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== Contexte ==
 
== Contexte ==
Depuis 1830 et la [[w:Monarchie de Juillet|Monarchie de Juillet]], le pouvoir est entre les mains d'une caste autour du roi Louis-Philippe, que [[Karl Marx|Marx]] appelle l'[[Aristocratie_financière|aristocratie financière]]. Il s'agit des fractions les plus parasitaires et [[Rentier|rentières]] de la [[noblesse]] et de la [[bourgeoisie]]. Le [[Suffrage_censitaire|suffrage est censitaire]] : seuls ceux qui paient un impôt de 200 francs peuvent voter (cela représente beaucoup : sur 30 millions d’habitants, 250 000 personnes environ peuvent voter). Des revendications ouvrières avaient commencé à émerger, comme la [[révolte des Canuts]] à Lyon (1831), mais le [[Mouvement ouvrier en France|mouvement ouvrier]] n'était pas encore développé et encore moins conscient de lui-même.
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Depuis 1830 et la [[w:Monarchie de Juillet|Monarchie de Juillet]], le pouvoir est entre les mains d'une caste autour du roi Louis-Philippe, que [[Karl Marx|Marx]] appelle l'[[Aristocratie_financière|aristocratie financière]]. Il s'agit des fractions les plus parasitaires et [[Rentier|rentières]] de la [[noblesse]] et de la [[bourgeoisie]]. Le [[Suffrage_censitaire|suffrage est censitaire]] : seuls ceux qui paient un impôt de 200 francs peuvent voter (cela représente beaucoup : sur 30 millions d’habitants, 250 000 personnes environ peuvent voter).  
    
A Paris les [[Inégalités sociales|inégalités]] sont de plus en plus nettes. Une grande partie de la population est composée de boutiquiers modestes, qui composent la garde nationale, mais sont exclus du suffrage censitaire. La plupart des ouvriers sont occupés dans des ateliers œuvrant pour le luxe (la moitié des 64 000 ateliers est tenue par un patron seul ou avec un seul ouvrier). Les spécialités sont très diversifiées (plus de 325 métiers recensés) où dominent le vêtement (90 000 travailleurs) et le bâtiment (41 000). La grande [[industrie]] s'est surtout développée en périphérie, à [[w:La Villette (Seine)|la Villette]] ou aux [[w:Batignolles-Monceau|Batignolles]].
 
A Paris les [[Inégalités sociales|inégalités]] sont de plus en plus nettes. Une grande partie de la population est composée de boutiquiers modestes, qui composent la garde nationale, mais sont exclus du suffrage censitaire. La plupart des ouvriers sont occupés dans des ateliers œuvrant pour le luxe (la moitié des 64 000 ateliers est tenue par un patron seul ou avec un seul ouvrier). Les spécialités sont très diversifiées (plus de 325 métiers recensés) où dominent le vêtement (90 000 travailleurs) et le bâtiment (41 000). La grande [[industrie]] s'est surtout développée en périphérie, à [[w:La Villette (Seine)|la Villette]] ou aux [[w:Batignolles-Monceau|Batignolles]].
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Le mouvement dépasse complètement ses organisateurs. Les républicains deviennent vite hégémoniques dans les banquets, et on y entend même quelques [[socialistes]]. Ainsi alors qu'on trinquait d'abord timidement « au roi et à la réforme électorale », on trinque désormais « au suffrage universel » (masculin) et parfois « à l'amélioration du sort des classes laborieuses ».
 
