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Un [[Premier congrès du POSDR|premier congrès]] avait eu lieu en 1898 et n’avait pu aboutir réellement à une unification du [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]]. En 1901, un groupe d'émigrés fonde un journal, l'''[[Iskra|Iskra]]'' (''L'Étincelle''), visant à centraliser les différents groupes socialistes et cercles ouvriers autour d'une solide théorie [[Marxiste|marxiste]] et d'une organisation efficace (le journal doit être diffusé clandestinement en Russie).  
 
Un [[Premier congrès du POSDR|premier congrès]] avait eu lieu en 1898 et n’avait pu aboutir réellement à une unification du [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]]. En 1901, un groupe d'émigrés fonde un journal, l'''[[Iskra|Iskra]]'' (''L'Étincelle''), visant à centraliser les différents groupes socialistes et cercles ouvriers autour d'une solide théorie [[Marxiste|marxiste]] et d'une organisation efficace (le journal doit être diffusé clandestinement en Russie).  
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L'''[[Iskra]]'' est créée par le travail en commun de vétérans ([[Plékhanov|Plékhanov]], [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]], [[Pavel Axelrod|Axelrod]]), et d'une jeune génération ([[Lénine]], [[Julius Martov|Martov]], [[Alexandre Potressov|Potressov]], rejoints un peu plus tard par [[Léon Trotsky|Trotski]]). Bien que des tensions émergent dès le début, le groupe fonctionne de 1900 à 1903. Il polémique contre d'autres sensibilités présentes dans les cercles social-démocrates, comme les ''« [[Marxistes_légaux|marxistes légaux]] »'' et les ''« [[Économisme (Russie)|économistes]] »''. Surtout, il prépare le [[Second_congrès_du_POSDR|second congrès]], prévu pour 1903, qui devait pour la première fois établir et ramifier un parti dans toute la Russie. C’est pour les besoins de cet événement que [[Lénine|Lénine]] a écrit sa brochure de 1902, [[Que_Faire_?|''Que faire ?'']], au nom de toute la rédaction.
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L'''[[Iskra]]'' est créée par le travail en commun de vétérans ([[Plékhanov|Plékhanov]], [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]], [[Pavel Axelrod|Axelrod]]), et d'une jeune génération ([[Lénine]], [[Julius Martov|Martov]], [[Alexandre Potressov|Potressov]], rejoints un peu plus tard par [[Léon Trotski|Trotski]]). Bien que des tensions émergent dès le début, le groupe fonctionne de 1900 à 1903. Il polémique contre d'autres sensibilités présentes dans les cercles social-démocrates, comme les ''« [[Marxistes_légaux|marxistes légaux]] »'' et les ''« [[Économisme (Russie)|économistes]] »''. Surtout, il prépare le [[Second_congrès_du_POSDR|second congrès]], prévu pour 1903, qui devait pour la première fois établir et ramifier un parti dans toute la Russie. C’est pour les besoins de cet événement que [[Lénine|Lénine]] a écrit sa brochure de 1902, [[Que_Faire_?|''Que faire ?'']], au nom de toute la rédaction.
    
Lénine a joué un rôle majeur dans la diffusion des idées de l'''Iskra'', à la fois par ses textes, mais aussi et surtout par son travail obstiné d'organisation et de correspondance  (qui reposait dans la pratique beaucoup sur sa femme [[Nadejda Kroupskaïa|Kroupskaïa]]) avec les militants à travers la Russie. Il s'arrangeait pour avoir le plus de délégués possible, en pressant ses contacts en Russie d'être les plus actifs organisateurs, au détriment des autres courants social-démocrates.<ref>Tony Cliff, ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti'', 1975</ref>
 
Lénine a joué un rôle majeur dans la diffusion des idées de l'''Iskra'', à la fois par ses textes, mais aussi et surtout par son travail obstiné d'organisation et de correspondance  (qui reposait dans la pratique beaucoup sur sa femme [[Nadejda Kroupskaïa|Kroupskaïa]]) avec les militants à travers la Russie. Il s'arrangeait pour avoir le plus de délégués possible, en pressant ses contacts en Russie d'être les plus actifs organisateurs, au détriment des autres courants social-démocrates.<ref>Tony Cliff, ''Lénine : 1893-1914. Construire le parti'', 1975</ref>
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Contrairement à ce que certains prétendront plus tard, le débat n'était pas vraiment entre ''«&nbsp;parti d'avant-garde&nbsp;»'' et ''«&nbsp;parti de toute la classe&nbsp;»''. Les deux fractions se revendiquaient de la pratique des autres partis social-démocrates de l'[[Internationale Ouvrière|Internationale]], qui même massifs ne regroupaient jamais toute la classe. Le débat était en réalité très lié aux particularités du militantisme en Russie, subissant la répression tsariste.<ref>[http://revueperiode.net/lire-lenine-entretien-avec-lars-lih/ ''Lire Lénine. Entretien avec Lars Lih''], 2013 </ref>
 
Contrairement à ce que certains prétendront plus tard, le débat n'était pas vraiment entre ''«&nbsp;parti d'avant-garde&nbsp;»'' et ''«&nbsp;parti de toute la classe&nbsp;»''. Les deux fractions se revendiquaient de la pratique des autres partis social-démocrates de l'[[Internationale Ouvrière|Internationale]], qui même massifs ne regroupaient jamais toute la classe. Le débat était en réalité très lié aux particularités du militantisme en Russie, subissant la répression tsariste.<ref>[http://revueperiode.net/lire-lenine-entretien-avec-lars-lih/ ''Lire Lénine. Entretien avec Lars Lih''], 2013 </ref>
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Martov remporte d'abord le vote, mais après après le départ des 7 délégués du [[Bund|Bund]] et des 2 [[Économisme|économistes]], les partisans de Lénine se retrouvent en majorité. A ce moment-là, [[Plékhanov|Plékhanov]] est du côté de Lénine, tandis que [[Trotsky|Trotsky]] est avec Martov. Un  Comité central avec trois proches de Lénine est élu ([[Friedrich Lengnik|Lengnik]], Noskov et [[Krjijanovski]]).
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Martov remporte d'abord le vote, mais après après le départ des 7 délégués du [[Bund|Bund]] et des 2 [[Économisme|économistes]], les partisans de Lénine se retrouvent en majorité. A ce moment-là, [[Plékhanov|Plékhanov]] est du côté de Lénine, tandis que [[Trotski|Trotski]] est avec Martov. Un  Comité central avec trois proches de Lénine est élu ([[Friedrich Lengnik|Lengnik]], Noskov et [[Krjijanovski]]).
    
Puis le conflit se tend surtout lors du vote sur le comité de rédaction de l'''Iskra'' (devenu l'organe central du parti) : Lénine propose de le limiter à Plékhanov, Martov et lui-même, au nom de l'efficacité (les autres participant peu au travail). Le fait que des vétérans comme [[Pavel Axelrod|Axelrod]] et [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]] se retrouvent écartés accentue la dramatisation. Lénine considérait les divergences comme un conflit entre ceux qui acceptaient l’esprit d’un parti salariant des [[Permanent|permanents]], d’une part, et ceux qui étaient habitués aux attitudes de cercle et du « réseau de vieux copains ».<ref>Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/cliff-lenine-congres-1903/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 5]'', 1975</ref> Lorsque Martov, refusant de se plier à la décision du congrès concernant le comité de rédaction, proclama : « nous ne sommes pas des serfs ! », Lénine argumenta contre cet « anarchisme aristocratique » et dit que « les devoirs d’un membre du parti doivent être remplis non seulement par la base, mais par les « gens du sommet » aussi. ».
 
