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Au 19<sup>e</sup> siècle, le mouvement de contestation dominant est le mouvement [[Narodnik|narodnik]] (''«&nbsp;populiste&nbsp;»''). Ils s'opposaient à la tyrannie du tsarisme et défendaient en même temps une sorte de [[Socialisme_utopique|socialisme utopique]]. Il s'agissait principalement de membres de l'inelligentsia, souvent très dévoués, mais sans réelle stratégie révolutionnaire (certains ont misé sur l'éducation, d'autres sur des appels au soulèvement des paysans...). Ils ont formé différentes organisations, dont la principale fut ''Volonté du Peuple'' (''[[Narodnaïa_Volia_(XIXe_siècle)|Narodnaïa Volia]]''). qui mène des attentats vers la fin du 19<sup>e</sup> siècle.
 
Au 19<sup>e</sup> siècle, le mouvement de contestation dominant est le mouvement [[Narodnik|narodnik]] (''«&nbsp;populiste&nbsp;»''). Ils s'opposaient à la tyrannie du tsarisme et défendaient en même temps une sorte de [[Socialisme_utopique|socialisme utopique]]. Il s'agissait principalement de membres de l'inelligentsia, souvent très dévoués, mais sans réelle stratégie révolutionnaire (certains ont misé sur l'éducation, d'autres sur des appels au soulèvement des paysans...). Ils ont formé différentes organisations, dont la principale fut ''Volonté du Peuple'' (''[[Narodnaïa_Volia_(XIXe_siècle)|Narodnaïa Volia]]''). qui mène des attentats vers la fin du 19<sup>e</sup> siècle.
 
[[Fichier:AssassinatTsar1881.gif|vignette|392x392px|Les [[narodniks]] tuent le tsar avec une bombe en 1881 ]]
 
[[Fichier:AssassinatTsar1881.gif|vignette|392x392px|Les [[narodniks]] tuent le tsar avec une bombe en 1881 ]]
L'influence de la [[Marxisme|pensée marxiste]] est assez tardive en Russie, mais elle marque profondément la réflexion politique. En 1872, la traduction du premier tome du ''[[Le_Capital|Capital]]'' de Marx a été achevée par deux émigrés [[German_Lopatine|German Lopatine]] et [[Nikolaï_Danielson|Nikolaï Danielson]] (Ce travail de traduction a été repris en 1907 par [[Vladimir_Bazarov|Vladimir Bazarov]]). La censure tsariste estimant que ce texte “scientifique” et bien trop dense sera peu lu en Russie autorise sa diffusion, laquelle constitue ainsi tant la première traduction du ''Capital'' que la première publication de l'ouvrage de Marx à l'étranger. Or, contrairement aux attentes des censeurs, ''Le Capital'' va connaître un grand succès en Russie (les 3000 exemplaires sont écoulés en une année), et engendrer des discussions passionnées dans les milieux radicaux russes, ainsi que des polémiques acharnées sur les “destinées du capitalisme en Russie”, selon le titre de l'ouvrage publié en 1882 par [[Vorontsov|Vorontsov]], économiste [[Narodnik|narodnik]].
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L'influence du [[Marxisme|marxisme]] en Russie est assez tardive, mais profonde. En 1872, la traduction du premier tome du ''[[Le_Capital|Capital]]'' est achevée par deux émigrés, [[German_Lopatine|Lopatine]] et [[Nikolaï_Danielson|Danielson]] (travail repris en 1907 par [[Vladimir_Bazarov|Bazarov]]). La censure tsariste estimant que ce texte “scientifique” trop dense sera peu lu en Russie autorise sa diffusion, laquelle constitue ainsi tant la première traduction du ''Capital'' que la première publication de l'ouvrage de Marx à l'étranger. Or, contrairement aux attentes des censeurs, ''Le Capital'' va connaître un grand succès en Russie (les 3000 exemplaires sont écoulés en une année), et engendrer des discussions passionnées dans les milieux radicaux russes, ainsi que des polémiques acharnées sur les “destinées du capitalisme en Russie”, selon le titre de l'ouvrage publié en 1882 par [[Vorontsov|Vorontsov]], économiste [[Narodnik|narodnik]].
    
En 1883, la première cellule marxiste russe, ''[[Libération_du_Travail|Libération du Travail]]'', est formée à Genève par d'anciens populistes&nbsp;: [[Gueorgui_Plekhanov|Plekhanov]], [[Pavel_Axelrod|Axelrod]], [[Vera_Zassoulitch|Zassoulitch]], etc. Une grande partie de l'[[Intelligentsia|intelligentsia]] sera gagnée au marxisme au tournant du 20<sup>e</sup> siècle, mais le populisme restera un courant influent jusqu'au début des années 1920. Des populistes constituent en 1901 le [[Parti_socialiste_révolutionnaire_(Russie)|Parti socialiste-révolutionnaire]] (SR). Les partis seront aussi beaucoup désignés par les diminutifs эсер (''«&nbsp;essère&nbsp;»'', S-R) et эсдек (''«&nbsp;essdek&nbsp;»'', S-D).
 
En 1883, la première cellule marxiste russe, ''[[Libération_du_Travail|Libération du Travail]]'', est formée à Genève par d'anciens populistes&nbsp;: [[Gueorgui_Plekhanov|Plekhanov]], [[Pavel_Axelrod|Axelrod]], [[Vera_Zassoulitch|Zassoulitch]], etc. Une grande partie de l'[[Intelligentsia|intelligentsia]] sera gagnée au marxisme au tournant du 20<sup>e</sup> siècle, mais le populisme restera un courant influent jusqu'au début des années 1920. Des populistes constituent en 1901 le [[Parti_socialiste_révolutionnaire_(Russie)|Parti socialiste-révolutionnaire]] (SR). Les partis seront aussi beaucoup désignés par les diminutifs эсер (''«&nbsp;essère&nbsp;»'', S-R) et эсдек (''«&nbsp;essdek&nbsp;»'', S-D).
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C'est en luttant contre les conceptions des populistes que se sont formés les marxistes russes, autour de publications comme ''Nos différends'' (1885)<ref>Plekhanov, ''[https://www.marxists.org/archive/plekhanov/1885/ourdiff/index.html Our Differences]'', 1885</ref> de [[Plékhanov|Plékhanov]] ou ''Le développement du capitalisme en Russie'' (1899)<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1899/dcr/ Le développement du capitalisme en Russie]'', 1899</ref> de Lénine. En 1898, [[Trotski|Trotski]] reprend un le chant de la Trique (''Doubinouchka''), création des populistes sur la paysannerie, et le transforme en chant de la Machine (''Machinouchka''), sur les ouvriers<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv10.htm Ma vie, 8. Mes premières prisons]'', 1930</ref>.
 