Le mouvement dépasse complètement ses organisateurs. Les républicains deviennent vite hégémoniques dans les banquets, et on y entend même quelques [[socialistes]]. Ainsi alors qu'on trinquait d'abord timidement « au roi et à la réforme électorale », on trinque désormais « au suffrage universel » (masculin) et parfois « à l'amélioration du sort des classes laborieuses ».
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Les républicains forment alors une nébuleuse assez peu organisée, influencée par plusieurs journaux, notamment ''[[w:Le National (France)|Le National]]'' et  ''[[w:La Réforme (journal, 1843)|La Réforme]]'' (plus radical).
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Les républicains forment alors une nébuleuse assez peu organisée, influencée par plusieurs journaux, notamment ''[[w:Le National (France)|Le National]]'' (qui représente la [[bourgeoisie]] républicaine) et  ''[[w:La Réforme (journal, 1843)|La Réforme]]'' (plus radical, représentant la [[petite-bourgeoisie]] républicaine). Des revendications ouvrières avaient commencé à émerger, comme la [[révolte des Canuts]] à Lyon (1831), mais le [[Mouvement ouvrier en France|mouvement ouvrier]] n'était pas encore développé et encore moins conscient de lui-même. Les leaders influents dans le monde ouvrier étaient des républicains socialistes plus ([[Auguste Blanqui]]) ou moins ([[Louis Blanc]], [[Pierre-Joseph Proudhon|Proudhon]]) radicaux.
    
== La révolution ==
 
== La révolution ==
Si au début de la campagne des banquets, le gouvernement ne s'inquiétait pas vraiment, le 14 février 1848 il décide finalement d'interdire le banquet prévu à Paris le 19.<ref>Francis Démier, ''La France du XIX<abbr><sup>e</sup></abbr> siècle, 1814-1914'', éditions Points, collection Histoire, 2000, page 214</ref> Le ''[[w:Le National (France)|National]]'' appelle à manifester sur la place de la Madeleine le 22, date à laquelle le banquet a été reporté. Mais la veille de la manifestation, les principaux chefs de l'opposition paniquent et appellent à son annulation. Mais ces chefs, comme le gouvernement, vont être dépassés par les masses.
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Le 22 février au matin, des centaines d'étudiants (dont certains s'étaient déjà mobilisés dès le 3 janvier pour dénoncer la suppression des cours de [[w:Jules Michelet|Michelet]]), se rassemblent place du Panthéon puis se rendent à la Madeleine où ils se mêlent aux ouvriers. Les manifestants (3 000 personnes) se dirigent ensuite vers la [[w:Chambre des députés (monarchie de Juillet)|Chambre des députés]], Place de la Concorde, aux cris de ''« Vive la Réforme ! À bas Guizot ! »''. Mais dans l'ensemble, les forces de l'ordre contrôlent la situation. L'occupation militaire de Paris a été décrétée vers 16 heures. Le roi peut compter sur 30 000 soldats, l'appoint de l'artillerie, la sécurité des forts qui encerclent la capitale. Il y a, enfin, la [[Garde nationale]], 40 000 hommes environ.
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=== L'interdiction du banquet parisien ===
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Si au début de la campagne des banquets, le gouvernement ne s'inquiétait pas vraiment, le 14 février 1848 il décide finalement d'interdire le banquet prévu à Paris le 19.<ref>Francis Démier, ''La France du XIX<abbr><sup>e</sup></abbr> siècle, 1814-1914'', éditions Points, collection Histoire, 2000, page 214</ref> Le ''[[w:Le National (France)|National]]'' appelle à manifester sur la place de la Madeleine le 22, date à laquelle le banquet a été reporté. Mais la veille de la manifestation, les principaux chefs de l'opposition paniquent et appellent à son annulation. Mais ces chefs, comme le gouvernement, vont être dépassés par les masses.[[Fichier:Monogrammist G.R., Paris 1848, Pack dich, Illustration zu dem gleichnamigen Revolutionslied.jpg|droite|sans_cadre|362x362px]]Le 22 février au matin, des centaines d'étudiants (dont certains s'étaient déjà mobilisés dès le 3 janvier pour dénoncer la suppression des cours de [[w:Jules Michelet|Michelet]]), se rassemblent place du Panthéon puis se rendent à la Madeleine où ils se mêlent aux ouvriers. Les manifestants (3 000 personnes) se dirigent ensuite vers la [[w:Chambre des députés (monarchie de Juillet)|Chambre des députés]], Place de la Concorde, aux cris de ''« Vive la Réforme ! À bas Guizot ! »''. Mais dans l'ensemble, les forces de l'ordre contrôlent la situation. L'occupation militaire de Paris a été décrétée vers 16 heures. Le roi peut compter sur 30 000 soldats, l'appoint de l'artillerie, la sécurité des forts qui encerclent la capitale. Il y a, enfin, la [[Garde nationale]], 40 000 hommes environ.
    
