitié de l'UCR du Peuple (parti radical), ni par la direction péroniste, y compris le Général Peron, ou des principaux responsables des défaites subies par le mouvement ouvrier des 15 dernières années.

Cette grève doit être le point de départ pour l'organisation politique indépendante des travailleurs, culminant dans un gouvernement des travailleurs et du peuple ».

Déclaration du PRT sur la grève de 36 heures, La Verdad N° 243, 10 nov. 1970 (souligné par nous)

Sur la question du Chili, qui a servi de test assez décisif pour quelques courants, le PRT (La Verdad) a pris une position sans «ambiguïté :

« Objectivement, le gouvernement Allende n'est pas un gouvernement ouvrier. Contrairement à ce que le PC et le MIR croient, Allende est allé au‑delà des limites du nationalisme. Les nationalisations très importantes qui ont été réalisées dans le pays, même si elles représentent un des coups les plus puissants portés à l'impérialisme dans le zone Sud, n'ont pas liquidé le système capitaliste fondé sur la propriété privée ».

Avanzada Socialista, N° 25, 16.8.72

L'attitude du PRT (Combatiente) envers le gouvernement Allende, de même que son attitude générale envers la formation de blocs gouvernementaux ou programmatiques avec des secteurs de la bourgeoisie, est pour le moins confuse.

Ceci apparaît le plus clairement dans les positions qu'il a prises à l'égard du gouvernement Allende et du Frente Amplio, en Uruguay, bien que cela soit également visible dans ‑certaines de leurs déclarations récentes sur les développements politiques en Argentine.

Sur la situation chilienne, le PRT (Combatiente) a indiqué où il se situait en soutenant politiquement le Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR). Dans leur interview à « Punto Final » par exemple, les camarades Santucho et Gorriaran ont affirmé :

« Notre modeste opinion sur la situation chilienne est que la ligne et l'approche concrètes pour la victoire de la révolution au Chili est celle du Movimiento de Izquierda Revolucionaria ».

Intercontinental Press, 27 nov. 1972, p. 13‑19

Les leaders du PRT (Combatiente) ont largement cité les positions adoptées par le MIR sans même commenter le soutien du MIR à Allende.

En ce qui concerne l'Uruguay, le PRT (Combatiente) tira sa ligne des Tupamaros qui ont soutenu les candidats bourgeois dans la lutte entre listes au sein du Frente Amplio ‑ les leaders du PRT (Combatiente) ont clairement dit que selon eux les Tupamaros avaient adopté une position essentiellement correcte.

Quant aux critiques du PRT (Uruguay) faites par Hansen dans le numéro du 13 décembre 1971 d'« Intercontinental Press », ils ont été en désaccord avec les objectifs des camarades uruguayens qui sont entrés dans le Frente Amplio afin de lutter de l'intérieur pour une action politique indépendante en opposition au soutien aux candidats bourgeois. Il a critiqué la poursuite de cette tactique une fois que les leaders du Frente Amplio ont imposé comme condition à la participation dans cette formation l'inclusion de noms de candidats bourgeois au sommet dans les listes de toutes les tendances. Les leaders du PRT (Combatiente) ont soutenu que la position de Hansen était sectaire.

La question n'était pas sans importance. Des lignes de classes étaient impliquées. Les camarades du PRT (U) avaient entrepris de développer une tactique visant à faire progresser le principe de l'action politique indépendante en faisant pression pour une liste de la classe ouvrière. Les Tupamaros sont entrés dans le Frente Amplio parce qu'il était populaire de le faire. Ils n'ont pas rejoint le combat pour une liste de la classe ouvrière bien que leur participation aurait été une aide considérable. Au contraire ils sont entrés dans le jeu du soutien à des candidats bourgeois. Les leaders du PRT (Combatiente) se sont unis avec eux en déclarant leur soutien à la ligne des Tupamaros.

Plus récemment, les Tupamaros sont allés encore plus loin en offrant leur soutien aux forces armées bourgeoises qui les avaient implacablement décimés, à la seule condition que les généraux s'avancent vers la mise en place d'un gouvernement de reconstruction nationale.

« Il ne fait aucun doute que si les forces armées, ou qui que ce soit, prend ou aide à prendre un chemin vers la reconstruction nationale, nous nous trouverons inconditionnellement à leur côté. Nous restons prêts à n'importe quelle sorte de contacts et nous attendrons la réponse à cette note jusqu'au 17 juillet à 18 heures ».

(Rapport sur lesnégociations avec les forces armées, Correo Tupamaros, 5 juillet 1972).

Ceci peut évidemment être pour les Tupamaros l'idée d'une mauvaise tactique, visant à mettre à nu le haut commandement des forces armées (comme si elles avaient besoin de l'être !). Derrière la manœuvre, toutefois, se cache une position totalement sans principes. Les Tupamaros sont prêts à remettre en question leur orientation guérilleriste. Si un coup d'État mettait au pouvoir une junte qui suive le modèle péruvien du général Velasco, les leaders des Tupamaros ont d'ores et déjà souligné qu'ils changeraient sur le champ comme Hector Bejar et d'autres l'ont fait au Pérou.

Qu'en est‑il des leaders du PRT (Combatiente) ? Est‑ce qu'une attitude aussi opportuniste des Tupamaros les amènerait à modifier leur opposition à la IV° Internationale quant au projet de construire une section en Uruguay ? Cela reste à voir.

Les leaders du PRT (Combatiente) n'ont pas étendu leur déviation du trotskysme sur cette question jusqu'à la scène argentine. Cependant, certaines de leurs formulations sont peu rassurantes. On peut en trouver des exemples dans l'éditorial « Révolutionnaires et démocratisation du pays » qui fut publié dans le numéro de mai 72 de El Combatiente. L'éditorial suggère correctement que les révolutionnaires doivent tirer avantage des ouvertures Illégales, mais il discute aussi de faire des alliances avec des forces bourgeoises. La nature de ces alliances n'est jamais précisée. Parler de « secteurs bourgeois progressistes » qui « peuvent avoir intérêt à la révolution » ne manque pas de répandre la confusion si rien d'autre n'est effectivement sous-­entendu du :

« Comme nous pouvons le voir, notre perspective d'alliances avec des partis réformistes et des groupes d'autres forces non prolétariennes est d'une importance vitale pour le développement de la lutte immédiate du prolétariat. La solution à ce problème d'alliance peut être vue dans le fait que les partis et groupes (PC, socialistes, chrétiens, PCR, VC, péronistes de base, radicaux de gauche, etc… ) représentent certaines sections de la classe ouvrière et surtout des secteurs de la petite‑bourgeoisie et des secteurs bourgeois progressistes, à savoir des secteurs qui souffrent de l'oppression politique et économique du régime et qui peuvent avoir intérêt à la révolution, mais qui ne sont pas suffisamment conséquents pour pouvoir la diriger »

(« PRT's position on Démocratisation in Argentina » Intercontinental Press, 31 juillet 1972, p. 903).

16 - Le problème du péronisme[modifier le wikicode]

La consolidation du syndicalisme ouvrier en Argentine pendant le régime de Peron, il y a un quart de siècle, produisit une impression indélébile sur les masses. Peron vint au pouvoir après une période de prospérité relative provenant de l'écart de l'Argentine des scènes de bataille de la II° guerre mondiale et sa capacité à tirer avantage d'un marché profitable. Peron eut la possibilité d'accorder des concessions considérables aux masses. Parmi les conséquences, il y eut l'accroissement d'une puissante bureaucratie sur le mouvement ouvrier et la diffusion de profondes illusions parmi les masses quant aux capacités d'un régime nationaliste bourgeois à satisfaire leurs besoins les plus pressants.

Dans l'intérêt du capitalisme argentin, Peron s'efforça de manœuvrer parmi les puissances impérialistes. Pour accomplir ceci, il favorisa une mobilisation partielle des masses, mais sous le contrôle strict d'une bureaucratie dominée par le gouvernement, et en étant prêt à recourir à des moyens répressifs si cela s'avérerait nécessaire.

La politique de Peron, qui tînt tête à l'impérialisme tout en soutenant et en renforçant le capitalisme argentin s’acheva dans une impasse, comme c'était inévitable. Peron s'opposa à une mobilisation indépendante et à l'armement de la classe ouvrière, la seule classe désireuse et capable d'affronter l'impérialisme. Il maintint et érigea une caste d'officiers loyaux à la bourgeoisie nationale, qui à son tour est liée à l'impérialisme par le marché mondial. C'est pourquoi Peron prépara le chemin d'une pénétration extensive de capital américain, tant sur le plan économique que politique, en Argentine.

De même, il fraya la voie pour sa propre chute aux mains de ses subordonnés dans l'armée.

Parce que le coup d'État de 1955 était pro‑impérialiste, les masses n'eurent pas la possibilité de voir exposées les relations mêmes de Peron avec l'impérialisme. Leur foi en lui resta inaltérée tout au long de ses 17 ans d'exil.

Le péronisme a, bien sûr, connu une érosion. Mais ceci fut mesuré par l'affaiblissement de la position de la bureaucratie ouvrière qui a trahi la classe ouvrière sous chacun des régimes depuis le renversement de Peron. Ce processus n'a pas encore conduit à la dissipation des illusions nationalistes ou des illusions en Peron en tant qu'individu. Le retour de Peron en Argentine, toutefois, favorise l'extension de ce processus dans les conditions actuelles.

Le péronisme est l'expression d'une profonde contradiction dans la politique argentine. Il se fonde sur l'existence d'un très puissant mouvement ouvrier qui n'a jamais été battu au point d'une mise en cause de l'existence de ses organisations ou de son haut niveau de combativité. En même temps, le péronisme lie politiquement la classe ouvrière au capitalisme au travers d'un parti bourgeois.

La faillite inévitable de tout cours « nationaliste » pour résoudre les problèmes posés à la classe ouvrière et à ses alliés, signifie une situation objective très favorable pour le mouvement socialiste révolutionnaire argentin ; elle ouvre une alternative programmatique claire à toutes les combinaisons nationalistes et populistes.

En même temps, les illusions des masses quant à Peron et le péronisme constituent un danger effectif pour notre mouvement, dans la mesure où nos propres rangs ne peuvent pas être immunisés du milieu où ils travaillent. Ceci exige une clarté absolue sur la nature du péronisme et d'être en alerte constante à l'égard de sa personnalité.

Le problème est bien compris par le PRT (La Verdad) vu sa riche expérience du travail de masse dans des organisations dominées par le péronisme. Le PRT (La Verdad) enseigne à ses membres la tradition marxiste qui insiste sur l'indépendance du mouvement de la classe ouvrière contre chaque et contre tous les blocs avec la bourgeoisie nationale : précisément à cause de l'ouverture qui s'est développée sur le front électoral, le PRT (La Verdad) a souligné sa position à chaque formation populiste, nationaliste ou de front populaire qui cherche à entraîner les travailleurs et à les détourner d'une action politique indépendante en votant pour des candidats bourgeois comme dans le cas du Frente Amplio en Uruguay et de l'Unité Populaire au Chili.

C'est pourquoi le pôle socialiste et ouvrier pour lequel le PSA fait campagne en vue des prochaines élections, est d'une telle importance dans la conjoncture actuelle de la lutte de classes. Contre le front populaire du parti communiste et la coalition « anti‑impérialiste » que demandent les lambertistes de « Politica Obrera », les camarades du PSA appellent la classe ouvrière à ne pas traverser les lignes de classe lors des élections.

En ce qui concerne les camarades du PRT (Combatiente), ils semblent ne pas s'être beaucoup, penchés sur ces questions complexes. Ils ont été pris par surprise et sont actuellement dans la plus grande confusion sur ce qu'il convient de faire face aux perspectives électorales et au retour de Peron en Argentine.

Il faut espérer qu'ils ne mettront pas trop de temps à prendre la décision correcte et rejoindront la campagne pour un pôle socialiste et ouvrier.

17 - La lutte pour la légalité[modifier le wikicode]

Dans la mesure où le mouvement de masse montant obligeait le gouvernement à céder peu à peu au niveau légal, le PRT (La Verdad) commença à chercher sérieusement les brèches, qui, élargies, pourraient permettre au parti d'agir plus librement, c'est ­à dire légalement ou semi‑légalement. Le PRT (La Verdad) fut la première organisation clandestine argentine à ouvrir des locaux semi‑légaux et à commencer à profiter des nouvelles possibilités créées par la chute d'Ongania.

Lorsqu'il devint évident que la classe dirigeante envisageait sérieusement de passer de la dictature militaire à un régime parlementaire, quelque faible et temporaire qu’il puisse être, le PRT (La Verdad) reconnut que cela pourrait profiter au, mouvement trotskyste si l'on trouvait un moyen d'agir légalement.

Au dernier congrès du PRT (La Verdad) fin 1971, décision fut prise d'explorer toutes les voies possibles. Le succès fut atteint grâce à un accord de principe avec le Parti Socialiste Argentin (aile Coral) qui consistait essentiellement en un résumé des positions trotskystes sur la théorie de la révolution permanente, et une série de mots d'ordre immédiats, démocratiques et transitoires. Cet accord de principe rejette explicitement tout bloc avec les formations bourgeoises dans un but électoral, et appelle au contraire à la formation d'un pôle socialiste et ouvrier contre tous les candidats bourgeois, y compris le front populaire du parti communiste (le Encuentro Nacional de los Argentinos), les péronistes qui dominent le mouvement ouvrier, et autres alternatives populistes (une traduction anglaise de ce texte est parue dans « Intercontinental Press », 13 nov. 1972).

Une fois la légalité obtenue, une croissance rapide devint possible. Le premier gros succès fut l'affiliation de plus de 40 000 ouvriers et étudiants au PSA sur la base de la nouvelle déclaration de principe du parti (« affiliation » signifie enregistrement en tant qu'électeurs qualifiés en accord avec le PSA).

Les résultats de la campagne d'affiliation remplirent la condition de légalisation au niveau national et dans toutes les villes importantes, sauf à Mendoza. Le parti est maintenant dans une position légale pour faire sa propre campagne électorale.

À un congrès du PSA tenu moins de six mois après l'accord, la tendance PRT (La Verdad) fut reconnue comme majoritaire. Le Comité Central fut formé sur la base d'une majorité des deux tiers pour le PRT (La Verdad). Mais à la base le réel rapport de forces est plus probablement de dix à un en faveur du PRT (La Verdad). La tendance trotskyste non seulement contrôle le nouvel hebdomadaire « Avanzada Socialista », mais également les cinquante locaux ouverts par le Parti.

