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'''Pierre-Joseph Proudhon''' (1809-1865) est un militant et théoricien français du socialisme, le premier à se dire [[Anarchiste|anarchiste]].{{AjoutDates|15/01/1809|19/01/1865}}
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'''Pierre-Joseph Proudhon''' (1809-1865) est un militant et théoricien français du [[socialisme]], le premier à se dire [[Anarchiste|anarchiste]].
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Sa vision du socialisme est celle d'une société de petits producteurs indépendants, échangeant leurs produits sur le [[marché]]. {{AjoutDates|15/01/1809|19/01/1865}}
    
==Biographie==
 
==Biographie==
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« Né et élevé au sein de la classe ouvrière », écrira Proudhon en 1838. Proudhon est plus exact quand il note : « Je suis fils d’un pauvre artisan tonnelier et d’une fière paysanne. » Son père Claude Proudhon était garçon tonnelier dans une brasserie de Besançon. Sa mère était cuisinière et servante pour les gros travaux. La brasserie ayant été détruite, Claude Proudhon s’établit à son compte et vend de la bière qu’il fabrique lui-même. Il reprit plus tard le métier de tonnelier.
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Né à Besançon, Proudhon est placé comme bouvier avant de rentrer, à dix ans, comme boursier au collège royal de Besançon où ses études sont brillantes, mais interrompues pour des raisons financières. Il multiplie alors les emplois précaires.
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Né à Besançon, Proudhon est placé comme [[w:Vacher|bouvier]] avant de rentrer, à dix ans, comme boursier au collège royal de Besançon où ses études sont brillantes, mais interrompues pour des raisons financières. Il multiplie alors les emplois précaires. Il devient ouvrier typographe. Puis l’entreprise où il travaillait ayant fait faillite, il lui fallut « prendre le costume et le bâton du [[Compagnonnage|compagnon]] du tour de France et chercher d’imprimerie en imprimerie quelques lignes à composer, quelques épreuves à lire ».  
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Il publie son premier ouvrage, ''Qu'est-ce que la propriété?'', qui contient la fameuse formule, ''« La propriété c'est le vol »'' en 1840. Le livre fait scandale en démystifiant la fausse légitimité des [[Capitalistes|capitalistes]], et lui vaut l'admiration et l'estime du jeune [[Marx|Marx]] :
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A Besançon où il est revenu, un de ses compatriotes, le [[fouriériste]] [[w:Just Muiron|Just Muiron]], lui offre un poste de rédacteur dans le journal ''L’Impartial'' qu’il a fondé en 1829. Proudhon refuse car il ne veut pas accepter la [[censure]] préfectorale. Il redevient typographe mais en 1838 il est encore victime de la ruine d’une imprimerie. C’est dans le même temps qu’il obtient pour trois ans la bourse de l’Académie de Besançon fondée par la veuve de l’académicien, le très conservateur [[w:Jean Baptiste Antoine Suard|J.-B. Suard]].
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Le voici donc à Paris où ce rural se sent « dépaysé ». Il a alors 29 ans. C’est un demi-autodidacte : brillant élève du collège de Besançon mais jusqu’en rhétorique seulement ; il a dû passer le baccalauréat plus tard pour obtenir la bourse Suard. Il a accumulé les connaissances au hasard de ses rencontres, apprenant l’hébreu et la théologie quand il imprime la Bible et des ouvrages des Pères de l’Eglise. Il s’initie à la grammaire comparée et à la linguistique. A Paris, il découvre l’[[économie politique]].
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L’Académie de Besançon ayant mis au concours le sujet ''De l’utilité de la célébration du dimanche sous les rapports de l’hygiène, de la morale, des relations de famille et de cité,'' Proudhon propose son mémoire. Il n’obtient qu’une médaille de bronze car les académiciens bisontins ont été effrayés par l’audace de leur « pensionnaire » qui dénonçait la propriété comme « le dernier des faux dieux » et terminait son discours par des menaces à l’encontre des riches qui ne veulent pas reconnaître les droits du travail : « Eh bien ! Nous appelons la force. Propriétaires défendez-vous ! Il y aura des combats et des massacres. »
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L'année suivante, toujours pour répondre à une question mise au concours par l’Académie de Besançon, Proudhon lance son brûlot : ''Qu’est-ce que la propriété ? Ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement.'' C’est à [[w:Jacques Pierre Brissot|Brissot]] qu’il avait emprunté cette formule qui faillit lui valoir des poursuites et qui, en tout cas, entraîna la suppression de sa bourse : « La propriété c est le vol ! » Le livre fait scandale et lui vaut l'admiration et l'estime du jeune [[Marx]] :
 
