Modifications

Aller à la navigation Aller à la recherche
2 177 octets ajoutés ,  1 novembre 2016 à 18:02
m
aucun résumé des modifications
Ligne 77 : Ligne 77 :  
La croissance que l'Internationale connaît à Genève depuis la grève victorieuse menée dans le bâtiment au printemps 1868 ne dissimule pas de graves dissensions internes. Le prolétariat genevois est en effet divisé entre la ''fabrique'' et le ''bâtiment''. La ''fabrique'', ce sont les métiers «&nbsp;nationaux&nbsp;» de l'horlogerie, de la joaillerie et des boîtes à musique. Tandis qu'il y a une forte proportion d'étrangers dans le ''bâtiment'', les ouvriers de la ''fabrique'' sont presque tous genevois et ont le droit de vote. Aussi font-ils l'objet d'une vive sollicitude de la part du parti radical qui compte bien instrumentaliser l'Internationale par leur intermédiaire pour se hisser au pouvoir. On retrouve donc une ligne de rupture «&nbsp;classique&nbsp;» entre une ''fabrique'' réformiste prête à collaborer à la politique bourgeoise et un ''bâtiment'' révolutionnaire, sur des positions de rupture. Durant l'été 1869, au cours de la préparation du congrès de Bâle (4<sup>e</sup> congrès de l'Internationale, du 6 au 12 septembre 1869), la ''fabrique'', au sein du Comité genevois, tente d'évacuer le débat sur les questions de la [[Collectivisme|propriété collective]] et du droit d'[[Héritage|héritage]]. Malgré tout, imposés par une assemblée générale, deux rapports sont finalement rendus&nbsp;: ils sont présentés, sur la première question par [[Paul_Robin|Paul Robin]], sur la seconde par Bakounine.
 
La croissance que l'Internationale connaît à Genève depuis la grève victorieuse menée dans le bâtiment au printemps 1868 ne dissimule pas de graves dissensions internes. Le prolétariat genevois est en effet divisé entre la ''fabrique'' et le ''bâtiment''. La ''fabrique'', ce sont les métiers «&nbsp;nationaux&nbsp;» de l'horlogerie, de la joaillerie et des boîtes à musique. Tandis qu'il y a une forte proportion d'étrangers dans le ''bâtiment'', les ouvriers de la ''fabrique'' sont presque tous genevois et ont le droit de vote. Aussi font-ils l'objet d'une vive sollicitude de la part du parti radical qui compte bien instrumentaliser l'Internationale par leur intermédiaire pour se hisser au pouvoir. On retrouve donc une ligne de rupture «&nbsp;classique&nbsp;» entre une ''fabrique'' réformiste prête à collaborer à la politique bourgeoise et un ''bâtiment'' révolutionnaire, sur des positions de rupture. Durant l'été 1869, au cours de la préparation du congrès de Bâle (4<sup>e</sup> congrès de l'Internationale, du 6 au 12 septembre 1869), la ''fabrique'', au sein du Comité genevois, tente d'évacuer le débat sur les questions de la [[Collectivisme|propriété collective]] et du droit d'[[Héritage|héritage]]. Malgré tout, imposés par une assemblée générale, deux rapports sont finalement rendus&nbsp;: ils sont présentés, sur la première question par [[Paul_Robin|Paul Robin]], sur la seconde par Bakounine.
   −
[[File:AIT-CongresBale-Bakounine.png|thumb|center|493x360px|Photo de groupe au Congrès de Bâle de l'AIT (1869). De gauche à droite : <!--LINK 0:95-->, <!--LINK 0:96-->, Mikhail Bakounine, <!--LINK 0:97--> et <!--LINK 0:98-->.]]Bakounine a deux mandats pour le congrès de Bâle, l'un de l'Association des ouvrières [[Ovaliste|ovalistes]] de Lyon, l'autre de la Section des mécaniciens de Naples. La grande majorité du congrès adopte des positions [[Collectivisme_économique|collectivistes]] contre une minorité [[Proudhonienne|proudhonienne]], mais la question de l'[[Héritage_(droit)|héritage]] cristallise les divergences entre «&nbsp;marxistes&nbsp;» et «&nbsp;bakouninistes&nbsp;». Le rapport du Conseil Général - qui présente le point de vue marxien - déclare que le droit d'héritage est le résultat et non la cause de l'organisation économique et qu'il s'agit avant tout d'abolir le capitalisme&nbsp;: la chute du capitalisme entraînera la fin du droit d'héritage. Il indique, comme mesures pratiques immédiates, l'établissement d'impôts sur la succession et la limitation du droit de tester. Pour Bakounine, ces dispositions ne suffisent pas, demander l'abolition pure et simple de l'héritage est la bonne revendication, l'axe de propagande le plus efficace. Au moment des votes, ce sont les positions de Bakounine qui obtiennent le plus grand nombre de voix. Ce revers est pour Marx le signe de l'influence grandissante des idées de Bakounine au sein de l'Internationale et de la nécessité d'y mettre un coup d'arrêt.
+
[[File:AIT-CongresBale-Bakounine.png|thumb|center|493x360px|Photo de groupe au Congrès de Bâle de l'AIT (1869). De gauche à droite : , , Mikhail Bakounine, et .]]Bakounine a deux mandats pour le congrès de Bâle, l'un de l'Association des ouvrières [[Ovaliste|ovalistes]] de Lyon, l'autre de la Section des mécaniciens de Naples. La grande majorité du congrès adopte des positions [[Collectivisme_économique|collectivistes]] contre une minorité [[Proudhonienne|proudhonienne]], mais la question de l'[[Héritage_(droit)|héritage]] cristallise les divergences entre «&nbsp;marxistes&nbsp;» et «&nbsp;bakouninistes&nbsp;». Le rapport du Conseil Général - qui présente le point de vue marxien - déclare que le droit d'héritage est le résultat et non la cause de l'organisation économique et qu'il s'agit avant tout d'abolir le capitalisme&nbsp;: la chute du capitalisme entraînera la fin du droit d'héritage. Il indique, comme mesures pratiques immédiates, l'établissement d'impôts sur la succession et la limitation du droit de tester. Pour Bakounine, ces dispositions ne suffisent pas, demander l'abolition pure et simple de l'héritage est la bonne revendication, l'axe de propagande le plus efficace. Au moment des votes, ce sont les positions de Bakounine qui obtiennent le plus grand nombre de voix. Ce revers est pour Marx le signe de l'influence grandissante des idées de Bakounine au sein de l'Internationale et de la nécessité d'y mettre un coup d'arrêt.
    