Tout le poids de la campagne électorale du PSA est centré sur le mot d'ordre de pôle socialiste et ouvrier. Ce qui est derrière le mot d'ordre, c'est qu'il faut unir les organisations militantes, les courants, les tendances et les individus d'accord pour la formation d'un courant « lutte de classes » à l'intérieur du mouvement ouvrier, et s'opposer par là violemment à toutes les variantes électorales proposées par la classe dirigeante. Ainsi, la tactique électorale n'est rien d'autre que l'extension du même travail entrepris par le PRT (La Verdad) dans les syndicats et les conseils d'usine.

Il est impossible de comprendre l'importance du pôle ouvrier et socialiste si l'on oublié la défaite subie par SITRAC‑SITRAM et la difficulté que rencontrent les nouveaux courants oppositionnels, à s’unir au niveau national. Les principaux facteurs qui empêchent la formation d'une aile gauche nationale dans le mouvement ouvrier, ont été jusqu'à présent la faiblesse relative du parti d'avant‑garde, le PRT (La Verdad), et l'enracinement profond de la bureaucratie syndicale. La perspective électorale aide à surmonter ces difficultéS.

Elle a tout d'abord permis au parti de grossir rapidement, lui assurant ainsi une plus grande implantation dans les syndicats et lui permettant d'exercer une influence plus directe sur les courants « lutte de classes » qui apparaissent spontanément. Le simple fait que le parti est capable de publier un journal légal, pour orienter sa périphérie, est un grand avantage. Après avoir obtenu la légalité, le PSA a immédiatement ouvert des discussions dans les conseils d'usine et avec les militants « lutte de classes » dans tout le pays, pour les rallier au pôle socialiste et ouvrier. Bien que le développement ait été inégal selon les villes, la légalité a permis en général d'atteindre en quelques mois plus d'ouvriers et de conseils d'usine qu'on n'en touchait auparavant en plusieurs années. En outre, il fut enfin possible au parti de devenir vraiment un parti national avec des branches dans presque toutes les villes importantes d'Argentine.

C'aurait été une très grave erreur de sectarisme que de ne pas profiter des possibilités légales ou de rejeter l'occasion des élections bourgeoises. Cela aurait paralysé la croissance du parti et l'aurait empêché de jouer son rôle d'avant‑garde.

Le PRT (Combatiente), confronté à une situation nouvelle et inattendue, s'est simplement évaporé. Au moment même où le PRT (La Verdad) commençait à étudier les nouvelles perspectives et à ouvrir des locaux semi‑légaux, le camarade Maitan assurait la Quatrième Internationale que bien que des tournants dans la situation politique argentine permettant des activités légales ou semi‑légales ne puissent être « absolument exclus », ils étaient néanmoins « improbables » (« Political Crisis and Revolutionary Struggle in Argentina », « Intercontinental Press », 26 avril 1971, p, 388‑389). La résolution du IX° congrès mondial sur l'Amérique Latine prévoyait une répression croissante à l'échelle continentale et ne donnait aucune indication sur ce que devrait faire ceux qui se préparaient à la guérilla rurale, dans le cas où les choses ne tourneraient pas exactement comme prévu dans tous les pays.

Coincé entre un schéma sectaire et une réalité qui se révélait plus riche qu'on ne l'escomptait, le PRT (Combatiente) a tenté de louvoyer. Il faut profiter des perspectives légales mais d'un autre côté, il faut poursuivre la « guerre révolutionnaire ».

« Ces luttes légales ou semi‑légales, et cette utilisation de la légalité bourgeoise, doivent être étroitement liées au développement de la guerre révolutionnaire, à la construction autonome du parti révolutionnaire des travailleurs et de l'armée révolutionnaire du peuple ».

PRT's position on démocratisation in Argentina, Intercontinental Press 31, juillet 1972

Flux ou reflux de la lutte de classes, dictature militaire ou régime parlementaire, le PRT (Combatiente) y est indifférent. Il a assez à faire à construire son « armée » et à conduire la « guerre révolutionnaire ».

Il est pourtant capable d'impromptu. Sans aucun lien avec le processus de la lutte de masse dans le pays, le PRT (Combatiente) a tout à coup annoncé la création de comités « de base » pour entraîner les masses. Les comités, selon la déclaration, doivent agir légalement ou semi‑légalement tout en soutenant dans le même temps la « guerre révolutionnaire ». Bien sûr, seul un nombre limité de comités est apparu et leur taille est également limitée. C'est en général ce qui arrive lorsque des sectaires essaient de créer leurs propres organisations de masse au lieu de travailler dans celles qui existent déjà.

18 - La question de la lutte armée[modifier le wikicode]

Le « tournant » du IX° Congrès mondial eut, entre autres choses, pour résultat que les camarades de la majorité abandonnèrent la conception marxiste de la lutte armée au profit de la conception guévariste. La conception marxiste a été brièvement résumée par Trotski dans le programme de transition. L'orientation en est la lutte armée à l'échelle de masse. L'entraînement et l'armement des masses dans ce domaine commence au niveau le plus élémentaire avec les piquets de grève. Il' atteint son niveau le plus élevé avec la formation d'une milice ouvrière. Un autre processus se produit simultanément. Il s'agit de la décomposition, de l'armée bourgeoise, qui débute au niveau propagandiste chez les soldats. Les deux processus exigent la direction d'un parti de type léniniste. Sa présence dépend de son profond enracinement dans les masses et grandit à mesure que les masses mûrissent politiquement.

La conception guévariste était totalement différente. A son avis l'ensemble de l'Amérique Latine était mûre objectivement pour la révolution au point que tout ce qu'il fallait, c'était un petit noyau déterminé qui lance la lutte armée à une petite échelle ; les masses répondraient alors. Des centaines de combattants rejoindraient les forces rebelles et à mesure que ces forces grandiraient, les masses les soutiendraient sur le plan logistique. Au cours d'une guerre prolongée, les guérilleros l'emporteraient peu à peu et battraient l'armée bourgeoise. Ainsi Guevara appelait à former un petit groupe d'avant‑garde armée et à entreprendre des actions pour gagner la sympathie des masses.

La conception marxiste est que I'avant-garde, en participant au combat quotidien des masses et en les gagnant au programme socialiste, peut, au plus fort de la lutte et des mobilisations de masse, les amener à engager la lutte armée à une échelle si massive que tous les obstacles s'en trouvent balayés.

Il est évident que ces deux conceptions amènent à des approches des masses diamétralement opposées.

La conception marxiste exige qu'on se consacre à l'implantation dans le mouvement de masse et qu'on se lie aux luttes réelles des masses grâce à des mots d'ordre immédiats, démocratiques et transitoires. Tout mot d'ordre peut être juste ou faux à un moment donné, selon la situation objective, le niveau de conscience et l'état d’esprit des masses, toutes choses qui doivent être soigneusement observées, étudiées et prises en compte.

La conception guévariste exige qu'on forme des petites unités armées qui engagent la lutte sans se soucier du niveau de conscience et de l'état d'esprit des masses (les guévaristes, naturellement, les considèrent comme donnés et ne changeant pas de façon décisive, si ce n'est peut‑être de façon plus favorable, si bien qu'on peut les négliger largement en ce qui concerne le problème militaire).

Il s'ensuit que les unités armées peuvent être formées de façon isolée par rapport au mouvement de masse et sans qu'on fasse beaucoup attention à sa direction réelle (réactionnaire ou autre), puisque les masses viendront directement à l'« armée révolutionnaire » en surmontant tous les obstacles humains sur la voie de la révolution socialiste.

C'est là une des erreurs les plus graves et les plus déroutantes des guévaristes. En essayant de trouver un raccourci pour le facteur subjectif dans le processus révolutionnaire, ils négligent le problème de savoir comment dépasser le niveau de conscience actuel de masses et l'hégémonie de mauvais dirigeants de tous bords, allant des pseudo‑gauches, des bureaucrates syndicaux et des démagogues bourgeois, aux autorités de l'Eglise. En réalité les guévaristes supposent que le problème est déjà résolu, que les masses sont déjà gagnées au socialisme en esprit ; tout ce qu'il faut c'est leur apprendre comment tenir un fusil, comment et où en trouver un.

C'est pourquoi les guévaristes considèrent que la guérilla peut être lancée pratiquement n'importe quand et n'importe où, là où le gouvernement est dictatorial, et avec un minimum de forces (ils fournissent là un autre exemple de minimum tendant à devenir le maximum). La situation est si explosive, selon eux, que c'est tout ce qu'il faut pour servir de détonateur. En outre cela est vrai pour tout le continent. En conséquence, le PRT (Combatiente) pousse au lancement de la guérilla au Mexique, au Vénézuéla, au Brésil, et partout ailleurs. Il se plaint que beaucoup de sections de la Quatrième Internationale n'approuvent que verbalement les décisions du IX° Congrès Mondial. Qu'est‑ce qui les retient ? Pourquoi n'y vont‑elles pas ?

Peu importe l'état de la lutte de classes, qu'on soit en période de flux ou de reflux, la guérilla est à l'ordre du jour. La prérévolution permanente n'est pas affectée par les hauts et les bas de la lutte de classes. Ainsi, en contradiction absolue avec la conception marxiste sui la question, le PRT (Combatiente) déclare franchement :

« La lutte armée n'est pas simplement lancée comme corollaire à une insurrection populaire triomphante. Elle peut débuter comme une réaction défensive des masses et de leur avant‑garde dans le cas d'un reflux prononcé de la lutte de classes ».

La seule voie au pouvoir ouvrier et au socialisme, op. cit., p. 14

Comme on le voit, la conception guévariste est au fond une variété de sectarisme ultra‑gauche, ce qui ne signifie pas bien entendu que ses partisans ne puissent tomber dans l'opportunisme.

Nous avons étudié les résultats de l'application de la conception guévariste en Bolivie. Tournons‑nous maintenant vers l'Argentine.

Le PRT (Combatiente) fait montre d'une franchise réjouissante à propos de sa conception de la lutte armée découlant directement des positions de Che Guevara. Il considère 1a situation argentine comme pré‑révolutionnaire en permanence. La tâche de l'avant-­garde, quelque faible que puisse être celle‑ci, est de lancer la lutte armée même si au début les seuls qui participent aux actions armées sont les cadres du parti. Ces cadres, il faut le comprendre clairement, manquent de base de masse. Mais cela n'est pas décisif, selon ce mode de pensée. Le PRT (Combatiente) est convaincu qu'une fois la lutte armée lancée, il grossira inévitablement, et pourra ainsi construire une armée de masse et battre l'armée bourgeoise sur le champ de bataille.

Pour le PRT (Combatiente) un complexe processus transitoire n'est pas nécessaire pour armer les masses. Cela se fait fusil après fusil, par la formation d'unités armées autonomes, indépendantes qui ensuite « de petites (deviennent)grosses, commençant par une poignée de combattants et entraînant de plus en plus le peuple tout entier ». (Estrella Roja, Noll, mars 1972).

Une fois la lutte armée lancée par un petit groupe isolé du mouvement de masse, une terrible logique s'enclenche. Les actions armées, les holds‑ups de banques, les attaques de postes de police, les enlèvements, les assassinats et tout le reste, empêchant pratiquement les cadres de faire du travail de masse, comme l'a noté le camarade Gonzalez en Bolivie. Pour faire un travail fructueux dans les masses, il faut être avec elles, partager leurs expériences. S'engager dans la guérilla exige une certaine séparation, ne serait‑ce que pour protéger l'appareil clandestin de la police.

Bien que le travail de masse comporte toujours un certain risque pour les révolutionnaires, le risque est démultiplié lorsque l'organisation, à laquelle ils appartiennent déclare une guerre privée aux forces armées de l'État bourgeois. La propagande et le recrutement deviennent très dangereux. Bien que ces problèmes puissent ne pas être aussi aigus pour des étudiants et des membres de professions libérales, les ouvriers sont conscients de leur vulnérabilité individuelle. Plutôt que de rejoindre une telle organisation, ils sont plus souvent enclins à attendre que quelque chose leur permette au moins de ressentir la force et la puissance du nombre.

Il n'est donc pas surprenant que dans l'histoire de la lutte des classes en Argentine ces quatre dernières années, le PRT (Combatiente) soit resté de côté. Il « soutient » les travailleurs en donnant de l'argent, en désarmant les gardiens d'usine, par d'autres actions mais il n'a pas dirigé une seule grève, une seule manifestation. Il n'a jamais été capable d'organiser une tendance dans les syndicats.

Une question cruciale devient de plus en plus aiguë pour les groupes guévaristes de ce genre ‑ comment se « lier » aux masses. Cela devient leur préoccupation essentielle. Et comme ils ne peuvent trouver de solution au problème, ils deviennent mûrs pour la désintégration et pour un virage vers l'opportunisme. Ce qu'ils ne voient pas, c'est que leur conception même de la lutte armée les empêche de tisser les liens organiques avec les masses.

Ils tentent toutes sortes d'expériences, ils essayent de gagner les masses en leur donnant des bouteilles de lait et de la viande. Par des enlèvements, ils cherchent la publicité pour montrer aux masses qu'ils se soucient vraiment d'elles. Ils deviennent paternalistes, parlant d'eux‑mêmes comme de « l'armée du peuple », la seule force qui « protège » et « défend » les pauvres.

Mais rien de tout cela ne semble résoudre le problème de la liaison avec les masses.

La ligne gauchiste guérillériste du PRT (Combatiente) est tout aussi désastreuse quant au travail visant à gagner une base dans les forces armées. Poursuivant la perspective de construire leur propre armée pièce à pièce, les camarades du PRT (Combatiente) ne font pas le projet de travailler au sein des forces armées bourgeoises. Au contraire, ils poussent les soldats à la désertion individuelle. Ainsi ils répètent une erreur commise par les camarades boliviens. Voici ce qu'ils en disent :

« Nous savons néanmoins que dans les rangs ennemis se trouvent des personnes honnêtes et trompées qui veulent aider le peuple. Tous les militaires et fonctionnaires du régime qui veulent réellement servir le peuple, qui sentent qu'ils font partie du peuple et qui s'identifient à lui dans les injustices qu'il subit, doivent abandonner les rangs ennemis.