C'est en luttant contre les conceptions des populistes que se sont formés les marxistes russes, autour de publications comme ''Nos différends'' (1885)<ref>Plekhanov, ''[https://www.marxists.org/archive/plekhanov/1885/ourdiff/index.html Our Differences]'', 1885</ref> de [[Plékhanov|Plékhanov]] ou ''Le développement du capitalisme en Russie'' (1899)<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1899/dcr/ Le développement du capitalisme en Russie]'', 1899</ref> de Lénine. En 1898, [[Trotski|Trotski]] reprend un le chant de la Trique (''Doubinouchka''), création des populistes sur la paysannerie, et le transforme en chant de la Machine (''Machinouchka''), sur les ouvriers<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv10.htm Ma vie, 8. Mes premières prisons]'', 1930</ref>.
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Cependant des nuances commençaient déjà à être perceptibles entre Lénine et son mentor Plekhanov. Par exemple lorsque Lénine critique fermement les bourgeois libéraux en 1894<ref>Lenin, [[:en:The Economic Content of Narodism and the Criticism of it in Mr. Struve’s Book|The Economic Content of Narodism and the Criticism of it in Mr. Struve’s Book]], 1894</ref>, Plekhanov lui reproche d'être trop dur avec eux.<ref name=":0">Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/cliff-lenine-devient-marxiste/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti]'', 1975</ref> Lénine était aussi moins objectiviste que Plékhanov, qui lorsqu'il polémiquait avec le volontarisme [[Narodniki|narodnik]], écrivait que les causes du développement historique « n’ont rien à voir avec la volonté et la conscience humaines ».
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Cependant des nuances commençaient déjà à être perceptibles entre Lénine et son mentor Plekhanov. Par exemple lorsque Lénine critique fermement les bourgeois libéraux en 1894<ref>Lenin, [[:en:The Economic Content of Narodism and the Criticism of it in Mr. Struve’s Book|The Economic Content of Narodism and the Criticism of it in Mr. Struve’s Book]], 1894</ref>, Plekhanov lui reproche d'être trop dur avec eux.<ref name=":0">Tony Cliff, [http://www.contretemps.eu/cliff-lenine-devient-marxiste/ ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti'' ''– Chapitre 1 – Lénine devient marxiste''], 1975</ref> Lénine était aussi moins objectiviste que Plékhanov, qui lorsqu'il polémiquait avec le volontarisme [[Narodniki|narodnik]], écrivait que les causes du développement historique « n’ont rien à voir avec la volonté et la conscience humaines ».
    
===Premiers cercles ouvriers et marxistes===
 
===Premiers cercles ouvriers et marxistes===
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En 1891, suite à une terrible [[Famine russe de 1891-1892|famine]], [[Gueorgui Plekhanov|Plékhanov]] proclama qu'il fallait développer une [[agitation]] à large échelle. Il définit les termes de [[propagande]] et agitation, et écrit&nbsp;: ''«&nbsp;Une secte peut se satisfaire de la propagande dans le sens étroit du mot, pas un parti politique.&nbsp;»<ref name="Plekhanov1892">Plekhanov, ''Les tâches des socialistes face à la famine en Russie'', 1892</ref>'' Son appel eut peu d'effet. En 1894, [[Arkadi_Kremer|Kremer]], un dirigeant du [[Bund_juif|Bund]], écrivit une brochure, ''Ob Agitatsii'' (''Sur l’agitation''), en collaboration avec [[Martov|Martov]]. La brochure condamnait sévèrement la préoccupation des membres des cercles marxistes de leur propre «&nbsp;perfection&nbsp;», et rappelait que&nbsp;: ''«&nbsp;Les larges masses sont amenées à la lutte, non pas par des considérations intellectuelles, mais par le cours objectif des événements&nbsp;»''
 