Le 27 septembre 1869, la Section de l'Alliance de Genève demande officiellement au Comité fédéral romand son adhésion à la Fédération romande. Le Comité, pour ne pas porter ombrage aux chefs de la ''fabrique'' et aux politiciens radicaux qu'ils soutiennent, décide de surseoir à la décision. La Section de l'Alliance n'a plus qu'une solution, faire appel devant le prochain congrès fédéral devant se tenir à La Chaux-de-Fonds du 4 au 6 avril 1870. C'est durant ce congrès que la fédération romande fait scission. La querelle autour de l'admission de l'Alliance en est le détonateur. C'est à la suite de cette scission qu'est créée ce qui deviendra la [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]].
 
Le 27 septembre 1869, la Section de l'Alliance de Genève demande officiellement au Comité fédéral romand son adhésion à la Fédération romande. Le Comité, pour ne pas porter ombrage aux chefs de la ''fabrique'' et aux politiciens radicaux qu'ils soutiennent, décide de surseoir à la décision. La Section de l'Alliance n'a plus qu'une solution, faire appel devant le prochain congrès fédéral devant se tenir à La Chaux-de-Fonds du 4 au 6 avril 1870. C'est durant ce congrès que la fédération romande fait scission. La querelle autour de l'admission de l'Alliance en est le détonateur. C'est à la suite de cette scission qu'est créée ce qui deviendra la [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]].
Ligne 162 : Ligne 162 :     
Bakounine a toujours donné la première place à la lutte et n'a jamais pris le temps d'écrire une œuvre. Ses textes ont toujours été conçus dans l'urgence, pour répondre aux nécessités politiques du moment. Ils sont écrits au fil de la pensée et partent dans des digressions qui prennent finalement plus de place que le propos initial. Bakounine n'a pratiquement jamais terminé un texte. Ceux qui ont été publiés ont souvent été remaniés (par [[James_Guillaume|James Guillaume]] notamment) et beaucoup d'inédits ont été perdus après son décès. La pensée politique et philosophique de Bakounine n'en garde pas moins une forte cohérence.
 
