Catégorie | Modèle | Formulaire |
---|---|---|
Text | Text | Text |
Author | Author | Author |
Collection | Collection | Collection |
Keywords | Keywords | Keywords |
Subpage | Subpage | Subpage |
Modèle | Formulaire |
---|---|
BrowseTexts | BrowseTexts |
BrowseAuthors | BrowseAuthors |
BrowseLetters | BrowseLetters |
Template:GalleryAuthorsPreviewSmall
Special pages :
A l’école de la guerre
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
---|---|
Écriture | 6 février 1917 |
Publié dans La Guerre et la Révolution. Paris 1974, pp. 271-273
Les forces débridées du Capitalisme continuent leur tâche de destruction en élargissant leur champ d’activité. La dernière partie du Monde entre, à son tour, dans le tourbillon sanglant. Devant le déchaînement de ces forces diaboliques, combien est misérable ce que peut créer l’être humain ! Les événements l’ont depuis longtemps dépassé. On ne trouve rien de comparable dans la nature, car même les cataclysmes les plus effrayants, tels que avalanche, éruption d’un volcan, secousse sismique, ne sont que des jeux de société comparés à cet ouragan de sang, de dynamite et de mort qui balaie le Monde entier.
Les Parlements bourgeois se taisent dans leurs honteux désarrois devant ces événements qu’ils n’ont pas su prévoir, qu’ils n’ont pas su évaluer et qu’ils ne cherchent même pas à maîtriser. Ils s’effacent devant les ministres, les présidents et les monarques qui, eux, disposent des « secrets gouvernementaux » pour cacher aux yeux du peuple leur abaissement. Tout ce qu’ils savent faire, c’est fabriquer des sophismes et lâcher des formules sonores et creuses pour tromper les masses. Pendant ce temps, la technique capitaliste met au point son art infernal, confiant des moyens de destruction jamais égalés aux mains des bouchers militaristes.
Quelle force immense et victorieuse serait devenue l’Internationale si elle était restée fidèle aux principes qui ont servi à sa fondation !
Le drame ne consiste pas en ce que l’Internationale ne fut pas capable de s’opposer à la guerre, mais en ce qu’elle n’a pas tenté héroïquement de soulever les masses contre le militarisme. Il est horrible et honteux de faire ce qu’ont fait les dirigeants en s’inclinant devant la guerre, en l’acceptant, en la bénissant.
Ceux que nous pensions être des chefs – sans remarquer que des années de travail quotidien automatique les avaient vidés de leur substance – auraient pu dire aux masses : « Nous ne jugeons pas possible de vous appeler à la rébellion ouverte. La bourgeoisie vous entraîne à vous battre et à vous faire tuer. Allez au front en tant que prisonniers du gouvernement capitaliste, et non en tant que socialistes. Le militarisme peut s’emparer de vos corps, ne lui livrez pas vos âmes. Les dents serrées, attendez le moment où la machine gouvernementale sera « grippée », que la flamme de la protestation jaillira dans les cervelles des plus sombres, des plus attardés des esclaves du Capitalisme, et alors, votre Parti vous donnera le signal de l’assaut. »
Mais ils ne l’ont pas dit. Ils ont assumé la responsabilité de cette guerre, ils ont béni la guerre, ils se sont inclinés devant elle. Nous pouvons dire avec la conviction la plus inébranlable que l’idéal du Socialisme aurait été enseveli à jamais sous les ruines de la culture capitaliste si, des rangs de l’Internationale, ne s’était élevé un cri de protestation. Les Internationalistes révolutionnaires, fidèles à leurs drapeaux, ont montré aux masses par la voix et par l’action que, devant la capitulation des chefs, la faillite des organisations, l’âme du Socialisme était vivante et l’idéal intact. Les Liebknecht, Hoeglund, MacLean, Adler, Racovsky – ceux que les desservants des anciens autels appellent des « fanatiques » et des « schismatiques » – ont sauvé la dignité et l’honneur du Socialisme et l’assurance morale de son développement.
Leurs voix courageuses ont, sans cesse, retenti non seulement comme des appels directs aux travailleurs des nations belligérantes, mais comme des avertissements aux socialistes des quelques nations que la guerre n’a pas entraînées dans son tourbillon.
Le Parti italien, que la guerre a touché neuf mois après les principaux Partis de l’Internationale, a compris la leçon. Il a rejeté la responsabilité sur les classes dirigeantes, a voté contre les crédits de guerre et, par l’intermédiaire de son journal Avanti, mène une brillante campagne contre les mensonges patriotiques et la stupidité chauvine. Il a pris l’initiative de la Conférence de Zimmerwald. Alors que les Partis sociaux-patriotes des autres pays se défont, le Parti socialiste italien conserve son unité et a acquis une influence sur les masses, encore inégalée.
L’Histoire a donné au Socialisme américain un délai incomparablement long pour réfléchir. A-t-il été utilisé ? Là-dessus nous répondront les prochains événements. Sans risque de nous tromper, nous pouvons dire ceci : les éléments socialistes en Amérique ne sont à la hauteur que dans la mesure où ils participèrent à la lutte qui déchirait les Partis européens, dans la mesure où ils tenaient pour la lutte révolutionnaire contre la « Paix civile », pour Liebknecht contre Scheidemann, pour Zimmerwald contre La Haye. Au contraire, ces diplomates du Socialisme qui ont refusé de définir leur position en recommandant de se concilier avec la formule « jusqu’au bout », qui se sont comportés vis-à-vis de la lutte de principe en « neutralistes », qui réparent les accrocs faits à leur contemplation du monde socialiste avec les aiguilles pourries de leur grand-mère, ces gens-là ont rendu un bien mauvais service au prolétariat américain. Ils se sont placés entre lui et l’expérience chèrement acquise de leurs confrères européens… Et maintenant il faut répondre sans attendre « la fin de la guerre ».
Il y a des époques où la faculté diplomatique de jeter un coup d’œil à gauche, un autre à droite, passe pour de la sagesse. Une pareille époque succombe sous nos yeux, et ses héros disparaissent petit à petit. La guerre comme la révolution pose les questions d’une façon abrupte. Pour la guerre ou pour la paix ? Pour la lutte nationale ou pour la lutte révolutionnaire ? Pour Marx… ou pour Wilson ? Les temps terribles que nous vivons exigent une pensée intrépide autant qu’un caractère viril. Il ne s’agit pas seulement d’affronter sans peur la police – c’est bien, mais ce n’est pas assez – , il est essentiel de déployer un courage bien plus élevé, celui de démasquer les préjugés et les « guides » traditionnels qui, jusqu’à la guerre, possédaient une autorité telle qu’ils brouillaient les cervelles, et de tirer les conclusions des plus grands événements de l’Histoire.
En tout cas, les temps de l’attentisme sont bien finis – cela vaut aussi pour le Socialisme. Le prolétariat américain entre dans l’école de la guerre. Que ce passage porte ses fruits, nous aurons bientôt l’occasion de nous en convaincre.