Puis le conflit se tend surtout lors du vote sur le comité de rédaction de l'''Iskra'' (devenu l'organe central du parti) : Lénine propose de le limiter à Plékhanov, Martov et lui-même, au nom de l'efficacité (les autres participant peu au travail). Le fait que des vétérans comme [[Pavel Axelrod|Axelrod]] et [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]] se retrouvent écartés accentue la dramatisation. Lénine considérait les divergences comme un conflit entre ceux qui acceptaient l’esprit d’un parti salariant des [[Permanent|permanents]], d’une part, et ceux qui étaient habitués aux attitudes de cercle et du « réseau de vieux copains ».<ref>Tony Cliff, ''[http://www.contretemps.eu/cliff-lenine-congres-1903/ Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 5]'', 1975</ref> Lorsque Martov, refusant de se plier à la décision du congrès concernant le comité de rédaction, proclama : « nous ne sommes pas des serfs ! », Lénine argumenta contre cet « anarchisme aristocratique » et dit que « les devoirs d’un membre du parti doivent être remplis non seulement par la base, mais par les « gens du sommet » aussi. ».
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Lénine quitte alors la rédaction le 1<sup>er</sup> novembre 1903, et commence à organiser sa fraction le 17 novembre. Pendant plusieurs mois, Lénine est cependant hésitant, d'autant plus qu'il reçoit aussi énormément de courriers de ses partisans qui ne comprennent pas sa fermeté. Cela se voit notamment dans le grand nombre de courriers non envoyés, de déclarations non faites, de brouillons d’articles non publiés, que contiennent ses œuvres sur cette période.  [[Anatoli Lounatcharski|Lounatcharski]] écrivit plus tard :
 
Lénine quitte alors la rédaction le 1<sup>er</sup> novembre 1903, et commence à organiser sa fraction le 17 novembre. Pendant plusieurs mois, Lénine est cependant hésitant, d'autant plus qu'il reçoit aussi énormément de courriers de ses partisans qui ne comprennent pas sa fermeté. Cela se voit notamment dans le grand nombre de courriers non envoyés, de déclarations non faites, de brouillons d’articles non publiés, que contiennent ses œuvres sur cette période.  [[Anatoli Lounatcharski|Lounatcharski]] écrivit plus tard :
 
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La difficulté la plus grande dans cette lutte… fut que le deuxième congrès scinda le parti sans établir les véritables divergences de vues entre martovistes et léninistes. Les désaccords paraissaient graviter autour d’un paragraphe des statuts et de la composition d’une rédaction. Bien des camarades étaient troublés par la futilité des raisons qui avaient conduit à la scission.<ref name=":0">Cité in Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal04.htm Staline]''.</ref>
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La difficulté la plus grande dans cette lutte… fut que le deuxième congrès scinda le parti sans établir les véritables divergences de vues entre martovistes et léninistes. Les désaccords paraissaient graviter autour d’un paragraphe des statuts et de la composition d’une rédaction. Bien des camarades étaient troublés par la futilité des raisons qui avaient conduit à la scission.<ref name=":0">Cité in Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal04.htm Staline]''.</ref>
 
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[[Ossip Piatnitsky|Piatnitsky]], qui était à cette époque un jeune travailleur, écrit dans ses souvenirs :
 
[[Ossip Piatnitsky|Piatnitsky]], qui était à cette époque un jeune travailleur, écrit dans ses souvenirs :
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[[Krjijanovsky]], qui était à l’époque très proche de Lénine, se souvient : ''« Personnellement, je trouvais saugrenu que l’on pût accuser le camarade Martov d’opportunisme. »''<ref name=":0" /> De Saint-Pétersbourg, de Moscou, des provinces arrivaient des protestations et des lamentations.
 
[[Krjijanovsky]], qui était à l’époque très proche de Lénine, se souvient : ''« Personnellement, je trouvais saugrenu que l’on pût accuser le camarade Martov d’opportunisme. »''<ref name=":0" /> De Saint-Pétersbourg, de Moscou, des provinces arrivaient des protestations et des lamentations.
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Pendant toute l'année 1904, on insiste des deux côtés sur le fait que le clivage est plus profond que la question de l'organisation. Les accusations fusent, les bolchéviks reproduiraient les travers des [[Blanquistes|blanquistes]], des [[Populisme_russe|populistes]], des [[Jacobins|jacobins]]. Plékhanov dit alors de Lénine : ''«&nbsp;C'est de cette pâte que l'on fait les Robespierre&nbsp;»''.<ref name="MaVie12">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv14.htm Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission]'', 1930</ref> [[Trotsky|Trotsky]] le compare également à [[Robespierre|Robespierre]]<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/archive/trotsky/1903/xx/siberian.htm Report of the Siberian Delegation]'', 1903</ref>.  [[Rosa_Luxemburg_et_les_bolchéviks|Rosa Luxemburg participe à la polémique]].<ref>Rosa Luxemburg, ''[https://www.marxists.org/francais/luxembur/c_et_d/c_et_d_1.htm Questions d'organisation de la social-démocratie russe]'', 1904</ref>  De son côté Lénine polémique aussi durement  dans sa brochure ''Un pas en avant, deux pas en arrière''<ref name="UnPasEnAvant">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500.htm Un pas en avant, deux pas en arrière]'', 1904</ref> tout en insistant sur le fait qu'aucune scission ne serait justifiée :
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Pendant toute l'année 1904, on insiste des deux côtés sur le fait que le clivage est plus profond que la question de l'organisation. Les accusations fusent, les bolchéviks reproduiraient les travers des [[Blanquistes|blanquistes]], des [[Populisme_russe|populistes]], des [[Jacobins|jacobins]]. Plékhanov dit alors de Lénine : ''«&nbsp;C'est de cette pâte que l'on fait les Robespierre&nbsp;»''.<ref name="MaVie12">Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv14.htm Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission]'', 1930</ref> [[Trotski|Trotski]] le compare également à [[Robespierre|Robespierre]]<ref>Trotski, ''[https://www.marxists.org/archive/trotsky/1903/xx/siberian.htm Report of the Siberian Delegation]'', 1903</ref>.  [[Rosa_Luxemburg_et_les_bolchéviks|Rosa Luxemburg participe à la polémique]].<ref>Rosa Luxemburg, ''[https://www.marxists.org/francais/luxembur/c_et_d/c_et_d_1.htm Questions d'organisation de la social-démocratie russe]'', 1904</ref>  De son côté Lénine polémique aussi durement  dans sa brochure ''Un pas en avant, deux pas en arrière''<ref name="UnPasEnAvant">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500.htm Un pas en avant, deux pas en arrière]'', 1904</ref> tout en insistant sur le fait qu'aucune scission ne serait justifiée :
 
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« les divergences qui séparent actuellement ces deux ailes concernent surtout les problèmes d’organisation, et non les questions de programme ou de tactique (...) le programme importe plus que la tactique, et la tactique importe plus que l’organisation (...) ce sont simplement des ''nuances'' sur lesquelles on peut et ''l’on doit'' discuter, mais pour lesquelles il serait absurde et puéril de nous séparer. »
 
« les divergences qui séparent actuellement ces deux ailes concernent surtout les problèmes d’organisation, et non les questions de programme ou de tactique (...) le programme importe plus que la tactique, et la tactique importe plus que l’organisation (...) ce sont simplement des ''nuances'' sur lesquelles on peut et ''l’on doit'' discuter, mais pour lesquelles il serait absurde et puéril de nous séparer. »
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La résistance à la scission était également répandue parmi les militants de base. A Saint-Pétersbourg, le parti se divisa en automne 1904,<ref>D. Lane, ''The Roots of Russian Communism'', Assen 1969, p. 71.</ref> à Moscou en mai 1905. En Sibérie et dans d’autres endroits, les deux fractions opérèrent dans la même structure organisationnelle en 1904 et 1905, et continuèrent à le faire jusqu’à la conférence de fusion tenue en avril-mai 1906.
 