Bakounine a toujours donné la première place à la lutte et n'a jamais pris le temps d'écrire une œuvre. Ses textes ont toujours été conçus dans l'urgence, pour répondre aux nécessités politiques du moment. Ils sont écrits au fil de la pensée et partent dans des digressions qui prennent finalement plus de place que le propos initial. Bakounine n'a pratiquement jamais terminé un texte. Ceux qui ont été publiés ont souvent été remaniés (par [[James_Guillaume|James Guillaume]] notamment) et beaucoup d'inédits ont été perdus après son décès. La pensée politique et philosophique de Bakounine n'en garde pas moins une forte cohérence.
  −
Le jeune Bakounine, tout comme Marx, a été très influencé par la philosophie [[Georg_Wilhelm_Friedrich_Hegel|hégelienne]], notamment par sa [[Dialectique#La_dialectique_chez_Hegel|dialectique]].
      
=== Une liberté partagée ===
 
=== Une liberté partagée ===
   −
L'idée centrale chez Bakounine est la liberté, le bien suprême que le révolutionnaire doit rechercher à tout prix. Pour lui, à la différence des penseurs des [[Lumières_(philosophie)|Lumières]] et de la [[Révolution_française|Révolution française]], la liberté n'est pas une affaire individuelle mais une question sociale. Ainsi, dans ''[[Dieu_et_l'État|Dieu et l'État]]'' en 1882, il réfute [[Jean-Jacques_Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]]&nbsp;: le bon sauvage, qui aliène sa liberté à partir du moment où il vit en société, n'a jamais existé. Au contraire, c'est le fait social qui crée la liberté&nbsp;: ''« Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d'autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m'entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté.&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''L'Empire Knouto-Germanique et la révolution sociale 1870-1871'', [[Institut international d'histoire sociale]], Champ libre, 1982, page 173.</ref> La véritable liberté n'est pas possible sans l'égalité de fait (économique, politique et sociale).
+
L'idée centrale chez Bakounine est la liberté, le bien suprême que le révolutionnaire doit rechercher à tout prix. C'est avant tout au nom de cette liberté qu'il considère qu'il faut abattre ces obstacles que sont Dieu, l'État, et le Capital.
   −
La liberté et l'égalité ne peuvent se trouver qu'en dehors de l'existence d'un Dieu extérieur au monde ou d'un État extérieur au peuple. L'État, le Capital et Dieu sont les obstacles à abattre.
+
Certes Bakounine a rationalisé sa définition de la [[liberté|liberté]], et n'en faisant pas un mot creux comme les [[Démocratie_bourgeoise|démocrates bourgeois]]. Sa notion de liberté s'est séparée de celle des [[Lumières_(philosophie)|Lumières]] et de la [[Révolution_française|Révolution française]], dans ce qu'elle n'est pas une affaire individuelle mais une question sociale. Ainsi, dans ''[[Dieu_et_l'État|Dieu et l'État]]'' en 1882, il réfute [[Jean-Jacques_Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]]&nbsp;: le bon sauvage, qui aliène sa liberté à partir du moment où il vit en société, n'a jamais existé. Au contraire, c'est le fait social qui crée la liberté&nbsp;: ''«&nbsp;Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d'autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m'entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté.&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''L'Empire Knouto-Germanique et la révolution sociale 1870-1871'', [[Institut international d'histoire sociale]], Champ libre, 1982, page 173.</ref> La véritable liberté n'est pas possible sans l'égalité de fait (économique, politique et sociale).
   −
=== Athéisme radical ===
+
Mais l'idée de liberté chez Bakounine reste quelque chose de très émotionnel. Il n'hésitait pas à écrire : ''«&nbsp;Il est fort possible que Marx puisse s’élever théoriquement à un système encore plus rationnel de la liberté que Proudhon, mais l’instinct de la liberté lui manque : il est, de la tête aux pieds, un autoritaire. »<ref name="NoticeBio">https://fr.wikisource.org/wiki/Bakounine/Œuvres/TomeII2</ref>''
   −
L'[[Athéisme|athéisme]] de Bakounine trouve lui aussi sa base dans la recherche de la liberté pour l'humanité&nbsp;: ''«&nbsp;Dieu est, donc l'homme est esclave. L'homme est libre, donc il n'y a point de Dieu. Je défie qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant, choisissons.&nbsp;''»<ref>Michel Bakounine, ''Catéchisme de la franc-maçonnerie moderne''. Cité par Jean Préposiet, ''Histoire de l'anarchisme'', Tallandier, 1993.</ref>. Elle repose sur une conception [[matérialiste|matérialiste]] du monde. Selon lui, l'Homme fait partie d'un univers gouverné par des lois naturelles. Les sociétés et les idées humaines - dont l'idée de dieu - dépendent donc des conditions matérielles d'existence de l'Homme. Selon Bakounine il ne peut donc exister un monde métaphysique séparé du monde matériel&nbsp;: la religion, sa morale, son paradis et son Dieu ''«&nbsp;l'être universel, éternel, immuable, créé par la double action de l'imagination religieuse et de la faculté abstractive de l'homme&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''Théorie générale de la révolution'', textes assemblés et annotés par Étienne Lesourd, d'après G.P. Maximow, Éditions Les Nuits Rouges, 2008, page 103.</ref> sont de pures spéculations dont l'origine se trouve dans la dépendance et la peur de phénomènes naturels inexpliqués. L'idée de dieu est une manifestation des capacités d'abstraction de l'Homme, mais elle n'en demeure pas moins une abdication de la raison et un moyen utilisé par les dominants pour exploiter les dominés.
+
=== Matérialisme et athéisme ===
 +
 
