« Paralysie progressive ». La IIe Internationale à la veille de la nouvelle guerre

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La vie interne de la IIe Internationale est en règle générale hors de notre horizon. C’est dû en partie au fait qu’il y a longtemps que nous avons réglé nos comptes avec la social-démocratie, en partie au fait que cette « Internationale » n’a virtuellement aucune vie interne dans la mesure où ses différents partis existent dans une indépendance complète les uns vis-à-vis des autres. Au cours des dernières années, la IIe Internationale a essayé de se faire aussi discrète que possible pour ne pas révéler ses contradictions internes. Cependant l’approche de la guerre l’a sortie de son état d’équilibre passif. Nous avons à ce sujet un remarquable témoignage de F. Dan, le dirigeant des mencheviks.

Dans pratiquement aucune autre publication social-démocrate il n’est possible de trouver un portrait aussi franc de la lutte interne dans la IIe Internationale que celui qu’a publié Sotsialistitcheskii Vestnik, l’organe menchevique publié à Paris. La franchise, comme toujours dans de tels cas, naît de l’intensification des luttes internes. En harmonie complète avec tout le caractère d’une « Internationale » social-patriote, les regroupements se font sur des lignes nationales, c’est-à-dire les lignes des intérêts des « patries » bourgeoises. Exactement comme le monde capitaliste est divisé entre les vaches grasses des démocraties impérialistes et les vaches maigres et avides des dictatures fascistes, de même la IIe Internationale s’est brisée entre un groupe « rassasié », dont les membres demeurent actionnaires des entreprises impérialistes nationales et un groupe de vaches maigres chassées par le fascisme des pâturages nationaux. La lutte se déroule précisément sur cette ligne.

Le rôle dirigeant dans la IIe Internationale avant la Première Guerre mondiale était joué par la social-démocratie allemande. Depuis la paix de Versailles, la direction dans l’Internationale, comme dans la politique européenne, est revenue à l’Angleterre et à la France. Quant aux États-Unis, l’influence incontestable et à bien des égards décisive de leur politique sur la IIe Internationale ne s’exerce pas à travers le faible parti socialiste américain mais directement à travers les gouvernements européens. La docile agence social-démocrate imite en cela aussi ses maîtres capitalistes. Exactement comme la Société des Nations s’adaptait en dernière analyse à la politique des États-Unis, en dépit du fait que ces derniers se tenaient à l’écart des combinaisons européennes, de même la IIe Internationale, surtout en la personne de ses partis britannique et français, a considéré comme de son devoir de garder à chaque pas un œil sur Washington et de chanter des hymnes à Roosevelt en tant que dirigeant sacré de l’alliance des « démocraties ».

Comme le dernier congrès socialiste à Nantes l’a franchement reconnu, les partis gras considèrent comme leur tâche fondamentale de défendre non seulement l’indépendance nationale de leurs pays, mais aussi leurs possessions coloniales. Le social-patriotisme n’est qu’un masque du social-impérialisme — nous l’avons établi dès 1914. Comme les intérêts impérialistes, par leur nature même, entrent en conflit les uns avec les autres, il ne saurait même être question d’une politique internationale unifiée des sociaux-patriotes de différents pays. Dans le meilleur des cas, des accords entre partis individuels sont possibles, qui correspondent aux combinaisons internationales de leurs gouvernements respectifs.

Le camp des partis maigres offre un tableau tout différent. Par le caractère de leur bureaucratie, par leur passé tout entier et par leurs aspirations, ces partis ne diffèrent pas des partis gras.

Mais ils ont aussi, hélas, été privés de pâturages de même que les patries impérialistes qui les ont chassés ont été privées de colonies. Les gras sont ceux qui sont le plus intéressés à préserver le statu quo aussi bien dans leur propre pays qu’internationalement. Pour les maigres, le statu quo implique impuissance, exil, maigres rations. Les partis socialistes italien, allemand, autrichien et maintenant espagnol ne sont pas directement liés par la discipline de leur propre impérialisme national qui a repoussé leurs services d’un coup de pied. Ils ont été jetés dans une illégalité contraire à leurs traditions et à leurs meilleures intentions. A cause de cela naturellement ils ne sont pas le moins du monde devenus révolutionnaires. Ils ne vont pas jusqu’à penser à préparer la révolution socialiste. Mais leur patriotisme est pour le moment inversé. Ils rêvent avec obstination que les forces armées des « démocraties » vont renverser leur régime fasciste national et leur permettre de retrouver leurs anciens postes, leurs bureaux de rédaction, leurs parlements, les organismes dirigeants des syndicats et de rouvrir leurs comptes en banque. Tandis que les gros sont surtout intéressés à ce qu’on les laisse en paix, les maigres, au contraire sont intéressés à leur façon à une politique internationale active.