La résistance à la scission était également répandue parmi les militants de base. A Saint-Pétersbourg, le parti se divisa en automne 1904,<ref>D. Lane, ''The Roots of Russian Communism'', Assen 1969, p. 71.</ref> à Moscou en mai 1905. En Sibérie et dans d’autres endroits, les deux fractions opérèrent dans la même structure organisationnelle en 1904 et 1905, et continuèrent à le faire jusqu’à la conférence de fusion tenue en avril-mai 1906.
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La célèbre imprimerie illégale caucasienne, dans laquelle les sympathies bolcheviques étaient dominantes, continua en 1904 à réimprimer l’''Iskra'' menchevique ainsi que beaucoup de brochures de la minorité. « Nos divergences d’opinion », écrit [[Avel Enoukidzé|Enoukidzé]], « ne se reflétaient absolument pas dans notre travail. » Un facteur avait du poids à ce moment-là : le fait que tous les importants auteurs et théoriciens, à l’exception de Lénine, se trouvaient chez les mencheviks — [[Gueorgui Plekhanov|Plékhanov]], [[Pavel Axelrod|Axelrod]], [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]], [[Julius Martov|Martov]], [[Léon Trotsky|Trotsky]] et [[Alexandre Potressov|Potressov]]. Pendant les années de réaction 1906-1910 Lénine perdit aussi les nouveaux rédacteurs de grande qualité qui avaient rejoint les bolcheviks à l’époque — Bogdanov, Lounatcharsky, Pokrovsky, Rojkov et Gorky. Les bolcheviks souffrirent toujours du fait qu’ils avaient bien moins d’intellectuels et de journalistes capables que les mencheviks.
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La célèbre imprimerie illégale caucasienne, dans laquelle les sympathies bolcheviques étaient dominantes, continua en 1904 à réimprimer l’''Iskra'' menchevique ainsi que beaucoup de brochures de la minorité. « Nos divergences d’opinion », écrit [[Avel Enoukidzé|Enoukidzé]], « ne se reflétaient absolument pas dans notre travail. » Un facteur avait du poids à ce moment-là : le fait que tous les importants auteurs et théoriciens, à l’exception de Lénine, se trouvaient chez les mencheviks — [[Gueorgui Plekhanov|Plékhanov]], [[Pavel Axelrod|Axelrod]], [[Véra Zassoulitch|Zassoulitch]], [[Julius Martov|Martov]], [[Léon Trotski|Trotski]] et [[Alexandre Potressov|Potressov]]. Pendant les années de réaction 1906-1910 Lénine perdit aussi les nouveaux rédacteurs de grande qualité qui avaient rejoint les bolcheviks à l’époque — Bogdanov, Lounatcharsky, Pokrovsky, Rojkov et Gorky. Les bolcheviks souffrirent toujours du fait qu’ils avaient bien moins d’intellectuels et de journalistes capables que les mencheviks.
    
Pour ajouter aux difficultés de Lénine, à l’été 1904, tous les dirigeants du mouvement socialiste hors de Russie prirent position en faveur des mencheviks : [[Karl Kautsky|Kautsky]], [[Rosa Luxemburg|Luxemburg]], [[August Bebel|Bebel]]... Ce dernier alla jusqu’à dire que le « monstrueux scandale » des disputes du parti russe prouvait que le comportement des bolcheviks était proche d’une ''« incapacité sans scrupule et complète »'' à diriger le mouvement.
 
Pour ajouter aux difficultés de Lénine, à l’été 1904, tous les dirigeants du mouvement socialiste hors de Russie prirent position en faveur des mencheviks : [[Karl Kautsky|Kautsky]], [[Rosa Luxemburg|Luxemburg]], [[August Bebel|Bebel]]... Ce dernier alla jusqu’à dire que le « monstrueux scandale » des disputes du parti russe prouvait que le comportement des bolcheviks était proche d’une ''« incapacité sans scrupule et complète »'' à diriger le mouvement.
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Les dirigeants bolchéviks étaient au départ méfiants envers formes nouvelles du mouvement, y compris des [[Syndicats en Russie|syndicats]] et des [[Soviet|soviets]]&nbsp;apparus spontanément. Ils n'y étaient pas à l'aise, et fixaient la tâche de ''«&nbsp;convaincre ces organisations d'accepter le programme du parti social-démocrate comme étant le seul conforme aux vrais intérêts du prolétariat&nbsp;»''. [[Vladimir_Ilitch_Lénine|Lénine]] fera évoluer ces positions en favorisant le travail dans les soviets et en reconnaissant leur rôle central dans la révolution.
 
Les dirigeants bolchéviks étaient au départ méfiants envers formes nouvelles du mouvement, y compris des [[Syndicats en Russie|syndicats]] et des [[Soviet|soviets]]&nbsp;apparus spontanément. Ils n'y étaient pas à l'aise, et fixaient la tâche de ''«&nbsp;convaincre ces organisations d'accepter le programme du parti social-démocrate comme étant le seul conforme aux vrais intérêts du prolétariat&nbsp;»''. [[Vladimir_Ilitch_Lénine|Lénine]] fera évoluer ces positions en favorisant le travail dans les soviets et en reconnaissant leur rôle central dans la révolution.
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Les seuls social-démocrates qui eurent un rôle dirigeant pendant la révolution furent le groupe de [[Léon Trotsky|Trotski]] (alors surtout un électron libre), celui-ci parvenant à se faire élire président du [[Soviet de Saint-Pétersbourg]]. Lénine était déçu de ne pas être en position de force, mais reconnaissait le mérite de Trotski, et par ailleurs leurs lignes étaient très proches dans la pratique.
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Les seuls social-démocrates qui eurent un rôle dirigeant pendant la révolution furent le groupe de [[Léon Trotski|Trotski]] (alors surtout un électron libre), celui-ci parvenant à se faire élire président du [[Soviet de Saint-Pétersbourg]]. Lénine était déçu de ne pas être en position de force, mais reconnaissait le mérite de Trotski, et par ailleurs leurs lignes étaient très proches dans la pratique.
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Néanmoins, le parti est officiellement réunifié et les fractions se sont formellement dissoutes. Lénine annonce solennellement&nbsp;: ''«&nbsp;II n'y a plus de schisme [...] les fractions précédentes des 'bolcheviks' et des 'mencheviks' se sont entièrement fondues.&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1906/ucong/index.htm The Unity Congress of the RSDLP]'', avril 1906</ref> Il déclare que les bolchéviks continueront à défendre leurs positions. La fraction bolchevique sera bientôt dirigée par un centre clandestin, autour du ''[[Proletarii|Proletari]]'', qui continue de paraître, officiellement en tant qu'organe du comité de Saint-Pétersbourg.
 
Néanmoins, le parti est officiellement réunifié et les fractions se sont formellement dissoutes. Lénine annonce solennellement&nbsp;: ''«&nbsp;II n'y a plus de schisme [...] les fractions précédentes des 'bolcheviks' et des 'mencheviks' se sont entièrement fondues.&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1906/ucong/index.htm The Unity Congress of the RSDLP]'', avril 1906</ref> Il déclare que les bolchéviks continueront à défendre leurs positions. La fraction bolchevique sera bientôt dirigée par un centre clandestin, autour du ''[[Proletarii|Proletari]]'', qui continue de paraître, officiellement en tant qu'organe du comité de Saint-Pétersbourg.
 