En 1891, suite à une terrible [[Famine russe de 1891-1892|famine]], [[Gueorgui Plekhanov|Plékhanov]] proclama qu'il fallait développer une [[agitation]] à large échelle. Il définit les termes de [[propagande]] et agitation, et écrit&nbsp;: ''«&nbsp;Une secte peut se satisfaire de la propagande dans le sens étroit du mot, pas un parti politique.&nbsp;»<ref name="Plekhanov1892">Plekhanov, ''Les tâches des socialistes face à la famine en Russie'', 1892</ref>'' Son appel eut peu d'effet. En 1894, [[Arkadi_Kremer|Kremer]], un dirigeant du [[Bund_juif|Bund]], écrivit une brochure, ''Ob Agitatsii'' (''Sur l’agitation''), en collaboration avec [[Martov|Martov]]. La brochure condamnait sévèrement la préoccupation des membres des cercles marxistes de leur propre «&nbsp;perfection&nbsp;», et rappelait que&nbsp;: ''«&nbsp;Les larges masses sont amenées à la lutte, non pas par des considérations intellectuelles, mais par le cours objectif des événements&nbsp;»''
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En avril 1894, un exemplaire d’''Ob Agitatsii ''arriva à Moscou, où il fut hectographié et envoyé à d’autres groupes social-démocrates dans toute la Russie. En 1896, la brochure fut imprimée à Genève par le [[Groupe Liberté du Travail]] avec une préface d’[[Axelrod|Axelrod]], et fut largement distribuée. Il y avait beaucoup de résistance, notamment de certains ouvriers formés dans les cercles qui jugeaient que ''«&nbsp;les tracts sont une perte de temps&nbsp;»<ref>''Vladimir Akimov on the Dilemmas of Russian Marxism'', 1895–1903, edited by J. Frankel, London 1969</ref>''. Mais peu à peu, une majorité des cadres intellectuels marxistes adopte cette nouvelle ligne. Le [[Libération du Travail|groupe de Plékhanov]], qui était un des premier à l'avoir prônée, fut incapable de la mettre en pratique. Ils rejetaient avec mépris le travail pour faire de l'agitation et de la [[Vulgarisation|vulgarisation]], qu'[[Axelrod|Axelrod]] appelait ''«&nbsp;des publications illettrées ou semi-illettrées&nbsp;»''<ref name="CliffLenine2">Tony Cliff, [https://www.contretemps.eu/lenine-cercle-greve/ ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 2''], 1975</ref>. Un seul numéro de ''Listok Rabotnika'' (''«&nbsp;Bulletin ouvrier&nbsp;»'', consacré essentiellement aux nouvelles des luttes économiques) parut&nbsp;fut imprimé entre novembre 1896 et novembre 1897. Cela produisit un clivage assez net entre la jeune génération de marxistes et les vétérans du groupe [[Liberté du Travail]].
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En avril 1894, un exemplaire d’''Ob Agitatsii ''arriva à Moscou, où il fut hectographié et envoyé à d’autres groupes social-démocrates dans toute la Russie. En 1896, la brochure fut imprimée à Genève par le [[Groupe Liberté du Travail]] avec une préface d’[[Axelrod|Axelrod]], et fut largement distribuée. Il y avait beaucoup de résistance, notamment de certains ouvriers formés dans les cercles qui jugeaient que ''«&nbsp;les tracts sont une perte de temps&nbsp;»<ref>''Vladimir Akimov on the Dilemmas of Russian Marxism'', 1895–1903, edited by J. Frankel, London 1969</ref>''. Mais peu à peu, une majorité des cadres intellectuels marxistes adopte cette nouvelle ligne. Le [[Libération du Travail|groupe de Plékhanov]], qui était un des premier à l'avoir prônée, fut incapable de la mettre en pratique. Ils rejetaient avec mépris le travail pour faire de l'agitation et de la [[Vulgarisation|vulgarisation]], qu'[[Axelrod|Axelrod]] appelait ''«&nbsp;des publications illettrées ou semi-illettrées&nbsp;»''<ref name="CliffLenine2">Tony Cliff, [https://www.contretemps.eu/lenine-cercle-greve/ ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti – Chapitre 2 – Du cercle d’étude marxiste au mouvement gréviste''], 1975</ref>. Un seul numéro de ''Listok Rabotnika'' (''«&nbsp;Bulletin ouvrier&nbsp;»'', consacré essentiellement aux nouvelles des luttes économiques) parut&nbsp;fut imprimé entre novembre 1896 et novembre 1897. Cela produisit un clivage assez net entre la jeune génération de marxistes et les vétérans du groupe [[Liberté du Travail]].
 
[[Fichier:Groupe-Union-de-lutte.jpg|vignette|334x334px|La [[Ligue de combat pour l’émancipation de la classe ouvrière]], qui faisait de l'agitation à Saint-Pétersbourg]]
 
[[Fichier:Groupe-Union-de-lutte.jpg|vignette|334x334px|La [[Ligue de combat pour l’émancipation de la classe ouvrière]], qui faisait de l'agitation à Saint-Pétersbourg]]
 
''Ob Agitatsii ''avait une vision [[mécaniste]] et [[étapiste]] des rapports entre la lutte économique (dans l'entreprise) et la lutte politique (contre le tsarisme). Dans les années suivantes, cela devint le fondement du développement de «&nbsp;l’[[Économisme (Russie)|économisme]]&nbsp;», qui sera sévèrement condamné par [[Lénine]]. Mais dans les années 1894-96, il épousait parfaitement le tournant vers l'agitation. Par exemple dans un projet de programme social-démocrate écrit en 1895, [[Lénine]] insiste beaucoup sur l'importance des luttes pour la progression de la [[conscience_de_classe|conscience de classe]], en soulignant que les luttes économiques amènent les ouvriers à être forcés de s'intéresser aux questions politiques.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1896/00/vil18960000.htm Exposé et commentaire du projet de programme du POSDR]'', Écrit en prison en 1895-1896. Paru pour la première fois en 1924.</ref>
 