Le tableau général des deux camps est quelque peu compliqué par les mencheviks russes. Comme l’a montré leur conduite pendant la révolution de février, ce parti ne diffère d’aucune façon des sociaux-démocrates allemands ou du Labour Party britannique. Les mencheviks n’ont fait qu’entrer plus tard que les autres dans l’arène du social-patriotisme et sont passés sous la roue avant les autres, la roue qui les a écrasés ne tournant pas de gauche à droite, mais de droite à gauche. Grâce à des années d’existence illégale, à l’expérience de trois révolutions et deux exils, les mencheviks ont acquis une certaine habileté qui leur permet de jouer quelque chose comme un rôle dirigeant dans le camp des maigres. Mais cela les fait haïr plus encore de leurs camarades gras dans l’Internationale.

L’État soviétique, dont les mencheviks ont été les victimes, a, dans l’intervalle, tourné si brutalement le dos à la révolution prolétarienne qu’il est devenu un allié souhaitable pour les États impérialistes. Conformément à cela, les partis socialistes britannique et français sont très intéressés par un rapprochement avec le Kremlin. Rien d’étonnant que les mencheviks russes, dans de telles conditions, soient tombés dans une position de relations non seulement pauvres, mais compromettantes dans leur propre Internationale.

L’article de Dan nous apprend que « les maigres » ont proposé, il y a un an et demi, que l’Internationale pose « le problème de la lutte pour la démocratie et la paix à notre époque ». C’est la question de cette politique internationale active qui rendrait aux maigres ces couches de graisse qu’ils ont perdues. Naturellement il faut avoir une réserve exceptionnelle d’étroitesse d’esprit petite-bourgeoise pour ne pas avoir encore compris la loi d’airain de la transformation de la démocratie bourgeoise en son opposé et pour continuer à accepter la démocratie comme une valise supra-historique dans laquelle on peut transporter un volume de Das Kapital, un mandat parlementaire, des bretelles de bonne qualité, un portefeuille ministériel, des actions et des bons, « le but final » du socialisme, une correspondance intime avec ses collègues bourgeois et tout ce qui vous plaira d’autre, sauf, bien entendu, des explosifs.

De fait, la démocratie bourgeoise est la formule politique de la liberté du commerce, rien de plus. Se donner comme objectif à notre époque la « lutte pour la démocratie » aura le même succès et la même signification que la lutte pour la liberté du commerce. Cependant même ce programme s’est révélé trop radical pour la IIe Internationale. « Après une année de retard, gémit l’auteur de l’article, il (le comité exécutif) a finalement essayé de mettre en discussion le problème de la lutte pour la démocratie et la paix à notre époque ». Mais hélas, « cette tentative a échoué ». La résistance est venue, bien entendu, des gros. « Les plus importants et les plus influents des partis qui ont conservé leur statut légal » écrit Dan, « ne désiraient pas élargir la discussion et la mener jusqu’au bout » ; ils rejetaient « la théorisation abstraite » et « l’argumentation stérile ». Dans un langage simple, ils refusaient de se lier par une sorte de décision commune qui pourrait à l'avenir les mettre en conflit avec les intérêts de leurs propres impérialismes nationaux.

Le nœud de la question, c’est que les sections « maigres » de la IIe Internationale prennent au sérieux le mot d’ordre de la lutte de la démocratie contre le fascisme, parce qu’elles sont elles-mêmes des victimes du fascisme et sont naturellement enclines à vouloir reprendre les postes qu’elles ont perdus avec l’aide des tanks et des cuirassés démocratiques. Cette circonstance les rend très dangereuses pour les sections « solides » de la IIe Internationale. Rappelons-nous que, précisément au début de cette année, les diplomates français et britanniques ont fait tout leur possible pour attirer l’Italie de leur côté. Inutile de dire que si cette tentative avait réussi, les sections britannique et française de la IIe Internationale se seraient adaptées parfaitement à une alliance avec Rome, alors que la section italienne l’aurait trouvée difficile. Tous ces espoirs extravagants pour un avenir meilleur, c’est-à-dire la restauration du passé, résident dans une défaite militaire de Mussolini. Il n’est guère étonnant que gras et maigres trouvent toujours plus difficile d’arriver à des résolutions « unanimes » et même de s’asseoir à la même table.