===5<sup>e</sup> congrès (1907)===
 
===5<sup>e</sup> congrès (1907)===
{{See also|1=5e congrès du POSDR}}Le 5<sup>e</sup> congrès se tient à Londres entre le 13 mai et le 1<sup>er</sup> juin 1907. Il réunit 338 délégués, dont 105 bolchéviks et 97 menchéviks (représentant au total 77 000 militant-e-s). Les délégués polonais ([[SDKPiL|SDKPiL]]) et lettons faisaient bloc avec les bolchéviks, tandis que les bundistes étaient alliés aux menchéviks. [[Trotsky|Trotsky]] est alors non aligné et fait le médiateur entre les deux blocs.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1907/may/19.htm The Fifth Congress of the RSDLP]'', 1907</ref><ref>Staline, ''[https://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1907/06/20_2.htm The London Congress of the RSDLP (notes of a delegate)]'', 1907</ref><ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal.htm Staline]'', 1940</ref> Les bolchéviks sont désormais plus nombreux que les mencheviks.
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{{See also|1=5e congrès du POSDR}}Le 5<sup>e</sup> congrès se tient à Londres entre le 13 mai et le 1<sup>er</sup> juin 1907. Il réunit 338 délégués, dont 105 bolchéviks et 97 menchéviks (représentant au total 77 000 militant-e-s). Les délégués polonais ([[SDKPiL|SDKPiL]]) et lettons faisaient bloc avec les bolchéviks, tandis que les bundistes étaient alliés aux menchéviks. [[Trotski|Trotski]] est alors non aligné et fait le médiateur entre les deux blocs.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1907/may/19.htm The Fifth Congress of the RSDLP]'', 1907</ref><ref>Staline, ''[https://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1907/06/20_2.htm The London Congress of the RSDLP (notes of a delegate)]'', 1907</ref><ref>Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal.htm Staline]'', 1940</ref> Les bolchéviks sont désormais plus nombreux que les mencheviks.
    
Les débats sont tendus. Les bolchéviks soutiennent qu'il faut se préparer à un soulèvement armé contre le tsarisme, ce que Martov dénonce comme une déviation ''«&nbsp;putschiste&nbsp;»'' et Plékhanov comme une dérive [[Anarchistes_russes|anarchiste]].
 
Les débats sont tendus. Les bolchéviks soutiennent qu'il faut se préparer à un soulèvement armé contre le tsarisme, ce que Martov dénonce comme une déviation ''«&nbsp;putschiste&nbsp;»'' et Plékhanov comme une dérive [[Anarchistes_russes|anarchiste]].
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===Période réactionnaire (1907-1911) puis remontée des luttes===
 
===Période réactionnaire (1907-1911) puis remontée des luttes===
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Les années qui suivent la défaite de la révolution de 1905 sont une période réactionnaire, pendant laquelle la [[Conscience_de_classe|conscience de classe]] recule, les grèves diminuent, et les idées réformistes se renforcent. [[Trotsky|Trotsky]] fait l'observation suivante&nbsp;:
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Les années qui suivent la défaite de la révolution de 1905 sont une période réactionnaire, pendant laquelle la [[Conscience_de_classe|conscience de classe]] recule, les grèves diminuent, et les idées réformistes se renforcent. [[Trotski|Trotski]] fait l'observation suivante&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Pour comprendre les deux principaux courants dans la classe ouvrière de Russie, il est important de considérer que le menchévisme s'est définitivement formé pendant les années de réaction et de régression, s'appuyant principalement sur une mince couche d'ouvriers qui avaient rompu avec la révolution&nbsp;; tandis que le bolchévisme, terriblement écrasé durant la période de réaction, monta rapidement, au cours des années qui précédèrent la guerre, à la crête du nouveau flux révolutionnaire. &nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''
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''«&nbsp;Pour comprendre les deux principaux courants dans la classe ouvrière de Russie, il est important de considérer que le menchévisme s'est définitivement formé pendant les années de réaction et de régression, s'appuyant principalement sur une mince couche d'ouvriers qui avaient rompu avec la révolution&nbsp;; tandis que le bolchévisme, terriblement écrasé durant la période de réaction, monta rapidement, au cours des années qui précédèrent la guerre, à la crête du nouveau flux révolutionnaire. &nbsp;»<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''
 
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===La rupture de 1912 et le succès bolchévik===
 
===La rupture de 1912 et le succès bolchévik===
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Une conférence du POSDR est organisée par les bolchéviks en janvier 1912 (conférence de Prague) avec l'essentiel des forces social-démocrates en Russie, et elle déclare l'exclusion des [[liquidateurs|''liquidateurs'']] (droite des menchéviks qui renonce à la [[propagande|propagande]] clandestine, notamment pour la [[république|république]]). Plusieurs petits groupes, surtout de l'émigration ([[Plekhanov|Plekhanov]], [[Grigori_Alexinski|Alexinski]], [[Trotsky|Trotsky]]...), ne la reconnaissent pas. En août ils se regroupent (''«&nbsp;bloc d'août&nbsp;»'') pour dénoncer le ''«&nbsp;scissionnisme&nbsp;»'' et ''«&nbsp;l'usurpation&nbsp;»'', et ils forment un ''«&nbsp;Comité d'organisation&nbsp;»'', qui s'opposera au Comité central issu de la conférence de 1912.
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Une conférence du POSDR est organisée par les bolchéviks en janvier 1912 (conférence de Prague) avec l'essentiel des forces social-démocrates en Russie, et elle déclare l'exclusion des [[liquidateurs|''liquidateurs'']] (droite des menchéviks qui renonce à la [[propagande|propagande]] clandestine, notamment pour la [[république|république]]). Plusieurs petits groupes, surtout de l'émigration ([[Plekhanov|Plekhanov]], [[Grigori_Alexinski|Alexinski]], [[Trotski|Trotski]]...), ne la reconnaissent pas. En août ils se regroupent (''«&nbsp;bloc d'août&nbsp;»'') pour dénoncer le ''«&nbsp;scissionnisme&nbsp;»'' et ''«&nbsp;l'usurpation&nbsp;»'', et ils forment un ''«&nbsp;Comité d'organisation&nbsp;»'', qui s'opposera au Comité central issu de la conférence de 1912.
    
Pendant plus de deux ans (début de 1912&nbsp;milieu de 1914) les deux organisations sont en conflit ouvert. D'un côté la ''[[Pravda|Pravda]]'', de l'autre, le ''Loutch'' (''«&nbsp;le rayon&nbsp;»'', quotidien menchévik qui parût légalement à Pétersbourg de septembre 1912 à juillet 1913). De même à la [[Douma|Douma]] (Lénine insista pour que les groupes parlementaires soient bien distincts)&nbsp;: d'un côté la ''«&nbsp;Fraction ouvrière social-démocrate de Russie&nbsp;»'' (bolchéviks), de l'autre la ''«&nbsp;Fraction social démocrate&nbsp;»'' dirigée par [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]].
 
Pendant plus de deux ans (début de 1912&nbsp;milieu de 1914) les deux organisations sont en conflit ouvert. D'un côté la ''[[Pravda|Pravda]]'', de l'autre, le ''Loutch'' (''«&nbsp;le rayon&nbsp;»'', quotidien menchévik qui parût légalement à Pétersbourg de septembre 1912 à juillet 1913). De même à la [[Douma|Douma]] (Lénine insista pour que les groupes parlementaires soient bien distincts)&nbsp;: d'un côté la ''«&nbsp;Fraction ouvrière social-démocrate de Russie&nbsp;»'' (bolchéviks), de l'autre la ''«&nbsp;Fraction social démocrate&nbsp;»'' dirigée par [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]].
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Malgré tout, l’organisation de Lénine aura permis que, malgré la répression et la dispersion, subsiste un corps de militants dévoués, animés par une claire [[Conscience_de_classe|conscience de classe]], d’où va sortir l’instrument de la révolution d’octobre. Dès 1914, des militants bolchéviks commencèrent à développer dans les masses, par la presse et la parole, leur agitation contre la guerre. Un rapport de la police mentionne&nbsp;:
 
