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En revanche, l'adjectif "soviétique" est aussi resté synonyme du régime de l'[[URSS|URSS]] après sa [[Stalinisation|stalinisation]], alors même qu'il n'y avait plus aucun soviet réel...
 
En revanche, l'adjectif "soviétique" est aussi resté synonyme du régime de l'[[URSS|URSS]] après sa [[Stalinisation|stalinisation]], alors même qu'il n'y avait plus aucun soviet réel...
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==Historique==
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==Premiers soviets (1905)==
    
===Origines===
 
===Origines===
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Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le «&nbsp;Manchester russe&nbsp;»&nbsp;&nbsp;: il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit. Après une manifestation imposante le 15 mai, le gouverneur de la ville demanda aux ouvriers de désigner des délégués afin d’ouvrir des négociations. Dans les jours qui suivirent, les usines d’Ivanovo élurent 110 délégués qui constituèrent un soviet dont le bureau élabora une plate-forme de revendications sociales et politiques. Pendant six semaines, le bureau du soviet d’Ivanovo mena des discussions avec le gouverneur, avant de se résoudre à reprendre le travail et de voter sa dissolution. Malgré ses évidentes limites, l’expérience d’Ivanovo connut un grand retentissement et se diffusa dans la petite cinquantaine de villes industrielles russes qui, durant l’été et surtout l’automne 1905, se dotèrent elles aussi de soviets ouvriers, afin d’élaborer leurs revendications et les discuter avec le patronat et les autorités.<ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 2017</ref> Ils se sont souvent développés à partir de comités de grève créés par les cheminots mais aussi des [[Comités_d'usine|comités d'usine]] comme à Kiev ou à Reval (actuelle Talinn). Ces comités, qui n’avaient au début d’autres fonctions que de diriger les mouvements de grèves, se transformait peu à peu en organes représentatifs du prolétariat, qui se mettaient d’accord avec les représentants des différents partis ouvriers.
 
Le premier soviet est apparu à Ivanovo-Voznessensk, le «&nbsp;Manchester russe&nbsp;»&nbsp;&nbsp;: il est né d'un [[Comité_de_grève|comité de grève]] et d'assemblées quotidiennes de grévistes pendant les 72 jours du conflit. Après une manifestation imposante le 15 mai, le gouverneur de la ville demanda aux ouvriers de désigner des délégués afin d’ouvrir des négociations. Dans les jours qui suivirent, les usines d’Ivanovo élurent 110 délégués qui constituèrent un soviet dont le bureau élabora une plate-forme de revendications sociales et politiques. Pendant six semaines, le bureau du soviet d’Ivanovo mena des discussions avec le gouverneur, avant de se résoudre à reprendre le travail et de voter sa dissolution. Malgré ses évidentes limites, l’expérience d’Ivanovo connut un grand retentissement et se diffusa dans la petite cinquantaine de villes industrielles russes qui, durant l’été et surtout l’automne 1905, se dotèrent elles aussi de soviets ouvriers, afin d’élaborer leurs revendications et les discuter avec le patronat et les autorités.<ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 2017</ref> Ils se sont souvent développés à partir de comités de grève créés par les cheminots mais aussi des [[Comités_d'usine|comités d'usine]] comme à Kiev ou à Reval (actuelle Talinn). Ces comités, qui n’avaient au début d’autres fonctions que de diriger les mouvements de grèves, se transformait peu à peu en organes représentatifs du prolétariat, qui se mettaient d’accord avec les représentants des différents partis ouvriers.
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En Russie, la répression avait empêché la constitution de syndicats, ce qui a sans doute joué un grand rôle dans la création d'organes comme les soviets, nécessaires pour diriger les luttes.
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Le [[Soviet de Moscou]] est créé par une petite grève de typographes, qui demandaient quelques kopecks de plus par millier de lettres et à être payés pour les signes de ponctuation.
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En Russie, la répression avait empêché la constitution de [[Syndicats en Russie|syndicats]], ce qui a sans doute joué un grand rôle dans la création d'organes comme les soviets, nécessaires pour diriger les luttes.