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«&nbsp;''Non seulement Proudhon écrit dans l'intérêt du prolétariat, mais il est lui-même un prolétaire, un ouvrier. Son travail est un manifeste scientifique du prolétariat français.''&nbsp;»<ref>Karl Marx - Friedrich Engels, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900i.htm La sainte famille]'', 1844</ref>
 
«&nbsp;''Non seulement Proudhon écrit dans l'intérêt du prolétariat, mais il est lui-même un prolétaire, un ouvrier. Son travail est un manifeste scientifique du prolétariat français.''&nbsp;»<ref>Karl Marx - Friedrich Engels, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900i.htm La sainte famille]'', 1844</ref>
 
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Il publie son second mémoire ''Lettres à M. Blanqui'' (1841), puis ''l’Avertissement aux propriétaires'' (1842) qui le conduit devant la cour d’assises du Doubs où il est d’ailleurs acquitté. Il entre comme fondé de pouvoirs dans une entreprise de transport de charbon, la Compagnie des bateaux de la Saône et du Rhône. Il va y rester cinq ans. Sa nouvelle profession, grâce à laquelle il apprend « l’ère du comptable », lui laisse des loisirs et lui permet de séjourner fréquemment à Paris. En 1843 il fait paraître ''La création de l’ordre dans'' l’humanité ou ''Principes d’organisation politique.'' Vient enfin en octobre 1846 son dernier ouvrage d’avant 1848 : ''Le système des contradictions économiques ou philosophie de la misère.'' Entre-temps il a probablement suivi les cours d’Ahrens, un émigré allemand qui enseignait au Collège de France histoire de la philosophie allemande. Il a rencontré [[Karl Marx]], le journaliste allemand [[Karl Grün]] et plus tard [[Alexandre Herzen|Herzen]] et [[Bakounine]].
En 1845, Marx écrit même à Proudhon pour lui proposer de prendre la tête de la [[Ligue des justes]], car il l'admire encore, et pense que son influence est incontournable pour construire une organisation regroupant le mouvement ouvrier réel. Proudhon lui répond qu'il ne souhaite pas créer un dogme socialiste, et qu'il est revenu sur l'idée qu'il fallait nécessairement une révolution pour aboutir au progrès social.<ref>[https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_P.-J._Proudhon/Marx Lettre de Proudhon à Marx], 17 mai 1846.</ref>
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En 1845, Marx écrit même à Proudhon pour lui proposer de prendre la tête de la [[Ligue des justes]], car il l'admire encore, et pense que son influence est incontournable pour construire une organisation regroupant le mouvement ouvrier réel. Proudhon lui répond qu'il ne souhaite pas créer un [[dogme]] socialiste, et qu'il est revenu sur l'idée qu'il fallait nécessairement une [[Révolution socialiste|révolution]] pour aboutir au progrès social.<ref>[https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_P.-J._Proudhon/Marx Lettre de Proudhon à Marx], 17 mai 1846.</ref>
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Mais la pensée de Proudhon contenait de nombreuses faiblesses théoriques et ambiguités politiques (ancrage dans le libéralisme), et il va très vite modérer la portée de son discours.
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La pensée de Proudhon contenait de nombreuses faiblesses théoriques et ambiguïtés politiques (ancrage dans le libéralisme), et il va très vite modérer la portée de son discours.
    
En 1846, il écrit ''Philosophie de la misère'', que Marx trouve très idéaliste en première lecture<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1846/12/kmfe18461228.htm Lettre à Annenkov]'', 28 décembre 1846</ref>, ce qui le poussera à écrire une réponse cinglante, intitulée [[Misère_de_la_philosophie|''Misère de la philosophie'']].
 
En 1846, il écrit ''Philosophie de la misère'', que Marx trouve très idéaliste en première lecture<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1846/12/kmfe18461228.htm Lettre à Annenkov]'', 28 décembre 1846</ref>, ce qui le poussera à écrire une réponse cinglante, intitulée [[Misère_de_la_philosophie|''Misère de la philosophie'']].
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En 1847, Proudhon s’installe définitivement à Paris et lance la même année, avec Charles Fauvety et Jules Viard, un journal : ''[[w:Le Représentant du peuple|Le Représentant du Peuple]].''
    