 +
Bakounine défendait une conception [[Matérialiste|matérialiste]] du monde. Il reprochait par exemple à l'anarchiste [[Proudhon|Proudhon]] d'être ''«&nbsp;resté toute sa vie un idéaliste incorrigible&nbsp;»'', et reconnaissait à [[Marx|Marx]] sa pertinence dans ce domaine :
 +
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Marx, comme penseur, est dans la bonne voie. Il a établi comme principe que toutes les évolutions politiques, religieuses et juridiques dans l’histoire sont, non les causes, mais les effets des évolutions économiques. C’est une grande et féconde pensée, qu’il n’a pas absolument inventée : elle a été entrevue, exprimée en partie, par bien d’autres que lui ; mais enfin, à lui appartient l’honneur de l’avoir solidement établie et de l’avoir posée comme base de tout son système économique.&nbsp;»<ref name="NoticeBio" />''
 +
</blockquote>  
 +
Bakounine était par conséquent [[athée|athée]], Dieu n'étant pour lui que ''«&nbsp;l'être universel, éternel, immuable, créé par la double action de l'imagination religieuse et de la faculté abstractive de l'homme&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''Théorie générale de la révolution'', textes assemblés et annotés par Étienne Lesourd, d'après G.P. Maximow, Éditions Les Nuits Rouges, 2008, page 103.</ref>, pure spéculation dont l'origine se trouve dans la dépendance et la peur de phénomènes naturels inexpliqués. Au nom de la liberté, Bakounine attachait une grande importance au combat contre la soumission à l'idée de Dieu : ''«&nbsp;Dieu est, donc l'homme est esclave. L'homme est libre, donc il n'y a point de Dieu. Je défie qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant, choisissons.&nbsp;''»<ref>Michel Bakounine, ''Catéchisme de la franc-maçonnerie moderne''. Cité par Jean Préposiet, ''Histoire de l'anarchisme'', Tallandier, 1993.</ref>. On peut voir aussi dans le titre de sa brochure [[Dieu_et_l'Etat|''Dieu et l'Etat'']] la centralité qu'avait la critique de la religion chez Bakounine, et qu'elle gardera globalement dans le mouvement [[anarchiste|anarchiste]] (avec par exemple le slogan [[Ni_Dieu_ni_maître|''Ni Dieu ni maître'']]).
 +
 
 +
Par contraste, on peut souligner que dans la propagande [[marxiste|marxiste]], la critique de la [[religion|religion]] n'a pas ce rôle central.
    