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=== Le Soviet de Saint-Pétersbourg ===
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{{See also|Soviet de Saint-Pétersbourg}}
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L'idée d'un conseil pour coordonner les [[Grève|grèves]] et activités des travailleurs serait née lors de réunions en janvier-février dans l'appartement de [[Voline]].<ref>Voline, ''Unknown Revolution'', [http://www.ditext.com/voline/89.html Chapter 2: The Birth of the "Soviets"]</ref> En revanche, selon [[Léon Trotsky|Trotski]] , il a été créé le 10 octobre dans le feu de la grève générale.<ref name=":0">Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905_8.htm 1905]'', Ecrit en 1905-1909</ref>
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Le premier président du soviet fut le jeune avocat [[Gueorgui Khroustalev-Nossar|Khroustalev-Nossar]], qui avait  gagné la confiance des travailleurs après s'être personnellement occupé de leurs besoins vitaux juste après le [[Dimanche sanglant]]. Quand Nossar est arrêté (26 novembre), un nouveau bureau fut élu, avec Trotsky à sa tête.''<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv16.htm Ma vie, 1905]'', 1930</ref>''
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[[Lounatcharsky|Lounatcharsky]], dans un livre intitulé ''Silhouettes'' (1923), et qui fut ensuite interdit par les [[Stalinisme|staliniens]], revenait ainsi sur 1905 :
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''«&nbsp;Sa popularité [Trotsky] dans le prolétariat de Pétersbourg était très grande à l'époque de son arrestation et s'accrut en résultat de sa conduite exceptionnellement brillante et héroïque devant le tribunal. (...) Et il sortit de la révolution avec le plus fort acquis de popularité : en somme, ni Lénine ni Martov n'avaient rien gagné en ce sens. Plékhanov avait beaucoup perdu, par suite des tendances à demi cadettes qu'il avait manifestées. Trotsky fut, dès lors, au premier rang.&nbsp;»''
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===Les socialistes et les soviets===
 
===Les socialistes et les soviets===
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En pleine crise révolutionnaire, les autorités avaient besoin de pouvoir négocier avec des délégués représentant les ouvriers grévistes, et tentaient donc de s'appuyer sur les soviets. Cela explique que les socialistes les plus radicaux se méfiaient de ces organes.
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En pleine crise révolutionnaire, les autorités avaient besoin de pouvoir négocier avec des délégués représentant les ouvriers grévistes, et tentaient donc de s'appuyer sur les soviets. Cela explique en partie que les socialistes les plus radicaux se méfiaient de ces organes. Les [[Parti ouvrier social-démocrate de Russie|S-D]] s'en méfiaient plus que les [[Socialistes-Révolutionnaires|S-R]], et les [[Parti bolchévik|bolchéviks]] plus que les [[Mencheviks|menchéviks]].
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Certains supposent<ref>Oskar Anweiler, ''Les Soviets en Russie – 1905-1921'', nrf-Gallimard, 1972</ref> que les soldats (paysans [[Conscription|conscrits]]) et les ouvriers ([[Prolétarisation_de_la_paysannerie|paysans prolétarisés]] depuis peu de temps) avaient une tradition démocratique héritée de la [[Mir_(communauté)|commune paysanne (mir)]]. C'est notamment ce que mettaient en avant les [[Parti_SR|SR]].
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Certains supposent<ref>Oskar Anweiler, ''Les Soviets en Russie – 1905-1921'', nrf-Gallimard, 1972</ref> que les soldats (paysans [[Conscription|conscrits]]) et les ouvriers ([[Prolétarisation_de_la_paysannerie|paysans prolétarisés]] depuis peu de temps) avaient une tradition démocratique héritée de la [[Mir_(communauté)|commune paysanne (mir)]]. C'est notamment ce que mettaient en avant les [[Parti_SR|S-R]].
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Ce sont les [[Menchéviks|menchéviks]] qui ont le plus soutenu la création des soviets à l'origine. Mais la plupart y voyaient seulement un moyen de créer un parti de masse ou des syndicats à l'allemande, et en aucun cas des organes de pouvoir durables. Les mencheviks de Saint-Pétersbourg sous l'influence de [[Trotsky|Trotsky]], agissent en contradiction avec la ligne des dirigeants de l'émigration.
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Les [[Menchéviks|menchéviks]] ont le soutenu la création des soviets. Mais la plupart y voyaient seulement un moyen de créer un parti de masse ou des syndicats à l'allemande, et en aucun cas des organes de pouvoir durables. Les mencheviks de Saint-Pétersbourg, qui sous l'influence de [[Trotsky|Trotsky]] assurent un rôle dirigeant dans le [[Soviet de Pétersbourg|Soviet]], agissent en contradiction avec la ligne des dirigeants de l'émigration.
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Les bolcheviks ont été beaucoup plus réticents à l'égard des soviets&nbsp;&nbsp;: certains y voient une tentative de dresser un organisme informe et irresponsable en rival de l'autorité du parti. En témoigne un article paru le 7&nbsp;novembre 1905 dans la ''Novaïa Jizn'', le quotidien officiel du parti, qui expliquait leur défiance envers les soviets en arguant que ''«&nbsp; seul un parti rigoureusement de classe est à même de diriger le mouvement politique du prolétariat et de veiller à la pureté de ses mots d’ordre et non ce fatras politique, cette organisation politique confuse et hésitante. »''
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=== L'attitude initiale des bolchéviks ===
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Les bolcheviks ont été beaucoup plus réticents à l'égard des soviets. A Saint-Pétersbourg, ils boycottent d'abord le soviet. Certains membres voulaient y rentrer en grand nombre... pour  « faire exploser le soviet de l’intérieur ».