Proudhon appuie ensuite, quoi qu'avec des réserves et des nuances, la [[Révolution_de_février_1848|Révolution de février 1848]]. Cette même année, il lance le premier journal qu'on pourrait qualifier d'anarchiste, ''Le Représentant du Peuple'' et il est élu à l'Assemblée Nationale. En janvier 1849 il crée une Banque du Peuple, que le pouvoir ferme bientôt. Proudhon est alors contraint à l'exil, puis, à son retour en France, à la prison, où il restera trois ans.
 
Proudhon appuie ensuite, quoi qu'avec des réserves et des nuances, la [[Révolution_de_février_1848|Révolution de février 1848]]. Cette même année, il lance le premier journal qu'on pourrait qualifier d'anarchiste, ''Le Représentant du Peuple'' et il est élu à l'Assemblée Nationale. En janvier 1849 il crée une Banque du Peuple, que le pouvoir ferme bientôt. Proudhon est alors contraint à l'exil, puis, à son retour en France, à la prison, où il restera trois ans.
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En 1851, il fait paraître ''Idée générale de la révolution au XIXème siècle'', qui propose et défend un idéal de société anarchiste fondée sur des contrats librement consentis et sur l'idée de communes librement fédérées. À compter de cette date, il se déclare volontiers fédéraliste.
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En 1851, il fait paraître ''Idée générale de la révolution au XIX<sup>ème</sup> siècle'', qui propose et défend un idéal de société anarchiste fondée sur des contrats librement consentis et sur l'idée de communes librement fédérées. À compter de cette date, il se déclare volontiers [[fédéraliste]].
    
En 1858, Proudhon est de nouveau condamné à une peine de prison et il s'enfuit en Belgique. Il rentre en France en 1862. et meurt en 1865.
 
En 1858, Proudhon est de nouveau condamné à une peine de prison et il s'enfuit en Belgique. Il rentre en France en 1862. et meurt en 1865.
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Ses idées joueront un rôle important au sein du [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] naissant, notamment parmi les militants de la [[Première_internationale|Première Internationale]].&nbsp; Dans certains aspects de son socialisme, Proudhon a été suivi par Michel Bakounine. Après la mort de [[Mikhaïl Bakounine|Bakounine]], le socialisme libertaire se divisa entre anarcho-communisme et collectivisme libertaire.
      
==La pensée de Proudhon==
 
==La pensée de Proudhon==
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===Considérations générales===
 
===Considérations générales===
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Proudhon s'est d'abord revendiqué du [[Socialisme|socialisme]] par sa critique de la propriété. Il démystifiait frontalement la légitimité du propriétaire (principalement du propriétaire terrien) en démontrant qu'il s'arrogeait en fait une rente sur le dos du travail de ceux qui travaillent. Il insistait alors sur la différence entre propriété et possession.
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Proudhon s'est d'abord revendiqué du [[Socialisme|socialisme]] par sa critique de la propriété. Il démystifiait frontalement la légitimité du propriétaire (principalement du [[propriétaire terrien]]) en démontrant qu'il s'arrogeait en fait une [[Rente foncière|rente]] sur le dos du travail de ceux qui travaillent. Il insistait alors sur la différence entre propriété et possession.
    
Mais très vite, il s'est mis à critiquer de plus en plus frontalement à la fois le socialisme et le [[Communisme|communisme]]. Son [[Anarchisme|anarchisme]] s'est cristallisé en une doctrine de réformes libérales, visant une utopique répartition de la propriété entre petits producteurs, pour faire contrepoids à la fois au pouvoir des [[Capitalistes|capitalistes]] (gros propriétaires) et de l'[[État|État]].
 