Malgré tout, l’organisation de Lénine aura permis que, malgré la répression et la dispersion, subsiste un corps de militants dévoués, animés par une claire [[Conscience_de_classe|conscience de classe]], d’où va sortir l’instrument de la révolution d’octobre. Dès 1914, des militants bolchéviks commencèrent à développer dans les masses, par la presse et la parole, leur agitation contre la guerre. Un rapport de la police mentionne&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Les partisans de Lénine, qui mènent en Russie la grande majorité des organisations social-démocrates clandestines, ont mis en circulation depuis le début de la guerre, dans leurs principaux centres (savoir&nbsp;: Pétrograd, Moscou, Kharkov, Kiev, Toula, Kostroma, le gouvernement de Vladimir, Samara), une quantité considérable de tracts révolutionnaires, réclamant la fin des hostilités, le renversement du pouvoir actuel et la proclamation de la république&nbsp;; en outre, cette activité a eu pour résultat sensible l'organisation par les ouvriers de grèves et de désordres.&nbsp;&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''
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''«&nbsp;Les partisans de Lénine, qui mènent en Russie la grande majorité des organisations social-démocrates clandestines, ont mis en circulation depuis le début de la guerre, dans leurs principaux centres (savoir&nbsp;: Pétrograd, Moscou, Kharkov, Kiev, Toula, Kostroma, le gouvernement de Vladimir, Samara), une quantité considérable de tracts révolutionnaires, réclamant la fin des hostilités, le renversement du pouvoir actuel et la proclamation de la république&nbsp;; en outre, cette activité a eu pour résultat sensible l'organisation par les ouvriers de grèves et de désordres.&nbsp;&nbsp;»<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''
 
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En février 1915, une conférence des groupes bolcheviques émigrés réunie à Berne et à laquelle participent de nouveaux venus de Russie, [[Boukharine|Boukharine]] et [[Piatakov|Piatakov]], se prononce pour la «&nbsp;transformation en guerre civile de la guerre impérialiste&nbsp;».
 
En février 1915, une conférence des groupes bolcheviques émigrés réunie à Berne et à laquelle participent de nouveaux venus de Russie, [[Boukharine|Boukharine]] et [[Piatakov|Piatakov]], se prononce pour la «&nbsp;transformation en guerre civile de la guerre impérialiste&nbsp;».
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Dans le désarroi de la guerre, les lignes bougent et se redéfinissent. Certains rompent avec les menchéviks ([[Antonov-Ovseenko|Antonov-Ovseenko]], [[Tchitchérine|Tchitchérine]], [[Moïsseï_Ouritsky|Ouritsky]], [[Kollontaï|Kollontaï]]...) et des cadres communs se forment entre des groupes de militants d'horizons différents. Par exemple le groupe de [[Nache_Slovo|''Nache Slovo'']] (dominé par [[Trotsky|Trotsky]]), qui fut une plaque tournante de l'internationalisme en Europe. Lénine avait des désaccords avec eux, certains mineurs ([[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme]], [[Etats-Unis_d'Europe|Etats-Unis d'Europe]]...), le principal étant la nécessaire rupture avec l'[[Internationale_ouvrière|Internationale]] des [[Social-chauvins|social-chauvins]]. Mais ce qui empêche surtout le rapprochement est la méfiance née des querelles passées.
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Dans le désarroi de la guerre, les lignes bougent et se redéfinissent. Certains rompent avec les menchéviks ([[Antonov-Ovseenko|Antonov-Ovseenko]], [[Tchitchérine|Tchitchérine]], [[Moïsseï_Ouritsky|Ouritsky]], [[Kollontaï|Kollontaï]]...) et des cadres communs se forment entre des groupes de militants d'horizons différents. Par exemple le groupe de [[Nache_Slovo|''Nache Slovo'']] (dominé par [[Trotski|Trotski]]), qui fut une plaque tournante de l'internationalisme en Europe. Lénine avait des désaccords avec eux, certains mineurs ([[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme]], [[Etats-Unis_d'Europe|Etats-Unis d'Europe]]...), le principal étant la nécessaire rupture avec l'[[Internationale_ouvrière|Internationale]] des [[Social-chauvins|social-chauvins]]. Mais ce qui empêche surtout le rapprochement est la méfiance née des querelles passées.
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Le quotidien russe de New York ''[[Novy_Mir|Novy Mir]], ''où collaborent [[Trotsky|Trotsky]], [[Kollontaï|Kollontaï]], [[Boukharine|Boukharine]] et [[Volodarski|Volodarski]], préfigure, au début de 1917, cette fusion de tous les internationalistes russes, dont les «&nbsp;[[Vpériod|vpériodistes]]&nbsp;» et [[Boukharine|Boukharine]], contre Lénine, font leur cheval de bataille.
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Le quotidien russe de New York ''[[Novy_Mir|Novy Mir]], ''où collaborent [[Trotski|Trotski]], [[Kollontaï|Kollontaï]], [[Boukharine|Boukharine]] et [[Volodarski|Volodarski]], préfigure, au début de 1917, cette fusion de tous les internationalistes russes, dont les «&nbsp;[[Vpériod|vpériodistes]]&nbsp;» et [[Boukharine|Boukharine]], contre Lénine, font leur cheval de bataille.
    
Un autre type de désaccord apparaît entre [[Lénine|Lénine]] et ceux qui soutiennent une position qu'il appelle de ''«&nbsp;l'[[Économisme|économisme]] impérialiste&nbsp;»'' ([[Boukharine|Boukharine]], [[Piatakov|Piatakov]], [[Yevgenia_Bosch|Bosch]]). C'est-à-dire ceux qui s'opposaient aux revendications d'autonomie / indépendance nationale au nom du fait que les [[Forces_productives|forces productives]] se développent mieux à grande échelle.
 
Un autre type de désaccord apparaît entre [[Lénine|Lénine]] et ceux qui soutiennent une position qu'il appelle de ''«&nbsp;l'[[Économisme|économisme]] impérialiste&nbsp;»'' ([[Boukharine|Boukharine]], [[Piatakov|Piatakov]], [[Yevgenia_Bosch|Bosch]]). C'est-à-dire ceux qui s'opposaient aux revendications d'autonomie / indépendance nationale au nom du fait que les [[Forces_productives|forces productives]] se développent mieux à grande échelle.
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Etant donné le pouvoir populaire direct qu'ont les ouvriers et les soldats dans les soviets, le gouvernement provisoire ne contrôle pas tout, et il y a de fait une situation de [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]]. Au lieu de faire confiance au gouvernement provisoire, Lénine propose de revendiquer ''«&nbsp;tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»''. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|formule bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''.
 
Etant donné le pouvoir populaire direct qu'ont les ouvriers et les soldats dans les soviets, le gouvernement provisoire ne contrôle pas tout, et il y a de fait une situation de [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]]. Au lieu de faire confiance au gouvernement provisoire, Lénine propose de revendiquer ''«&nbsp;tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»''. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|formule bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''.
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Les [[Thèses_d'avril|thèses]] de Lénine semblèrent trop radicales aux dirigeants bolcheviks de l’intérieur qui restaient accrochés à la vieille tactique de la ''«&nbsp;[[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|dictature démocratique des ouvriers et des paysans]]&nbsp;»''. Le 8 avril, 13 des 15 membres de la direction [[Bolchevik|bolchevik]] de Petrograd rejetèrent les thèses de Lénine. [[Kamenev|Kamenev]] déclare&nbsp;: ''«&nbsp;Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous parait inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste.&nbsp;»'' Le bruit court à ce moment-là que Lénine est devenu [[Trotskiste|trotskiste]], car il semble s'être rallié de fait à l'idée de [[Révolution_permanente|révolution permanente]]. Selon [[Trotsky|Trotsky]] c'est effectivement ce qui s'est passé<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr15.htm ''Histoire de la Révolution russe''], 1930</ref>.
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Les [[Thèses_d'avril|thèses]] de Lénine semblèrent trop radicales aux dirigeants bolcheviks de l’intérieur qui restaient accrochés à la vieille tactique de la ''«&nbsp;[[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|dictature démocratique des ouvriers et des paysans]]&nbsp;»''. Le 8 avril, 13 des 15 membres de la direction [[Bolchevik|bolchevik]] de Petrograd rejetèrent les thèses de Lénine. [[Kamenev|Kamenev]] déclare&nbsp;: ''«&nbsp;Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous parait inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste.&nbsp;»'' Le bruit court à ce moment-là que Lénine est devenu [[Trotskiste|trotskiste]], car il semble s'être rallié de fait à l'idée de [[Révolution_permanente|révolution permanente]]. Selon [[Trotski|Trotski]] c'est effectivement ce qui s'est passé<ref>Trotski, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr15.htm ''Histoire de la Révolution russe''], 1930</ref>.
    