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Les bolcheviks de Saint-Pétersbourg commencent par refuser de participer en tant que tels au soviet des délégués ouvriers et il faudra, pour les y décider, tout le prestige et l'insistance de [[Trotsky|Trotsky]] auprès de [[Krassine|Krassine]], représentant du comité central. De manière générale, ceux qui sont les plus favorables aux soviets ne consentent à y voir, dans le meilleur des cas, que des auxiliaires du parti.
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Un article paru le 7&nbsp;novembre 1905 dans la ''[[Novaïa Jizn]]'', le quotidien officiel du parti, expliquait leur défiance envers les soviets en arguant que ''«&nbsp; seul un parti rigoureusement de classe est à même de diriger le mouvement politique du prolétariat et de veiller à la pureté de ses mots d’ordre et non ce fatras politique, cette organisation politique confuse et hésitante. »''
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C'est ainsi qu'après la dissolution du soviet de Pétersbourg, Lénine approuve les [[Bolcheviks|bolcheviks]] qui s'y sont opposés à l'admission des [[Anarchistes_russes|anarchistes]]&nbsp;&nbsp;: à ses yeux, le soviet n'est «&nbsp;ni un parlement ouvrier, ni un organe d'auto gouvernement prolétarien&nbsp;», mais seulement une «&nbsp;organisation de combat pour atteindre des buts définis&nbsp;». En 1907, il admet qu'il faudrait étudier scientifiquement la question de savoir si les soviets constituent vraiment «&nbsp;un pouvoir révolutionnaire&nbsp;». En janvier 1917, dans une conférence sur la révolution de 1905, il ne mentionne les soviets qu'en passant, les définissant comme des «&nbsp;organes de lutte&nbsp;». C'est seulement au cours des semaines suivantes qu'il modifiera son analyse, sous l'influence de [[Boukharine|Boukharine]], de [[Pannekoek|Pannekoek]], et surtout du rôle joué par les nouveaux [[Soviets|soviets]] russes.
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[[Alexandre Bogdanov|Bogdanov]], s’exprimant en tant que chef du Bureau russe, le plus important dirigeant bolchevik en Russie, proclamait que le soviet, qui comportait des hommes de diverses opinions politiques, pouvait facilement devenir le noyau d’une parti ouvrier indépendant antisocialiste. Une raison de l’attitude négative des bolcheviks de Saint-Pétersbourg envers le soviet en octobre 1905 était le fait que les mencheviks y étaient favorables. [[Piotr Krassikov|Krassikov]] mettait en garde les agitateurs bolcheviks contre « cette nouvelle intrigue des mencheviks… un comité [[zoubatoviste]] indépendant des partis. »<ref>V.S. Voitinsky, ''Годы побед и поражений'', Moscou 1923, cité in J.L.H. Keep, ''The Rise of Social Democracy in Russia'', London 1964, p. 230.</ref>.
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Sur cette question aussi, [[Trotsky|Trotsky]] fait figure d'isolé et de précurseur. Placé au cœur de l'expérience du [[Soviet_de_Pétersbourg|soviet de Pétersbourg]], il en dégage les leçons et conclut&nbsp;&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'y a aucun doute qu'à la prochaine explosion révolutionnaire, de tels conseils ouvriers se formeront dans tout le pays. Un soviet pan-russe des ouvriers, organisé par un congrès national, [...] assurera la direction.&nbsp;»'' Trotsky dit haut et fort, même devant ses juges, que le soviet, ''«&nbsp;organisation-type de la révolution&nbsp;»'', parce qu' ''«&nbsp;organisation même du prolétariat&nbsp;»'' serait l'''«&nbsp;organe du pouvoir du prolétariat&nbsp;»''<ref>Trotsky, ''Discours devant le tribunal'', 19 sept. 1906 », cité par Fourth International, mars 1942, p. 85.</ref>.
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Lors d’une réunion du comité exécutif bolchevik le 29 octobre, l’un des 15 membres refusa d’y participer parce que « le principe électif ne pouvait garantir sa conscience de classe et son caractère social-démocrate. » Quatre votèrent contre la participation au soviet s’il n’acceptait pas le programme social-démocrate. Neuf votèrent pour la participation et deux s’abstinrent.<ref>''Новая Жизнь'', .5, novembre 1905</ref>
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Selon [[Gramsci|<span class="new">Gramsci</span>]] également, pour des raisons liées à sa nature sociale, la classe ouvrière ne peut pas gouverner autrement que sous la forme de conseils ouvriers, de conseils des travailleurs, de même que le parlement est une forme de gouvernement liée sociologiquement à la nature de la bourgeoisie. [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], et dans une moindre mesure [[Karl_Korsch|<span class="new">Karl Korsch</span>]], furent aussi des théoriciens de l'auto-organisation de la classe ouvrière.