La terminologie employée par la IIe Internationale est quelque peu différente de celle que nous proposons. Les gras désignent simplement les maigres comme des « morts », alors qu’ils s’appellent eux-mêmes « vivants », geint Dan. Si l’on en croit le même auteur, ces vivants « ont choisi de proclamer l’existence d’un gouffre infranchissable entre la situation révolutionnaire (?) des partis illégaux et les partis réformistes-légaux, c’est-à-dire qu’ils ont essentiellement affirmé le caractère artificiel de leur unification dans une même Internationale ». Wels, Hilferding, Nenni et Dan lui-même, ainsi que les autres « combattants pour la démocratie à notre époque » ne peuvent pas plus être considérés comme des « révolutionnaires » qu’un épicier en faillite comme un prolétaire. Néanmoins, l’information factuelle du dirigeant des mencheviks conserve toute sa validité. Les partis respectables des empires coloniaux repus ont affirmé qu’ils n’avaient rien à faire dans la même Internationale que les partis illégaux des pays impérialistes affamés. «… Éliminer les partis illégaux de la participation aux décisions dans la détermination de la politique de l’Internationale est devenu leur but immédiat », poursuit Dan. « Ainsi qu’on le sait, ils ont dans une large mesure réalisé cela, pendant les sessions du comité exécutif de Bruxelles les 14 et 15 mai. » En d’autres termes, les gras ont chassé les maigres des organismes dirigeants de la IIe Internationale. Ils ont ainsi résolu « le problème de la lutte pour la démocratie et la paix à notre époque ».

On ne peut nier qu'il y ait dans leurs actions beaucoup de logique et de sens. Les gouvernants et leurs suites ont toujours, on le sait, préféré la compagnie des gens gras et se sont méfiés des maigres. Jules César suspectait Cassius précisément parce qu’il était maigre et avait l’air affamé. Ces gens-là ont tendance à critiquer et à formuler des conclusions répréhensibles. « Votre bourgeoisie, qui a été incapable d’acquérir des colonies à temps, essaie maintenant de perturber le sacro-saint statu quo; c’est pourquoi elle vous a jetés dans l’illégalité et fait de vous des éléments perturbateurs dans la IIe Internationale ; vous devez comprendre vous-mêmes que vous n’êtes que des intrus dans une organisation qui a dans ses rangs des ministres et, de façon générale, des piliers de la loi et de l’ordre. » Voilà ce que les vivants — ou gras — ont dans la tête.

Les « maigres » (ou les morts) essaient de dire qu’au congrès de fondation de la IIe Internationale ressuscitée tenu à Hambourg en 1923, de magnifiques statuts ont été adoptés, reconnaissant, comme le rappelle Dan, « la souveraineté de la politique socialiste-internationale sur la politique nationale des différents partis et le rôle décisif de l’Internationale non seulement en temps de paix, mais en temps de guerre ». Il n’est pas inintéressant que les points ci-dessus aient été introduits dans les statuts à l’initiative de Martov, le dirigeant des mencheviks russes. Les « points » de Martov, cela allait de soi, sont restés sur le papier. Les partis qui ont signé ces statuts en 1923 étaient les mêmes qui avaient trahi en 1914 — moins l’aile révolutionnaire. Les sociaux-impérialistes endurcis étaient d’autant plus disposés à faire des concessions verbales à leurs alliés de l’Internationale 2 ½ qu’ils avaient encore besoin d’une couverture sur leur flanc gauche. Dans ces jours, le Comintern était encore une organisation révolutionnaire. La « souveraineté » des principes internationaux ? Bien sûr ! Pourvu que « nos » colonies, « nos » marchés, « nos » concessions, y compris, bien sûr, notre démocratie, soient préservés. Le régime de la IIe Internationale a reposé sur cette équivoque jusqu’à ce que Hitler ouvre une brèche dans le système de Versailles.