Le 24 avril a lieu une conférence réunissant 149 délégués (qui représentent 79 000 adhérents)&nbsp;: Lénine y obtient une quasi-unanimité contre la guerre, ainsi qu’une forte majorité pour transférer aux [[Soviets|soviets]] les pouvoirs d’Etat, une faible majorité pour entrer dans la voie de la [[Révolution_socialiste|révolution socialiste]], mais échoue à changer le nom du parti de «&nbsp;social-démocrate&nbsp;» en «&nbsp;communiste&nbsp;».
 
Le 24 avril a lieu une conférence réunissant 149 délégués (qui représentent 79 000 adhérents)&nbsp;: Lénine y obtient une quasi-unanimité contre la guerre, ainsi qu’une forte majorité pour transférer aux [[Soviets|soviets]] les pouvoirs d’Etat, une faible majorité pour entrer dans la voie de la [[Révolution_socialiste|révolution socialiste]], mais échoue à changer le nom du parti de «&nbsp;social-démocrate&nbsp;» en «&nbsp;communiste&nbsp;».
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La radicalisation de la ligne bouleverse les organisations préexistantes. Les bolchéviks les plus droitiers quittent le parti ([[Vladimir_Voitinski|Voitinski]], [[Nikolai_Glebov-Avilov|Avilov]] et [[Joseph_Goldenberg|Goldenberg]]), les menchéviks les plus à gauche le rejoignent. De nombreux groupes ou organisations autonomes ou isolés le rejoignent. Notamment, le [[Comité_Interrayons|comité Interrayons]], dirigé par [[Léon_Trotsky|Trotsky]], et qui compte à sa tête des dirigeants de qualité, fusionne avec le Parti bolchévik en juillet (lors du 6<sup>e</sup> Congrès, dit ''«&nbsp;congrès d'unification&nbsp;»''). Auparavant, Staline et Kamenev s’étaient opposé à cette fusion. Au cours de ce congrès, qui regroupe 175 délégués pour 112 organisations et 177 000 membres, Lénine, Kamenev, Zinoviev et Trotsky sont élus au comité central à la quasi-unanimité.
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La radicalisation de la ligne bouleverse les organisations préexistantes. Les bolchéviks les plus droitiers quittent le parti ([[Vladimir_Voitinski|Voitinski]], [[Nikolai_Glebov-Avilov|Avilov]] et [[Joseph_Goldenberg|Goldenberg]]), les menchéviks les plus à gauche le rejoignent. De nombreux groupes ou organisations autonomes ou isolés le rejoignent. Notamment, le [[Comité_Interrayons|comité Interrayons]], dirigé par [[Léon_Trotski|Trotski]], et qui compte à sa tête des dirigeants de qualité, fusionne avec le Parti bolchévik en juillet (lors du 6<sup>e</sup> Congrès, dit ''«&nbsp;congrès d'unification&nbsp;»''). Auparavant, Staline et Kamenev s’étaient opposé à cette fusion. Au cours de ce congrès, qui regroupe 175 délégués pour 112 organisations et 177 000 membres, Lénine, Kamenev, Zinoviev et Trotski sont élus au comité central à la quasi-unanimité.
    
Dans [[L'Etat_et_la_Révolution|''L'Etat et la Révolution'']], écrit au coeur de la révolution, Lénine fera un retour critique sur la ligne politique [[Réformiste|réformiste]] qui gangrène la [[Deuxième_internationale|''Deuxième internationale'']]. Il revendique un retour à la politique révolutionnaire de [[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]], et réaffirme que l'Etat ouvrier ne peut être construit que par une [[Révolution_socialiste|révolution]] qui détruit l'[[Etat_bourgeois|Etat bourgeois]]. Le nouvel Etat ouvrier est ''«&nbsp;du type de la Commune de Paris&nbsp;»'', du type [[Soviet|soviétique]].
 
Dans [[L'Etat_et_la_Révolution|''L'Etat et la Révolution'']], écrit au coeur de la révolution, Lénine fera un retour critique sur la ligne politique [[Réformiste|réformiste]] qui gangrène la [[Deuxième_internationale|''Deuxième internationale'']]. Il revendique un retour à la politique révolutionnaire de [[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]], et réaffirme que l'Etat ouvrier ne peut être construit que par une [[Révolution_socialiste|révolution]] qui détruit l'[[Etat_bourgeois|Etat bourgeois]]. Le nouvel Etat ouvrier est ''«&nbsp;du type de la Commune de Paris&nbsp;»'', du type [[Soviet|soviétique]].
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===Révolution d'Octobre===
 
===Révolution d'Octobre===
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Le parti de la révolution d’octobre est donc un parti refondu dans la lutte. C’est lui qui, forgé sous la répression de l’été 1917, va conquérir en trois mois la majorité dans les soviets et diriger une insurrection victorieuse. Dans ces moments, les mots d’ordre viennent de Lénine (exilé en Finlande) et de Trotsky. Le nombre d’agitateurs diminue, et on n’entend plus guère les voix de Staline, Kamenev et Zinoviev. Ces deux derniers sont explicitement contre la prise de pouvoir. Mais le plus efficace, dans cette période, c’est l’agitation menée à la base par les anonymes, ouvriers et soldats. Voici ce qu’écrit Trotsky à ce sujet&nbsp;:
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Le parti de la révolution d’octobre est donc un parti refondu dans la lutte. C’est lui qui, forgé sous la répression de l’été 1917, va conquérir en trois mois la majorité dans les soviets et diriger une insurrection victorieuse. Dans ces moments, les mots d’ordre viennent de Lénine (exilé en Finlande) et de Trotski. Le nombre d’agitateurs diminue, et on n’entend plus guère les voix de Staline, Kamenev et Zinoviev. Ces deux derniers sont explicitement contre la prise de pouvoir. Mais le plus efficace, dans cette période, c’est l’agitation menée à la base par les anonymes, ouvriers et soldats. Voici ce qu’écrit Trotski à ce sujet&nbsp;:
 
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«&nbsp;Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique. En première place se tenaient les ouvriers de Piter [Petrograd], prolétaires héréditairement, qui avaient détaché un effectif d'agitateurs et d'organisateurs d'une trempe exceptionnellement révolutionnaire, d'une haute culture politique, indépendants dans la pensée, dans la parole, dans l'action.
 