Ce n'est que dans l'armée du peuple qu'ils peuvent placer leur patriotisme et leur énergie au service des travailleurs et du peuple.»

(« A propos des forces armées », Estrella Roja, N°7, octobre 1971).

A nouveau comme en Bolivie, les camarades du PRT (Combatiente) ont offert aux membres dissidents des forces armées la perspective de rejoindre non pas une armée mais un petit groupe de guérilleros.

Il faut néanmoins noter que ces camarades ne considèrent pas l’ERP comme un petit groupe, mais en parlent comme d'une organisation de « masse ». Ce n'est pas en raison de sa taille ‑ elle n'est guère plus nombreuse que le PRT (Combatiente) lui‑même ‑ mais parce que le seul critère pour rejoindre l'ERP est de haïr la dictature et de vouloir prendre les armes.

En dépit de l'image de l'ERP que tiennent les dirigeants du PRT Combatiente), les membres des forces armées la tiennent inévitablement pour ce qu'elle est ‑ un petit groupe de guérilleros sans réelle perspective de succès sur le plan militaire ou ailleurs dans un proche avenir. Les bataillons civils ne se sont mobilisés que partiellement et sporadiquement. Ils ne se sont pas tournés vers la tâche de dissoudre l'armée. C'est pourquoi les soldats dans les forces armées n'entendent pas la voix des masses ni ne sentent d'aucune façon directe leur pression. De plus, le PRT (Combatiente) a rejeté l'idée d'accomplir le travail préparatoire nécessaire et préliminaire dans les rangs des forces armées. Il ne suit pas le modèle présenté par Lénine et Trotski dans la révolution russe, qui consista à se battre pour gagner les troupes. Il appela à la désertion les quelques individus qui pouvaient être sympathisants avec ses buts.

Nous le répétons ‑ une des principales erreurs commises en Bolivie s'est répétée en Argentine !

19 - Les enlèvements et les assassinats[modifier le wikicode]

La concrétisation la plus complète du « tournant » adopté au 9° Congrès Mondial se réalisa avec l'enlèvement de Stanley Sylvester, l'administrateur de l'entreprise de boîtes de conserve Swift de la Plata, le 30 mai 1971, l'enlèvement d'O. Sallustro, le P.D.G. de la Fiat Concord, le 21 mars 1972, son assassinat le 10 avril et l'assassinat le même jour du général Juan Carlos Sanchez. Les opérations du PRT (Combatiente) avaient atteint le niveau du terrorisme.

Depuis son origine, le mouvement marxiste a toujours rejeté l'usage du terrorisme contre des capitalistes individuels. La raison en est simple. Cela désorganise et méséduque le mouvement de masse en ce qui concerne les moyens de lutte, cela offre sans nécessité des prétextes à l'ennemi pour répondre de même, particulièrement en réprimant le mouvement des masses.

Ce n'est que sous les conditions de guerre civile, où les lois de la guerre sont appliquées, que le terrorisme peut être considéré comme un ajout tactique à la lutte armée de masse.

L'excuse fournie par le PRT (Combatiente) quant à l'usage du terrorisme à l'égard d'individus sélectionnés est qu'il existe un état de guerre civile en Argentine. Comme nous l'avons vu, il n'en est rien. Même les plus ardents partisans du cours suivi par le PRT (Combatiente) doutent qu'un tel état de guerre civile existe aujourd'hui en Argentine. Le camarade Maitan n'ira pas au‑delà de la formulation selon laquelle existe « au moins une guerre civile partielle » (voir le communiqué de presse du 13 avril 72 du Gruppi Comunisti Rivoluzionari, section italienne de la IV° Internationale, sur l'enlèvement de Sallustro). L'éditeur de la « Gauche » semble, à la lecture de l'article du 21 avril 1972 cité plus haut, donner, sa préférence à la formulation suivante : « un pays au bord de la guerre civile ».

L'enlèvement de Sallustro est clairement un cas de terrorisme. Un administrateur individuel est enlevé de force et menacé d'exécution (qui est réalisée) si une importante rançon n'est pas payée et si des réformes ne sont pas réalisées au bénéfice de certains secteurs des masses. La gravité de tout ceci pour la IV° Internationale réside principalement en ce que cet acte terroriste a été soutenu et publiquement salué par certains des organes les plus connus du mouvement trotskyste.

L'une des déclarations les plus carrées parut dans « Rood », l'organe flamand de la Ligue Révolutionnaire des Travailleurs, section belge de la IV° Internationale.

« Comment les révolutionnaires abordent‑ils le problème des actions terroristes ? Pourquoi avons‑nous condamné l'enlèvement de Nogrette, le gardien des usines Renault en France, et soutenu l'action en Argentine ? Une action terroriste n'est que « la continuation par d'autres moyens » de l'activité « normale » des militants révolutionnaires. Elle vaut pour autant qu'elle permet de renforcer le militantisme des travailleurs, donner un coup de fouet, à leur haine de l'ordre établi et met en lumière la faiblesse du système dominant (voir par exemple les actions des Tupamaros) ».

(« Rood », 30 Mai 1972).

L'enlèvement par des maoïstes de Nogrette à Paris était une erreur selon « Rood ».

« Ce n'est toujours qu'exceptionnellement qu'un travailleur est tué d'un coup de feu à Renault, même si telle est la voie que les patrons français comptent employer dans le futur. La masse des travailleurs français ne voit pas cela. Ils ont toujours des illusions, les actions terroristes peuvent seulement élargir le fossé entre les révolutionnaires et les masses. En Argentine, l'action menée par nos camarades de l'Armée Révolutionnaire du Peuple a eu jusqu'à maintenant des résultats différents ».

(Idem)

Pour les camarades qui éditent « Rood », le terrorisme individuel est correct pour peu que le gouvernement soit répressif et que l'action soit populaire. Ceci ferait de la plupart des actions des terroristes russes des actions « correctes ». Pourquoi donc tous les marxistes à cette époque s'y sont‑ils vigoureusement opposés ? Les camarades du comité de rédaction de « Rood » devraient penser à ça. En tout cas, ils définissent avec exactitude et honnêteté les actions du PRT (Combatiente) comme terroristes.

Les camarades du PRT (Combatiente), en accord avec le schéma de la « guerre révolutionnaire », croient que l'enlèvement de Sallustro a eu un impact égal à la montée de la lutte de masse à Mendoza. « Le développement de la guerre du peuple a trouvé son expression la plus haute dans l'enlèvement d'O. Sallustro et la lutte victorieuse des masses à Mendoza. Chacune de ces actions a porté un coup grave à la dictature des monopoles, montrant sa fragilité qui l'amène à chaque fois à utiliser des méthodes de répression de plus en plus brutales et cruelles, comme seules réponses aux justes revendications du peuple » (Combatiente, Numéro 68, 8 avril 1972).

L'enlèvement de Sylvester a permis à l'ERP de gagner, du moins pour un temps, de la popularité, dans la mesure où les cercles dirigeants ont accepté les demandes de rançon. Cependant, deux mois plus tard, la direction de l'usine de boîtes de conserve Swift réintroduisait les mêmes conditions que celles qui avaient motivé l'enlèvement. Le peu d'effet que l'enlèvement avait eu sur la conscience des travailleurs a été mis en lumière par le fait qu'après avoir applaudi les distributions de vivres et de vêtements, ils votèrent pour les bureaucrates syndicaux réactionnaires.

Le PRT (La Verdad) dirigeait une opposition au sein de l'entreprise. Le PRT (Combatiente) s'est trouvé pris dans une situation pour le moins embarrassante. Étant intervenus au sein de l'entreprise par leurs propres méthodes mais n'ayant aucune base parmi lu travailleurs quelle position devait être définie par rapport aux élections ? Fort heureusement, les camarades du PRT (Combatiente) prirent la bonne décision : ils ont publiquement appelé les travailleurs à voter pour l'opposition dirigée par le PRT (La Verdad). C'est la première fois qu'il fut fait un tel geste.

Devant l'affaire Sallustro, le public n'eut pas d'attitude de condamnation. Mais on peut difficilement dire qu'il fut enthousiaste. Suivant les événements à la télévision, il manifesta peu de sympathie pour Sallustro, bien que sa proche exécution provoquât une forte émotion. La responsabilité quant à son sort retomba largement sur Lanusse parce que ce dernier avait bloqué les discussions engagées entre les représentants de la compagnie et l'ERP. Mais le public ne se sentit pas concerné. L'enlèvement ne semblait pas affecter sa propre situation et toucher à ses propres problèmes.

Le gouvernement utilisa l'enlèvement et l'exécution à ses propres fins, c’est-à-dire qu'il les saisit comme prétexte pour de nouvelles mesures de répression qui portèrent de rudes coups aux cadres du PRT (Combatiente). Une autre conséquence fut un isolement ultérieur des camarades du PRT (Combatiente) justement quand les possibilités d'activités légales s'ouvrirent.

20 - Castro sur « l'exécution » d'un personnage bourgeois haï[modifier le wikicode]

Il est important de constater qu'au moins jusqu'ici les dirigeants de la révolution cubaine ont eu une position sensiblement différente du PRT (Combatiente) en ce qui concerne les enlèvements et les assassinats. Dans un long discours prononcé à la Havane le 13 mars 1967, Fidel Castro expliqua l'attitude cubaine à ce sujet. L'occasion était l'enlèvement et l'assassinat d'un ancien membre du gouvernement du Vénézuela le Dr. Julio Iribarren Borgès, que Associated Press a décrit comme « Peut­-être l'homme le plus haï du Vénézuela à cette époque ». Les circonstances étaient les suivantes :

Le I° mars 1967, 3 guérilleros poussèrent Iribarren dans une voiture qui est partie aussitôt à toute vitesse. Le 3 mars, la police de Caracas rapporta qu'elle avait trouvé le corps. Il avait 3 blessures par balles dans le dos. La police disait également qu'elle avait trouvé des tracts signés « Fuerzas Armadas de Liberacion National » près du corps. Le dirigeant du FALN, le Commandant Elias Manvitt Camero, qui était à la Havane à ce moment‑là, a fait un communiqué de presse le 4 mars qui affirmait que « l'exécution » était l'œuvre de son organisation et qu'elle représentait une application de la «justice révolutionnaire ».

« Avec chaque application de la justice révolutionnaire » poursuivit Manvitt « les assassins du gouvernement tyrannique trouvent un écho à leurs lamentations parmi leurs partisans et même parmi ceux qui font semblant d'être neutres ou même dans le camp de l'opposition. Mais le peuple soutient et salue chacune de ces actions ».

Manvitt ne donna aucune preuve qui pourrait montrer que le peuple avait soutenu et salué l'assassinat d'Iribarren. S'il faisait une « conjecture intelligente », elle ne fut pas étayée par une augmentation significative dans le recrutement du FALN.

Il a juré :

« Nous continuerons à mener une lutte à mort contre les ennemis de notre peuple, qu'ils soient directement ou indirectement impliqués dans la situation actuelle au Vénézuela ».

Il conclut en affirmant que l'existence d'une « avant-garde armée» avait sauvé le peuple du Vénézuela d'une situation où il se trouvait « sans ressources ».

« Aucune des mesures répressives de Leoni, que ce soit la nouvelle suspension des garanties constitutionnelles, les arrestations, les tortures ou les assassinats (de révolutionnaires), ne servira à rien. Le peuple du Venezuela n'est plus sans ressources, il a une avant‑garde armée qui le protégera à tout moment, qui vengera ses morts et le mènera à la victoire finale, c'est‑à‑dire à l'indépendance totale et définitive ».

Le gouvernement de Leoni a utilisé l'assassinat d'Iribarren pour intensifier la répression. Les garanties constitutionnelles furent encore une fois suspendues, 48 heures après qu'elles aient été restaurées.

Le PCV a utilisé, à sa manière traîtreusement, l'incident, sous prétexte de dénoncer la nature anti‑marxiste d'actions telles que l'enlèvement et l'assassinat d'Iribarren, le PCV a rompu définitivement avec sa position antérieure de participation à la guérilla. Il est revenu vers la ligne de coexistence pacifique et de participation au jeu de la politique parlementaire.

Le régime Leoni profita de l'enlèvement et l'assassinat d'Iribarren pour démarrer une campagne internationale contre le gouvernement cubain, en accusant la Havane d'avoir été à l'origine de cet acte.

Castro ne pouvait que répondre. Il présenta les faits principaux, y compris la déclaration de Manvitt et il commença la contre­-attaque. Cela consistait en une dénonciation de la ligne « droitière » des dirigeants du PCV et de leur soutien opportuniste du régime Leoni, avec en plus une analyse caustique de la chasse aux sorcières qui s'était ouverte contre Cuba.

Castro prit clairement la défense des guérilleros du Venezuela. Mais il a fait autre chose, il les a critiqués publiquement. Cette partie de son discours est tout à fait pertinente en ce qui concerne la discussion en cours. Le texte intégral du discours de Castro a été publié dans Intercontinental Press. Les paragraphes suivants sont d'un intérêt particulier.

« Quelle attitude les révolutionnaires doivent‑ils adopter face à tout acte révolutionnaire ? Nous pouvons être en désaccord avec une méthode ou une action particulière, il est possible qu'on soit en désaccord avec la méthode utilisée pour liquider cet ancien représentant du gouvernement. Comme je l'ai déjà dit, nous ne connaissons rien de lui. Nous ne savons pas s'il était détesté, comme le dit l'AP, ou non, s'il était responsable des mesures prises contre les révolutionnaires ou non.

« A notre avis, les révolutionnaires doivent éviter les procédures qui peuvent donner des armes à l'ennemi : l'assassinat d'un homme qui a été enlevé. Nous n'avons jamais fait ce genre de choses quelle que soit notre indignation devant la férocité de l'ennemi. Et au cours des combats, nous avons su traiter les prisonniers avec sérénité.

« Les révolutionnaires doivent éviter les procédés qui ressemblent à ceux de la police répressive. Nous ne connaissons pas les circonstances de cette mort, nous ne savons pas qui en est responsable, nous ne savons même pas si elle était accidentelle ou si elle était réellement l'acte de révolutionnaires. A parler franchement ‑ et cela est le droit de tout révolutionnaire ‑ nous pensons que, si c'était effectivement l'œuvre des révolutionnaires nous le considérons comme une erreur. C'était une erreur d'utiliser ce type de méthode que l'ennemi peut utiliser à son profit vis‑à­-vis de l'opinion publique, cela peut rappeler aux gens les méthodes de l'ennemi.