Mais, même pour l’opposition « de gauche » extrême, la « souveraineté des principes internationaux » signifie, comme nous le savons déjà, non une politique de classe indépendante du prolétariat mais seulement une tentative d’arriver à un accord avec les autres sections sur la question de savoir de quelle bourgeoisie la victoire est la plus avantageuse (pour les maigres) ? Dans l’appareil de l’Internationale, on ne trouverait pas un seul individu qui défende sérieusement la position de la révolution prolétarienne. Pour tous, le prolétariat n’est qu’une force auxiliaire de la bourgeoisie « progressiste ». Leur internationalisme est le même social-patriotisme, mais seulement écrasé, discrédité, craignant de s’aventurer au grand jour et toujours à la recherche d’un camouflage.

Dan explique la politique des partis « vivants » par la « routine » de leur pensée politique, leur « courte vue », leur « empirisme » et autres causes palpables. La « courte vue » de cette explication saute littéralement aux yeux. L’empirisme prévaut en politique chaque fois qu’un groupe juge désavantageux de tirer de sa propre pensée des conclusions logiques. L’existence, a-t-on dit une fois, détermine la conscience. La bureaucratie ouvrière est partie intégrante de la société bourgeoise. En sa capacité de dirigeant de « l’Opposition de Sa Majesté », le major Attlee reçoit un salaire substantiel du chéquier royal. Walter Citrine a gagné un titre de noblesse. Les députés jouissent d’importants privilèges. Les bureaucrates syndicaux reçoivent de hauts salaires. Tous sont enchaînés à la bourgeoisie par des liens permanents, à sa presse, à ses entreprises industrielles et autres dans lesquelles nombre de ces messieurs participent directement. Les circonstances de leur vie quotidienne sont d’une signification incomparablement plus importantes dans l’orientation de la politique du parti que ne l’est le principe d’« internationalisme » qui a été introduit en contrebande dans les statuts de Hambourg.

Dan n’a rien du tout à dire sur le parti français, apparemment par politesse pour les hôtes dont les mencheviks jouissent de l’hospitalité. Pourtant les choses ne vont pas mieux en France. En dépit de l’incontestable talent des Français pour la pensée logique, la politique de Léon Blum ne diffère en rien de la politique « empirique » du major Attlee. Les cliques dirigeantes socialistes et syndicalistes mêlent leurs racines à celles de la couche dirigeante de la IIIe République. Blum n’est qu’un conservateur bourgeois moyen qui gravite fatalement vers la société des grands bourgeois. Pendant l’enquête sur Oustric, le banquier escroc, il fut révélé en passant que Blum fréquentait des salons archi-bourgeois où il côtoyait des politiciens bourgeois et des mogols de la finance, dont en particulier Oustric et qu’à travers ce dernier, autour d’une tasse de café, il trouva un poste pour son fils. La vie quotidienne des sommets du parti ouvrier et des syndicats français est entièrement faite d’épisodes aussi colorés.

La bureaucratie dirigeante de la IIe Internationale est la moins indépendante, la plus couarde et la plus corrompue de toutes les fractions de la société bourgeoise. Toute modification dans la situation, qu’elle soit à gauche ou à droite est pour elle un danger mortel. D’où son unique aspiration : le maintien du statu quo. D’où son obligatoire empirisme, c’est-à-dire la peur de l’avenir. La politique du comité exécutif de la IIe Internationale ne peut rendre perplexes que ceux qui, contre l’évidence des réalités, continuent à considérer, la social-démocratie comme le parti de classe du prolétariat. Tout se met immédiatement en place si on comprend clairement que la social-démocratie est un parti bourgeois qui remplit les fonctions de frein sur la lutte de classe du prolétariat.

La conduite des « empiristes » sur les bons salaires « a en réalité déjà paralysé et châtré politiquement l’Internationale », geint Dan. Selon lui, dans les cinq mois qui ont suivi sa session de janvier, le comité exécutif n’a pas réagi à un seul événement international d’importance majeure (Tchécoslovaquie, Albanie, etc.); « C’est comme si il (le C.E.) avait sombré dans un état d’encéphalite politique ». Et le chef des mencheviks interroge : « L’Internationale socialiste est-elle réellement menacée de la mort qui a déjà frappé l’Internationale communiste?»… Il poursuit : « Le premier souffle de la tempête de la guerre va-t-il vraiment faire plus de ravages dans les fondements de l’unification socialiste internationaliste du prolétariat que ce fut le cas en 1914? Ou cette unification elle-même va-t-elle s’effondrer avant même que la tempête ait éclaté ? » Ce mot « vraiment » rend un son discordant, puisqu’il est question ici d’un processus en cours depuis longtemps et aux conséquences prédites aussi depuis longtemps.