Après quelques incidents (un mort), les troubles se déplacent vers l'[[w:Église Saint-Roch|église Saint-Roch]], la manifestation s'organise, la situation s’envenime puisque la crise ne peut être dénouée, la Chambre ayant rejeté quelques heures plus tôt la demande de mise en accusation du gouvernement Guizot déposée par [[w:Odilon Barrot|Barrot]].
 
Après quelques incidents (un mort), les troubles se déplacent vers l'[[w:Église Saint-Roch|église Saint-Roch]], la manifestation s'organise, la situation s’envenime puisque la crise ne peut être dénouée, la Chambre ayant rejeté quelques heures plus tôt la demande de mise en accusation du gouvernement Guizot déposée par [[w:Odilon Barrot|Barrot]].
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=== Flottement de la garde nationale et concession ===
 
Le matin du 23 février, alors que l'insurrection se développe, les gardes nationaux de la deuxième Légion, boulevard Montmartre, crient « Vive la Réforme ! ». Dans d'autres quartiers, différents bataillons de la Garde nationale protègent les ouvriers contre les gardes municipaux et même contre la troupe de Ligne. La [[Garde nationale]] se pose ainsi en arbitre entre l'armée et le peuple parisien.  Louis-Philippe se rend subitement compte de l'impopularité de son ministre et se résout, dans l'après-midi, à le remplacer par le [[w:Mathieu Molé|comte Molé]], ce qui équivaut à accepter la réforme. Cela semble dans un premier temps suffire à calmer la rue.
 
Le matin du 23 février, alors que l'insurrection se développe, les gardes nationaux de la deuxième Légion, boulevard Montmartre, crient « Vive la Réforme ! ». Dans d'autres quartiers, différents bataillons de la Garde nationale protègent les ouvriers contre les gardes municipaux et même contre la troupe de Ligne. La [[Garde nationale]] se pose ainsi en arbitre entre l'armée et le peuple parisien.  Louis-Philippe se rend subitement compte de l'impopularité de son ministre et se résout, dans l'après-midi, à le remplacer par le [[w:Mathieu Molé|comte Molé]], ce qui équivaut à accepter la réforme. Cela semble dans un premier temps suffire à calmer la rue.
[[Fichier:Monogrammist G.R., Paris 1848, Pack dich, Illustration zu dem gleichnamigen Revolutionslied.jpg|droite|sans_cadre|362x362px]]
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=== Le feu aux poudres ===
 
Dans la soirée du même 23 février 1848, la foule déambule sous des lampions pour manifester sa joie et envisage de se rendre sous les fenêtres de Guizot pour le huer (devant le ministère des Affaires étrangères, boulevard des Capucines). Un manifestant porteur d'une torche s'avance vers les soldats d'[[w:14e régiment d'infanterie de ligne|un régiment]] faisant barrage. La troupe ouvre le feu, laissant sur le pavé de 35<ref name=":0">Alfred Colling, ''[[w:La Prodigieuse Histoire de la Bourse|La Prodigieuse Histoire de la Bourse]]'', 1949, <abbr>p.</abbr> 239-245.</ref> à plus de 50 tués, selon les sources. Durant cette nuit, la population transporte les cadavres sur une charrette dans Paris, à la lueur des torches. C'est l'embrasement. On dévalise les armuriers et on édifie des barricades. Il y en a bientôt 1 500 dans toute la ville. Le monde ouvrier y coudoie la [[jeunesse]] [[Mouvement étudiant|étudiante]] et la [[petite bourgeoisie]].<ref>Daniel Stern (Marie d'Agoult), ''[[s:Histoire_de_la_Révolution_de_1848/Chapitre_9|Histoire de la Révolution de 1848]]'', Paris, Charpentier, 1862, chap. 9</ref>
 