''Ob Agitatsii ''avait une vision [[mécaniste]] et [[étapiste]] des rapports entre la lutte économique (dans l'entreprise) et la lutte politique (contre le tsarisme). Dans les années suivantes, cela devint le fondement du développement de «&nbsp;l’[[Économisme (Russie)|économisme]]&nbsp;», qui sera sévèrement condamné par [[Lénine]]. Mais dans les années 1894-96, il épousait parfaitement le tournant vers l'agitation. Par exemple dans un projet de programme social-démocrate écrit en 1895, [[Lénine]] insiste beaucoup sur l'importance des luttes pour la progression de la [[conscience_de_classe|conscience de classe]], en soulignant que les luttes économiques amènent les ouvriers à être forcés de s'intéresser aux questions politiques.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1896/00/vil18960000.htm Exposé et commentaire du projet de programme du POSDR]'', Écrit en prison en 1895-1896. Paru pour la première fois en 1924.</ref>
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Mais dans la pratique surtout, Lénine est concentré sur les luttes économiques. Arrivé à Saint-Pétersbourg en 1893, il y a fondé avec Martov et d'autres une [[Ligue de combat pour l’émancipation de la classe ouvrière|Ligue]] qui diffuse des [[Tract|tracts]] dans les usines, comme [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/11/vil18951100.htm ''L’ouvrier et l’ouvrière de l’usine Thornton'']. Quand il aborde la politique, c'est sur un ton  très modéré. En novembre 1895, dans son article ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/00/vil18950000.htm A quoi pensent nos ministres&nbsp;?]'' Lénine dénoncent les lois qui favorisaient les patrons, en esquivant la question du tsar, qui à cette épique était toujours «&nbsp;le petit père&nbsp;» pour les ouvriers et les paysans. Anna, la sœur de Lénine, rapporte les propos suivants de son frère&nbsp;: ''«&nbsp;Evidemment, si vous commencez d’entrée de jeu par critiquer le tsar et le système social, vous ne faites que braquer les travailleurs&nbsp;»''<ref name="CliffLenine22">Tony Cliff, [https://www.contretemps.eu/lenine-cercle-greve/ ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 2''], 1975</ref> Lénine essayait de conduire pas à pas le lecteur à des conclusions politiques plutôt modestes qui n’étaient pas exprimées de façon explicite, comme dans sa brochure ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/00/vil18950001.htm Explication de la loi des amendes infligées aux ouvriers d’usine]''. Il passait du temps à étudier les conditions concrètes dans les usines, en interrogeant des ouvriers. Il recevait pour cela une aide précieuse de  [[Nadejda Kroupskaïa|Kroupskaïa]], qui participait depuis 1890 à des écoles du soir pour ouvriers.
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Mais dans la pratique surtout, Lénine est concentré sur les luttes économiques. Arrivé à Saint-Pétersbourg en 1893, il y a fondé avec Martov et d'autres une [[Ligue de combat pour l’émancipation de la classe ouvrière|Ligue]] qui diffuse des [[Tract|tracts]] dans les usines, comme [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/11/vil18951100.htm ''L’ouvrier et l’ouvrière de l’usine Thornton'']. Quand il aborde la politique, c'est sur un ton  très modéré. En novembre 1895, dans son article ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/00/vil18950000.htm A quoi pensent nos ministres&nbsp;?]'' Lénine dénoncent les lois qui favorisaient les patrons, en esquivant la question du tsar, qui à cette épique était toujours «&nbsp;le petit père&nbsp;» pour les ouvriers et les paysans. Anna, la sœur de Lénine, rapporte les propos suivants de son frère&nbsp;: ''«&nbsp;Evidemment, si vous commencez d’entrée de jeu par critiquer le tsar et le système social, vous ne faites que braquer les travailleurs&nbsp;»''<ref name="CliffLenine2" /> Lénine essayait de conduire pas à pas le lecteur à des conclusions politiques plutôt modestes qui n’étaient pas exprimées de façon explicite, comme dans sa brochure ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/00/vil18950001.htm Explication de la loi des amendes infligées aux ouvriers d’usine]''. Il passait du temps à étudier les conditions concrètes dans les usines, en interrogeant des ouvriers. Il recevait pour cela une aide précieuse de  [[Nadejda Kroupskaïa|Kroupskaïa]], qui participait depuis 1890 à des écoles du soir pour ouvriers.
    
===Premiers succès, premières divisions===
 
===Premiers succès, premières divisions===
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===Début de la période de contre-révolution (1907-1911)===
 
===Début de la période de contre-révolution (1907-1911)===
Après le reflux de la [[Révolution russe (1905)|vague révolutionnaire de 1905-1906]], les années 1907-1911 sont des années de [[Contre-révolution|profonde réaction]]. La répression s'abat, des milliers d'exécutions ont lieu.<ref>M. Pokrovsky, ''Brief History of Russia'', 1933</ref> Le parti reculait massivement. Les [[intellectuels]] furent les premiers à déserter en masse, et beaucoup d'organisations locales furent désintégrées sous l'effet combiné de la répression et de la désorganisation. De plus, la [[Okhrana|police politique]] parvenait à infiltrer des agents partout chez les révolutionnaires. La 2<sup>e</sup> Douma est dissoute en juin 1907 sous des accusations de [[Complotisme|complot]] social-démocrate, et une nouvelle loi électorale diminue la représentation des ouvriers et paysans.  
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Après le reflux de la [[Révolution russe (1905)|vague révolutionnaire de 1905-1906]], les années 1907-1911 sont des années de [[Contre-révolution|profonde réaction]]. La répression s'abat, des milliers d'exécutions ont lieu.<ref>M. Pokrovsky, ''Brief History of Russia'', 1933</ref> Le parti reculait massivement. Les [[intellectuels]] furent les premiers à déserter en masse, et beaucoup d'organisations locales furent désintégrées sous l'effet combiné de la répression et de la désorganisation. De plus, la [[Okhrana|police politique]] parvenait à infiltrer des agents partout chez les révolutionnaires. La 2<sup>e</sup> Douma est dissoute en juin 1907 sous des accusations de [[Complotisme|complot]] social-démocrate, et une nouvelle loi électorale diminue la représentation des [[ouvriers]] et [[Mouvement paysan en Russie|paysans]].  
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Par exemple, à l’été de 1905, le district de Moscou comptait 1 435 membres. A la mi-mai 1906, le chiffre monta à 5 320. Mais au milieu de 1908, il avait dégringolé à 250, qui, six mois plus tard, n’étaient plus que 150. En 1910, l’organisation cessa d’exister, lorsque le poste de secrétaire de district tomba entre les mains d’un certain Koukouchkine, agent double.<ref>Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/russie-reaction-noire/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 13 – Victoire de la réaction noire]'', 1975</ref>  
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Dans l'[[émigration]], c'était la déprime et l'aigreur entre groupes qui dominait.<ref name=":4" /> Cela donnait lieu à des batailles dans les journaux, que les comitards en Russie méprisaient. [[Nikolaï Aleksandrovitch Semachko|Sematchko]], lui-même  émigré, écrira : « la plupart du temps les disputes d’émigrés étaient considérés comme des histoires de militants ''au rancart'' coupés de la vie réelle. De façon significative, moi qui participais à ces querelles, j’étais du même avis. »<ref>''Пролетарская Революция'', no.2 (14), 1923, p. 452.</ref>
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A l’été de 1905, le district de Moscou comptait 1 435 membres. A la mi-mai 1906, le chiffre monta à 5 320. Mais au milieu de 1908, il avait dégringolé à 250, qui, six mois plus tard, n’étaient plus que 150. En 1910, l’organisation cessa d’exister, lorsque le poste de secrétaire de district tomba entre les mains d’un certain Koukouchkine, agent double.<ref name=":4">Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/russie-reaction-noire/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 13 – Victoire de la réaction noire]'', 1975</ref>  
    
Cette situation favorise un désordre organisationnel, des [[Révisionnisme|révisions]] [[Idéalisme|idéalistes]] du marxisme ([[Matérialisme et empiriocriticisme|empirio-criticisme]]...), et des fuites en avant droitières ou [[Gauchisme|gauchistes]].
 