Mais, aussi surprenant que cela puisse être, des questions rhétoriques d’une plume menchevique acquièrent une force particulière. Elles signifient que le flot des eaux a dépassé leur menton. Dan ne le dissimule pas. Voici son pronostic « conditionnel » pour la IIe Internationale : « Sa transformation en une sorte de S.D.N. porte en elle la menace de la même mort dont est en train de mourir son prototype genevois (s’il n’est pas déjà mort !) devant nos yeux même — mort de paralysie progressive ». A quoi nous devons seulement ajouter que cette paralysie progressive a commencé en août 1914 et qu’elle est aujourd’hui entrée dans sa phase finale.

De façon plutôt surprenante, précisément à la veille d’une nouvelle guerre, au moment où l’opposition social-démocrate a commencé à ressentir des prémonitions de l’effondrement de sa propre Internationale, le Comintern a pensé que la IIe Internationale était mûre pour l’alliance et même la fusion. Cet apparent paradoxe est totalement conforme aux lois sociales. Le troupeau du Comintern est également composé de vaches grasses et de vaches maigres et les relations entre elles sont à peu près parallèles à celles qui existent dans la IIe Internationale. Dans ses plans diplomatiques, le Kremlin prend en compte les partis gras de la IIe et de la IIIe Internationale et pas les pauvres débris misérables des sections écrasées par le fascisme. La IIe Internationale éjecte « démocratiquement » de ses organes dirigeants les chefs des partis illégaux ; le Kremlin, « de façon totalitaire », les fusille par fournées. Ces différences mineures dans l’ordre technique laissent intacte la solidarité politique fondamentale. De même que la social-démocratie internationale constitue le flanc gauche de l’impérialisme démocratique, guidé par la Grande-Bretagne et sous le contrôle suprême des États-Unis, de même le Comintern — instrument direct de la bureaucratie soviétique — est, en dernière analyse, soumis au contrôle du même impérialisme. Suivant les traces de la IIe Internationale, le Comintern a aujourd’hui publiquement renoncé à la lutte pour l’émancipation des colonies. Attlee et Pollitt, Blum et Thorez travaillent sous le même harnais. En cas de guerre, les dernières distinctions restant entre eux vont s’évanouir. Tous, avec la société bourgeoise dans son ensemble, seront écrasés sous la roue de l’histoire.

Il nous faut répéter une fois de plus que, dans notre époque maudite, quand toutes les forces du capitalisme, pourrissant sur pied, y compris les vieux partis ouvriers et syndicats, sont dirigées contre la révolution socialiste, la marche des événements donne à l’avant-garde prolétarienne un unique avantage hors de prix : même avant le début de la guerre, toutes les positions de départ ont été occupées, les deux Internationales dans leur agonie mortelle sont en train d’entrer ouvertement dans le camp de l’impérialisme — et tout aussi ouvertement contre elles marche leur ennemi mortel, la IVe Internationale.

Les philistins ont tourné en ridicule nos interminables discussions sur la question de l’internationalisme, de notre « esprit de chicane » envers toutes les déviations social-patriotes et pacifistes. A ces messieurs, nos idées semblent « abstraites » et « dogmatiques » seulement parce qu’elles formulent les tendances fondamentales du développement historique qui demeure impénétrable aux esprits superficiels des opportunistes et des centristes. Ces tendances fondamentales sont maintenant en train d’émerger au grand jour, tandis que les structures bâties sur des fondations conjoncturelles sont en train de s’écrouler. Les partis de la IIe et de la IIIe Internationale vont à partir de maintenant se désintégrer et s’écrouler. Les cadres de la IVe Internationale au contraire vont servir d’axe à la mobilisation de couches toujours plus larges de masses prolétariennes. Nous laissons les sceptiques étaler leurs dents gâtées. Nous marchons de l’avant sur notre route.