«&nbsp;Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique. En première place se tenaient les ouvriers de Piter [Petrograd], prolétaires héréditairement, qui avaient détaché un effectif d'agitateurs et d'organisateurs d'une trempe exceptionnellement révolutionnaire, d'une haute culture politique, indépendants dans la pensée, dans la parole, dans l'action.
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Tourneurs, serruriers, forgerons, moniteurs des corporations et des usines avaient déjà autour d'eux leurs écoles, leurs élèves, futurs constructeurs de la République des Soviets. Les matelots de la Baltique, les plus proches compagnons d'armes des ouvriers de Piter, provenant pour une bonne part de ceux-ci, envoyèrent des brigades d'agitateurs qui conquéraient de haute lutte les régiments arriérés, les chefs-lieux de district, les cantons de moujiks. La formule généralisatrice lancée au cirque Moderne par un des leaders révolutionnaires prenait forme et corps dans des centaines de têtes réfléchies et ébranlait ensuite tout le pays. [...] Les usines conjointement avec les régiments envoyaient des délégués au front. Les tranchées se liaient avec les ouvriers et les paysans du plus proche arrière-front. [...] Les usines et les régiments de Petrograd et de Moscou frappaient avec de plus en plus d'insistance aux portes de bois du village. Se cotisant, les ouvriers envoyaient des délégués dans les provinces d'où ils étaient originaires. [...] Le bolchévisme conquérait le pays. Les bolcheviks devenaient une force irrésistible&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 1, Ed. du Seuil, p. 390-392.</ref>.
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Tourneurs, serruriers, forgerons, moniteurs des corporations et des usines avaient déjà autour d'eux leurs écoles, leurs élèves, futurs constructeurs de la République des Soviets. Les matelots de la Baltique, les plus proches compagnons d'armes des ouvriers de Piter, provenant pour une bonne part de ceux-ci, envoyèrent des brigades d'agitateurs qui conquéraient de haute lutte les régiments arriérés, les chefs-lieux de district, les cantons de moujiks. La formule généralisatrice lancée au cirque Moderne par un des leaders révolutionnaires prenait forme et corps dans des centaines de têtes réfléchies et ébranlait ensuite tout le pays. [...] Les usines conjointement avec les régiments envoyaient des délégués au front. Les tranchées se liaient avec les ouvriers et les paysans du plus proche arrière-front. [...] Les usines et les régiments de Petrograd et de Moscou frappaient avec de plus en plus d'insistance aux portes de bois du village. Se cotisant, les ouvriers envoyaient des délégués dans les provinces d'où ils étaient originaires. [...] Le bolchévisme conquérait le pays. Les bolcheviks devenaient une force irrésistible&nbsp;»<ref>Léon Trotski, ''Histoire de la révolution russe'', t. 1, Ed. du Seuil, p. 390-392.</ref>.
 
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[[Lénine|Lénine]] était hostile aux autres socialistes en qui il n'avait aucune confiance. Etant donné les refus des autres forces socialistes pendant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], le premier gouvernement, [[Soviet_des_commissaires_du_peuple|''Soviet des commissaires du peuple'']] (Sovnarkom), est composé uniquement de bolchéviks.
 
[[Lénine|Lénine]] était hostile aux autres socialistes en qui il n'avait aucune confiance. Etant donné les refus des autres forces socialistes pendant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], le premier gouvernement, [[Soviet_des_commissaires_du_peuple|''Soviet des commissaires du peuple'']] (Sovnarkom), est composé uniquement de bolchéviks.
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Aussitôt après le congrès, le [[Comité_central_bolchévik|Comité central bolchévik]] du 29 octobre accepte de négocier, mais les chefs [[Mencheviks|mencheviks]] et [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] exigent un gouvernement sans [[Lénine|Lénine]] ni [[Trotsky|Trotsky]], incluant des [[SR_de_droite|SR de droite]] et des [[Troudoviks|troudoviks]], et qui serait responsable, non devant les [[Soviets|soviets]], mais devant «&nbsp;les larges masses de la démocratie révolutionnaire&nbsp;». En parallèle ils ne montrent pas d'empressement à lutter contre les premières tentatives de Blancs contre-révolutionnaires. Lénine est pour rompre le dialogue, mais la tension monte avec toute une partie de dirigeants bolchéviks ([[Kamenev|Kamenev]], [[Zinoviev|Zinoviev]], [[Lozovski|Lozovski]], [[Riazanov|Riazanov]]...) qui votent contre leur parti dans l'[[Comité_exécutif_central_panrusse|exécutif soviétique]], certains allant jusqu'à démissionner.
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Aussitôt après le congrès, le [[Comité_central_bolchévik|Comité central bolchévik]] du 29 octobre accepte de négocier, mais les chefs [[Mencheviks|mencheviks]] et [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] exigent un gouvernement sans [[Lénine|Lénine]] ni [[Trotski|Trotski]], incluant des [[SR_de_droite|SR de droite]] et des [[Troudoviks|troudoviks]], et qui serait responsable, non devant les [[Soviets|soviets]], mais devant «&nbsp;les larges masses de la démocratie révolutionnaire&nbsp;». En parallèle ils ne montrent pas d'empressement à lutter contre les premières tentatives de Blancs contre-révolutionnaires. Lénine est pour rompre le dialogue, mais la tension monte avec toute une partie de dirigeants bolchéviks ([[Kamenev|Kamenev]], [[Zinoviev|Zinoviev]], [[Lozovski|Lozovski]], [[Riazanov|Riazanov]]...) qui votent contre leur parti dans l'[[Comité_exécutif_central_panrusse|exécutif soviétique]], certains allant jusqu'à démissionner.
    
Mais l'opposition est condamnée par l'écrasante majorité des militants bolchéviks, et il apparaît assez vite clair que les [[Mencheviks|mencheviks]] et les dirigeants [[Parti_SR|SR]] n'ont jamais eu l'intention d'une collaboration honnête avec les bolchéviks sur la base du programme décidé par le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]]. Il n'y aura finalement pas de scission, et les démissionnaires reprendront leurs postes, sauf [[Lozovski|Lozovski]] qui sera finalement exclu et fondera un éphémère «&nbsp;Parti socialiste ouvrier&nbsp;».
 
Mais l'opposition est condamnée par l'écrasante majorité des militants bolchéviks, et il apparaît assez vite clair que les [[Mencheviks|mencheviks]] et les dirigeants [[Parti_SR|SR]] n'ont jamais eu l'intention d'une collaboration honnête avec les bolchéviks sur la base du programme décidé par le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]]. Il n'y aura finalement pas de scission, et les démissionnaires reprendront leurs postes, sauf [[Lozovski|Lozovski]] qui sera finalement exclu et fondera un éphémère «&nbsp;Parti socialiste ouvrier&nbsp;».
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Les gouvernements bourgeois du monde entier se demandent si le pouvoir bolchévik sera assez fort. Lénine répond&nbsp;&nbsp;: ''«&nbsp;La bourgeoisie ne reconnaît qu'un Etat est fort que lorsqu'il peut, usant de toute la puissance de l'appareil gouvernemental, faire marcher les masses comme l'entendent les gouvernements bourgeois. Notre conception de la force est différente. Ce qui fait la force d'un Etat, selon nous, c'est la conscience des masses. L'Etat est fort quand les masses savent tout, peuvent juger de tout et font tout sciemment&nbsp;»''
 