Mais très vite, il s'est mis à critiquer de plus en plus frontalement à la fois le socialisme et le [[Communisme|communisme]]. Son [[Anarchisme|anarchisme]] s'est cristallisé en une doctrine de réformes libérales, visant une utopique répartition de la propriété entre petits producteurs, pour faire contrepoids à la fois au pouvoir des [[Capitalistes|capitalistes]] (gros propriétaires) et de l'[[État|État]].
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Proudhon s'est enflammé contre des "excès" des capitalistes, contre les actes les plus ouvertement répressifs ou pro-riches de l'État, mais n'a jamais abouti à une critique radicale du système capitaliste. Au contraire il s'en est éloigné, et s'est toujours méfié de la classe ouvrière et de son action collective. A la place, il a cherché de plus en plus à imaginer des réformes économiques qui permettraient une "solution progressive à la question sociale", prétendant baser le tout sur des lois économiques idéales, sans faire intervenir la lutte de classe.
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Proudhon s'est enflammé contre des "excès" des capitalistes, contre les actes les plus ouvertement répressifs ou pro-riches de l'État, mais n'a jamais abouti à une critique radicale du système capitaliste. Au contraire il s'en est éloigné, et s'est toujours méfié de la classe ouvrière et de son action collective. A la place, il a cherché de plus en plus à imaginer des réformes économiques qui permettraient une "solution progressive à la question sociale", prétendant baser le tout sur des lois économiques idéales, sans faire intervenir la [[lutte de classe]].
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Pour Proudhon, au cours de l'histoire, l'humanité mûrissant va vers une société avec "moins d'État"&nbsp;:
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Globalement on peut distinguer deux Proudhon, celui d'avant 1848 et celui d'après.  
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<span class="reference-text">«&nbsp;l’État, (…) c’est l’armée… la police… le système judiciaire… le fisc, etc. (…) L’anarchie est la condition d’existence des sociétés adultes, comme la hiérarchie est la condition des sociétés primitives&nbsp;: il y a progrès incessant dans les sociétés humaines de la hiérarchie à l’anarchie.&nbsp;» ''La Voix du Peuple'' du 3 décembre 1849</span>
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Proudhon se voulait discipline de Hegel, ce à quoi Marx répondait qu'il n'y avait visiblement rien compris. Par ailleurs, Proudhon se targuait souvent d'être scientifique, ce qui fit dire à Marx :
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Aucune école n'a encore autant usé et abusé du mot «science» que l'Ecole proudhonienne, car
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«Là où les idées manquent,
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===La question de la propriété===
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Il y a toujours un mot qui vient à point nommé». [Goethe, Faust, Ière partie, Scène du cabinet d'étude]<ref name=":0">Karl Marx, ''[http://www.sinistra.net/lib/cla/mew/lecapcha1f.html Le Capital, 1867 - Chapitre premier : La marchandise]'', Deuxième édition</ref>
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Avec son brûlot de 1840 contre la propriété, Proudhon semblait faire une critique radicale de la propriété. Sa critique avait cependant surtout un caractère moral. Il entend démontrer par une méthode  abstraite et déductive que la propriété ne peut pas être justifiée moralement. Aucune étude économique ou historique des formes de propriété (« L’histoire de la propriété chez les nations anciennes n’est plus pour nous qu’une affaire d’érudition et de curiosité. »). Sa critique porte surtout sur la [[propriété foncière]], qui est juste le fruit d'un accaparement initial et apporte ensuite une [[Rente foncière|rente]] injustifiée. Il critique aussi la propriété des grands capitalistes, qui bénéficieraient gratuitement du surproduit résultant de la force collective de nombreux travailleurs :
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« Le capitaliste, dit-on, a payé les ''journées'' des ouvriers ; pour être exact, il faut dire que le capitaliste a payé autant de fois ''une journée'' qu’il a employé d’ouvriers chaque jour, ce qui n’est pas du tout la même chose. Car cette force immense qui résulte de l’union et de l’harmonie des travailleurs, de la convergence et de la simultanéité de leurs efforts, il ne l’a point payée. Deux cents grenadiers ont en quelques heures dressé l’obélisque de Louqsor sur sa base ; suppose-t-on qu’un seul homme en deux cents jours, en serait venu à bout ? Cependant, au compte du capitaliste, la somme des salaires eût été la même. »
 