Dans la soirée du même 23 février 1848, la foule déambule sous des lampions pour manifester sa joie et envisage de se rendre sous les fenêtres de Guizot pour le huer (devant le ministère des Affaires étrangères, boulevard des Capucines). Un manifestant porteur d'une torche s'avance vers les soldats d'[[w:14e régiment d'infanterie de ligne|un régiment]] faisant barrage. La troupe ouvre le feu, laissant sur le pavé de 35<ref name=":0">Alfred Colling, ''[[w:La Prodigieuse Histoire de la Bourse|La Prodigieuse Histoire de la Bourse]]'', 1949, <abbr>p.</abbr> 239-245.</ref> à plus de 50 tués, selon les sources. Durant cette nuit, la population transporte les cadavres sur une charrette dans Paris, à la lueur des torches. C'est l'embrasement. On dévalise les armuriers et on édifie des barricades. Il y en a bientôt 1 500 dans toute la ville. Le monde ouvrier y coudoie la [[jeunesse]] [[Mouvement étudiant|étudiante]] et la [[petite bourgeoisie]].<ref>Daniel Stern (Marie d'Agoult), ''[[s:Histoire_de_la_Révolution_de_1848/Chapitre_9|Histoire de la Révolution de 1848]]'', Paris, Charpentier, 1862, chap. 9</ref>
 
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[[Fichier:The burning of the throne of king Louis Philippe during the French revolution of 1848, Paris 25th February 1848.jpg|lien=https://wikirouge.net/Fichier:The%20burning%20of%20the%20throne%20of%20king%20Louis%20Philippe%20during%20the%20French%20revolution%20of%201848,%20Paris%2025th%20February%201848.jpg|vignette|393x393px|Des insurgés brûlent le trône du roi Louis-Philippe sur la place de la Bastille, le 25 février 1848]]
 
Pendant que les révolutionnaires parisiens se soulèvent, le roi, aux [[w:Tuileries|Tuileries]], n'a plus de gouvernement. Molé a renoncé et conseille de faire appel à [[w:Adolphe Thiers|Thiers]] (qui l'a porté au pouvoir 18 ans plus tôt). Ce dernier exige alors la dissolution de la Chambre des députés, mais le roi refuse. Le [[w:Thomas Robert Bugeaud|maréchal Bugeaud]] (qui s'était beaucoup [[w:Thomas Robert Bugeaud#Intervention%20en%20Alg%C3%A9rie|exercé en Algérie]]), nommé commandant supérieur de l'armée et de la Garde nationale de Paris, est convaincu qu'il peut écraser l'émeute, mais le roi refuse la solution de force. Il sent l'hostilité de la troupe stationnée au Carrousel, devant le palais des Tuileries.
 
Pendant que les révolutionnaires parisiens se soulèvent, le roi, aux [[w:Tuileries|Tuileries]], n'a plus de gouvernement. Molé a renoncé et conseille de faire appel à [[w:Adolphe Thiers|Thiers]] (qui l'a porté au pouvoir 18 ans plus tôt). Ce dernier exige alors la dissolution de la Chambre des députés, mais le roi refuse. Le [[w:Thomas Robert Bugeaud|maréchal Bugeaud]] (qui s'était beaucoup [[w:Thomas Robert Bugeaud#Intervention%20en%20Alg%C3%A9rie|exercé en Algérie]]), nommé commandant supérieur de l'armée et de la Garde nationale de Paris, est convaincu qu'il peut écraser l'émeute, mais le roi refuse la solution de force. Il sent l'hostilité de la troupe stationnée au Carrousel, devant le palais des Tuileries.
    