Cette situation favorise un désordre organisationnel, des [[Révisionnisme|révisions]] [[Idéalisme|idéalistes]] du marxisme ([[Matérialisme et empiriocriticisme|empirio-criticisme]]...), et des fuites en avant droitières ou [[Gauchisme|gauchistes]].
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En janvier 1910, une séance plénière du comité central, qui s'étale sur trois semaines, semble consacrer le succès de cette réunification. Les journaux bolchevique et menchevique, le ''[[Proletarii]]'' et la ''[[Goloss Sotsial-Demokrata]],'' vont disparaître pour laisser la place au  ''[[Sotsial-demokrat]], que'' dirigeront [[Lénine]] et [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]] avec [[Fedor Dan|Dan]] et [[Julius Martov|Martov]]. Le bolchevik [[Lev Kamenev|Kamenev]] est coopté au comité de la ''[[Pravda (Trotski)|Pravda]]'' de Trotski. Lénine a accepté toutes ces décisions. Il écrit à [[Gorki]] que de puissants facteurs l'y ont poussé, notamment « la situation difficile du parti », et « la maturation d'un nouveau type d'ouvriers social-démocrates dans le domaine pratique ». La caution de Plékhanov est par ailleurs précieuse pour Lénine. Il s'inquiète pourtant : au comité central se sont manifestées des tendances dangereuses, « un état d'esprit de conciliation en général, sans idée claire, sans savoir avec qui, pourquoi, comment », et, outre la « haine contre le centre bolchevique pour son implacable guerre d'idées », le « désir des mencheviks de faire du scandale ».<ref>Lénine,  Lettres à Gorki, 26 février 1908, ''Clarté. N°'' 71, p. 13</ref>
 
En janvier 1910, une séance plénière du comité central, qui s'étale sur trois semaines, semble consacrer le succès de cette réunification. Les journaux bolchevique et menchevique, le ''[[Proletarii]]'' et la ''[[Goloss Sotsial-Demokrata]],'' vont disparaître pour laisser la place au  ''[[Sotsial-demokrat]], que'' dirigeront [[Lénine]] et [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]] avec [[Fedor Dan|Dan]] et [[Julius Martov|Martov]]. Le bolchevik [[Lev Kamenev|Kamenev]] est coopté au comité de la ''[[Pravda (Trotski)|Pravda]]'' de Trotski. Lénine a accepté toutes ces décisions. Il écrit à [[Gorki]] que de puissants facteurs l'y ont poussé, notamment « la situation difficile du parti », et « la maturation d'un nouveau type d'ouvriers social-démocrates dans le domaine pratique ». La caution de Plékhanov est par ailleurs précieuse pour Lénine. Il s'inquiète pourtant : au comité central se sont manifestées des tendances dangereuses, « un état d'esprit de conciliation en général, sans idée claire, sans savoir avec qui, pourquoi, comment », et, outre la « haine contre le centre bolchevique pour son implacable guerre d'idées », le « désir des mencheviks de faire du scandale ».<ref>Lénine,  Lettres à Gorki, 26 février 1908, ''Clarté. N°'' 71, p. 13</ref>
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Cependant la convergence n'est toujours pas effective. Alors que Lénine s'est séparé des gauchistes, les principaux dirigeants menchéviks comme [[Julius Martov|Martov]] continuent de cautionner les liquidateurs. Alors que Martov place à égalité d'importance l'activité légale et illégale, Lénine continue de placer le centre de gravité dans l'appareil clandestin. Dans la pratique, le comité central ne se réunit plus, la ''[[Goloss Sotsial-Demokrata]]'' continue de paraître...
    
L'accord  sera de courte durée. Dès le 11 avril, Lénine écrit à Gorki : « Nous avons un bébé couvert d'abcès. (...) Ou bien nous les ferons crever, nous guérirons l'enfant et nous l'élèverons ou, si cela tourne mal, l'enfant mourra (...) Dans ce cas, nous vivrons quelque temps sans enfant, et ensuite nous enfanterons un bébé plus sain ». En août, la conférence social-démocrate de Copenhague voit se préciser un nouvel alignement des forces : bolcheviks et « mencheviks du parti » viennent de décider la publication en commun de deux journaux en Russie, la ''[[Rabotchaïa Gazeta]]'', illégale, et la ''[[Zvezda]]'', légale.  
 