« Le monde entier connaît le comportement de la révolution et sait que nous avons des lois révolutionnaires et que ce sont des lois sévères. Nous n'avons jamais maltraité un prisonnier. Nous avons fait des lois strictes et nos cours révolutionnaires condamnent à la peine capitale ceux qui commettent des crimes graves contre la révolution et contre notre nation et jamais on n'a trouvé un homme mort sur la route, dans un fossé ou dans un parc.

« La révolution agit dans un cadre révolutionnaire donné et elle respecte ce cadre. Même en ce qui concerne le traitement des gens qui ont commis des crimes odieux, nous avons toujours insisté sur le respect d'une procédure correcte. Ce sont nos critères. Il est parfaitement légitime qu'un révolutionnaire ne soit pas d'accord avec un acte, une méthode ou un aspect concret. Ce qui est immoral et non révolutionnaire c'est d'utiliser une action donnée pour pouvoir rejoindre le chœur hystérique des réactionnaires. (Applaudissements) Si les révolutionnaires sont responsables de, cette action, nous pouvons donner notre avis mais nous ne pouvons jamais rejoindre le chœur hystérique des bourreaux qui gouvernent le Venezuela pour condamner les révolutionnaires ».

(« Ceux qui ne sont pas des combattants révolutionnaires ne peuvent s'appeler des communistes »), in Intercontinental Press 31 mars 1967, page 346‑347.

Résumons la position de Castro : les révolutionnaires doivent éviter les méthodes qui peuvent donner des armes à l'ennemi ou qui ressemblent à celles de la police répressive. Les dirigeants cubains n'ont jamais fait ce genre de choses quelle que soit leur indignation face à la férocité de l'ennemi. Au cours de la révolution cubaine, « jamais on n'a trouvé un homme mort sur la route, dans un fossé ou dans un parc ».

La révolution a ses propres formes d'administration de justice qui doivent être respectées et observées et elles ne sont pas les mêmes que celles utilisées par l'ennemi.

Il est parfaitement légitime pour les révolutionnaires de critiquer publiquement une action ou une méthode erronée qui nuit à la cause révolutionnaire. Par contre il n'est pas tolérable de « rejoindre le chœur hystérique des réactionnaires et des impérialistes pour condamner les révolutionnaires ».

Castro ne développe pas ce point de vue en profondeur et il ne le lie pas à la position adoptée sur cette question il y a très longtemps par le mouvement marxiste révolutionnaire. Il n'avance que quelques observations personnelles. Cependant, à notre avis, ces observations, tirées de l'expérience cubaine, ont du poids et ne doivent pas être rejetées par, notre mouvement et surtout pas par ceux qui tirent beaucoup de leurs idées sur la lutte armée de Fidel Castro et de Che Guevara.

21 - La défense de la ligne majoritaire[modifier le wikicode]

Si des doutes sont venus à l'esprit des camarades du PRT (Combatiente) à propos de la justesse de leur ligne, ces doutes n'ont pas été explicités. Le rôle de la majorité n'a guère favorisé la réflexion. En effet, la décision du 9° congrès mondial ne pouvait qu'effacer les doutes et les renforcer dans le guevarisme. Les contributions des camarades de la majorité depuis le congrès ont été de la même nature.

La résolution sur l'Amérique Latine affirma la position du PRT (Combatiente) :

« Dans une situation de crise pré‑révolutionnaire, telles que celle que connaît l'Amérique Latine aujourd'hui à l'échelle continentale, la guérilla peut en effet stimuler une dynamique révolutionnaire, même si au début la tentative peut sembler venir de l'étranger ou être unilatérale (ce qui était le cas de la guérilla du Che) »

(« Résolution sur l'Amérique Latine » Documentation Internationale A.L. Fascicule a.)

Le concept erroné ‑ qui devait être attribué à Che Guevara - entraîna le camarade Maitan dans sa dernière contribution à la discussion sur l'Amérique Latine, datée du 23 juin 1971, à affirmer que la façon dont l'enlèvement de Sylvester a été effectué montre que le PRT (Combatiente) se « liait » aux masses. Le camarade Maitan a écrit :

« Au sujet de l'enlèvement du Consul industriel Sylvester, il y a un détail révélateur sur la façon d'opérer des camarades : ils ont donné à la presse la bande magnétique sur laquelle ils avaient enregistré leurs accusations contre l'exploiteur et les déclarations qu'il avait faites pour se défendre. Ce matériel fut utilisé par la presse. Il est clair que ceux qui opèrent de cette façon se préoccupent principalement de susciter des réactions favorables de la part de larges couches de la population. En plus, l'opération de Rosario et d'une façon encore plus significative, l'opération réalisée à Cordoba pendant la lutte des travailleurs, montrent que nos camarades essayent de se lier au mouvement de masse en intégrant leurs actions dans le cadre de la dynamique de ce mouvement ». (« Centrons le débat, évitons les diversions », Documentation Internationale, Amérique Latine, Fascicule a).

Un article important dans le numéro du 21 avril 1972 de « La Gauche », qui a eu l'approbation de l'éditeur, le camarade Mandel, s'est prononcé aussi pour ce concept erroné de la lutte armée. L'article qui avait pour but de justifier le cours suivi par le PRT (Combatiente) a présenté une image inexacte de la réalité en Argentine :

« Quand l'adversaire ouvre le feu systématiquement sur toute manifestation de masse qui montre le moindre caractère radical, quand il réprime sauvagement toute grève et tout syndicat qui dépasse les objectifs réformistes, le choix concret qui se pose aux travailleurs militants est réduit à 3 possibilités : soit ils freinent consciemment le mouvement afin d'éviter une confrontation sanglante avec les forces de répression, soit ils considèrent inévitable la confrontation entre les masses sans armes et les forces de répression armées jusqu'aux dents, soit ils commencent immédiatement la préparation et l'organisation de l'armement des masses ».

En parlant du Mendozazo, l'article affirme :

« Les travailleurs avaient à se confronter les mains nues avec une bande d'assassins du peuple qui tiraient sans pitié sur les foules de travailleurs douzaines de personnes. Mais comment improviser sur place l'armement, l'organisation et la tactique de groupes d'auto‑défense ».

Cette description éloquente est en fait trompeuse, car elle démontre que le rapport de forces avait atteint un point où la classe dirigeante sentait qu'elle pouvait massacrer les masses, pendant qu'elles étaient en mouvement, sans provoquer une crise nationale. Comme nous l'avons déjà signalé, ce n'était pas la situation en Argentine. En fait le prétendu massacre de « plusieurs douzaines de personnes » n'a pas eu lieu au Mendozazo. La défense de la ligne du PRT (Combatiente) était un peu trop éloquente.

Les camarades du PRT (Combatiente) étaient beaucoup plus proches de la vérité. Au lieu de présenter la situation en Argentine comme une situation semi fasciste, ils admettaient dans un éditorial, écrit à la même époque que l'article de « La Gauche », que des ouvertures légales étaient apparues et que la bourgeoisie allait vers un régime parlementaire bourgeois.

Les rapports entre le mouvement de masse, les rangs de l'armée et la classe dirigeante n'étaient pas présentés d'une manière correcte dans « La Gauche ». Les masses continuaient à affluer dans la rue précisément parce qu'elles sentaient que la classe dirigeante hésitait devant l'épreuve de force. Les masses sentaient également l'hésitation des soldats qui ne voulaient pas utiliser leurs fusils contre les leurs.

Une grande lutte se déroule en Argentine en ce qui concerne la loyauté des rangs de l'armée, le niveau de conscience des travailleurs et le comportement de la petite bourgeoisie. Lanusse fait de son mieux pour convaincre la classe dirigeante de serrer les rangs et d'aider à détourner les masses du chemin de la révolution. Encore une fois, on utilise Peron à l'âge de 77 ans. La répression est soigneusement pesée contrairement à l'image donnée par l'article de « La Gauche ».

Quant aux trois alternatives ‑ démobiliser les masses, mener les masses au massacre ou commencer à les armer ‑ les réponses proposées dans l'article ne sont pas sans intérêt.

Les deux premières alternatives sont rejetées. « Reste la dernière possibilité, qui est celle proposée et appliquée par nos camarades argentins. Les révolutionnaires construisent des détachements armés autonomes et clandestins, qui s'implantent dans le mouvement de masse au fur et à mesure qu'il se développe et atteint un niveau de plus en plus élevé. Cela doit stimuler la formation de détachements armés de plus en plus larges qui fusionneront par la suite ».

La référence à « nos camarades argentins » ne désigne pas bien sûr, le PRT Trotskiste (La Verdad) mais le PRT castriste (Combatiente). Ce sont eux qui mettent en pratique le « tournant » adopté au 9° congrès mondial. On commence avec « des détachements armés autonomes et clandestins » et ils grandissent, ‑ comme le dit « Estrella Roja » -, « progressivement de façon linéaire ». Quand ils deviennent grands, ils sont implantés dans le mouvement de masse. Comment y arrivent‑ils ? On ne nous le dit pas. Ceci est compréhensible. La contradiction entre les détachements autonomes et clandestins et les organisations du mouvement de masse n'a pas encore été résolue, ni par le PRT (Combatiente) ni par l'éditeur de « La Gauche ».

Nous sommes obligés de revenir à une question plus simple. Comment ces petits détachements du début deviennent‑ils de plus en plus grands ? L'article de « La Gauche » propose un schéma qui souligne l'intérêt présenté par un tel développement :

« A l'époque de l'insurrection de Mendoza ‑ où nos camarades n'étaient pas encore implantés ‑ la présence de tels détachements armés aurait joué le rôle‑ d'un pôle organisateur pour les éléments les plus avancés parmi les travailleurs. Chaque cellule combattante, déjà entraînée et armée serait devenue l'organisateur d'un groupe plus large de travailleurs ».

Mais comment s'implanter ? Comment les détachements deviennent‑ils de plus en plus larges ? On ne nous fournit aucune réponse.

Plus on étudie l'article de « La Gauche », plus il paraît étrange. Considérons la phrase : « la présence de tels détachements armés » à Mendoza. Qu'est‑ce‑que signifie « présence » ? Est‑ce‑que les groupes clandestins autonomes doivent surgir de la clandestinité et engager une bataille rangée avec les troupes gouvernementales ? Doivent‑ils adopter une tactique de harcèlement ? Ou tendre une embuscade pour un ou deux soldats ? Qu'elle est l'alternative correcte ? Est‑il toujours correct de tenter une de ces possibilités dans toutes les manifestations de masse en Argentine ? Qui doit en prendre la décision ?

Est‑ce une organisation comme le PRT (Combatiente) qui peut la prendre de façon unilatérale alors qu'elle ne dirige pas le mouvement de masse, alors qu'elle n'a pas encore trouvé le moyen de se lier aux masses ?

C'est sans doute en pensant à des stratèges semblables à l'éditeur de « La Gauche » que Lénine a écrit un petit article intitulé « A propos de manifestations » qui termine avec ce qu'on pourrait appeler une morale :

« Précisément parce qu'un pas tel que la transition à la confrontation armée de rue est un pas 'difficile' et parce qu'il est inévitable à plus ou moins brève échéance, il ne peut et ne doit être pris que par une organisation révolutionnaire puissante qui dirige directement le mouvement »

(Œuvres complètes, Vol. b, page 262. Souligné dans le texte original)

Lénine insiste sur certains préalables à l'engagement de la lutte armée : il faut avoir la capacité réelle de diriger des manifestations, d'avoir un service d'ordre, d'attirer les observateurs dans l'action et il faut avoir une organisation révolutionnaire puissante. L'article de « La Gauche » n'avance qu'un préalable ‑ la présence de détachements armés clandestins qui peuvent devenir les organisateurs de détachements plus importants.

Ironiquement, tout en affirmant « notre accord avec l'orientation générale du PRT de développement de la lutte armée », l'article laisse des doutes cependant sur le problème de savoir si cette orientation a réellement fait avancer les choses dans le sens de la résolution du problème principal. Il exprime « l'espoir que nos camarades trouveront le moyen de lier cette lutte plus intimement au développement de la lutte des masses... ».

Nos martyrs argentins[modifier le wikicode]

Nous avons déjà considéré comment l'orientation guérillériste a augmenté les difficultés de prolétarisation et de recrutement. La rapidité avec laquelle le groupe de guérilla peut déployer ses forces ‑ un des principaux avantages de ce type d'activité ‑ est contre‑balancée par son incapacité inhérente à occuper rapidement les brèches où un recrutement rapide devient possible.

Il faut constater en plus qu'une organisation qui se concentre sur la préparation et la participation à la guerre de guérilla connaît un roulement important de militants. En plus des exigences de pure résistance physique, ce type d'activité avec la tension nerveuse qui l'accompagne, est difficile à soutenir pendant une période prolongée. Il est vrai que certaines personnes trouvent l'atmosphère à leur goût et sont attirées par une organisation qui leur offre l'aventure et le risque au plus haut degré. Mais même eux s'épuisent sous peu. Tout cela entraîne un rythme de croissance très lent.

En Argentine, cela peut se voir au niveau des différents, rythmes de croissance du PRT (Combatiente) et du PRT (La Verdad). En 1969, au moment du 9° congrès mondial, ils étaient de taille à peu près égale et le PRT (Combatiente) était en mesure de présenter plausiblement son cas en prétendant tenir la majorité à cause de déplacements de voix en sa faveur au sein du Comité Central de l'organisation unique. Depuis 1969, le PRT (Combatiente) a eu droit aux grands titres de la presse bourgeoise, de la radio et de la TV. Néanmoins le PRT (La Verdad) est maintenant, sans aucun doute, de loin l'organisation la plus importante ; il est beaucoup plus implanté dans les masses (si l'on en juge sur les critères objectifs tels que le nombre de cadres, la présentation de listes syndicales de gauche, l'animation de fractions gauches dans les syndicats et le volume, la fréquence et la circulation de sa presse).

De plus, le PRT (Combatiente) a souffert de plusieurs scissions assez obscures qui ont radicalement changé la composition de la direction : les 2/3 du CC qui existait à l'époque du 9° congrès mondial ont quitté l'organisation ou en ont été exclus. Par contre le PRT (La Verdad) a montré une stabilité au niveau de sa direction, il s'est renforcé en attirant de nouveaux jeunes cadres et il a prouvé la force attractive qu'il exerce sur d'autres courants de gauche à travers son unification avec l'aile de Coral du Partido Socialista Argentino. (Voir note à la fin du chapitre)

Du point de vue de la capacité à regrouper le nombre « minimum » de cadres nécessaire pour engager toute activité politique à un niveau supérieur et ceci est un critère très important, si il n'est pas fondamental, le PRT (Combatiente) a traîné loin derrière le PRT (La Verdad).