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Le comité central bolchevik, alors à Saint-Pétersbourg, envoya le 27 octobre une « Lettre à toutes les organisations du parti » dans laquelle il avertissait du danger représenté par
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des organisations ouvrières politiquement amorphes et socialistiquement immatures créées par le mouvement révolutionnaire spontané du prolétariat… Chacune de ces organisations représente un certain stade dans le développement politique du prolétariat, mais si elle reste en dehors de la social-démocratie, elle présente, objectivement, le danger de maintenir le prolétariat à un niveau politique primitif, le mettant ainsi sous la dépendance des partis bourgeois.<ref>V.I. Nevsky, ''Советы и вооруженное восстание в 1905 году'', pp. 39–40, 70</ref>
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L’une de ces organisations était le Soviet des députés ouvriers de Saint-Pétersbourg. Le comité central demanda aux membres social-démocrates du soviet : (1) d’inviter le soviet à accepter le programme du POSDR et, ceci accompli, de reconnaître l’autorité du parti et « de se dissoudre finalement en lui » ; (2) si le soviet refusait d’accepter le programme, le quitter et dénoncer la nature anti-prolétarienne de ces organisations ; (3) si le soviet, tout en refusant d’accepter le programme, se réservait le droit de décider de ses prises de position politiques au cas par cas, rester dans le soviet mais se réserver le droit de s’exprimer sur « l’absurdité d’une telle direction politique. »
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===Les soviets en 1917===
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Quelques jours plus tard, Krassikov fit effectivement au soviet la proposition au nom des bolcheviks d’accepter le programme du parti et de reconnaître son autorité. Il reçut très peu de soutien. Mais, contrairement au plan de Bogdanov, les bolcheviks ne quittèrent pas le soviet.<ref>In Sverchkov, ''На заре революции'', Moscou 1921, pp. 6-7 (édition de 1925, p. 13)</ref>  [[Trotsky|Trotsky]] dut insister auprès de [[Krassine|Krassine]], représentant du comité central, pour que les bolchéviks s'investissent dans le soviet.
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{{Article détaillé|Élections pendant la révolution russe}}
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=== La position de Lénine ===
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Lénine dut batailler pour changer la ligne [[sectaire]] des bolchéviks.
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Suite à la [[Révolution_de_février_1917|révolution de février 1917]], des soviets sont aussitôt formés. Ils sont créés avec facilité grâce au souvenir de 1905, mais cette fois beaucoup plus à l'initiative des dirigeants socialistes. Le soviet de Petrograd fut constitué par un appel des socialistes à ce que les masses élisent leurs délégués. Son comité exécutif fut composé de 15 intellectuels et dirigeants socialistes reconnus, parmi lesquels ne se trouvait aucun ouvrier. Cet aspect et le fait que les dirigeants socialistes collaboraient avec le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] favorisa une relative [[Bureaucratisation|bureaucratisation]] du fonctionnement des soviets. Les comités exécutifs avaient beaucoup de poids, d'autant plus que les séances plénières étaient bondées et confuses. Ils disposaient d’un petit appareil de secrétaires, et exerçaient souvent des fonctions de gestion (ravitaillement, permissions des soldats, voire des tribunaux dans certaines régions éloignées).<ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 1917</ref>
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Dès le début 1905 il avait  mis en avant le besoin de comités populaires démocratiques ([[formule algébrique]] qu'ont concrétisée les soviets) pour mener la lutte :
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« Des comités révolutionnaires se formeront dans chaque fabrique, dans chaque quartier, dans chaque bourgade importante. Le peuple insurgé renversera les institutions gouvernementales, quelles qu’elles soient, de l’autocratie tsariste, et annoncera la convocation immédiate de l’Assemblée constituante. »<ref>Lenin, [[:en:The Beginning of the Revolution in Russia|The Beginning of the Revolution in Russia]], 18 January ([[n.s]]) 1905</ref>
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Sur son chemin vers Saint-Pétersbourg, où il arriva le 8 novembre, il passa près d’une semaine à Stockholm, où il écrivit un article, ''Nos tâches et le Soviet des députés ouvriers'', destiné au ''[[Novaïa Jizn]]''. Dans cet article, il disait :
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… le Soviet des députés ouvriers ou le Parti ? Je pense qu’on ne saurait poser ainsi la question ; qu’il faut aboutir absolument à cette solution : et le Soviet des députés ouvriers et le Parti. La question — très importante — est seulement de savoir comment partager et comment coordonner les tâches du Soviet et celles du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Il me semble que le Soviet aurait tort de se joindre sans réserve à un parti quelconque.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1905/11/vil19051117.htm Nos tâches et le soviet des députés ouvriers]'', 15 au 17 ([[Nouveau style|n.s]]) novembre 1905.</ref>
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Lénine proclame, de manière prémonitoire, que le soviet est non seulement une nouvelle forme d’organisation du prolétariat en lutte, mais aussi la forme du futur pouvoir révolutionnaire des ouvriers et des paysans.