=== L'organisation et l'action révolutionnaire ===
 
=== L'organisation et l'action révolutionnaire ===
Ligne 179 : Ligne 185 :  
Bakounine et ses partisans se sont souvent opposés aux marxistes sur la question de l'organisation, même s'ils ont cohabité un certain temps dans l'AIT. De fait, Bakounine était souvent plus préoccupé d'actions immédiates très volontaristes que d'organisation sur le long terme.
 
Bakounine et ses partisans se sont souvent opposés aux marxistes sur la question de l'organisation, même s'ils ont cohabité un certain temps dans l'AIT. De fait, Bakounine était souvent plus préoccupé d'actions immédiates très volontaristes que d'organisation sur le long terme.
   −
Bakounine reprochait à Marx une trop forte [[centralisme|centralisation]] autour du Conseil général de Londres, prônant un fonctionnement plus fédéral. Certains [[anarchistes|anarchistes]] ont défendu par la suite que le marxisme conduisait à la notion d'[[avant-garde|avant-garde]] [[léniniste|léniniste]] et que le léninisme conduisait au [[stalinisme|stalinisme]].
+
Bakounine reprochait à Marx une trop forte [[Centralisme|centralisation]] autour du Conseil général de Londres, prônant un fonctionnement plus fédéral. Certains [[Anarchistes|anarchistes]] ont défendu par la suite que le marxisme conduisait à la notion d'[[Avant-garde|avant-garde]] [[Léniniste|léniniste]] et que le léninisme conduisait au [[Stalinisme|stalinisme]].
    
Les marxistes répondent généralement que l'avant-garde est une réalité de fait dans tout mouvement politique, et que la méthode de Bakounine centrée sur l'insurrection encouragée par des sociétés secrètes ne permet pas l'émancipation des travailleur-se-s.
 
Les marxistes répondent généralement que l'avant-garde est une réalité de fait dans tout mouvement politique, et que la méthode de Bakounine centrée sur l'insurrection encouragée par des sociétés secrètes ne permet pas l'émancipation des travailleur-se-s.
Ligne 185 : Ligne 191 :  
=== Paysannerie et prolétariat ===
 
=== Paysannerie et prolétariat ===
   −
Les marxistes attribuent au prolétariat le rôle de seule [[classe_révolutionnaire|classe révolutionnaire]], même s'ils considèrent que la paysannerie peut être entraînée dans un mouvement révolutionnaire si le prolétariat offre une perspective différente de celle de la bourgeoisie.
+
Les marxistes attribuent au prolétariat le rôle de seule [[Classe_révolutionnaire|classe révolutionnaire]], même s'ils considèrent que la paysannerie peut être entraînée dans un mouvement révolutionnaire si le prolétariat offre une perspective différente de celle de la bourgeoisie. Bakounine était moins tranché. Il disait que seule l'union entre les mondes rural et industriel est riche de potentialités révolutionnaires, et que la paysannerie était source de révolte anti-étatique, et pouvait trouver sa complémentarité dans l'esprit de [[discipline|discipline]] des ouvriers.
 +
 
 +
Lors de sa demande collective d’adhésion à l’AIT, l'Alliance comprenait dans son programme ''«&nbsp;l’égalisation des classes et des individus&nbsp;»''. Marx critique cette formule en disant qu'il ne s’agit pas d’égaliser les classes, mais de les supprimer.
   −
Bakounine était moins tranché. Il disait que seule l'union entre les mondes rural et industriel est riche de potentialités révolutionnaires, et que la paysannerie était source de révolte anti-étatique, et pouvait trouver sa complémentarité dans l'esprit de discipline des ouvriers.
+
Sur ces questions, voir la brochure du Conseil général de 1872, ''Les prétendues scissions dans l’Internationale,'' p.&nbsp;7-9 (pour le texte complet, voir Marx et Engels, ''Textes sur l’organisation,'' Paris, Spartacus, 1970.) Dans sa lettre à Marx du 22 décembre 1868, Bakounine lui donne raison et explique cette confusion de vocabulaire par la nécessité d’avoir à convaincre l’auditoire bourgeois de la Ligue de la Paix et de la Liberté.
    