Un des pires désastres dont a souffert le PRT a été la perte de cadres dirigeants aux mains des bouchers de la dictature militaire. Cela est un des côtés les plus douloureux de l'expérience argentine qui a angoissé le mouvement trotskyste du monde entier.

La minorité a ressenti ces pertes d'autant plus durement qu'elle les avait prévues comme inévitables. Il y a peu de mérite à avoir prévu ce qui est arrivé. Cela est déjà arrivé à toute une série de groupes de guérilla en Amérique Latine, y compris à une force dirigée par un maître de la guérilla, Che Guevara, et soutenue par un pouvoir d'État. La minorité pensait que notre mouvement n'avait pas besoin de faire concurrence à ces groupes en ajoutant d'autres noms à la longue liste de martyrs.

Il n'est pas difficile de faire des oraisons funèbres ou d'écrire avec, éloquence sur l'esprit de sacrifice, l'héroïsme et le dévouement à la cause du socialisme qui motivaient lei jeunes hommes et femmes qui sont morts au massacre de Trelew où dans d'autres prisons de la dictature militaire, ou qui sont tombés à la fleur de l'âge dans un raid futile.

De telles actions trouvent un écho favorable dans l'extrême-­gauche, y compris dans les secteurs qui sont incapables aussi bien d'actions audacieuses que d'efforts patients et soutenus dans le cours quotidien de la lutte de classes. Il est moins populaire de se différencier politiquement des martyrs et d'essayer de tirer pour nous‑mêmes les leçons que nous enseignent leurs erreurs. Nous choisissons de suivre ce cours même au risque d'être incompris pendant un temps. Et nous proposons de faire notre possible pour changer une orientation qui implique un tel coût inutile et élevé en vie de nos cadres.

Lors d'un congrès national qui se tint le 17 décembre 1972, après que ce document soit émis, le PSA a changé le nom de l'organisation en Partido Socialista de los Trabajadores (PST ‑ Parti Socialiste des Travailleurs).

IV : La crise dans la IV° Internationale[modifier le wikicode]

Au lieu de revenir en arrière, les leaders de la majorité ont continué à s'enfoncer dans leur cours erroné. Ils ont érigé l'orientation de guérilla adoptée au neuvième Congrès Mondial en principe virtuel.

Comme nous l'avons vu, les leaders de la majorité ont fermé les yeux sur les orientations aventuristes prises en Amérique Latine au nom de ce « tournant » et les ont même saluées. Ils ont gardé le silence sur les plus graves ruptures par rapport au programme, tradition et pratiques du trotskysme tandis qu'ils affirmaient publiquement leur solidarité avec ceux qui étaient impliqués dans cette voie, de telle sorte qu'ils encourageaient de semblables violations ailleurs dans le mouvement trotskyste mondial.

Il est vrai qu'ils ont fait quelques mises au point. Comme nous l'avons déjà indiqué, ils ont déplacé l'accent de la guerre de guérilla rurale vers la guerre de guérilla urbaine. Ils ont davantage reconnu la possibilité de « variantes exceptionnelles », à savoir les soulèvements de masse dans les villes, l'arrivée au pouvoir de régimes réformistes, et l'apparition d'ouvertures légales ou semi‑légales pouvant être utilisées par le mouvement révolutionnaire.

Ces concessions n'ont rien changé en profondeur. Leur ligne reste la même. Ce qui s'est produit, en fait, est que l'orientation de guérilla est devenue plus concrète. Comparée à l'état actuel des choses, cette ligne était seulement esquissée au 9° Congrès mondial. Il était alors difficile pour beaucoup de camarades de comprendre que quelque chose de plus important qu'une tactique était en fait impliqué.

Combien de délégués au 9° Congrès mondial auraient voté pour cette ligne si elle avait été présentée de façon franche et ouverte, telle qu'elle s'est révélée en pratique ? Qui, par exemple, aurait voté pour un « tournant » impliquant des distributions aux pauvres, à la Robin des Bois, de biens de consommation chipés aux riches ? Ou pour des commandos armés entrant dans les usines pour tenir des « meetings avec les ouvriers » et distribuer des tracts à la pointe du fusil ? Ou de minuscules groupes armés défiant les forces armées de I’État sans avoir construit de parti révolutionnaire, sans le moindre travail préliminaire au sein des forces armées, et dans un complet isolement des masses? Ou de kidnapper des membres individuels de la bourgeoisie, les retenant pour rançon et les exécutant ? Ou de risquer la vie des meilleures cadres contre plus forts qu'eux dans des paris désespérés ? Ou des actions ultra‑gauches conduisant au désastre les sections y étant engagées ?

Si tout cela avait été précisé de telle sorte qu'il ressortait que tous ces points étaient nécessairement et inéluctablement inclus dans la ligne de guérilla, nous pensons que peu auraient voté pour elle. Ce qui a confondu le plus les délégués, était l'assurance que ce procédé amènerait rapidement une « percée » en l'appliquant à un pays judicieusement choisi, tel la Bolivie.

On ne peut que s'étonner. Est‑ce que les leaders de la majorité avaient une conception claire de ce que leur orientation donnerait en pratique ? Et ont‑ils gardé la description pour eux afin de ne pas faire une impression défavorable aux délégués ? Ou ont‑ils simplement procédé empiriquement, se fiant à la chance ? C'est difficile à déterminer. Peut‑être, le camarade Maitan, le principal artisan de cette orientation, n'était pas aussi naïf. Comme nous l'avons noté plus haut, il spécifiait un an plus tard « la perspective stratégique suivie par les camarades argentins est celle développée par le 9° Congrès Mondial de la IV° Internationale, la perspective creusée et rendue plus précise par les 2 derniers Congrès nationaux du PRT (...) ». Et il cita, avec approbation, les hold‑ups aventureux de banques et les distributions romantiques de biens de consommation qui firent « une grosse impression sur la presse bourgeoise quotidienne et hebdomadaire ».

La persistance de la majorité à suivre une ligne erronée s'est avérée coûteuse pour la IV° Internationale. La pire conséquence en est peut‑être, la détérioration politique qui s'est développée.

1 - La politique fait place au fusil[modifier le wikicode]

Il n'y a rien de très complexe dans la théorie de la guerre de guérilla. Si nous laissons de côté les spécifications qui font la plus grosse partie des manuels de guérilla, il reste la prééminence donnée aux armes. Ce qui compte est le fusil, dès qu'un groupe minimum (très petit) a été constitué. La politique compte fort peu ‑ et la théorie, évidemment, encore moins. Le dédain où les cubains tenaient, et tiennent encore, la théorie et les grandes leçons de la Révolution Russe est bien connu.

La raison pour laquelle on place ainsi le fusil au dessus de la raison humaine est fort simple : ça a marché ! Chacun peut vous parler des cas de la Chine et de Cuba. La théoriede la guerre de guérilla a élevé ces exceptions en norme et fait de l'ancienne ­norme élaborée et suivie par Marx, Engels, Lénine et Trotski, l'exception. Les révolutionnaires russes de 1905, et 1917, dans cette perspective, doivent être regardés comme des exceptions.

Ce qui est arrivé au 9° Congrès mondial, c'est l'infiltration de cette théorie pernicieuse dans la pensée de la direction de la majorité. Sa source première a été le mouvement castriste, spécifiquement Guevara. Cette acceptation faisait, partie d'une adaptation à l'ultragauchisme due à des causes variées analysées dans d'autres documents soumis précédemment à la discussion.

Nous avons vu ce que l'orientation de la guérilla a donné, en pratique, en Bolivie et en Argentine. Ici, nous avons besoin seulement de souligner comment la connaissance de la théorie de la guérilla aide à éclairer des mystères comme ceux du POR (Gonzalez) rejoignant les judas réformistes et bourgeois dans le FRA. Les camarades boliviens ont placé le problème des fusils au dessus des problèmes politiques.

Le cas du PRT (Combatiente) nous fournit un exemple saisissant, montrant comment cette théorie primitive conduit à s'écarter du trotskysme. Notez la suite logique.

  1. Trotski était un révolutionnaire, mais seulement un parmi d'autres, comme Mao, le général Giap, Kim Il Sung, Ho Chi Minh. Au dessus d'eux tous, le commandant Guevara, de qui les leaders du PRT (Combatiente) tiennent leurs idées.
  2. La IV° Internationale doit être reconnue comme ayant des buts révolutionnaires, mais elle comporte des « aventuriers contre-­révolutionnaires ». En d'autres termes, elle est assez gangrenée.
  3. Il est douteux que la IV° Internationale puisse être sauvée pour la révolution bien que cela mérite un effort.
  4. D'autres partis comme les PC albanais, chinois et nord‑coréen sont aussi révolutionnaires (s'ils portent la gangrène des aventuriers contre-révolutionnaires, cela n'est pas mentionné).
  5. Une nouvelle internationale doit être construite incluant tous ces partis (l'axe se déplace dans leur direction. Après tout, ils détiennent le pouvoir d'État).
  6. Le PC cubain est salué. Le PRT (Combatiente) souscrit déjà à sa direction, tout en gardant des liens nominaux avec la IV° Internationale.
  7. Il peut être possible d'établir des liens fraternels avec d'autres États ouvriers, en dehors de Cuba (ceci sans révolutions politiques dans ces pays ; en conséquence ces liens seraient avec le stalinisme).
  8. L'invasion de la Tchécoslovaquie par le Kremlin était, après tout, du plus grand intérêt pour le socialisme.

Toute cette suite n'est pas le signe d'une confusion absolue, bien qu'elle n'en manque pas. C'est l'indication claire de la direction du mouvement, s'écartant du trotskysme pour se tourner vers la théorie de la révolution en 2 étapes et vers le stalinisme, avec pour résultat final très probable une désintégration politique. Le seul point stable dans cette érosion de principes est la conviction que les fusils prendront le pas sur la politique ; cela, bien sûr, est la principale source d'érosion quant à la théorie elle‑même. En passant, nous pouvons noter que cela est la clé permettant de comprendre pourquoi le PRT (Combatiente) n'a pas eu de difficulté à établir et maintenir des relations fraternelles avec les formations politiques les plus disparates, à la fois en Argentine et à l'extérieur, allant de la IV° Internationale jusqu'au PC cubain, faisant des avances à Kim Il Sung et Enver Hoxha. Les dirigeants du PRT (Combatiente) se font presque un principe de ne pas laisser les principes politiques interférer avec le développement de la guerre de guérilla.

Quant aux différenciations politiques à l'intérieur de la direction de l'ERP‑PRT (Combatiente), nous n'en connaissons que peu de choses. La majorité du Secrétariat, Unifié n'a pas donné au mouvement trotskyste mondial d'information sur ce qui arrivait aux deux tiers du Comité Central qui ont été exclus ou l'ont quitté depuis le 9° Congrès mondial. Ce que nous en savons indique qu'un changement plus ou moins important s'est produit. De plus en plus, ils insistent sur l'organisation et l'application des actions de guérilla, de moins en moins sur l'impulsion et la poursuite d’initiatives politiques. Les dirigeants aux meilleures capacités politiques sont remplacés par d'autres, plus experts au maniement du fusil.

2 - L'engagement sur cette voie s'approfondit[modifier le wikicode]

Il serait insuffisant de dire que les leaders de la majorité n'ont pas résisté à cette tendance. En réalité, ils s'y sont soumis, aidant ainsi à la répandre dans la IV° Internationale. En bref, en applaudissant les guérillas trotskystes en Bolivie et en Argentine, ils sont eux‑mêmes coupables de diminuer l'importance et le maintien de la tradition trotskyste qui place en tout premier plan les principes politiques.

Un bon exemple a été la défense éloquente de l'ERP‑PRT, dans le numéro du 21 avril 1972, de « La Gauche », quant aux exécutions d'Oberdan Salustro et du général Sanchez. Cet article de 2 pages, « Lutte des classes et lutte armée en Argentine », se terminait en affirmant que la ligne suivie par l'ERP‑PRT était correcte, quelles qu'aient pu être les erreurs de parcours. Il affirmait, que la IV° Internationale était confrontée à deux tâches. L'une était l'affirmation d'une complète solidarité avec les camarades mis en cause. L'autre était

« l'affirmation de notre accord avec l'orientation générale du PRT de développement de la lutte armée, tout en exprimant l'espoir que nos camarades trouveront le moyen d'articuler cette lutte de la manière la plus intime avec le développement de la lutte des masses, avec l'élargissement d'une assise organisée au sein des masses, et avec une orientation politique claire vers la révolution socialiste et prolétarienne contre tout concept de révolution par étapes ».

L'article, dont l'auteur restait anonyme mais qui certainement trouva l'appui de l'éditeur de « La Gauche », le camarade Mandel, se poursuivait par des conclusions catégoriques sur l'efficacité et les possibilités d'application de la stratégie de la guerre de guérillas :

« La leçon à tirer des événements d'Argentine est d'ailleurs, à ce propos, d'importance universelle. Les tentations d'en revenir à des régimes fascistes ou de dictature militaire effleure constamment la bourgeoisie dès que les luttes de classes s'exacerbent, où que ce soit dans le monde ».

« Les classes possédantes doivent maintenant savoir qu'après l'expérience de l'atroce barbarie nazie, l'avant garde jeune de par le monde, ne tolérera plus jamais la forme la plus abjecte des guerres civiles : celle où un camp est armé jusqu'aux dents et assassine, torture et opprime sans merci, alors que l'autre camp est physiquement, psychologiquement et politiquement désarmé et se résigne passivement au rôle de victime. L'exemple de l'Argentine démontre que cette avant‑garde ‑est déjà suffisamment forte et résolue pour qu'une telle infamie ne se répète plus ».

Nous nous arrêtons, étonnés des perspectives que ceci suggère la guerre de guérilla peut‑elle arrêter le fascisme ? Que dire alors de la ligne préconisée par Trotski dans la lutte contre la montée d'Hitler ? Pourquoi ne préconisait‑t‑il pas la guerre de guérilla dans le style du PRT (Combatiente) ou des Tupamaros ? En fin de compte, est‑ce qu'il passa à côté de la situation allemande du début des années 30 ?