Le 24 février 1848, Louis-Philippe ne parvient pas à reprendre en main la situation, malgré une dernière tentative de confier le gouvernement à [[w:Odilon Barrot|Barrot]]. Lorsque le palais commence à être attaqué par la foule, vers midi, le roi abdique en faveur de son petit-fils de neuf ans, le comte de Paris, confie la régence à la duchesse d'Orléans, puis sous la pression des révolutionnaires, se résout à prendre le chemin de l'exil. Au début de l'après-midi, la duchesse d'Orléans se rend au Palais Bourbon pour y faire investir son fils et y faire proclamer officiellement la régence dans l'espoir de sauver la dynastie. Les députés, dans leur majorité, semblent favorables à une régence. Mais les républicains ont appris de leur échec de 1830, et tandis que les libéraux organisent un nouveau gouvernement plus libéral, ils forcent la main : pendant la séance, le Palais-Bourbon est envahi par la foule révolutionnaire qui, d'accord avec les élus de l'extrême gauche, repousse toute solution monarchique.
 
Le 24 février 1848, Louis-Philippe ne parvient pas à reprendre en main la situation, malgré une dernière tentative de confier le gouvernement à [[w:Odilon Barrot|Barrot]]. Lorsque le palais commence à être attaqué par la foule, vers midi, le roi abdique en faveur de son petit-fils de neuf ans, le comte de Paris, confie la régence à la duchesse d'Orléans, puis sous la pression des révolutionnaires, se résout à prendre le chemin de l'exil. Au début de l'après-midi, la duchesse d'Orléans se rend au Palais Bourbon pour y faire investir son fils et y faire proclamer officiellement la régence dans l'espoir de sauver la dynastie. Les députés, dans leur majorité, semblent favorables à une régence. Mais les républicains ont appris de leur échec de 1830, et tandis que les libéraux organisent un nouveau gouvernement plus libéral, ils forcent la main : pendant la séance, le Palais-Bourbon est envahi par la foule révolutionnaire qui, d'accord avec les élus de l'extrême gauche, repousse toute solution monarchique.
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=== Pression populaire sur l'Hôtel de Ville ===
 
Un cri retentit&nbsp;: ''«À l'Hôtel de Ville&nbsp;!».'' C'est ainsi qu'un petit groupe de républicains, à l'instigation de [[w:Alexandre Ledru-Rollin|Ledru-Rollin]] et du vieux poète [[w:Alphonse de Lamartine|Lamartine]] (58 ans), gagne le lieu mythique de la Révolution de 1789. Lamartine, Ledru-Rollin, [[w:François Arago|Arago]], [[w:Jacques Charles Dupont de l'Eure|Dupont de l'Eure]] et [[w:Pierre Marie de Saint-Georges|Marie]] se mettent d'abord et avant tout à se répartir les portefeuilles de ministres, plutôt qu'à prendre des mesures de portée politique générale.
 
Un cri retentit&nbsp;: ''«À l'Hôtel de Ville&nbsp;!».'' C'est ainsi qu'un petit groupe de républicains, à l'instigation de [[w:Alexandre Ledru-Rollin|Ledru-Rollin]] et du vieux poète [[w:Alphonse de Lamartine|Lamartine]] (58 ans), gagne le lieu mythique de la Révolution de 1789. Lamartine, Ledru-Rollin, [[w:François Arago|Arago]], [[w:Jacques Charles Dupont de l'Eure|Dupont de l'Eure]] et [[w:Pierre Marie de Saint-Georges|Marie]] se mettent d'abord et avant tout à se répartir les portefeuilles de ministres, plutôt qu'à prendre des mesures de portée politique générale.
 