L'accord  sera de courte durée. Dès le 11 avril, Lénine écrit à Gorki : « Nous avons un bébé couvert d'abcès. (...) Ou bien nous les ferons crever, nous guérirons l'enfant et nous l'élèverons ou, si cela tourne mal, l'enfant mourra (...) Dans ce cas, nous vivrons quelque temps sans enfant, et ensuite nous enfanterons un bébé plus sain ». En août, la conférence social-démocrate de Copenhague voit se préciser un nouvel alignement des forces : bolcheviks et « mencheviks du parti » viennent de décider la publication en commun de deux journaux en Russie, la ''[[Rabotchaïa Gazeta]]'', illégale, et la ''[[Zvezda]]'', légale.  
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Beaucoup espéraient encore la réunification du POSDR, comme [[Rosa Luxemburg|Luxembourg]], qui écrivait pendant l'été 1911&nbsp;: ''«&nbsp;Malgré tout, l'unité du parti peut être sauvegardée si l'on contraint les deux fractions à convoquer une conférence commune.&nbsp;»'' En août 1911, elle répétait&nbsp;: ''«&nbsp;Le seul moyen de sauver l'unité est de réaliser une conférence générale, composée d'hommes envoyés de Russie, car ceux qui vivent là-bas veulent la paix entre eux et l'unité, et ils sont la seule force qui puisse mettre à la raison nos coqs de l'étranger.&nbsp;»'' Mais dans la pratique, le comité central ne se réunit plus, la ''[[Goloss Sotsial-Demokrata]]'' continue de paraître...  
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Beaucoup espéraient encore la réunification du POSDR, comme [[Rosa Luxemburg|Luxembourg]], qui écrivait pendant l'été 1911&nbsp;: ''«&nbsp;Malgré tout, l'unité du parti peut être sauvegardée si l'on contraint les deux fractions à convoquer une conférence commune.&nbsp;»'' En août 1911, elle répétait&nbsp;: ''«&nbsp;Le seul moyen de sauver l'unité est de réaliser une conférence générale, composée d'hommes envoyés de Russie, car ceux qui vivent là-bas veulent la paix entre eux et l'unité, et ils sont la seule force qui puisse mettre à la raison nos coqs de l'étranger.&nbsp;»'' De son côté l’''[[okhrana]]'' se concentrait sur l’arrestation des conciliateurs, afin de favoriser la désunion.<ref>M.A. Tsiavlovsky, ed., ''Большевики : документы по истории большевизма с 1903 по 1916 год бывшего Московского Охранного Отделения'', Moscou 1918, pp. 48ff, in O.H. Gankin and H.H. Fisher, ''The Bolsheviks and the World War'', Stamford University Press 1940, p. 106.</ref>  
 
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===La rupture de 1912===
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Les [[luttes étudiantes]] connaissent un essor à partir de 1910, suivie de luttes ouvrières. Le chômage diminue à ce moment, et la combativité augmente. Il y aura 100 000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400 000 le 1<sup>er</sup> mai. La [[fusillade de la Léna]], en avril 1912, enflamme les masses. Cette remontée convainc Lénine de l'urgence de rebâtir un appareil prêt. Sous la direction de [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], les bolcheviks organisent à Longjumeau une école de cadres : les militants ainsi formés pénètrent illégalement en Russie pour y resserrer les contacts et préparer une conférence nationale. Mais la police veille : successivement [[Alexeï Rykov|Rykov]], puis [[Noguine]] sont arrêtés ; c'est finalement [[Grigory Ordjonikidze|Ordjonikidzé]] qui parvient à mettre sur pied en Russie un comité d'organisation, avec l'aide du clandestin [[Leonid Sérébriakov|Sérébriakov]]. [[Fedor Dan|Dan]] et [[Julius Martov|Martov]] protestent contre ces préparatifs et quittent le comité de rédaction du ''[[Sotsial-demokrat]].''
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La conférence est organisée  le 18 janvier 1912 à Prague. De l'émigration, seuls les bolcheviks et quelques « mencheviks du parti » y participent. Par contre, avec plus de 20 représentants d'organisations clandestines de Russie, elle se permet de parler au nom du POSDR. La conférence déclare l'exclusion des [[Liquidationnisme|liquidateurs]], et se prononce pour la création de « noyaux social-démocrates illégaux entourés d'un réseau aussi étendu que possible de sociétés ouvrières légales ». Elle élit un comité central où figurent notamment [[Vladimir Ilitch Lénine|Lénine]], [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], [[Grigory Ordjonikidze|Ordjonikidzé]], [[Yakov Sverdlov|Sverdlov]] et  [[Roman Malinovski|Malinovski]]. L'accord avec la ''[[Pravda (Trotski)|Pravda]]'' de Trotsky est annulé. ''[[Rabotchaïa Gazeta]]'' devient l'organe du comité central. C'est aussitôt après que [[Staline]] est coopté à la direction.  
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===La rupture de 1912 et le ''bloc d'août''===
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{{See also|Rupture de 1912 et bloc d'août}}
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Les [[luttes étudiantes]] connaissent un essor à partir de 1910, suivie de luttes ouvrières. La [[fusillade de la Léna]], en avril 1912, enflamme les masses. Cette remontée convainc Lénine de l'urgence de rebâtir un appareil. Sous la direction de [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], les bolcheviks organisent en région parisienne une école de cadres  en Russie pour y resserrer les contacts et préparer une conférence nationale.  
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Malgré de nombreuses arrestations, celle-ci a leu en  janvier 1912 à Prague, avec très bonne représentation des organisations clandestines de Russie. La conférence déclare l'exclusion des [[Liquidationnisme|liquidateurs]], et se prononce pour la création de « noyaux social-démocrates illégaux entourés d'un réseau aussi étendu que possible de sociétés ouvrières légales ». Elle élit un comité central où figurent notamment [[Vladimir Ilitch Lénine|Lénine]], [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], [[Grigory Ordjonikidze|Ordjonikidzé]], [[Yakov Sverdlov|Sverdlov]] et  [[Roman Malinovski|Malinovski]], [[Staline]] étant coopté peu après. Les bolchévis récupèrent les organes de presse, et lancent un journal légal visant largement les masses, la ''[[Pravda]]''.
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Plusieurs petits groupes, surtout de l'émigration ([[Plekhanov|Plekhanov]], [[Grigori_Alexinski|Alexinski]], [[Trotski|Trotski]]...), ne la reconnaissent pas. En août ils se regroupent (''«&nbsp;bloc d'août&nbsp;»'') pour dénoncer le ''«&nbsp;scissionnisme&nbsp;»'' et ''«&nbsp;l'usurpation&nbsp;»'', et ils forment un ''«&nbsp;Comité d'organisation&nbsp;»'', qui s'opposera au Comité central issu de la conférence de 1912. Trotski dira plus tard&nbsp;:
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Plusieurs petits groupes, surtout de l'émigration ([[Plekhanov|Plekhanov]], [[Grigori_Alexinski|Alexinski]], [[Trotski|Trotski]]...), ne reconnaissent pas cette conférence. En août ils se regroupent (''«&nbsp;bloc d'août&nbsp;»'') pour dénoncer le ''«&nbsp;scissionnisme&nbsp;»'' et ''«&nbsp;l'usurpation&nbsp;»''. Mais ce bloc ne résista pas aux nombreux désaccords entre eux.   
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''«&nbsp;Ce bloc n'avait pas de base politique; sur toutes les questions essentielles, j'étais en désaccord avec les menchéviks. La lutte contre eux reprit dès le lendemain de la clôture de la conférence. Quotidiennement, de graves conflits surgissaient, provoqués par la profonde opposition des deux tendances: celle de la révolution sociale et celle du réformisme démocratique.&nbsp;»<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv19.htm Ma vie - 17. La préparation d'une autre révolution]'', 1930</ref>''
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En octobre 1912, selon [[Rosa_Luxemburg|Luxemburg]], le [[POSDR|POSDR]] est composé des courants suivants&nbsp;: ''«&nbsp;les mencheviks (tendance Axelrod) , les mencheviks du Parti (tendance Plekhanov), le groupe Vperiod, le groupe Pravda, les bolcheviks du Parti et les bolcheviks de Lénine&nbsp;»''.
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Pendant plus de deux ans (début de 1912&nbsp;milieu de 1914) les deux organisations sont en conflit ouvert. D'un côté la ''[[Pravda|Pravda]]'', de l'autre, le ''[[Loutch]]''. De même à la [[Douma|Douma]] (Lénine insista pour que les groupes parlementaires soient bien distincts)&nbsp;: d'un côté la ''«&nbsp;Fraction ouvrière social-démocrate de Russie&nbsp;»'' (bolchéviks), de l'autre la ''«&nbsp;Fraction social démocrate&nbsp;»'' dirigée par [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]].
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Pendant plus de deux ans (début de 1912&nbsp;milieu de 1914) les deux organisations sont en conflit ouvert. Le ''[[Loutch]]'' est créé pour concurrencer la ''[[Pravda]]''. De même à la [[Douma|Douma]] (Lénine insista pour que les groupes parlementaires soient bien distincts)&nbsp;: d'un côté la ''«&nbsp;Fraction ouvrière social-démocrate de Russie&nbsp;»'' (bolchéviks), de l'autre la ''«&nbsp;Fraction social démocrate&nbsp;»'' dirigée par [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]]. Le [[Bureau socialiste international|Bureau]] de l'[[Internationale Ouvrière|Internationale socialiste]] tenta en vain d'organiser une médiation.
    