Et sur le fascisme en Italie ? Lénine, que les camarades de la majorité ont cité et recité comme l'un des authentiques protagonistes de la guerre de guérilla, était encore vivant. Pourquoi Lénine ne préconisa‑t‑il pas la guerre de guérilla comme un moyen sûr d'arrêter Mussolini ? Peut­-être Lénine était‑il devenu sénile ou réformiste ?

Si intéressantes ces questions soient‑elles, reportons leur discussion. Nous voulons maintenant insister sur un point d'intérêt plus immédiat. Qu'est‑ce que cette prétendue leçon « d'importance universelle », suggérée aux jeunes camarades de notre mouvement, non seulement en Argentine, mais partout dans le monde, y compris en Europe ?

La réponse est qu'ils commencent à penser, très logiquement, que ces actions armées de type autonome et clandestin, telles que celles effectuées en Argentine, sont applicables ailleurs dans le monde. En Europe, par exemple, il est parfaitement clair que la Grèce, le Portugal et l'Espagne ont des régimes dictatoriaux qui sont pires que celui d'Argentine. Qui plus est, la bourgeoisie est tout à fait capable de mettre en place des régimes semblables dans des pays assez avancés ‑ comme l'indique la tendance actuelle favorable à l'établissement d'États « forts ».

Il serait à peine nécessaire, arrivés à ce point, de montrer que cette ligne logique de pensée, issue du « tournant » adopté au 9° Congrès mondial, s'est développée dans des secteurs de la IV° internationale. Elle a influencé l'orientation sur bien de questions que nous ne discuterons pas ici.

Notons, cependant, le critère exposé publiquement par les camarades éditant « « Rood », selon lequel le terrorisme individuel est une tactique valable sous un régime dictatorial si c'est populaire et si ceux qui y sont engagés ont l'appui des masses.

Notons l'admiration et l'approbation des actions terroristes au Québec exprimées par quelques leaders européens de la IV° Internationale. « Je crois, dit le camarade Tariq Ali[9] à la télévision quant on lui a demandé son opinion sur le kidnapping terroriste au Québec, que la terreur individuelle se justifie lorsqu'un mouvement de masses existe;quand vous avez l'appui des masses à l'intérieur d'une société particulière, alors c'est justifié ». (« Pour la défense de la stratégie léniniste de Construction du Parti», Documentation internationale A.L., fasciculé b, p. 86).

Le même type de raisonnement apparaît dans l'observation non critique, de l'usage des méthodes terroristes en Irlande, particulièrement celui des Provisoires, l'aile la plus extrémiste et la moins politique de l'Armée Républicaine Irlandaise. Cette observation non critique reflète la non compréhension de concept marxiste de lutte armée, elle conduit directement au « tournant » adopté au 9° Congrès mondial et au transfert de l'orientation de guérilla de l'Amérique Latine sur la scène européenne.

3 - De mal en pis.[modifier le wikicode]

Dans l'esprit de quelques camarades d'Europe, l'article de « La Gauche » soutint cette tendance, bien que cela ait pu ne pas être l'intention de l'éditeur. Le camarade Mandel peut avoir seulement voulu ouvrir les pages de La Gauche à la défense la plus éloquente possible des camarades de l'ERP‑PRT (Combatiente) car ceux‑ci subissaient une très lourde attaque pour une très grave faute commise (bien que leur action n'était pas plus erronée que l'ensemble de leur ligne politique).


En même temps, l'article servait à défendre la ligne de la majorité telle qu'elle s'est développée en pratique. Au lieu d'aider à corriger une erreur faite par les camarades argentins, l'éditeur de « La Gauche » s'en est fait lui‑même 1’apologiste. Au lieu d'aider à rectifier la ligne erronée adoptée au 9° Congrès Mondial, il aidait à la renforcer en la justifiant à un niveau universel. Finalement, au lieu de commencer à se corriger lui‑même, il s'est enfoncé dans l'erreur, en entraînant d'autres avec lui.


Le camarade Maitan était le principal théoricien du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. Ce qu'il a tenté, a été d'ouvrir le trotskysme à la théorie et à la pratique de la guerre de guérillas. Ceci a requis de trouver des précédents historiques et des soutiens péremptoires dans les œuvres d'Engels, Lénine et Trotski, entreprise où il a été habilement assisté par les camarades Germain et Knoeller. Pendant un moment, il apparût que le camarade Maitan pourrait reconsidérer sa position au vu des conséquences de ce « tournant » en Bolivie et en Argentine. Une évolution du camarade Maitan aurait été un développement très favorable car cela aurait grandement aidé à réparer les dommages. Il apparaît maintenant, que sa, position est tout autre bien qu'il semble hésiter à appliquer le « tournant » du 9° congrès mondial à l'Italie, malgré les recommandations de l'éditeur de « La Gauche » sur l'utilité de la guerre de guérillas dans la lutte contre la renaissance du fascisme.


La création d'une atmosphère favorisant l'extension de l'orientation de guérilla en des zones très éloignées de l'Amérique Latine a été également favorisée peut‑être à son insu par le camarade Pierre Frank. Il est bien sûr, un chaud partisan du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. Il est aussi un chaud partisan du PRT (Combatiente). Dans sa lettre du 26 juillet 1971 au congrès du Socialist Workers Party, il réaffirme sa position en ce qui concerne les activités de nos camarades de la section argentine, le PRT et son organisation armée l’ERP :

« Nous ne les considérons pas comme ultra‑gauche. Elles correspondent dans le présent à des nécessités de la lutte des classes en Argentine ».

(Lettre au congrès de Pierre Frank. Documentation Internationale, « Amérique Latine ». Fascicule b page 136).

Le camarade Frank a été spécialement préoccupé par le fait qu'une distanciation publique à l'égard des erreurs de l'ERP‑PRT puisse ouvrir la porte au « fédéralisme » et par conséquent saper le principe du centralisme démocratique, Mais en attaquant les déclarations faites par divers secteurs du mouvement trotskyste mondial se dissociant des méthodes terroristes, tout en se solidarisant avec les camarades de l'ERP‑PRT (Combatiente) contre les attaques de l'ennemi bourgeois, le camarade Frank s'est placé lui‑même en position telle qu'il cautionne ces méthodes et aide leur propagation dans l'Internationale.

4 - « Le centralisme démocratique » devient factice[modifier le wikicode]

Les camarades Alain Krivine et Pierre Frank ont soulevé une autre question, la violation possible des règles du centralisme démocratique par la minorité. Dans leur article « Encore et toujours la question de l'Internationale », ils demandent une révision des statuts de la IV° Internationale au prochain congrès mondial. Pour justifier leur proposition, les camarades Krivine et Frank ont cité des exemples tendant à montrer que les statuts présents sont trop vagues. Nous ne trouvons pas les statuts parfaits. Cependant, nous ajournons pour l'instant la réponse soit à cette question, soit à la pertinences des exemples cités.


Les camarades Krivine et Frank ont avancé la conception d'une Internationale hautement centralisée, à même d'intervenir dans la vie des sections d'une façon énergique et puissante. Encore une fois, nous remettons la discussion sur l'opportunité ou la possibilité d'une telle Internationale hautement centralisée dans l'état actuel de développement de notre mouvement. Ce que nous voulons maintenant, c'est principalement souligner le point important de l'article, suggérant que la minorité avait violé les règles du centralisme démocratique. Voici ce que les deux auteurs disent :

« Nous en sommes jusqu'à présent restés aux arguments qui nous paraissent dangereux. Malheureusement, nous avons à ajouter en outre que depuis le dernier congrès mondial, dans la pratique, les choses ont été dans une direction opposée au renforcement de l'Internationale, en particulier en ce qui concerne l'Amérique Latine. Sur ce sujet, il y avait une majorité et une minorité au congrès mondial ; il avait été décidé que, tout en agissant selon l'orientation votée, la discussion serait réouverte à une date à choisir en plenum du CEI ; ceci fût fait à la fin de 1970. Les camarades du SWP des États­-Unis soutenaient le point de vue minoritaire. Nous devons regretter qu'ils ne se soient pas bornés à défendre leur opinion dans la discussion ce qui était évidemment leur droit le plus incontestable ‑ mais aussi à travers de multiples interventions, qu'ils aient encouragé ceux qui partageaient leur point de vue à ne pas tenir compte du vote du congrès mondial et ce même contre ceux qui appliquaient l'orientation prise par la majorité. C'est en Argentine que l'affaire a pris le plus d'acuité. Personne n'a jamais songé à demander aux membres de « groupes sympathisants » d'appliquer la ligne votée, car ils n'auraient pu le faire. Du moins devaient‑ils avoir une véritable attitude de « sympathisants » envers ceux qui l'appliquaient et qui couraient quotidiennement des risques pour leur vie. L'appui du SWP en Argentine et dans plusieurs pays d'Amérique Latine, est allé, tant par la presse éditée sous son contrôle que par les interventions des membres de sa direction, à des groupes ou des camarades qui combattaient ouvertement l'orientation décidée par le congrès mondial. Nous ne nous attarderons pas plus longtemps sur ce sujet puisque c'est un fait notoire que personne ne peut contester.

Nous ne pouvons évidemment accepter « l'argument » selon lequel le 'groupe sympathisant' « La Verdad », avait une politique correcte, une conception léniniste de la construction du parti, tandis que la section argentine de la IV° Internationale ne serait qu'une formation ultra‑gauche. D'abord parce que nous ne partageons pas du tout ce point de vue (mais ce serait là l'objet d'une autre discussion). Ensuite parce qu'il n'est pas possible qu'une organisation nationale, quelle qu'elle soit, prenne sur elle de décider au niveau international qui est et qui n'est pas trotskyste. Finalement parce que dans le cas en question, il est indéniable qu'en intervenant contre la section argentine, on intervenait de fait contre la décision prise par le congrès mondial. Il sera possible au prochain congrès mondial de confirmer ou d'infirmer la décision du précédent congrès, mais quiconque le fait, maintenant, de sa propre autorité, nie simplement le centralisme démocratique au niveau international et met en cause plus que les « droits » de tel ou tel organisme international élu ‑ le vote du congrès mondial et par suite les obligations que ce vote impose ; en d'autres termes, c'est l'existence même de l'internationale qui est remise en cause. »

« Encore et toujours la question de l'Internationale », Op..Cité­. Fascicule b ‑ page 132‑133, souligné dans l'original.

Nous n'acceptons pas l'accusation selon laquelle la minorité s'est engagée dans quelques violations que ce soit du centralisme démocratique en développant ses opinions à l'intérieur du mouvement trotskyste mondial pendant la période de discussion sur l'Amérique Latine. Et nous nions qu'une violation quelconque du centralisme démocratique soit en cause dans le cas de certains secteurs du mouvement trotskyste mondial qui se sont dissociés des méthodes terroristes employées en Argentine ou qui désapprouvèrent l'appui publique de telles méthodes faites par les membres de la majorité, laissant de côté la discussion de ces accusations et de ces dénégations, nous voulons surtout attirer l'attention sur un autre point : quel rôle, le lancement de telles accusations a‑t‑il dans la discussion sur l'Amérique Latine ? La réponse est que cela a aidé à écarter l'attention de très réelles violations du centralisme démocratique commises par le PRT (Combatiente) en Argentine.

Ces violations incluaient la mise en doute publique du caractère révolutionnaire de la IV° Internationale et l'appel à la formation d'une « nouvelle Internationale révolutionnaire ». Elles incluaient la caractérisation public des partis Albanais, Chinois, Cubain, Nord‑Coréen et Nord‑Vietnamien en tant qu'organisations révolutionnaires et bases potentielles de la nouvelle Internationale proposée. Elles incluaient le soutien public à des organisations hostiles à la IV° Internationale, contre les sections officielles ou les groupes sympathisants de certains pays. Elles incluaient de s'opposer publiquement à la progression de la révolution politique en Chine et dans d'autres États ouvriers staliniens. Elles incluaient la déclaration publique que la section officielle de la IV° Internationale en Argentine acceptait les conseils du Parti Communiste Cubain. Elles incluaient de mettre publiquement Trotski au même niveau que Mao‑Tsé‑Toung, Kim Il Sum, Ho Chi Minh, le général Giap et Che Guevara. Elles incluaient la discussion publique sur le trotskysme et le maoïsme présentés tous les deux comme continuation du léninisme, qui trouvaient une meilleure synthèse dans le castrisme.

Elles incluaient la négation publique de leur appartenance au trotskysme.

Qu'ont eu à dire les camarades Krivine et Frank sur ces violations du centralisme démocratique ? Pas un mot. Pas un seul mot, publiquement ou de façon interne. Ils n'ont même pas informé les membres de la IV° Internationale que ces violations avaient eu lieu.

Pourquoi les camarades Krivine et Frank sont‑ils restés silencieux ? Etant les deux leaders de la majorité les plus motivés pour le maintien du centralisme démocratique et pour la mise en évidence de toute déviation possible, il est difficile d'en venir à tout autre conclusion : ils considèrent que les violations faites par le PRT (Combatiente) en Argentine ne sont rien d'autre que le développement de la position réelle de la majorité et qu'elles sont par conséquent, non seulement légitimes, mais entièrement dans le cadre du centralisme démocratique.

Ou c'est cela, ou ils pratiquent leur propre version du « fédéralisme ».

5 - Aveugles à la logique du tournant[modifier le wikicode]

Il est difficile de croire que les camarades Krivine et Frank pouvaient être conscients de la direction politique dans laquelle le PRT (Combatiente) s'orientait politiquement. Peut‑être eux aussi ont‑ils été laissés dans l'ignorance par les camarades de la majorité qui devaient suivre les développements en Argentine. Dans ce cas, ils peuvent être accusés de montrer une confiance aveugle, ce qui n'est pas une qualité chez des leaders politiques de premier plan.

En plus d'une confiance aveugle, on peut les accuser d'être imperméables à la logique du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. L'extrait suivant de la lettre de Pierre Frank à la convention de 1971 du SWP nous le montre :

« Ce deuxième argument (du camarade Hansen), à savoir que la logique de ceux, qui préconisent la lutte armée doit les amener à l'étendre à d'autres pays que l'Amérique Latine, nous a encore plus surpris que le premier. Non pas que nous ne pensions pas que le problème ne se pose pas dans d'autres continents. Je pense par exemple que les Bengalis, les Ceylanais doivent eux aussi avoir quelques idées sur la lutte armée dans leur pays. Ce qui nous a énormément surpris, c'est d'abord que le camarade Hansen a réitéré la forme de sa « démonstration » invoquant contre nous des propos d'ultra‑gauches ».