[[Fichier:Lithograph; portrait of F. V. Raspail, Wellcome L0012675.jpg|vignette|177x177px|[[w:François-Vincent Raspail|Raspail]]]]
 
[[Fichier:Lithograph; portrait of F. V. Raspail, Wellcome L0012675.jpg|vignette|177x177px|[[w:François-Vincent Raspail|Raspail]]]]
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La nouvelle de la proclamation se répand dans Paris et en province. Les trois journées de février, du 22 au 24, ont fait 350 morts et au moins 500 blessés.<ref>« [https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/dossier-courbet/contexte-historique.html#c19359 Musée d'Orsay: Des Trois Glorieuses à la Troisième République] », sur musee-orsay.fr</ref>
 
La nouvelle de la proclamation se répand dans Paris et en province. Les trois journées de février, du 22 au 24, ont fait 350 morts et au moins 500 blessés.<ref>« [https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/dossier-courbet/contexte-historique.html#c19359 Musée d'Orsay: Des Trois Glorieuses à la Troisième République] », sur musee-orsay.fr</ref>
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=== Atmosphère post-révolutionnaire ===
 
[[w:Alexis de Tocqueville|Tocqueville]] fournit un témoignage sur l'[[auto-activité]] populaire qui foisonnait lors des journées révolutionnaire, d'autant plus intéressant qu'il s'agit d'un auteur conservateur.
 
[[w:Alexis de Tocqueville|Tocqueville]] fournit un témoignage sur l'[[auto-activité]] populaire qui foisonnait lors des journées révolutionnaire, d'autant plus intéressant qu'il s'agit d'un auteur conservateur.
 
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« Deux choses me frappèrent surtout : la première ce fut le caractère, je ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement populaire de la révolution qui venait de s'accomplir. La force qu'elle avait donnée au peuple proprement dit, c'est-à-dire aux classes qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple devenu tout à coup seul maître de Paris. (…) Durant cette journée, je n'aperçus pas dans Paris un seul des anciens agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, pas un agent de police ; la Garde nationale avait disparu. Le peuple seul portait les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; (…) Dès le 25 février [1848], mille systèmes étranges sortirent impétueusement de l'esprit des novateurs, et se répandirent dans l'esprit troublé de la foule. Tout était encore debout sauf la royauté et le parlement, et il semblait que du choc de la révolution, la société elle-même eût été réduite en poussière, et qu'on eût mis au concours la forme nouvelle qu'il fallait donner à l'édifice qu'on allait élever à sa place ; chacun proposait son plan ; celui-ci le produisait dans les journaux ; celui-là dans les placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre en plein vent par la parole. L'un prétendait réduire l'inégalité des fortunes, l'autre l'inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l'homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l'humanité depuis qu'elle existe. Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies ; mais toutes, visant plus bas que le gouvernement et s'efforçant d'atteindre la société elle-même, qui lui sert d'assiette, prirent le nom commun de SOCIALISME. »
 
« Deux choses me frappèrent surtout : la première ce fut le caractère, je ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement populaire de la révolution qui venait de s'accomplir. La force qu'elle avait donnée au peuple proprement dit, c'est-à-dire aux classes qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple devenu tout à coup seul maître de Paris. (…) Durant cette journée, je n'aperçus pas dans Paris un seul des anciens agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, pas un agent de police ; la Garde nationale avait disparu. Le peuple seul portait les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; (…) Dès le 25 février [1848], mille systèmes étranges sortirent impétueusement de l'esprit des novateurs, et se répandirent dans l'esprit troublé de la foule. Tout était encore debout sauf la royauté et le parlement, et il semblait que du choc de la révolution, la société elle-même eût été réduite en poussière, et qu'on eût mis au concours la forme nouvelle qu'il fallait donner à l'édifice qu'on allait élever à sa place ; chacun proposait son plan ; celui-ci le produisait dans les journaux ; celui-là dans les placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre en plein vent par la parole. L'un prétendait réduire l'inégalité des fortunes, l'autre l'inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l'homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l'humanité depuis qu'elle existe. Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies ; mais toutes, visant plus bas que le gouvernement et s'efforçant d'atteindre la société elle-même, qui lui sert d'assiette, prirent le nom commun de SOCIALISME. »
 