=== Opposition à l'État ===
 
=== Opposition à l'État ===
   −
Bakounine, en tant qu'anarchiste, se disait opposé à l'Etat. [[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]] ont toujours considéré que l'Etat était une conséquence des sociétés de classes, et qu'il ne pourrait y avoir extinction de l'Etat que sous le [[communisme|communisme]]. Ils considéraient qu'un [[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]] ([[dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]]) était un mal nécessaire.
+
Bakounine, en tant qu'anarchiste, se disait opposé à l'Etat. [[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]] ont toujours considéré que l'Etat était une conséquence des sociétés de classes, et qu'il ne pourrait y avoir extinction de l'Etat que sous le [[Communisme|communisme]]. Ils considéraient qu'un [[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]] ([[Dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]]) était un mal nécessaire.
    
Bakounine s'opposait à ce raisonnement. Il considérait que tout Etat, y compris s'il s'agit du gouvernement des savants ou des «&nbsp;hommes de génie couronnés de vertu&nbsp;», comme il l'écrit au cours de sa polémique contre [[Mazzini|Mazzini]], crée en permanence ses élites et ses privilèges. Il soutenait que le prolétariat ne pouvait pas administrer tout entière l'infrastructure étatique et serait poussé à déléguer cette gestion à une [[Bureaucratie|bureaucratie]]., qui utiliserait toujours son pouvoir contre le [[Prolétariat|prolétariat]].
 
Bakounine s'opposait à ce raisonnement. Il considérait que tout Etat, y compris s'il s'agit du gouvernement des savants ou des «&nbsp;hommes de génie couronnés de vertu&nbsp;», comme il l'écrit au cours de sa polémique contre [[Mazzini|Mazzini]], crée en permanence ses élites et ses privilèges. Il soutenait que le prolétariat ne pouvait pas administrer tout entière l'infrastructure étatique et serait poussé à déléguer cette gestion à une [[Bureaucratie|bureaucratie]]., qui utiliserait toujours son pouvoir contre le [[Prolétariat|prolétariat]].
   −
En 1873, dans ''Étatisme et anarchie'', il oppose le ''«&nbsp;[[communisme|communisme]]&nbsp;»'' à son ''«&nbsp;[[collectivisme|collectivisme]]&nbsp;»'' :
+
En 1873, dans ''Étatisme et anarchie'', il oppose le ''«&nbsp;[[Communisme|communisme]]&nbsp;»'' à son ''«&nbsp;[[Collectivisme|collectivisme]]&nbsp;»''&nbsp;:
<blockquote>
+
<blockquote>«&nbsp;Je déteste le communisme, parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État, tandis que moi je veux l'abolition de l'État... Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste.&nbsp;»<ref>Danic Parenteau, ''Les Idéologies Politiques : Le Clivage Gauche-Droite'', [[Presses de l'Université du Québec]], 2008, page 113.</ref></blockquote>  
«&nbsp;Je déteste le communisme, parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État, tandis que moi je veux l'abolition de l'État... Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste.&nbsp;»<ref>Danic Parenteau, ''Les Idéologies Politiques : Le Clivage Gauche-Droite'', [[Presses de l'Université du Québec]], 2008, page 113.</ref>
  −
</blockquote>  
   
=== Question nationale ===
 
=== Question nationale ===
   Ligne 204 : Ligne 210 :     
L'été 1848, Bakounine est à Berlin où il rédige une brochure de propagande, l’''Appel aux slaves'' dans laquelle il développe de nouveau son programme&nbsp;: l'alliance des révolutionnaires slaves, allemands, hongrois, italiens, dans l'objectif de détruire les monarchies prussienne, autrichienne et russe. La ''Neue Rheinische Zeitung'' en publie une longue critique écrite de la main d'[[Engels|Engels]].<ref>F. Engels, ''[https://www.marxists.org/francais/engels/works/1849/02/fe18490214.htm  Le panslavisme démocratique]'', 1849</ref> Bakounine admet plus tard que la raison était plutôt du côté d'Engels, mais estime que le texte de la ''Neue Rheinische Zeitung'' laisse transparaître le sentiment de la supériorité allemande sur les peuples slaves. Cette querelle germano-slave perdurera jusque dans les conflits au sein de la [[Association_internationale_des_travailleurs|Première Internationale]].
 