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« Il me semble que sous le rapport politique le Soviet des députés ouvriers doit être envisagé comme un embryon du ''gouvernement révolutionnaire provisoire''. Je pense que le Soviet doit se proclamer au plus tôt gouvernement révolutionnaire provisoire de l’ensemble de la Russie »
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Mais pour cela il faudrait d'abord élargir sa base, aux paysans, aux soldats, et aux [[intellectuels]] bourgeois révolutionnaires, ''« car sans alliance du prolétariat et de la paysannerie, sans un rapprochement combatif des social-démocrates et des démocrates révolutionnaires, le plein succès de la grande révolution russe serait impossible. »'' Cette importante lettre fut rejetée par le rédacteur en chef de la ''Novaïa Jizn'' (elle ne parut que 34 ans plus tard).
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Au cours du mois de mars l'exemple de Petrograd est reproduit dans les grandes villes dès que parvient la nouvelle de l'insurrection. Des soviets sont formés dans les campagnes à partir d'avril-mai, mais avec moins de succès (les comités agraires étaient privilégiés par les [[Mouvement_paysan_en_1917|paysans]] jusqu'à l'automne).
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Un an plus tard, Lénine développa sur la relation entre soviets, partis et gouvernement révolutionnaire, dans des formules qui semblent décrire en avance l'année 1917.<ref>Lenin, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1906/dissolut/index.htm The Dissolution of the Duma and the Tasks of the Proletariat]'', mid-July 1906</ref>
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La [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]] entre soviets et gouvernement était partielle (la politique des [[Conciliateurs|conciliateurs]] tendaient à les réduire à ''«&nbsp;l'aile gauche de l'ordre bourgeois&nbsp;»'', selon Trotsky), et fluctuante en fonction des poussées révolutionnaires des masses. Tantôt leur aspect institutionnel était mis en avant pour atténuer l'[[Auto-organisation|auto-organisation]] populaire, tantôt le gouvernement insistait sur leur caractère ''«&nbsp;d'organisation privée&nbsp;»'', non soutenue par l’État. Cette institutionnalisation partielle leur donnait plus d'autorité morale que toute autre organe populaire, mais impliquait aussi que les formes les plus énergiques et créative de radicalité s'exprimaient plutôt dans les [[Comités_d’usines|comités d’usines]], les [[Comités_de_soldats|comités de soldats]] ou les [[Comités_agraires|comités agraires]].
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En 1907, il admet qu'il faudrait étudier scientifiquement la question de savoir si les soviets constituent vraiment «&nbsp;un pouvoir révolutionnaire&nbsp;». En janvier 1917, dans une conférence sur la révolution de 1905, il ne mentionne les soviets qu'en passant, les définissant comme des «&nbsp;organes de lutte&nbsp;». C'est seulement au cours des semaines suivantes qu'il modifiera son analyse, sous l'influence de [[Boukharine|Boukharine]], de [[Pannekoek|Pannekoek]], et surtout du rôle joué par les nouveaux [[Soviets|soviets]] russes.
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Une grande différence avec les soviets de 1905 fut une conséquence de la guerre&nbsp;: les soldats [[Conscription|conscrits]] représentés dans les soviets donnaient une représentation (partielle) de la paysannerie, et donc une assise bien plus large que les soviets de 1905 qui ne représentaient que les 3% d'ouvriers du pays.
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=== La position de Trotski ===
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[[Trotsky|Trotsky]] fut au cœur de l'expérience du [[Soviet_de_Pétersbourg|soviet de Pétersbourg]]. Arrêté en tant que président du Soviet, il clamait : ''«&nbsp;Il n'y a aucun doute qu'à la prochaine explosion révolutionnaire, de tels conseils ouvriers se formeront dans tout le pays. Un soviet pan-russe des ouvriers, organisé par un congrès national, [...] assurera la direction.&nbsp;»'' Trotsky dit haut et fort, même devant ses juges, que le soviet, ''«&nbsp;organisation-type de la révolution&nbsp;»'', parce qu' ''«&nbsp;organisation même du prolétariat&nbsp;»'' serait l'''«&nbsp;organe du pouvoir du prolétariat&nbsp;»''<ref>Trotsky, ''Discours devant le tribunal'', 19 sept. 1906 », cité par Fourth International, mars 1942, p. 85.</ref>.
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[[Lénine|Lénine]] reconnaît alors que les soviets peuvent et doivent être l'instrument central de la révolution. Dans ses [[Thèses_d’avril|''Thèses d’avril'']], il défend le mot d’ordre&nbsp;: ''«&nbsp;[[Tout_le_pouvoir_aux_soviets|Tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!]]&nbsp;»'', qu'il parvient à faire accepter au parti lors de la conférence du 24-29 avril. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|ligne bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''. L'objectif principal est alors de revendiquer que la situation de [[Double_pouvoir|double pouvoir]] bascule du côté des soviets, même si les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] y sont majoritaires.
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En revanche, s'il décrit bien le rôle potentiel qu'a eu le soviet dans son analyse développée sur la révolution de 1905<ref name=":0" />, il ne semble pas encore généraliser le modèle du soviet comme [[stratégie révolutionnaire]]. Ainsi dans son livre ''[[Bilan et perspectives]]'' (1906), il ne mentionnait même pas les soviets.