Les gouvernements bourgeois du monde entier se demandent si le pouvoir bolchévik sera assez fort. Lénine répond&nbsp;&nbsp;: ''«&nbsp;La bourgeoisie ne reconnaît qu'un Etat est fort que lorsqu'il peut, usant de toute la puissance de l'appareil gouvernemental, faire marcher les masses comme l'entendent les gouvernements bourgeois. Notre conception de la force est différente. Ce qui fait la force d'un Etat, selon nous, c'est la conscience des masses. L'Etat est fort quand les masses savent tout, peuvent juger de tout et font tout sciemment&nbsp;»''
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Le parti victorieux enregistre, au lendemain d’octobre, des adhésions en masse. En mars 1919, le parti compte 250 000 militants, dont 52% d’[[Ouvriers|ouvriers]], 15% de [[Paysannerie|paysans]], 18% d’employés, 14% d’[[Intellectuels|intellectuels]] (étant inclus dans cette dernière catégorie tous ceux qui ont reçu une éducation secondaire). 27% de ces militants sont, à ce moment, dans l’[[Armée_rouge|Armée rouge]], au combat. C’est un parti jeune&nbsp;: la moitié de ses effectifs a moins de 30 ans. A ce moment, le parti est encore de bonne qualité. Mais ses effectifs vont rapidement exploser, pour atteindre 730 000 membres en mars 1921. Parmi tous ces membres, nombreux sont les arrivistes, attirés moins par le combat bolchévik que par l’ «&nbsp;obséquiosité devant le pouvoir du jour<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 2, ''op. cit.'', p. 210.</ref>&nbsp;», pour reprendre une expression de Trotsky. En 1922, 97% des militants bolchéviks ont rejoint le parti après octobre 17. La purge de 1923, la première de l’histoire du parti, l’ampute de 180 000 membres – Trotsky s’en félicite au nom de la lutte contre l’arrivisme.
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Le parti victorieux enregistre, au lendemain d’octobre, des adhésions en masse. En mars 1919, le parti compte 250 000 militants, dont 52% d’[[Ouvriers|ouvriers]], 15% de [[Paysannerie|paysans]], 18% d’employés, 14% d’[[Intellectuels|intellectuels]] (étant inclus dans cette dernière catégorie tous ceux qui ont reçu une éducation secondaire). 27% de ces militants sont, à ce moment, dans l’[[Armée_rouge|Armée rouge]], au combat. C’est un parti jeune&nbsp;: la moitié de ses effectifs a moins de 30 ans. A ce moment, le parti est encore de bonne qualité. Mais ses effectifs vont rapidement exploser, pour atteindre 730 000 membres en mars 1921. Parmi tous ces membres, nombreux sont les arrivistes, attirés moins par le combat bolchévik que par l’ «&nbsp;obséquiosité devant le pouvoir du jour<ref>Léon Trotski, ''Histoire de la révolution russe'', t. 2, ''op. cit.'', p. 210.</ref>&nbsp;», pour reprendre une expression de Trotski. En 1922, 97% des militants bolchéviks ont rejoint le parti après octobre 17. La purge de 1923, la première de l’histoire du parti, l’ampute de 180 000 membres – Trotski s’en félicite au nom de la lutte contre l’arrivisme.
    
Le problème est que le parti a aussi besoin de ces éléments idéologiquement peu sûrs et socialement hétérogènes à la masse du [[Prolétariat|prolétariat]] – les employés et les fonctionnaires qui, à l’époque, n’étaient pas aussi prolétarisés qu’aujourd’hui. Car pour faire fonctionner un Etat moderne, on a besoin de spécialistes. Les mêmes qui, en octobre 1917, ont accueilli très hostilement la prise de pouvoir par les bolchéviks, vont voler, en 1918, au secours de la révolution en faisant valoir leurs compétences techniques et en profitant des avantages que procure le fait d’être dans le parti au pouvoir. Le phénomène de corruption par le pouvoir se développe, surtout que nombre de militants perçoivent l’exercice du pouvoir par leur parti comme une sorte de récompense due après des années de misère, de souffrances, de répression et de tensions.
 
Le problème est que le parti a aussi besoin de ces éléments idéologiquement peu sûrs et socialement hétérogènes à la masse du [[Prolétariat|prolétariat]] – les employés et les fonctionnaires qui, à l’époque, n’étaient pas aussi prolétarisés qu’aujourd’hui. Car pour faire fonctionner un Etat moderne, on a besoin de spécialistes. Les mêmes qui, en octobre 1917, ont accueilli très hostilement la prise de pouvoir par les bolchéviks, vont voler, en 1918, au secours de la révolution en faisant valoir leurs compétences techniques et en profitant des avantages que procure le fait d’être dans le parti au pouvoir. Le phénomène de corruption par le pouvoir se développe, surtout que nombre de militants perçoivent l’exercice du pouvoir par leur parti comme une sorte de récompense due après des années de misère, de souffrances, de répression et de tensions.
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A partir de 1921, les [[Soviets|soviets]] sont vidés de leurs meilleurs éléments et ne peuvent plus servir de base à la démocratie soviétique. Une opposition, dès lors, ne peut plus être qu’intérieure au Parti bolchévik. L’[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]] se forme en 1920. Mais [[Lénine|Lénine]] fait voter, au X<sup>ème</sup> Congrès (1921), l’interdiction des fractions au nom des menaces de contre-révolution, ainsi que l’attribution au comité central de pouvoirs temporaires d’exclusion. Ces mesures vont favoriser la cristallisation de la bureaucratie. En 1922, [[Staline|Staline]] s’installe au poste stratégique de secrétaire général du comité central, qui lui permet de contrôler les effectifs du parti, et qui lui permettra d'accéder plus facilement aux rênes du pouvoir par la suite..
 
A partir de 1921, les [[Soviets|soviets]] sont vidés de leurs meilleurs éléments et ne peuvent plus servir de base à la démocratie soviétique. Une opposition, dès lors, ne peut plus être qu’intérieure au Parti bolchévik. L’[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]] se forme en 1920. Mais [[Lénine|Lénine]] fait voter, au X<sup>ème</sup> Congrès (1921), l’interdiction des fractions au nom des menaces de contre-révolution, ainsi que l’attribution au comité central de pouvoirs temporaires d’exclusion. Ces mesures vont favoriser la cristallisation de la bureaucratie. En 1922, [[Staline|Staline]] s’installe au poste stratégique de secrétaire général du comité central, qui lui permet de contrôler les effectifs du parti, et qui lui permettra d'accéder plus facilement aux rênes du pouvoir par la suite..
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Le parti bolchévik devenu stalinien purgera les bolchéviks ayant appartenu aux diverses oppositions, et ceux suspectés d’y avoir appartenu. [[Procès_de_Moscou|En 1937, les épurateurs sont épurés à leur tour.]] Les dirigeants bolchéviks ont compris trop tard le problème, Lénine le premier, mais alors qu’il agonise. Trotsky ne suit pas ses conseils et renonce à lutter contre Staline, en 1923, lors du XII<sup>ème</sup> Congrès.
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Le parti bolchévik devenu stalinien purgera les bolchéviks ayant appartenu aux diverses oppositions, et ceux suspectés d’y avoir appartenu. [[Procès_de_Moscou|En 1937, les épurateurs sont épurés à leur tour.]] Les dirigeants bolchéviks ont compris trop tard le problème, Lénine le premier, mais alors qu’il agonise. Trotski ne suit pas ses conseils et renonce à lutter contre Staline, en 1923, lors du XII<sup>ème</sup> Congrès.
    
===Le légitimisme des ''«&nbsp;vieux bolchéviks&nbsp;»''===
 
===Le légitimisme des ''«&nbsp;vieux bolchéviks&nbsp;»''===
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Avec l'aura dont bénéficie le parti bolchévik victorieux en 1917, la légitimité d'un militant paraît souvent d'autant plus grande qu'il a été depuis longtemps un bolchévik, et encore plus s'il a toujours été d'accord avec [[Lénine|Lénine]]. On appelle ''«&nbsp;[[Vieux_bolchéviks|vieux bolchéviks]]&nbsp;»'' ceux qui avaient rejoint le parti avant [[Octobre_1917|Octobre]]. Alors que [[Trotsky|Trotsky]] a eu un grand rôle en 1917 et était très populaire dans la jeune [[URSS|URSS]], ses adversaires ont abondamment utilisé pour le discréditer le fait qu'il ait été [[Menchévik|menchévik]].
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Avec l'aura dont bénéficie le parti bolchévik victorieux en 1917, la légitimité d'un militant paraît souvent d'autant plus grande qu'il a été depuis longtemps un bolchévik, et encore plus s'il a toujours été d'accord avec [[Lénine|Lénine]]. On appelle ''«&nbsp;[[Vieux_bolchéviks|vieux bolchéviks]]&nbsp;»'' ceux qui avaient rejoint le parti avant [[Octobre_1917|Octobre]]. Alors que [[Trotski|Trotski]] a eu un grand rôle en 1917 et était très populaire dans la jeune [[URSS|URSS]], ses adversaires ont abondamment utilisé pour le discréditer le fait qu'il ait été [[Menchévik|menchévik]].
    
==Bibliographie==
 
==Bibliographie==

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