L'été 1848, Bakounine est à Berlin où il rédige une brochure de propagande, l’''Appel aux slaves'' dans laquelle il développe de nouveau son programme&nbsp;: l'alliance des révolutionnaires slaves, allemands, hongrois, italiens, dans l'objectif de détruire les monarchies prussienne, autrichienne et russe. La ''Neue Rheinische Zeitung'' en publie une longue critique écrite de la main d'[[Engels|Engels]].<ref>F. Engels, ''[https://www.marxists.org/francais/engels/works/1849/02/fe18490214.htm  Le panslavisme démocratique]'', 1849</ref> Bakounine admet plus tard que la raison était plutôt du côté d'Engels, mais estime que le texte de la ''Neue Rheinische Zeitung'' laisse transparaître le sentiment de la supériorité allemande sur les peuples slaves. Cette querelle germano-slave perdurera jusque dans les conflits au sein de la [[Association_internationale_des_travailleurs|Première Internationale]].
 +
 +
=== Dialectique hégélienne ===
 +
 +
Le jeune Bakounine, tout comme Marx, a été très influencé par la philosophie [[Georg_Wilhelm_Friedrich_Hegel|hégelienne]], notamment par sa [[Dialectique#La_dialectique_chez_Hegel|dialectique]].
    
=== Droits des femmes et amour libre ===
 
=== Droits des femmes et amour libre ===
Ligne 213 : Ligne 223 :  
=== Antisémitisme ===
 
=== Antisémitisme ===
   −
Bakounine partageait des conceptions [[antisémites|antisémites]] qui étaient très courantes, y compris parmi les révolutionnaires socialistes. Par exemple, dans cet extrait des ''Lettres aux internationaux de Bologne - Pièces explicatives et justificatives n°1'' de décembre 1871, il écrit à propos de sa polémique avec [[Karl_Marx|Karl Marx]]&nbsp;:
+
Bakounine partageait des conceptions [[Antisémites|antisémites]] qui étaient très courantes, y compris parmi les révolutionnaires socialistes. Par exemple, dans cet extrait des ''Lettres aux internationaux de Bologne - Pièces explicatives et justificatives n°1'' de décembre 1871, il écrit à propos de sa polémique avec [[Karl_Marx|Karl Marx]]&nbsp;:
<blockquote>
+
<blockquote>«&nbsp;Les Juifs constituent aujourd'hui en Allemagne une véritable puissance. Juif lui-même, Marx a autour de lui tant à Londres qu'en France et dans beaucoup d'autres pays, mais surtout en Allemagne, une foule de petits Juifs, plus ou moins intelligents et instruits, vivant principalement de son intelligence et revendant en détail ses idées. Se réservant à lui-même le monopole de la grosse politique, j'allais dire de la grosse intrigue, il leur en abandonne volontiers le côté petit, sale, misérable, et il faut dire que, sous ce rapport, toujours obéissants à son impulsion, à sa haute direction, ils lui rendent de grands services&nbsp;: inquiets, nerveux, curieux, indiscrets, bavards, remuants, intrigants, exploitants, comme le sont les Juifs partout, agents de commerce, bellettrists, politiciens, journalistes, courtiers de littérature en un mot, en même temps que courtiers de finance, ils se sont emparés de toute la presse de l'Allemagne, à commencer par les journaux monarchistes les plus absolutistes, et depuis longtemps ils règnent dans le monde de l'argent et des grandes spéculations financières et commerciales&nbsp;: ayant ainsi un pied dans la Banque, ils viennent de poser ces dernières années l'autre pied dans le socialisme, appuyant ainsi leur postérieur sur la littérature quotidienne de l'Allemagne... Vous pouvez vous imaginer quelle littérature nauséabonde cela doit faire. Eh bien, tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l'autre. Je sais que les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont, qu'ils doivent être, apprécient beaucoup les mérites du communiste Marx&nbsp;; et qu'à son tour le communiste Marx se sent invinciblement entraîné, par un attrait instinctif et une admiration respectueuse, vers le génie financier des Rothschild. La solidarité juive, cette solidarité si puissante qui s'est maintenue à travers toute l'histoire les unit.&nbsp;»<ref>Michel Bakounine, ''Œuvres complètes'', éditions [[Champ libre]], 1974, volume 2, ''L'Italie 1871-1872'', page 109.</ref></blockquote>  
«&nbsp;Les Juifs constituent aujourd'hui en Allemagne une véritable puissance. Juif lui-même, Marx a autour de lui tant à Londres qu'en France et dans beaucoup d'autres pays, mais surtout en Allemagne, une foule de petits Juifs, plus ou moins intelligents et instruits, vivant principalement de son intelligence et revendant en détail ses idées. Se réservant à lui-même le monopole de la grosse politique, j'allais dire de la grosse intrigue, il leur en abandonne volontiers le côté petit, sale, misérable, et il faut dire que, sous ce rapport, toujours obéissants à son impulsion, à sa haute direction, ils lui rendent de grands services&nbsp;: inquiets, nerveux, curieux, indiscrets, bavards, remuants, intrigants, exploitants, comme le sont les Juifs partout, agents de commerce, bellettrists, politiciens, journalistes, courtiers de littérature en un mot, en même temps que courtiers de finance, ils se sont emparés de toute la presse de l'Allemagne, à commencer par les journaux monarchistes les plus absolutistes, et depuis longtemps ils règnent dans le monde de l'argent et des grandes spéculations financières et commerciales&nbsp;: ayant ainsi un pied dans la Banque, ils viennent de poser ces dernières années l'autre pied dans le socialisme, appuyant ainsi leur postérieur sur la littérature quotidienne de l'Allemagne... Vous pouvez vous imaginer quelle littérature nauséabonde cela doit faire. Eh bien, tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l'autre. Je sais que les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont, qu'ils doivent être, apprécient beaucoup les mérites du communiste Marx&nbsp;; et qu'à son tour le communiste Marx se sent invinciblement entraîné, par un attrait instinctif et une admiration respectueuse, vers le génie financier des Rothschild. La solidarité juive, cette solidarité si puissante qui s'est maintenue à travers toute l'histoire les unit.&nbsp;»<ref>Michel Bakounine, ''Œuvres complètes'', éditions [[Champ libre]], 1974, volume 2, ''L'Italie 1871-1872'', page 109.</ref>
  −
</blockquote>  
   