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En juillet 1917, dans une phase de reflux, il critique néanmoins ceux qui veulent continuer comme si de rien n'était à faire de l'agitation sur le mot d'ordre ''«&nbsp;Tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»'', alors que les réformistes cautionnent le gouvernement bourgeois qui réprime la révolution. Comme les réformistes sont majoritaires dans les soviets, qu'ils contribuent à vider de leurs forces, Lénine soutient que la priorité est de dénoncer l'obstacle qu'ils représentent, et de préparer une insurrection sans les soviets.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/07/vil19170728b.htm A propos des mots d'ordre]'', 1917</ref> Mais finalement, au moment de la [[Putsch_de_Kornilov|débâcle de Kornilov]], les soviets retrouveront tout leur dynamisme révolutionnaire, et en septembre les bolchéviks y obtiennent la majorité. L'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection d'Octobre]] sera réalisée par le [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]], organe du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet de Petrograd]].
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=== La position de Luxemburg ===
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[[Rosa Luxemburg]], qui a participé à la Révolution de 1905, ne mentionne, dans son livre remarquable ''Grève de masse, parti et syndicat'', à aucun moment les soviets.
   −
[[Kautsky|Kautsky]] dénigrait les soviets comme une forme ''«&nbsp;primitive&nbsp;»'', un ''«&nbsp;succédané&nbsp;»'' du parti, car dans sa logique la classe ouvrière progresse linéairement jusqu'à être majoritairement organisée dans le [[Parti_ouvrier|parti ouvrier]].<ref>Karl Kautsky, Terrorismus und Kommunismus - Ein Beitrag zur Naturgeschichte der Revolution, Berlin, 1919</ref> [[Hilferding|Hilferding]] défendait une sorte de combinaison des soviets et des institutions parlementaires (position [[Centriste|centriste]]).
+
=== Les anarchistes et les soviets ===
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Certains [[Anarchisme en Russie|anarchistes russes]] ont demandé à avoir des représentants au [[Soviet de Saint-Pétersbourg|Soviet des députés ouvriers de Saint-Pétersbourg]]. Le 23 novembre, le Comité exécutif du soviet rejète la demand, au motif que :
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Très vite après la prise du pouvoir par les bolchéviks, les soviets connurent un processus de [[Bureaucratisation_soviétique|bureaucratisation]]. Au nom de l’efficacité, le gouvernement prit ainsi l’habitude dès janvier 1918 de publier ses décrets sans les faire discuter par le soviet. Les mesures répressives que prirent les bolchéviks pendant la guerre civile mirent fin au pluripartisme, et très vite les décisions des soviets furent décidées d'avance par le simple fait que les militants bolchéviks y étaient hégémoniques. A la fin de 1919, 1500 des 1800 délégués au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] étaient membres du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|parti&nbsp;communiste]] et appliquaient en conséquence la ligne qu’avait définie leur direction. Une relative démocratie au sein du parti se maintint un certain temps, mais disparaît à son tour ([[Interdiction_des_fractions|interdiction des fractions]] en 1921...).
+
# nulle part dans le monde les congrès et conférences socialistes n'incluent des anarchistes, puisque ceux-ci ne reconnaissent pas la lutte politique comme un de leurs moyens de lutte ;
 +
# seuls les partis ont des représentants, et les anarchistes ne sont pas un parti.
   −
===Le mot d'ordre des communistes===
     −
La [[Révolution_d'Octobre|révolution d'Octobre]] en Russie (1917) a eu un énorme impact sur les travailleurs socialistes radicalisés, pour qui elle est restée longtemps un modèle. Cela explique que certains se soient directement inspirés de cette forme d'organisation et de son nom, comme le Soviet de Limerick, en Irlande en 1919, ou le Soviet de La Argañosa, en 1934 dans les Asturies (au Nord de l'Espagne).
+
Lénine écrit dans un article que cette décision est légitime (bien que le 2<sup>e</sup> argument soit formaliste), que les anarchistes auraient leur place si le soviet était un « parlement ouvrier » ou un « organe d'auto-gouvernement », mais qu'il est actuellement une «&nbsp;organisation de combat pour atteindre des buts définis&nbsp;», et qu'à ce titre les anarchistes ne feraient que mettre des bâtons dans les roues dans cette lutte.<ref>Lenin, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1905/nov/24.htm Socialism and Anarchism]'', November 24 (December 7), 1905</ref>
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L'[[Internationale_communiste|Internationale communiste]] à ses débuts prenait explicitement pour modèle le ''«&nbsp;régime soviétiste&nbsp;»'', en tant que forme nouvelle de gouvernement, à promouvoir dans les [[Révolutions_communistes|révolutions communistes]]. La démocratie par les [[Élections|élections]] des soviets est alors défendue par les communistes comme une forme supérieure à la démocratie par les élections bourgeoises.