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Partout souffle le vent de la fraternité si caractéristique des premières semaines de « l’Ère nouvelle » ouverte en février 1848. On plante des arbres de la liberté sur les places publiques, on organise des banquets fraternels. Une sensibilité romantique et un fort sentiment chrétien animent toutes ces manifestations.
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Beaucoup s'attendaient à ce que le clivage républicains/monarchistes soit très fort, mais c'est une sorte d'unanimisme républicain qui apparaît. On parlait alors de ''républicains de la veille'' pour désigner ceux qui militaient pour la république depuis longtemps, malgré la censure, et de ''républicains du lendemain'' pour ceux qui acceptaient soudain la république. Et ils étaient nombreux :  des légitimistes comme le [[w:Henri de La Rochejaquelein (1805-1867)|marquis de La Rochejaquelein]] ou le [[w:Alfred de Falloux|comte de Falloux]], des [[w:Orléanistes|orléanistes]] du centre gauche et de l'[[w:Opposition dynastique|opposition dynastique]] remontés contre Guizot...  Les magistrats, les enseignants, les ministres de cultes deviennent en masse « républicains ». Les fonctionnaires d'autorité (les préfets et les maires) sont remplacés par des personnalités moins compromises avec la monarchie ou par des républicains locaux.
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Mais l'unanimisme masque en réalité une redéfinition des clivages en cours. Les [[Classe dominante|classes dominantes]], parmi lesquelles la [[bourgeoisie]] a désormais l'hégémonie, peuvent facilement accepter l'idée républicaine, à condition qu'elle ne soit pas trop « sociale ». Or, du côté des masses populaires, on espère que cette « Ère nouvelle » sera celle de l'égalité. Dans les villes industrielles comme Lille, Limoges, Lyon, Reims, Rouen il y a des manifestations ouvrières pour réclamer des augmentations de [[salaire]], parfois des faits de [[luddisme]] (destruction des machines). Les campagnes connaissent aussi des troubles. Dans les régions montagneuses des Alpes, du Jura ou des Pyrénées les agents des Eaux et Forêts qui restreignent les droits de pacage des chèvres et des moutons sont pris à partie. En Isère et dans le Var, les paysans les moins aisés demandent le rétablissement des droits d'usage qui ont disparu devant les pratiques agricoles modernes mais individualistes des riches paysans. Les salariés agricoles très nombreux réclament des augmentations de salaire. Cette contestation sociale commence à faire peur aux possédants qui redoutent les « partageux », les « rouges », les « communistes ».
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Dans l'effervescence démocratique, un grand nombre de clubs politiques se forment : plus de 250 à Paris. Les plus caractéristiques sont celui de la ''Société Républicaine Centrale'' de [[Louis-Auguste Blanqui|Blanqui]] ; elle est concurrencée par la ''Société fraternelle centrale'' de [[Étienne Cabet|Cabet]] et le ''Club des Amis du Peuple'' de [[w:François-Vincent Raspail|Raspail]]. La presse, qui jouit désormais de la liberté totale, se développe. [[w:Félicité de La Mennais|Lammenais]] crée ''le Peuple constituant'', [[Pierre-Joseph Proudhon|Proudhon]] collabore au ''[[Le Représentant du peuple|Représentant du Peuple]]'', [[w:Henri Lacordaire|Lacordaire]] publie ''L'Ère nouvelle'', dont le titre est emblématique de l'état d'esprit dominant au début du printemps 1848.
    