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Proudhon conclut alors triomphalement : « J’ai accompli l’œuvre que je m’étais proposée : la propriété est vaincue ; elle ne se relèvera jamais. Partout où sera lu et communiqué ce discours, là sera déposé un germe de mort pour la propriété. »
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===La question de la propriété===
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Mais après 1848, il va préciser qu'il n'est pas pour une critique radicale de la propriété. Au contraire, il va affirmer que "la propriété, c'est la liberté", tout en assurant que cette contradiction peut être résolue... en partageant mieux la propriété.
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Alors que Proudhon semblait en 1840, avec sa formule "La propriété c'est le vol", cibler en priorité les capitalistes, il va très vite prendre de soin de préciser qu'il n'est pas pour une critique radicale de la propriété. Au contraire, il va affirmer que "la propriété, c'est la liberté", tout en assurant que cette contradiction peut être résolue... en partageant mieux la propriété. Sa cible principale devient alors l'État, qui empêcherait la propriété de jouer son rôle d'harmonisation.
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Que cela soit une clarification ou la justification d'un changement de position, il assura plus tard qu'il avait été mal compris dans ses premiers écrits. que sa célèbre formule&nbsp;: "la propriété, c'est le vol" a été mal comprise. Il s'en explique de la façon suivante :
 
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«&nbsp;''La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir (...) Où trouver une puissance capable de contre-balancer cette puissance formidable de l'Etat&nbsp;? Il n'y en a pas d'autre que la propriété (...) La propriété moderne peut être considérée comme le triomphe de la liberté (...) La propriété est destinée à devenir, par sa généralisation, le pivot et le ressort de tout le système social.''&nbsp;» (Théorie de la propriété, 1862)
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«&nbsp;''Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l'ordre établi, je disais, par exemple&nbsp;: La propriété, c'est le vol&nbsp;! Il s'agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant de nos institutions. Je n'avais point alors à m'occuper d'autre chose. Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute conclusion communiste. Dans le Système des Contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma première définition, j'en ajoute une toute contraire, mais fondée sur des considérations d'un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la première argumentation, ni être détruites par elle&nbsp;: "La propriété, c'est la liberté&nbsp;!"''&nbsp;» (''Confessions d'un Révolutionnaire'', 1849)
 
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Que cela soit une clarification ou la justification d'un changement de position, il assura plus tard qu'il avait été mal compris dans ses premiers écrits. que sa célèbre formule&nbsp;: "la propriété, c'est le vol" a été mal comprise. Il s'en explique en «&nbsp;''Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l'ordre établi, je disais, par exemple&nbsp;: La propriété, c'est le vol&nbsp;! Il s'agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant de nos institutions. Je n'avais point alors à m'occuper d'autre chose. Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute conclusion communiste. Dans le Système des Contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma première définition, j'en ajoute une toute contraire, mais fondée sur des considérations d'un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la première argumentation, ni être détruites par elle&nbsp;: "La propriété, c'est la liberté&nbsp;!"''&nbsp;» (''Confessions d'un Révolutionnaire'', 1849)
      
=== Mutuellisme ===
 
=== Mutuellisme ===
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===Gradualisme contre révolution===
 
===Gradualisme contre révolution===
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{{...}}Dans ''Philosophie de la misère,'' Proudhon se prononce nettement contre les coalitions ouvrières.
    
===Influence des libéraux bourgeois===
 
===Influence des libéraux bourgeois===
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La théorie de Proudhon est au fond assez hétéroclite, mélangeant des termes socialisants («&nbsp;travailleur collectif&nbsp;»…) et libéraux, critiquant le libre-échange international mais l'acceptant au niveau local... Toutefois il est clair que l'influence des économistes libéraux avec qui il débattait sans cesse a eu une emprise grandissante sur lui, ce qui est nettement visible dans ses derniers ouvrages — la Théorie contre l'impôt (1860), Du principe fédératif (1863) et la Théorie de la propriété (1865).
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La théorie de Proudhon est au fond assez hétéroclite, mélangeant des termes socialisants («&nbsp;travailleur collectif&nbsp;»…) et libéraux, critiquant le [[libre-échange]] international mais l'acceptant au niveau local... Toutefois il est clair que l'influence des économistes libéraux avec qui il débattait sans cesse a eu une emprise grandissante sur lui, ce qui est nettement visible dans ses derniers ouvrages — la ''Théorie contre l'impôt'' (1860), ''Du principe fédératif'' (1863) et la ''Théorie de la propriété'' (1865).
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Il était fasciné par l'économie politique dominante, citant abondamment Say, Passy, Dunoyer, Laboulaye, dévorant le Journal des économistes et admirant «&nbsp;Adam Smith, ce penseur si profond&nbsp;». Il a notamment polémique pendant treize semaines en 1848-49 dans la Voix du peuple avec Frédéric Bastiat au sujet de la légitimité de l'intérêt et la gratuité du crédit.
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Il était fasciné par l'économie politique dominante, citant abondamment Say, Passy, Dunoyer, Laboulaye, dévorant le Journal des économistes et admirant «&nbsp;Adam Smith, ce penseur si profond&nbsp;». Il a notamment polémiqué pendant treize semaines en 1848-49 dans la ''Voix du peuple'' avec Frédéric Bastiat au sujet de la légitimité de l'intérêt et la gratuité du crédit.
 