===Le parti de masse bolchévik===
 
===Le parti de masse bolchévik===
 
[[Fichier:First Issue of PRAVDA.jpg|vignette|Premier numéro de la ''[[Pravda]]'']]
 
[[Fichier:First Issue of PRAVDA.jpg|vignette|Premier numéro de la ''[[Pravda]]'']]
L'organisation autour de la ''[[Pravda|Pravda]]'' parvient alors à devenir un [[Parti_de_masse|parti de masse]], à l'échelle de la classe ouvrière russe. Les partisans de Lénine n'emploient quasiment pas le terme de bolchéviks à cette période, se présentant comme le POSDR. Lénine raillera le fait que les groupes très hétérogènes du bloc d'août 1912 n'ont jamais réussi à s'unir sur une politique commune.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800e.htm Le socialisme et la guerre]'', 1915</ref>
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L'organisation autour de la ''[[Pravda|Pravda]]'' parvient alors à devenir un [[Parti_de_masse|parti de masse]], à l'échelle de la classe ouvrière russe. Les partisans de Lénine n'emploient quasiment pas le terme de [[Parti bolchévik|bolchéviks]] à cette période, se présentant comme le POSDR.  
    
En s'appuyant sur les données des cotisations, qui distinguent celles venant des groupes ouvriers et celles des individus (souvent des bourgeois libéraux), Lénine montre qu'en 1914, les bolchéviks groupaient 4/5<sup>e</sup> des ouvriers social-démocrates. Ils avaient aussi le contrôle de tous les plus grands syndicats de Moscou et de Saint Saint-Pétersbourg''.'' La campagne sur les assurances sociales joue également un rôle important dans la construction d’un réseau de travailleurs soutenant le bolchevisme. Au début de 1914 lors des élections des délégués de cette institution légale, on comptait 37 partisans de la ''[[Pravda|Pravda]]'', 7 [[Mencheviks|mencheviks]], 4 [[Parti_SR|SR]] et 5 abstentions.
 
En s'appuyant sur les données des cotisations, qui distinguent celles venant des groupes ouvriers et celles des individus (souvent des bourgeois libéraux), Lénine montre qu'en 1914, les bolchéviks groupaient 4/5<sup>e</sup> des ouvriers social-démocrates. Ils avaient aussi le contrôle de tous les plus grands syndicats de Moscou et de Saint Saint-Pétersbourg''.'' La campagne sur les assurances sociales joue également un rôle important dans la construction d’un réseau de travailleurs soutenant le bolchevisme. Au début de 1914 lors des élections des délégués de cette institution légale, on comptait 37 partisans de la ''[[Pravda|Pravda]]'', 7 [[Mencheviks|mencheviks]], 4 [[Parti_SR|SR]] et 5 abstentions.
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[[Emile_Vandervelde|Emile Vandervelde]], ennemi farouche des bolcheviks, est allé en Russie au nom du [[Bureau_Socialiste_International|Bureau Socialiste International]] au début de 1914 et a reconnu que les bolcheviks étaient alors majoritaires dans la classe ouvrière russe. C'était aussi le constat du chef de la police tsariste, qui déclare en 1913 : ''« Il y a maintenant des cercles, des cellules et organisations bolcheviques dans toutes les villes. Une correspondance et des contacts permanents ont été établis avec presque tous les centres industriels. [...] Il n'est rien d'étonnant à ce que, actuellement, le rassemblement de tout le parti clandestin se fasse autour des organisations bolcheviques,  et que ces dernières représentent en fait le parti ouvrier social-démocrate russe »''<ref>Trotski, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal10.htm ''Staline'' - ''VI : Guerre et déportation''], 1940</ref>
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[[Emile_Vandervelde|Vandervelde]], ennemi farouche des bolcheviks, est allé en Russie au nom du [[Bureau_Socialiste_International|Bureau Socialiste International]] au début de 1914 et a reconnu que les bolcheviks étaient alors majoritaires dans la classe ouvrière russe. C'était aussi le constat du chef de la police tsariste, qui déclare en 1913 : ''« Il y a maintenant des cercles, des cellules et organisations bolcheviques dans toutes les villes. Une correspondance et des contacts permanents ont été établis avec presque tous les centres industriels. [...] Il n'est rien d'étonnant à ce que, actuellement, le rassemblement de tout le parti clandestin se fasse autour des organisations bolcheviques,  et que ces dernières représentent en fait le parti ouvrier social-démocrate russe »''<ref>Trotski, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal10.htm ''Staline'' - ''VI : Guerre et déportation''], 1940</ref>
    