(Lettre de Pierre Frank au SWP. Op.Cité. « Amérique Latine ». Fascicule b, page 135).

La vérité est que le problème de l'ultragauchisme s'était déjà posé à la IV° Internationale, avant le 9° Congrès Mondial. Il s'est présenté avec le gros influx de jeunesse radicalisée en France en 1968, beaucoup d'entre eux étant ultragauches, le problème devenait donc inévitable.

Une vision romantique de Che Guevara et de son aventure bolivienne était un des aspects de cet ultragauchisme. C'était un test pour les capacités de direction de la IV° Internationale que de surmonter cet ultragauchisme et, en particulier, l'acceptation non critique du guévarisme. Quand les leaders de la majorité s'adaptèrent à 1'ultragauchisme d'une partie de cette jeunesse radicalisée, et décidèrent de l'orientation de guérilla en Amérique Latine, il devint clair ‑ au moins pour quelques leaders du mouvement trotskyste mondial ‑ que la maladie était contagieuse et pouvait se propager, bien au‑delà de l'Amérique Latine, en particulier depuis que le recrutement dans le mouvement étudiant radicalisé venait renforcer cette tendance dans l'Internationale, consacrant l'échec de la direction majoritaire à donner une éducation correcte à ses nouveaux membres.

L'évidence de tout ce qui arrivait, était très grande.

C'était visible non seulement dans les positions ultragauches prises par quelques groupes trotskystes, sur diverses questions : on pouvait le voir dans les acclamations non critiques données aux actions de guérilleros qui étaient en opposition politique avec le trotskysme. Leur politique était négligée ; leurs exploits de guérillas étaient cités en actions exemplaires. Des fautes graves par de tels guérilleros étaient même décrites de façon à en faire des modèles. Ce développement a été facile à suivre dans les reportages parus dans Red Mole, Rouge et d'autres journaux de notre mouvement, sur les guérillas au Québec, en Irlande et bien d'autres endroits de l'Amérique Latine.

6 - La France, mûre pour la guerre de guérilla ?[modifier le wikicode]

Confirmant les craintes de ceux qui s'opposèrent au « tournant » du 9° Congrès Mondial, des membres importants de la majorité, dans la Ligue Communiste, l'organisation même du camarade P. Frank, ont maintenant soulevé la question de l'orientation de guérilla en France. Ils sont extrêmement sérieux. La Ligue Communiste, affirment‑ils, n'a pas d'autre solution pour sortir de la crise en vue.

La nouvelle ligne proposée par la section française de la IV° Internationale a été proposée par Anthony, Arthur, Jebrac[10] et Stephan dans un long article publié dans le bulletin intérieur de La Ligue Communiste.

L'article est du plus grand intérêt, non seulement parce qu'il montre, avec l'évidence la plus irréfutable, le processus mis en marche par le « tournant » adopté au neuvième Congrès Mondial, mais aussi parce que pendant une bonne partie, il esquisse, les sous-bassements théoriques de ce tournant de ce point de vue, de même que la franchise des camarades du PRT (Combatiente), l'article permet une avance bienvenue dans la discussion internationale. Par conséquent, il demande la plus grande attention, et étude. Bien que cela allonge un document déjà long, nous pensons qu'il s'avérera utile de résumer le raisonnement des 4 auteurs, d'autant que l'article, en tant que tel, n'est disponible qu'en français seulement.

Telles qu'ils la voient, la Ligue Communiste fait pas mal de progrès en recrutement mais pas suffisamment pour qu'il soit possible d'envisager de façon réaliste la lutte pour le pouvoir dans un avenir immédiat. En fait, le travail d'extension de l'organisation sur le plan géographique est à débattre.

« Mais nous allons vite parvenir à un seuil où cette croissance spontanée n'est plus rentabilisée et peut même se traduire par une consommation à perte d'énergies militantes ». (« La question du pouvoir est posée. Posons‑là ». Bulletin d'Histoire et de Sociologie du XX° siècle N° 30. Juin 72. p. 8 ).

Dans quelles tâches autres que celles d'accroître la taille de l'organisation, l'énergie des militants pourrait‑elle être employée de façon plus profitable ? Nous y viendrons.

Le gros obstacle à une percée conduisant à poser la question du pouvoir en France, est le Parti Communiste parfaitement stalinisé, dans les rangs duquel, soutiennent les auteurs, il est virtuellement impossible, d'avoir, un impact. Dans les syndicats, aussi, le travail se défriche seulement bien qu'un progrès y soit enregistré. Les travailleurs, tout bonnement, n'acceptent pas la prétention à la direction de nos camarades et les projets d'une formation rapide d'une aile gauche restent lointains.

Il faut noter aussi le contraste avec l'Argentine où le PRT (Combatiente), à en croire les camarades Maitan, Mandel et d'autres est extrêmement populaire. Les deux situations sont pourtant comparables dans le fait que le PRT (Combatiente) n'a pas encore résolu le problème de la « liaison » avec les masses.

Que penser de la possibilité d'un nouveau grand soulèvement en France suivant les schémas « classiques » de la révolution prolétarienne ? Les auteurs en accord avec la position générale de la majorité, en ont une vue pessimiste. Il est exclu, disent‑ils, que la France soit le témoin une autre fois, d'une situation comme celle de 1936 où la gauche gagne une bataille électorale accompagnée par une résistible montée des masses « que nous pourrions en poussant un peu, amener à la victoire finale » (Ibid. p. 4)

Cela requerrait pour la Ligue d'être intimement liée aux masses, perspective bouchée par l'obstacle du stalinisme et de la vigilance de la bourgeoisie.

Pendant que la Ligue Communiste se construit selon des schémas léninistes, il est exclu, soutiennent‑ils, que la bourgeoisie lui permette de devenir « robuste et profondément implantée dans les masses » :

« Or il serait naïf de croire, que la bourgeoisie sur ses gardes, ayant perfectionné son dispositif répressif, va laisser croître, en son sein, au‑delà d'un certain seuil, une réelle organisation révolutionnaire » (Ibid. p. 4. )

La situation en France, telle qu'elle est peinte par ces camarades, est grossièrement parallèle à celle de quelques pays d'Amérique Latine, après tout ! Que penser alors de la répétition d'une autre situation comme Mai 68, mais avec la Ligue Communiste capable d'en tirer l'avantage maximum ? « parce que la bourgeoisie et les staliniens ont tiré leurs leçons de Mai » (Ibid.p. 4).

On peut encore tracer un autre parallèle grossier entre la situation que la L.C. affrontera dans la période à venir, et celle couramment affrontée par nos camarades en Amérique Latine ; c’est-à-dire la répression sélective.

En continuant à se présenter au public, et « tenter de maintenir cette position le plus longtemps possible afin d'en tirer le maximum de profits », le parti devient plus vulnérable à la répression des escouades aux gros bras d'extrême droite qui cherchent à coincer des militants individuels et à saccager les locaux.

Il n'y a pas d'autres choix, selon ces camarades, que d'envisager d'être clandestins. Ils pensent que

« pour nous, il n'y a pas de distinction absolue entre une période de légalité et une période de clandestinité. Nous sommes en sursis. » (Ibid p. 4).

Une autre question grave doit être discutée. Sauf s'il devient clandestin, comment le parti peut‑il espérer maintenir son intégrité, comment peut‑il éviter de glisser dans le réformisme ? :

« Il arrive un moment où les avantages de la légalité ne l'emportent plus sur ses dangers. Ce moment, ce sera en partie à nous, de le déterminer. A condition d'avoir construit une organisation capable de franchir le pas. Sans quoi l'existence déterminant la conscience, une existence intégralement légale ne manquerait pas de produire une conscience légaliste » (Ibid p. 4. souligné dans l'original).

Le modèle que ces camarades ont en tête apparemment, c'est l'intégrité du PRT (Combatiente), qui place l'action de guérilla au-­dessus de toutes considérations, y compris les principes politiques et les fondements du trotskysme lui‑même.

En passant, ils expédient assez bien les positions théoriques de base. Par exemple, le « schéma classique de la révolution russe » qui existe réellement selon Maitan, Germain, Knoeller et Hansen, comme le montrent leurs écrits, « nous apparaît être tout à fait mythique » (Ibid p. 4 ). Dans toutes les révolutions y compris celles du passé, en Russie, ce qui est concerné à chaque fois, est un

« contexte militaire spécifique dans lequel le prolétariat est soit déjà armé, soit aidé militairement par d'autres forces sociales » (Ibid, p.4 ).

En bref, comme le PRT (Combatiente), les 4 réduisent le processus très complexe de la révolution à un aspect ‑ l'emploi des armes ‑ rejetant le reste comme hors de propos.

En plaçant la question militaire au dessus de toute considération ‑ ce qui est en accord strict avec le « tournant » adopté au 9° Congrès Mondial, ces camarades continuent :

« La forme d'organisation militaire du prolétariat, celle qui naît de ses luttes, c'est le piquet ou la milice de défense mutuelle. Ce sont des formes défensives, relativement dispersées, peu aptes aux épreuves offensives avec le pouvoir » (Ibid. p. 5).

L'arme 1 du prolétariat, la grève, est laissée complètement de côté, omission vraiment étonnante pour des camarades ayant vécu Mai-­Juin 68, alors que la France était témoin de la grève la plus grande et la plus paralysante de son histoire de récuser l'une des parties les plus fondamentales du Programme de Transition sur l'armement du prolétariat.

Ce n'est pourtant qu'une bagatelle comparée aux implications programmatiques de cette opinion. Ce que ces camarades ont fait, est de récuser l'une des parties les plus fondamentales du Programme de Transition sur l'armement du prolétariat.

Ils ont soulevé la question, c'est clair. Ils en sont venus à cette orientation, qui tandis qu'elle est en désaccord avec le Programme de Transition et avec tout ce que Trotski a enseigné, est solidement lié au « tournant » adopté au 9° Congrès Mondial et à la façon dont ce « tournant » fut mis en pratique par la majorité, à la fois, en Bolivie et en Argentine.

Les forces sociales rurales sont bien plus sûres que le prolétariat, même en France :

« La paysannerie est plus souple, a davantage de capacité d'esquive ; contre le féodalisme, elle est capable de s'organiser en colonnes armées ; la 8° Armée de marche en Chine est l'exemple le plus célèbre ; mais l'expérience remonte loin, entre autres à la célèbre guerre des paysans en Allemagne. » (Ibid. p.5).

Même dans les villes ce dicton s'applique. On ne peut compter sur le prolétariat ; la petite‑bourgeoisie offre de meilleurs espoirs :

« Les couches moyennes urbaines, par leur mobilité sociale, leurs ressources financières, matérielles, et techniques, fournissent la base sociale essentielle des guérillas urbaines ; c'est du moins ce qui apparaît dans les récits des Tupamaros sur eux‑mêmes ou dans la base sociale de l'ERP.

Si donc, on conçoit la crise révolutionnaire, non comme le moment béni où les masses se mettent en branle et s'arment spontanément, mais comme un moment où les masses permet de conclure victorieusement un processus de lutte prolongée, la phase préparatoire prendra pour nous, une importance d'autant plus grande que nous avons à réintroduire la dimension de la violence révolutionnaire à l'encontre de pesantes traditions du mouvement ouvrier. » (Ibid. p. 5. Souligné dans l'original)

Nous devons alors nous demander si nous ne sommes pas arrivés là au cœur de ce qu'est véritablement la position majoritaire ? C'est à dire l'abandon du programme de transition, d'une orientation prolétarienne, et la conversion de notre mouvement en un parti de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine avec une orientation correspondante en ce qui concerne la lutte armée ?

Les camarades Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane se font l'avocat pour la France de ce que pour l'essentiel la « résolution sur l'Amérique Latine » proposait pour ce continent.

Nous l'avons déjà cité une fois, peut être est‑il bon de la citer deux fois :

« En fait, dans la plupart des pays, la variante la plus probable est que pour une longue période, les paysans devront supporter le poids principal de la lutte révolutionnaire, tandis que dans une proportion considérable la petite‑bourgeoisie fournira les cadres du mouvement. » (Documentation Internationale. Cahier N° 1. Fascicule a. p. 9 )

7 - Une guerre révolutionnaire continentale[modifier le wikicode]

Avec une logique admirable, les 4 camarades continuent, posant le problème de la violence et de la construction du parti dans des termes qui ne signifient ni plus ni moins que l'extension du « tournant » du 9° Congrès Mondial, de l'Amérique Latine à l'Europe.

A partir de l'analyse tout à fait correcte, selon laquelle la dynamique révolutionnaire dans les pays européens dépasse les frontières nationales, ils affirment :

« La dynamique compte‑tenu des inégalités du développement est celle d'une guerre révolutionnaire continentale.»

( « La question du pouvoir est‑elle posée ? Posons là ! » Bulletin d'Histoire et de Sociologie du XX° Siècle. No 30. Juin 1972. p. 4 ).

« En imaginant, » écrivent les 4 camarades de la L.C., « qu'une poussée révolutionnaire de masse puisse suffire dans l'un des pays pour démanteler le pouvoir bourgeois, après se posera le problème plus durable du rapport de force militaire avec la réaction à l'échelle continentale ou sub‑continentale » (Ibid,. p. 4)

Cela place la Ligue Communiste face à un réel test :

« Il ne suffit pas de marmonner face au P.C.F. que les voies pacifiques sont en fait, un coupe‑gorge sanglant ; il faut que nous soyons capables de définir les conséquences pratiques de notre critique » ( Ibid. p. 4 )

Cela nous mène au point principal, à ce qui est la raison d'être du document.

« Les perspectives que nous pourrons dégager impliquent également un certain type d'organisation du point de vue de l'utilisation de la violence » (Ibid. p. 8 ).

Le raisonnement devient à partir de là, très concis, traitant très consciemment des questions aussi sensibles que les problèmes de construction du parti, des actions de guérilla, de la contradiction entre les deux, de la manière de résoudre cette contradiction, et si cela se révèle impossible, comment la contourner. Et ils le font à la lumière de l'expérience Iatino‑américaine et de la discussion sur ce sujet au sein de la IV° Internationale.