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«&nbsp;''Voilà donc tout mon système&nbsp;: liberté de conscience, liberté de la presse, liberté du travail, liberté de l'enseignement, libre concurrence, libre disposition des fruits de son travail, liberté à l'infini, liberté absolue, liberté partout et toujours&nbsp;! C'est le système de 1789 et 1793&nbsp;; le système de Quesnay, de Turgot, de Jean-Baptiste Say […] La liberté, donc, rien de plus, rien de moins. Le «&nbsp;laisser-faire, laissez-passer&nbsp;» dans l'acception la plus littérale et la plus large&nbsp;; conséquemment, la propriété, en tant qu'elle découle légitimement de cette liberté&nbsp;: voilà mon principe. Pas d'autre solidarité entre les citoyens que celle des accidents de force majeure […] C'est la foi de Franklin, Washington, Lafayette, de Mirabeau, de Casimir Périer, d'Odilon Barrot, de Thiers…''&nbsp;»
 
«&nbsp;''Voilà donc tout mon système&nbsp;: liberté de conscience, liberté de la presse, liberté du travail, liberté de l'enseignement, libre concurrence, libre disposition des fruits de son travail, liberté à l'infini, liberté absolue, liberté partout et toujours&nbsp;! C'est le système de 1789 et 1793&nbsp;; le système de Quesnay, de Turgot, de Jean-Baptiste Say […] La liberté, donc, rien de plus, rien de moins. Le «&nbsp;laisser-faire, laissez-passer&nbsp;» dans l'acception la plus littérale et la plus large&nbsp;; conséquemment, la propriété, en tant qu'elle découle légitimement de cette liberté&nbsp;: voilà mon principe. Pas d'autre solidarité entre les citoyens que celle des accidents de force majeure […] C'est la foi de Franklin, Washington, Lafayette, de Mirabeau, de Casimir Périer, d'Odilon Barrot, de Thiers…''&nbsp;»
 
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===Focalisation contre l'État===
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C'est donc avant tout contre l'[[État]] que se focalise la critique de Proudhon. C'est l'[[État]] qui empêcherait la propriété de jouer son rôle d'harmonisation, face à la force progressiste de la propriété « généralisée »,  c'est-à-dire du [[marché]]. La position de Proudhon devient alors très proche de celle des économistes [[Libéralisme|libéraux]].
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«&nbsp;''La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir (...) Où trouver une puissance capable de contre-balancer cette puissance formidable de l’État&nbsp;? Il n'y en a pas d'autre que la propriété (...) La propriété moderne peut être considérée comme le triomphe de la liberté (...) La propriété est destinée à devenir, par sa généralisation, le pivot et le ressort de tout le système social.''&nbsp;» (Théorie de la propriété, 1862)
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Pour Proudhon, au cours de l'histoire, l'humanité mûrissant va vers une société avec "moins d'État"&nbsp;:
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<span class="reference-text">«&nbsp;l’État, (…) c’est l’armée… la police… le système judiciaire… le fisc, etc. (…) L’anarchie est la condition d’existence des sociétés adultes, comme la hiérarchie est la condition des sociétés primitives&nbsp;: il y a progrès incessant dans les sociétés humaines de la hiérarchie à l’anarchie.&nbsp;» ''La Voix du Peuple'' du 3 décembre 1849</span>
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===Contre les socialistes et communistes===
 
===Contre les socialistes et communistes===
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[[Karl Marx]] déplorait l'impact de Proudhon sur le [[mouvement ouvrier français]], et par exemple sur la délégation française au congrès de Genève de l'[[Association Internationale des Travailleurs|AIT]] (1866) :
 
[[Karl Marx]] déplorait l'impact de Proudhon sur le [[mouvement ouvrier français]], et par exemple sur la délégation française au congrès de Genève de l'[[Association Internationale des Travailleurs|AIT]] (1866) :
 