== Le gouvernement provisoire ==
 
== Le gouvernement provisoire ==
Le 25 février vers 20 heures, le [[w:Gouvernement provisoire de 1848|gouvernement républicain provisoire]] est finalisé. Il résulte d'un compromis entre les membres  du ''[[w:Le National (France)|National]]'' et de la ''[[w:La Réforme (journal, 1843)|Réforme]]''.
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[[Fichier:Les membres du Gouvernement provisoire - dédié aux gardes nationales de France.jpg|vignette|264x264px|Les membres du [[w:Gouvernement provisoire de 1848|Gouvernement provisoire de 1848]].]]Le 25 février vers 20 heures, le [[w:Gouvernement provisoire de 1848|gouvernement républicain provisoire]] est finalisé. Son centre de gravité est autour du ''[[w:Le National (France)|National]]'' ([[w:Pierre Marie de Saint-Georges|Marie]], [[w:François Arago|Arago]], [[w:Jacques Charles Dupont de l'Eure|Dupont de l'Eure]], [[w:Armand Marrast|Marrast]], [[w:Louis-Antoine Garnier-Pagès|Garnier-Pagès]]), auxquels s'ajoutent  [[w:Adolphe Crémieux|Crémieux]] (député [[w:Orléaniste|orléaniste]] mais défenseur de la presse) et [[w:Alphonse Lamartine|Lamartine]] (poète célèbre sans consistance politique) contraints d'accepter quelques membres de la ''[[w:La Réforme (journal, 1843)|Réforme]]'' ([[Louis Blanc|Blanc]], [[Ferdinand Flocon|Flocon]], [[Alexandre Martin|Martin]]).
[[Fichier:Les membres du Gouvernement provisoire - dédié aux gardes nationales de France.jpg|vignette|264x264px|Les membres du [[w:Gouvernement provisoire de 1848|Gouvernement provisoire de 1848]].]]
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Ce gouvernement est  [[collégial]], parce que provisoire, mais aussi parce que les républicains sont encore nombreux à cette époque à se méfier de la concentration des pouvoirs et la présidence de la république ne va pas encore de soi. On y trouve le républicain « socialiste » [[Louis Blanc]] et son ami [[Alexandre Martin]], que tout le monde appelle « l'ouvrier Albert » (premier homme d'origine ouvrière dans un gouvernement français).
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Les fonctions gouvernementales sont réparties entre des membres du gouvernement et des personnalités extérieures. Dupont de l'Eure est président du conseil ; Lamartine obtient les Affaires étrangères, Ledru-Rollin l'Intérieur. La Marine échoit à [[w:François Arago|Arago]], les Travaux publics à Marie et la Justice à Crémieux. Garnier-Pagès prend la mairie de Paris. Louis Blanc, qui aurait souhaité un ministère du Travail, doit se contenter de présider la Commission du gouvernement pour les travailleurs. Le général baron [[w:Jacques-Gervais Subervie|Jacques-Gervais Subervie]], ancien officier du Premier Empire, reçoit la Guerre. Les Finances sont confiées au banquier Michel Goudchaux, l'Agriculture et le Commerce à l'avocat [[w:Eugène Bethmont|Bethmont]]. [[w:Lazare Hippolyte Carnot|Carnot]] est chargé de l'Instruction publique. Le général Louis Eugène Cavaignac est nommé gouverneur général de l'Algérie et le vicomte de Courtais, officier de cavalerie en retraite, devient commandant de la Garde nationale.
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== Le printemps des peuples ==
 
== Le printemps des peuples ==
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La Deuxième République déçoit bientôt toute sa base populaire, et ne durera que trois ans.
 
La Deuxième République déçoit bientôt toute sa base populaire, et ne durera que trois ans.
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[[w:Manifestation du 15 mai 1848|Manifestation du 15 mai 1848]]
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[[Manifestation du 15 mai 1848]]
    
Un rapport parlementaire proposant la nationalisation des compagnies de chemin de fer est présenté le 16 mai et signé par Lamartine, Arago, Ledru-Rollin et Garnier-Pagès.<ref name=":0" />
 
Un rapport parlementaire proposant la nationalisation des compagnies de chemin de fer est présenté le 16 mai et signé par Lamartine, Arago, Ledru-Rollin et Garnier-Pagès.<ref name=":0" />

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