Contre les lambertistes, qui en principe, excluent l'usage de la violence par une minorité, au dire des camarades, la Ligue Communiste a une position différente.

« Ainsi », écrivent-ils, « en même temps, que nous faisons une propagande systématique sur l'auto‑défense comme forme d'organisation des masses en lutte, nous n'hésitons pas à recourir à des initiatives violentes quand leur relation à un travail de masse peut être clairement établie, que ce soit sur Burgos ou sur l'Indochine » (Ibid. p. 8)

Il est intéressant de remarquer en passant, qu'un seul critère - pour ce type d'action ‑ est avancé : l'existence claire d'une relation au travail de masse. A la différence des positions prises par Rood dans le cas de l'enlèvement et de l'assassinat de Sallustro en Argentine, les critères d'existence d'un régime de dictature et la popularité de l'action ne sont pas spécifiés.

Mais continuons :

« C'est dans ce cadre global qu'il faut comprendre et systématiser la dialectique violence de masse‑violence minoritaire » (Ibid. p. 8).

Mais concevoir de telles activités, non comme des à côtés spectaculaires,

« mais comme un axe permanent et essentiel de notre activité, doit entraîner une série de conséquences organisationnelles.» (Ibid. p. 8).

Cela implique la mise en place d'un cadre organisationnel spécifique pour de telles actions. Au delà, cela signifie concevoir la construction du parti de manière différente de jusqu'alors.

Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane sont en désaccord avec le camarade Maïtan dans sa polémique avec Hansen sur la question de la contradiction entre une orientation de guérilla et la stratégie léniniste de construction du parti. Ils pensent que le camarade Maitan a contourné le problème en demandant de façon rhétorique si Hansen n'avait jamais envisagé qu'il y ait contradiction entre la « construction du parti » et la « participation à une grève générale ». ( Ibid p. 7).

Les 4 camarades français pensent qu'il est évident que si un groupe a

« une orientation de lutte armée, et plus précisément de guérilla dans le cas considéré de l'Amérique Latine, alors c'est une donnée qui affecte l'ensemble du processus de construction du parti, lutte armée et travail de masse se posent de façon particulière et complexe. En gros, quel type de travail de masse, légal ou semi-­légaI, dans le mouvement ouvrier et chez les intellectuels, peut faire un parti clandestin engagé dans la lutte armée ? Quelle articulation entre revendications démocratiques et lutte armée ? Quelles structures organisationnelles capables de lier les deux fronts ? » ( Ibid, p. 7.)

Les 4 camarades résolvent cette difficile contradiction par un unique coup de maître. Ils redéfinissent ce qu'est un parti léniniste :

« Contrairement à ce que suggère la conclusion du texte de Hansen, le parti léniniste n'est pas le parti révolutionnaire adéquat au « schéma classique », mais le parti de la révolution prolétarienne en général. Et lorsque Lénine parle de militants qui soient des tribuns populaires et non des secrétaires de trade-­union, il affirme la fonction unifiante du parti. Autour et sous la direction du prolétariat, il s'agit de sceller l'alliance des différentes couches et classes sociales qui ne peuvent réaliser qu'à travers lui leurs intérêts. Cela permet notamment à la classe ouvrière de bénéficier des capacités militaires de la paysannerie et des couches moyennes urbaines ». ( Ibid. p. 5 ).

La confusion dans ce paragraphe entre le rôle du parti léniniste et le rôle des soviets est totale ; mais nous laissons la discussion de cette question pour plus tard.

La remarque finale d'Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane qui est peut‑être la plus lourde d'implications et qui montre à quel degré l'orientation du PRT (Combatiente) a eu un impact sur eux est celle selon laquelle la Ligue Communiste doit d'une manière ou d'une autre dépasser le « niveau propagandiste ». La IV° Internationale pourrait se « trouver elle‑même rapidement désarmée » si cela n'était pas fait. ( Ibid p. 9)

Il est particulièrement difficile disent‑ils, de répondre,

« aux questions que se posent certaines sections latino­-américaines ou les camarades espagnols, si nous fermons les yeux sur notre propre avenir tout en dissertant sur l'ensemble des problèmes internationaux. Il serait particulièrement dangereux de poser pour d'autres sections des problèmes que nous ne formulons même pas pour nous‑mêmes... » .(Ibid p. 9 ).

8 - Pourquoi ont‑ils été attirés par la ligne de l'ERP ?[modifier le wikicode]

Comme le montre ce document, il est clair que certains membres de la Ligue Communiste ‑ et non le secteur le moins important sont devenus impatients face à la lente et difficile tâche qu'est la construction d'un parti à la manière léniniste. Ils sont à la recherche de raccourcis. Ce raccourci semble aller dans la direction de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine.

Il est clair, de plus, que le rôle de la technique militaire a pris le pas sur le rôle de la politique dans leur manière de penser. Leurs convictions, tant en ce qui concerne l'impénétrabilité du Parti Communiste, la lenteur et la difficulté du travail au sein des syndicats, le caractère inadéquat des méthodes prolétariennes de lutte, le messianisme qu'ils sentent en relation à la violence, la justification qu'ils avancent pour la « violence minoritaire », une certaine forme de mépris pour la légalité, les vertus imaginées du travail clandestin et leurs propositions organisationnelles, en témoignent de façon éloquente.

Un autre signe de glissement de leurs idées est le concept selon lequel la bourgeoisie et les staliniens, ayant appris les leçons de Mai 1968 ne vont « permettre » aucune répétition (comme s'ils exerçaient réellement un tel contrôle sur la lutte de classe !).

Les 4 camarades en ont tiré la conclusion qu'il est possible de contourner la bourgeoisie et le stalinisme en abandonnant le combat pour la légalité, devenant clandestin et lançant quelque chose comme une guerre de guérilla urbaine ou rurale (ou une combinaison) en France. Il est curieux que ces camarades croient que la bourgeoisie et les staliniens, ayant appris les leçons de Mai 68, n'en permettront pas la répétition, mais permettront à un groupe de partisans de mener des actions posant sérieusement le problème du pouvoir. Les défaites d'une série de fronts de guérillas en Amérique Latine, le front de Che Guevara entre autres, ne montrent‑elles pas que la bourgeoisie a appris certaines leçons ?

Le désir des auteurs de copier les Tupamaros et l'ERP, c’est-à-dire d'appliquer en France, la stratégie adoptée par la majorité pour l'Amérique Latine, est l'aspect le plus sérieux du document. Commencer à envisager la projection d'une telle orientation, et de façon théorique, pour la France est un signe inquiétant de la manière dont le « tournant » du 9° Congrès Mondial a méséduqué toute une série de cadres importants dans la Ligue Communiste.

En l'absence d'une forte résistance de la direction, le danger de voir une orientation de guérilla mise en pratique en France, prend corps.

Les dirigeants majoritaires n'ont pas résisté ; ils ne se sont pas opposés à l’ultragauchisme ; ils s'y sont adaptés, l'ont encouragé.

Un seul détail peut illustrer la réalité du danger. A la suite du massacre de Trelew en Argentine, un groupe a lancé un cocktail Molotov à l'entrée de l'ambassade d'Argentine à Paris, de bonne heure le matin du 25 Août, et a lancé des tracts. L'action a été applaudie dans le numéro de Rouge en date du 2 Septembre. D'après l'article, l'action était le fait de « militants marxistes révolutionnaires ». Des commentaires laudateurs signés « Cuarta Internacional », probablement la publication en langue espagnole du Secrétariat Unifié, étaient reproduits. L'utilisation du nom « Cuarta Internacional » donna l'impression que la Quatrième Internationale endossait publiquement le lancement d'une bombe incendiaire.

L'approbation d'un tel substitut à des protestations de masse ne fait que souligner la faiblesse de la Ligue Communiste, c’est-à-dire la faiblesse de ses liens avec les masses et son incapacité à mobiliser pour une action significative.

La Ligue Communiste ne peut pas être blâmée pour ce qu'elle est incapable de faire. Cela ne serait pas raisonnable. Mais on peut la critiquer pour s'engager dans une action qui désoriente. Bien au-­delà du simple incident, toutefois, l'important réside dans le précédent ainsi établi et l'approbation d'une action ultra‑gauche de cette nature.

Un tel développement correspond à la logique de la position avancée par Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane ; et, naturellement à la logique de l'orientation de guérilla adoptée par la majorité lors du 9° Congrès Mondial.

Chaque camarade qui a suivi le développement de la discussion dans le mouvement trotskyste mondial depuis le 9° Congrès Mondial doit être conscient maintenant des dangers impliqués par ce « tournant ». Un groupe significatif dans la direction de la Ligue est allé, ni plus ni moins, jusqu'à proposer l'application de l'orientation de guérilla à la France avec les modifications qu'ils ont soulignés eux‑mêmes.

Cela justifie pleinement les analyses de la minorité quant à la signification du « tournant » du 9° Congrès Mondial et les prévisions de cette même minorité quant à l'extension inévitable d'une telle ligne tant géographiquement que programmatiquement.

9 - La guerre de guérilla pour les États Ouvriers ?[modifier le wikicode]

Posons encore une fois, des questions à la majorité, questions auxquelles elle a jusqu'alors refusé de répondre, soit parce qu'elle en était incapable, soit, plus probablement, parce qu'elle a pu, en son sein, réaliser un accord sur la réponse à donner,

Qu'en est‑il de l'Europe de l'Est et de l'Union Soviétique, de tous les états ouvriers déformés ou dégénérés ?

Dans le cadre de la lutte pour la révolution politique, l'orientation de guérilla s'applique‑elle ou non ? Si la réponse est non, pourquoi la guerre de guérilla est‑elle exclue ? Si la réponse est oui, alors qu'a‑t‑on à dire de la ligne suivie par Trotski et l'opposition de gauche ? Ne devrait‑on pas tirer la conclusion logique selon laquelle ils ont fait une erreur historique en ne lançant pas la guerre de guérilla contre le stalinisme en Union Soviétique ? Pire, Trotski n'a t‑il pas fait une erreur colossale en n'ayant pas mobilisé l'armée rouge contre la clique de Staline en pleine ascension, lorsqu'il en avait encore la possibilité ?

Nous prédisons que des questions de ce type seront inévitablement posées par des secteurs de la majorité dans la période à venir, de la même façon que le problème de l'application d'une orientation de guérilla pour l'Europe, et spécifiquement pour la France, a été posée par des secteurs de la direction de la Ligue Communiste. Ne serait‑il pas préférable de tenter de répondre maintenant à ces questions plutôt que de rester silencieux jusqu'à ce que vous soyez confrontés à une tendance constituée dans vos rangs, qui veut appliquer une orientation de guérilla aux États Ouvriers et qui déjà attend impatiemment de passer à l'action ?

10 - C'est le moment.[modifier le wikicode]

Nous pensons que la persistance des dirigeants de la majorité dans leur orientation de guérillas face aux désastres enregistrés en Bolivie et en Argentine promet un désastre encore plus grand pour la IV° Internationale dans sa totalité.

Jusqu'alors nous avions espéré qu'une rectification aurait pu être obtenue dans l'organisation d'une tendance. Mais cet espoir a été vain. En conséquence, nous proposons l'organisation d'une tendance à l'échelle internationale pour lutter contre l'orientation de guérilla. D'après nous, la plateforme de cette tendance devrait tourner autour des 3 points suivants :

  1. Révision du « tournant » fait au 9° Congrès Mondial sur la guerre de guérilla et de son extension depuis lors à la fois géographiquement et programmatiquement.
  2. Réaffirmation de l'utilisation de la méthode indiquée dans le programme de transition pour résoudre les problèmes concrets auxquels est confrontée la IV° Internationale dans sa lutte pour la direction du prolétariat dans la lutte des classes.
  3. Réaffirmation du programme de base, de la tradition et des pratiques de la IV° Internationale telles qu'elles existaient jusqu'au moment du 9° Congrès Mondial, c’est-à-dire, spécifiquement, l'attachement à la stratégie léniniste de construction d'un parti de combat pour assurer les succès des prochains soulèvements révolutionnaires du prolétariat et de ses alliés.
  1. Référence au IX° congrès mondial du Secrétariat Unifié de la IV° Internationale (SUQI) tenu en avril 1969 à Rimini (Italie)
  2. Dirigeant du POR Combatiente, la section bolivienne du Secrétariat Unifié de la IV°.
  3. Peng Shu Tse : Peng Shuzi, 1895-1983, militant trotskyste chinois de 1929 (exclusion du PCC) à sa mort.
  4. PRT : Partido Revolucionario de los Trabajadores (Combatiente), fondé en 1965, alors section argentine du S.U.
  5. Hugo Blanco : dirigeant trotskyste péruvien du FIR, Front de la Gauche Révolutionnaire, membre du SUQI.
  6. PRT La Verdad : Parti Révolutionnaire des Travailleurs – La Vérité. Le PRT résulte de la fusion de Palabra Obrera (Parole Ouvrière) de Moreno et du FRIP (Frente Revolucionario Indoamericano Popular), Front révolutionnaire indoaméricain populaire de Mario Roberto Santucho (1965). Le PRT explose en deux en 1968 : le PRT-La Verdad de Moreno, organisation sympathisante du SUQI en 1969 et le PRT-El Combatiente de Santucho, section argentine du SUQI en 1969. Le PRT-El Combatiente rompt avec le SUQI en 1973. Le PRT-La Verdad devient en décembre 1972 le PST, parti socialiste des travailleurs, suite à sa fusion avec l’aile Coral du PS argentin. Il rompt avec le SUQI en novembre 1979.
  7. PO : Política Obrera, Politique ouvrière, puis en 1983 Partido Obrero, Parti ouvrier. Parti trotskyste argentin fondé en 1963, rejoint en 1968 le Comité International de la Quatrième Internationale (Healy-Lambert) puis en 1971/72 le Comité d’Organisation pour la Reconstruction de la Q uatrième Internationale (Lambert) dont il est exclu en 1979.
  8. Santucho : Mario Roberto (Robi) Santucho, dirigeant du PRT-El Combatiente, qu’il fait rompre en 1973 avec le SUQI. Tué en 1976.
  9. Tariq Ali : dirigeant d’alors de l’International Marxist Group, la section britannique du SUQI.
  10. Jebrac : pseudonyme de Daniel Bensaïd, dirigeant de la LC/LCR française et du SUQI, chargé du suivi de l’Argentine durant les années 70.