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==Les soviets en 1917==
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''«&nbsp;Même pendant la période de développement "pacifique" et stable, le régime parlementaire ne traduisait qu'assez grossièrement l'Etat d'esprit du pays; à l'époque des tempêtes révolutionnaires, il a complètement perdu la faculté de suivre la lutte et l'évolution de la conscience politique. Le régime des Soviets, lui, institue un contact infiniment plus étroit, plus organique, plus honnête avec la majorité des travailleurs. Sa signification la plus importante n'est pas de refléter statiquement la majorité, mais de la former dynamiquement.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c_5.htm Terrorisme et communisme]'', 1920</ref>''
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Les soviets sont alors présentés par les communistes comme l'instrument de la révolution, et les organes du pouvoir après la révolution. Il devrait même y avoir continuité de la forme des soviets à travers l'[[Extinction_de_l'État|extinction de l’État ouvrier]]&nbsp;: ''«&nbsp;Lorsque la révolution sociale aura définitivement triomphé, le système soviétique s'étendra à toute la population, pour perdre du même coup son caractère étatique et se dissoudre en un puissant système coopératif de production et de consommation.&nbsp;»''<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c_9.htm Terrorisme et communisme - 8. La classe ouvrière et sa politique soviétique]'', 1920</ref>
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Néanmoins ''«&nbsp;malgré l'im­mense avantage que présentent les soviets comme organisation de lutte pour le pouvoir, il est parfaitement possible que l'insur­rection se développe sur la base d'autre forme d'organisation ([[Comités_d'usines|comités d'usines]], [[Syndicats|syndicats]]) et que les soviets ne surgissent comme organe du pouvoir qu'au moment de l'insurrection ou même après sa victoire.&nbsp;»<ref name="TK24">Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915h.htm Les leçons d'Octobre]'', 1924</ref>''
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{{Article détaillé|Élections pendant la révolution russe}}
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Dans la [[Révolution_allemande|révolution allemande]] (1918-1923), les organes qui ont été spontanément créés par les ouvriers ont été les [[Comités_d'usine|comités d'usine]]. Il n'y a pas eu de création de soviets, mais les comités d'usine regroupaient de larges masses, et étaient tout à fait capables de déployer une énergie révolutionnaire et une organisation suffisante pour une révolution socialiste. Pourtant certains dirigeants de l'[[Internationale_communiste|Internationale]], par schématisme, voulaient fixer au [[KPD|PC allemand]] la tâche de créer des soviets à partir de rien&nbsp;:
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Suite à la [[Révolution_de_février_1917|révolution de février 1917]], des soviets sont aussitôt formés. Ils sont créés avec facilité grâce au souvenir de 1905, mais cette fois beaucoup plus à l'initiative des dirigeants socialistes. Le soviet de Petrograd fut constitué par un appel des socialistes à ce que les masses élisent leurs délégués. Son comité exécutif fut composé de 15 intellectuels et dirigeants socialistes reconnus, parmi lesquels ne se trouvait aucun ouvrier. Cet aspect et le fait que les dirigeants socialistes collaboraient avec le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] favorisa une relative [[Bureaucratisation|bureaucratisation]] du fonctionnement des soviets. Les comités exécutifs avaient beaucoup de poids, d'autant plus que les séances plénières étaient bondées et confuses. Ils disposaient d’un petit appareil de secrétaires, et exerçaient souvent des fonctions de gestion (ravitaillement, permissions des soldats, voire des tribunaux dans certaines régions éloignées).<ref>NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/tout-le-pouvoir-aux-soviets ''Tout le pouvoir aux soviets ?''], septembre 1917</ref>
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''«&nbsp;En août et en septembre [1923], quelques camarades proposèrent de procéder immédiatement en Allemagne à la création de soviets. Après de longs et ardents débats leur proposition fut repoussée, et avec raison. Comme les comités d'usines étaient déjà devenus effectivement les points de concentration des masses révolutionnaires, les soviets auraient, dans la période préparatoire, joué un rôle parallèle à ces comités d'usines et n'auraient été qu'une forme sans contenu.&nbsp;»<ref name="TK24" />''
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===La question des pays sous-développés===
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Étant donné que l'élan révolutionnaire qui parcourt le monde est particulièrement fort dans les [[Pays_dominés|pays dominés]] et peu développés d'Asie, se pose la question de savoir si les soviets sont un modèle adapté à tous les pays. Globalement les bolchéviks ont tenté de soutenir à la fois les avancées démocratiques-bourgeoises dans ces pays, et à la fois les soviets.
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Au cours du mois de mars l'exemple de Petrograd est reproduit dans les grandes villes dès que parvient la nouvelle de l'insurrection. Des soviets sont formés dans les campagnes à partir d'avril-mai, mais avec moins de succès (les comités agraires étaient privilégiés par les [[Mouvement_paysan_en_1917|paysans]] jusqu'à l'automne).