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Sous le prétexte de la liberté et de l'antigouvernementalisme, ou de l'individualisme anti-autoritaire, ces messieurs, qui ont supporté et supportent allégrement depuis seize ans le plus misérable despotisme, ne prêchent en fait que l'économie bourgeoise la plus ordinaire, idéalisée seulement de manière proudhonienne. Proudhon a causé un mal terrible. Son semblant de critique et son apparente opposition aux utopistes ‑ alors que lui-même n'est qu'un utopiste petit-bourgeois, alors que les utopies d'un Fourier ou d'un Owen sont le pressentiment et l'expression imaginaire d'un monde nouveau ‑ ont d'abord séduit et corrompu la « jeunesse brillante » et les étudiants, puis les ouvriers, les Parisiens qui, en tant qu'ouvriers de luxe, restent sans le savoir fortement attachés à toutes ces choses du passé.<ref>Karl Marx, [[:fr:Lettre à Ludwig Kugelmann, 9 octobre 1866|Lettre à Ludwig Kugelmann, 9 octobre 1866]]</ref>
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« Sous le prétexte de la liberté et de l'antigouvernementalisme, ou de l'individualisme anti-autoritaire, ces messieurs, qui ont supporté et supportent allégrement depuis seize ans le plus misérable despotisme, ne prêchent en fait que l'économie bourgeoise la plus ordinaire, idéalisée seulement de manière proudhonienne. Proudhon a causé un mal terrible. Son semblant de critique et son apparente opposition aux utopistes ‑ alors que lui-même n'est qu'un utopiste petit-bourgeois, alors que les utopies d'un Fourier ou d'un Owen sont le pressentiment et l'expression imaginaire d'un monde nouveau ‑ ont d'abord séduit et corrompu la « jeunesse brillante » et les étudiants, puis les ouvriers, les Parisiens qui, en tant qu'ouvriers de luxe, restent sans le savoir fortement attachés à toutes ces choses du passé. »<ref>Karl Marx, [[:fr:Lettre à Ludwig Kugelmann, 9 octobre 1866|Lettre à Ludwig Kugelmann, 9 octobre 1866]]</ref>
 
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Sa critique du communisme est la critique classique adressée par les libéraux bourgeois, selon laquelle toute initiative individuelle serait tarie sous l'effet d'une chape de plomb collective&nbsp;: «&nbsp;le communisme est synonyme de nihilisme, d'indivision, d'immobilité, de nuit, de silence&nbsp;» (Système des contradictions économiques)
 
Sa critique du communisme est la critique classique adressée par les libéraux bourgeois, selon laquelle toute initiative individuelle serait tarie sous l'effet d'une chape de plomb collective&nbsp;: «&nbsp;le communisme est synonyme de nihilisme, d'indivision, d'immobilité, de nuit, de silence&nbsp;» (Système des contradictions économiques)
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Proudhon fit peu de critiques publiques de Karl Marx.
 
Proudhon fit peu de critiques publiques de Karl Marx.
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==Sexisme==
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=== Rapport à Hegel et à la science ===
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Proudhon se voulait disciple de [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]], ce à quoi Marx répondait qu'il n'y avait visiblement rien compris.
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Ce que Proudhon baptise dialectique est en réalité la prise en considération du bon et du mauvais côté des choses. La [[Machinisme|machine]] par exemple d’un côté réduit la peine des hommes et contribue à la multiplication des richesses. Mais d’un autre côté, en précipitant la concentration des entreprises, elle prolétarise une partie de la population et réduit au chômage bien des travailleurs. Il en est de même de la [[concurrence]]. Elle porte témoignage de « la liberté intelligente de l’homme ». Mais, en même temps, en éliminant les plus faibles, elle aboutit à son contraire : une situation de [[monopole]]. Le monopole aussi représente « le prix de la lutte, la glorification du génie ». Il est le triomphe de cette liberté dont la concurrence est l’expression. Mais il engendre misères et désordres car le « monopoleur » ne cherche que « la rentabilité ». Le monopole enfin est à l’origine des revenus prélevés sur le travailleur, des droits d’aubaine ? Ce droit d’aubaine reçoit « différents noms selon les choses qui le produisent : ''fermage'' pour les terres ; ''loyer'' pour les maisons et les meubles ; ''rente'' pour les fonds placés à perpétuité ; ''intérêt'' pour l’argent ; ''bénéfice, gain, profit'' pour les échanges ».
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Par ailleurs, Proudhon se targuait souvent d'être [[Science|scientifique]], ce qui fit dire à Marx :
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Aucune école n'a encore autant usé et abusé du mot «science» que l'Ecole proudhonienne, car
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«Là où les idées manquent,
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Il y a toujours un mot qui vient à point nommé». [Goethe, Faust, Ière partie, Scène du cabinet d'étude]<ref name=":0">Karl Marx, ''[http://www.sinistra.net/lib/cla/mew/lecapcha1f.html Le Capital, 1867 - Chapitre premier : La marchandise]'', Deuxième édition</ref>
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===Sexisme===
 