=== La Confession de Bakounine ===
 
=== La Confession de Bakounine ===
   Ligne 244 : Ligne 252 :  
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=La_théologie_politique_de_Mazzini&action=edit&redlink=1 La théologie politique de Mazzini], 1871  
 
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=La_théologie_politique_de_Mazzini&action=edit&redlink=1 La théologie politique de Mazzini], 1871  
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Principe_de_l’État Le Principe de l’État], 1871  
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Principe_de_l’État Le Principe de l’État], 1871  
 +
*Rapports personnels avec Marx, décembre 1871
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_inédite_de_Bakounine_à_Celso_Cerretti Lettre inédite de Bakounine à Celso Cerretti], 1872  
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_inédite_de_Bakounine_à_Celso_Cerretti Lettre inédite de Bakounine à Celso Cerretti], 1872  
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Polémique_au_sujet_des_prétendues_scissions_de_l’Internationale_»&action=edit&redlink=1 Polémique au sujet des prétendues scissions de l’Internationale »],1872  
+
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Polémique_au_sujet_des_prétendues_scissions_de_l’Internationale_»&action=edit&redlink=1 Polémique au sujet des prétendues scissions de l’Internationale],1872  
 +
**Voir aussi Marx-Engels, [https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les prétendues scissions dans l'Internationale'']
 
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Étatisme_et_anarchie&action=edit&redlink=1 Étatisme et anarchie], 1873  
 
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Étatisme_et_anarchie&action=edit&redlink=1 Étatisme et anarchie], 1873  
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Dieu_et_l’État Dieu et l’État], posthume 1882  
 
*[https://fr.wikisource.org/wiki/Dieu_et_l’État Dieu et l’État], posthume 1882  
Ligne 252 : Ligne 262 :  
=== Oeuvres complètes ===
 
=== Oeuvres complètes ===
   −
[https://fr.wikisource.org/wiki/Bakounine/Œuvres https://fr.wikisource.org/wiki/Bakounine/%C5%92uvres]
+
[https://fr.wikisource.org/wiki/Bakounine/Œuvres]
    
== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==

Menu de navigation