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Special pages :
« Le sort de l’idée »
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 6 août 1916 |
Publié dans La Guerre et la Révolution. Paris 1974, pp. 136-138
L’article de fond de notre journal « Deux ans » (Naché Slovo, n° 179), illustre par son seul titre la situation où nous ont plongés deux ans de guerre. Grâce aux quelques phrases épargnées par la Censure, nos lecteurs se sont rendus compte : 1° des résultats de deux années d’hostilités, 2° de la situation intérieure des pays belligérants. La conclusion qui saute aux yeux du lecteur est que l’on ne peut plus parler des résultats de « guerre » avec liberté quand on contemple la situation « intérieure » des nations en guerre.
On peut parler plus librement des conclusions « morales, spirituelles », du destin de ces conclusions dont les hiéroglyphes ont décoré les étendards, lors de la première partie de la guerre. A ce sujet, la presse réactionnaire et monarchiste française jouit d’une liberté suffisante.
Monsieur Jacques Bainville de L’Action Française, qui a été chargé récemment d’une mission diplomatique, mais non officielle, pour se rendre en Russie, trace d’une main ferme ces lignes où apparaît un nouveau slogan « spirituel » :
« En cette deuxième année de guerre, nous constatons qu’un tri s’est produit parmi les idées. Quelques-unes ont été rejetées et sont décédées de leur belle mort. Ainsi, il y a à peine six mois, Lloyd George déclarait : « Cette guerre est nôtre, c’est celle des démocraties. » C’est soutenable à condition de faire abstraction de Nicolas II, George V, Albert I", Victor-Emmanuel III et d’autres têtes couronnées. Mais le bon sens et le jugement de l’Histoire sont prêts à répondre : « Si la démocratie conduit ainsi la guerre, personne ne l’en félicitera, car avec ses puissants Alliés et rassemblant plus de trois cents millions d’hommes, elle ne peut porter de coups décisifs à ses deux grands adversaires qui ne comptent que 150 millions d’âmes. »
De moins en moins, poursuit notre écrivain, « parle-t-on de la guerre des démocraties ». Peu à peu l’expression disparaît du dictionnaire et c’est un progrès incontestable. La démocratie prise en tant que principe révolutionnaire de la guerre est, avec beaucoup d’autres choses, engloutie par le Minotaure. Ce n’est pas la peine de raconter d’une manière plus détaillée comment le monstre dévore successivement les garanties démocratiques; il croque maintenant à belles dents les derniers restes des droits du réfugié ! « Nous avons vu, continue Bainville, que des formules mal employées sont tombées hors d’usage. Par exemple, prenons l’expression dont on use si souvent : la guerre contre le militarisme prussien. Que signifie-t-elle ? Un non-sens, répondent les Allemands, et ils n’ont pas tout à fait tort. Mais nous connaissons trop bien ce qu’est la Prusse. Si le sort des armes le permet, il faut détruire le royaume de Prusse et l’Empire allemand… Mais détruire le militarisme prussien, c’est tenter de verser du sel sur la queue d’un oiseau… Les Alliés pourront longtemps s’amuser à ce petit jeu… Démembrer l’Allemagne, c’est une autre affaire. C’est un problème qu’on peut résoudre un jour, mais il est réel; il n’est pas du domaine du fantastique. »
Troisième point de ces conclusions, poursuit Bainville, le « Principe des Nationalités passe au second plan. Déjà la politique le traitait avec méfiance, l’art politique oratoire se détourne de lui à présent. Tous ont remarqué le danger que présente cette arme à double tranchant, héritage funeste du siècle passé… »
Mais Bainville ne s’arrête pas en si bon chemin. « Il nous faut encore renoncer à une idée qui amène à une confusion périlleuse, née également au siècle dernier et qui a égaré les contemporains de cette époque, c’est-à-dire de 1792. Disparue lors du terrible soulèvement de 1870, elle a fait sa réapparition au début de la guerre de 1914 pour tomber aujourd’hui sous les coups de la réalité. Personne ne croit plus à la guerre de propagande. Personne ne conçoit plus que l’ennemi prenne de nos mains le cadeau d’immortels principes. Ce « romantisme révolutionnaire » est défunt (expression de Briand). Même les socialistes allemands de la nuance la plus radicale (comme Leipziger Volkszeitung) ont répondu qu’ils ne veulent pas d’une liberté apportée à la pointe des baïonnettes. Cette conception doit être revêtue de deuil. »
La position critique de l’écrivain royaliste se distingue par une perspicacité incontestable, du moins en ce qui touche les intérêts politiques de son parti. Dans la seconde année de guerre, aucun des socialistes « officiels » n’a évoqué « le destin de l’idée ». Ils ont rempli leur rôle : pour les uns, ils sont l’arme de la trahison, pour les autres ils représentent l’apaisement de leur propre conscience dans les périodes critiques. Mais maintenant l’affaire est conclue, les positions sont prises et il faut prendre sur les épaules le fardeau des conséquences. Les idées porteuses d’illusions ne sont plus nécessaires et ceux qui les ont semées s’en éloignent en silence. Mais c’est ce que ne veut pas admettre la réaction… pas seulement la réaction monarchiste !
Il lui importe de montrer que là où furent ces idées, il y a une place vide qu’il faut remplir par la religion, l’autorité et la tradition. On ne peut lutter contre la réaction, en lui opposant une place vide ou un « rictus » voltairien comme le fait le Bonnet Rouge, etc… Il faut opposer à la réaction « noire » les idées qui ont fait leur preuve, soutenues par l’expérience de deux années de guerre, celles du Socialisme révolutionnaire !