===Pendant la guerre (1914-1917)===
 
===Pendant la guerre (1914-1917)===
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Le POSDR était la section russe de l'[[Internationale_ouvrière|Internationale ouvrière]]. La division au sein du parti créait cependant un problème de légitimité dans les rapports avec le reste de l'Internationale. Le [[Bureau_socialiste_international|Bureau socialiste international]] (BSI) cherchait à favoriser l'unité du POSDR.
 
Le POSDR était la section russe de l'[[Internationale_ouvrière|Internationale ouvrière]]. La division au sein du parti créait cependant un problème de légitimité dans les rapports avec le reste de l'Internationale. Le [[Bureau_socialiste_international|Bureau socialiste international]] (BSI) cherchait à favoriser l'unité du POSDR.
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Délégué au BSI, [[Lénine|Lénine]] cherchait à s'affirmer en tant que représentant du parti tout entier. Dans sa correspondance avec [[Camille_Huysmans|Camille Huysmans]], secrétaire du BSI, Lénine continue d'utiliser les termes de «&nbsp;majorité&nbsp;» et «&nbsp;minorité&nbsp;» en 1905 et, en 1909, il se sert de la traduction française «&nbsp;majoritaire&nbsp;». [[Maxime_Litvinov|Litvinov]] en revanche utilise le terme de [[Menchevik|Menchevik]] dans une lettre à Huysmans de la même époque.
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Délégué au BSI, [[Lénine|Lénine]] cherchait à s'affirmer en tant que représentant du parti tout entier. Dans sa correspondance avec [[Camille_Huysmans|Huysmans]], secrétaire du BSI, Lénine continue d'utiliser les termes de «&nbsp;majorité&nbsp;» et «&nbsp;minorité&nbsp;» en 1905 et, en 1909, il se sert de la traduction française «&nbsp;majoritaire&nbsp;». [[Maxime_Litvinov|Litvinov]] en revanche utilise le terme de [[Menchevik|Menchevik]] dans une lettre à Huysmans de la même époque.
    
En octobre 1912, la direction de la SDKPiL envoie au BSI une communication contre la ''«&nbsp;tactique scissionniste&nbsp;»'' de Lénine.
 
En octobre 1912, la direction de la SDKPiL envoie au BSI une communication contre la ''«&nbsp;tactique scissionniste&nbsp;»'' de Lénine.
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En décembre 1913 le BSI tient à Londres une réunion abordant notamment la question du parti russe. Selon [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], ''«&nbsp;les beks étaient représentés par un idiot complet (Litvínov), par contre, il y avait une foule de meks&nbsp;»'' qu'elle qualifie, dans une lettre du lendemain de ''«&nbsp;[[Liquidateurs|liquidateurs]]&nbsp;»'' (comme [[Lénine|Lénine]]).
 
En décembre 1913 le BSI tient à Londres une réunion abordant notamment la question du parti russe. Selon [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], ''«&nbsp;les beks étaient représentés par un idiot complet (Litvínov), par contre, il y avait une foule de meks&nbsp;»'' qu'elle qualifie, dans une lettre du lendemain de ''«&nbsp;[[Liquidateurs|liquidateurs]]&nbsp;»'' (comme [[Lénine|Lénine]]).
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==Congrès du POSDR==
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==Congrès et conférences du POSDR==
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*[[1er congrès du POSDR|1<sup>er</sup> congrès]], Minsk, mars 1898
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*[[Deuxième congrès du POSDR|2<sup>e</sup> congrès]], Bruxelles puis Londres, 30 juillet - 11 août 1903
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*[[Troisième congrès du POSDR|3<sup>e</sup> congrès]], Londres, 25 avril - 10 mai 1905 (tenu uniquement par les bolchéviks)
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*[[4e congrès du POSDR|4<sup>e</sup> congrès]], Stockholm, avril 1906
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*[[Cinquième congrès du POSDR|5<sup>e</sup> congrès]], Londres, 13 mai - 1<sup>er</sup> juin 1907
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*1<sup>er</sup> congrès, Minsk, mars 1898
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* [[1ère Conférence du POSDR|1<sup>ère</sup> Conférence du POSDR]], tenue à Tammerfors (Finlande) du 12 au 17 décembre 1905
*2<sup>e</sup> congrès, Bruxelles puis Londres, 30 juillet - 11 août 1903
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* [[2e Conférence du POSDR|2<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue à Kotka (Finlande) du 21 au 23 juillet 1906
*3<sup>e</sup> congrès, Londres, 25 avril - 10 mai 1905 (tenu uniquement par les bolchéviks)
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* [[3e Conférence du POSDR|3<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue en août 1907
*4<sup>e</sup> congrès, Stockholm, avril 1906
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* [[4e Conférence du POSDR|4<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue en novembre 1907
*5<sup>e</sup> congrès, Londres, 13 mai - 1<sup>er</sup> juin 1907
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* [[5e Conférence du POSDR|5<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue en décembre 1908
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* [[6e Conférence du POSDR|6<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue en janvier 1912 à Prague
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* [[7e Conférence du POSDR|7<sup>e</sup> Conférence du POSDR]], tenue en  1917
    
==Comité central==
 
==Comité central==

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