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==Antisémitisme==
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===Antisémitisme===
    
Bien que Proudhon ne fasse pas de l'[[antisémitisme]] un fondement de sa pensée, au contraire d'Alphonse Toussenel, il est un des premiers penseurs français à utiliser la dimension raciale comme dans sa violente diatribe judéophobe de décembre 1847 «&nbsp;le Juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l'exterminer... Par le fer, par le feu ou par l'expulsion il faut que le Juif disparaisse&nbsp;». Parce qu'il croit que le Juif représente le capitalisme naissant, que les Juifs sont une «&nbsp;race insolente, obstinée, infernale&nbsp;» qui exercent une action dissolvante sur la société, et que les Juifs sont inassimilables et source de tensions sociales permanentes, Proudhon fait du Juif l'incarnation du Mal absolu. Cet antisémitisme radical, qui selon certains auteurs trouverait une part de son origine dans un contentieux idéologique et personnel avec Karl Marx (qui lui reprochait dans ''[[Misère de la philosophie]]'' son ignorance en matière d'économie), a influencé des penseurs d'[[extrême-droite]] comme Charles Maurras, Édouard Drumont et les collaborationnistes.
 
Bien que Proudhon ne fasse pas de l'[[antisémitisme]] un fondement de sa pensée, au contraire d'Alphonse Toussenel, il est un des premiers penseurs français à utiliser la dimension raciale comme dans sa violente diatribe judéophobe de décembre 1847 «&nbsp;le Juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l'exterminer... Par le fer, par le feu ou par l'expulsion il faut que le Juif disparaisse&nbsp;». Parce qu'il croit que le Juif représente le capitalisme naissant, que les Juifs sont une «&nbsp;race insolente, obstinée, infernale&nbsp;» qui exercent une action dissolvante sur la société, et que les Juifs sont inassimilables et source de tensions sociales permanentes, Proudhon fait du Juif l'incarnation du Mal absolu. Cet antisémitisme radical, qui selon certains auteurs trouverait une part de son origine dans un contentieux idéologique et personnel avec Karl Marx (qui lui reprochait dans ''[[Misère de la philosophie]]'' son ignorance en matière d'économie), a influencé des penseurs d'[[extrême-droite]] comme Charles Maurras, Édouard Drumont et les collaborationnistes.
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==Les proudhoniens==
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Avant 1848, Proudhon a déjà une grande notoriété parmi les théoriciens du [[socialisme français]] naissant. Mais c’est surtout après 1848 qu’il influencera le mouvement ouvrier. Par ses origines, sa formation et aussi ses contradictions, il apparaît bien comme l’homme de cette société transitoire où coexistent les « nouveaux prolétaires » et les artisans. C’est à cette concordance avec son temps que Proudhon doit son influence. Dans une époque où le mouvement ouvrier est surtout encadré par des artisans ou des ouvriers artisanaux, ces « militants » se retrouvent en Proudhon.
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Ses idées joueront un rôle important  parmi les militants de la [[Première_internationale|Première Internationale]] (AIT). Dans un premier temps, les militants proudhoniens sont progressivement minorisés dans l'AIT par les « [[collectivistes]] » (à la fois les [[marxistes]] et les [[Mikhaïl Bakounine|bakouninistes]]). Puis, après la scission dans l'AIT en 1873 des partisans de Bakounine, qui se revendiquaient « anti-autoritaires », les proudhoniens (qui étaient alors beaucoup moins nombreux) furent du côté de Bakounine. La catégorie des « [[anarchistes]] » commençait à se cristalliser, contre ce qui allait devenir la [[social-démocratie]]. Proudhon sera alors souvent cité comme un père de ce courant, même si par la suite la plupart des anarchistes sont collectivistes.
    
==Notes et sources==
 
==Notes et sources==

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