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En 1919, face à certains cadres bolchéviks qui veulent appliquer mécaniquement la même politique de [[collectivisation]] qu'en Russie au Turkestan, Lénine précise&nbsp;: ''«&nbsp;L’objectif général doit être le renversement du féodalisme, mais non le communisme&nbsp;»''<ref>Lénine, « Projet de décision du Bureau politique du C.C. du P.C.(b)R. Sur les tâches du P.C.(b).R. au Turkestan » [1919], in Oeuvres, tome 42, p. 196-197</ref>. Toutefois ce n'était pour lui qu'une question de point de départ, le développement général en lien avec la fédération soviétique devant tracer un chemin vers le communisme.
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La [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]] entre soviets et gouvernement était partielle (la politique des [[Conciliateurs|conciliateurs]] tendaient à les réduire à '&nbsp;l'aile gauche de l'ordre bourgeois&nbsp;»'', selon Trotsky), et fluctuante en fonction des poussées révolutionnaires des masses. Tantôt leur aspect institutionnel était mis en avant pour atténuer l'[[Auto-organisation|auto-organisation]] populaire, tantôt le gouvernement insistait sur leur caractère ''«&nbsp;d'organisation privée&nbsp;»'', non soutenue par l’État. Cette institutionnalisation partielle leur donnait plus d'autorité morale que toute autre organe populaire, mais impliquait aussi que les formes les plus énergiques et créative de radicalité s'exprimaient plutôt dans les [[Comités_d’usines|comités d’usines]], les [[Comités_de_soldats|comités de soldats]] ou les [[Comités_agraires|comités agraires]].
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Si le terme n'est pas employé, le concept de [[Révolution_permanente|révolution permanente]] est présent en filigrane, par exemple lors de la [[Conférence_de_Bakou|Conférence de Bakou]] (1920) où le rapporteur [[Mikhail_Pavlovitch|Pavlovitch]] dit&nbsp;:
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Une grande différence avec les soviets de 1905 fut une conséquence de la guerre&nbsp;: les soldats [[Conscription|conscrits]] représentés dans les soviets donnaient une représentation (partielle) de la paysannerie, et donc une assise bien plus large que les soviets de 1905 qui ne représentaient que les 3% d'ouvriers du pays.
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«&nbsp;Beaucoup de gens affirment que les peuples de l'Orient doivent nécessairement passer par le capitalisme avant d'arriver au communisme. Au cours des débats qui ont eu lieu au IIe congrès de la IIIe internationale, nous sommes arrivés à la conclusion qu'avec l'aide des pays à prolétariat avancé, les peuples arriérés de l'Orient peuvent accéder au régime soviétiste et de là, par degré intermédiaire, arriver au communisme sans passer le stade du capitalisme.&nbsp;»
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Le bolchévik [[Georgi Safarov|Safarov]] a également beaucoup défendu cette position. Après avoir énuméré les problèmes de la domination impérialiste qui maintient les pays dominés dans le sous-développement semi-féodal, il écrit : <blockquote>
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« le seul remède, ce sont les soviets de travailleurs, qui en groupant les exploités doivent mettre fin à l'inégalité des classes, rendre le sol aux pauvres, débarrasser l'artisan des intermédiaires usuriers, affranchir les travailleurs des corvées et des impôts, entreprendre l'instruction des masses et l'amélioration radicale de leur situation d'existence, tout cela aux frais de l'Etat. Tout ce programme ne porte aucun caractère communiste. C'est seulement après sa réalisation que pourra commencer la préparation communiste parmi les peuples arriérés. Ici comme partout il nous faut terminer ce que n'a pas terminé, et ce qu'était incapable de terminer le capitalisme. La révolution communiste au cours de toute son histoire doit lutter contre les exploiteurs de toutes les périodes historiques et de toutes les catégories et les soviets sont pour elle l'arme principale, la forme universelle de cette lutte. »<ref>G.I. Safarov, ''[https://www.marxists.org/francais/safarov/works/1921/01/question.htm L'évolution de la question nationale]'', janvier 1921</ref>
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</blockquote>Le [[Menchévik|menchévik]] [[Martov|Martov]] dénonçait ''«&nbsp;la mystique du régime soviétique&nbsp;»'', affirmant que les pays féodaux devaient d'abord passer par la [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]] et ses formes parlementaires, avant de connaître un développement capitaliste qui rende la classe ouvrière dominante.<ref>Julius Martov, ''[https://www.marxists.org/francais/martov/works/1923/00/martov_19230000b.htm La mystique du régime soviétique]'', 1923</ref>
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===Autres termes, contenu similaire===
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[[Lénine|Lénine]] reconnaît alors que les soviets peuvent et doivent être l'instrument central de la révolution. Dans ses [[Thèses_d’avril|''Thèses d’avril'']], il défend le mot d’ordre&nbsp;: ''«&nbsp;[[Tout_le_pouvoir_aux_soviets|Tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!]]&nbsp;»'', qu'il parvient à faire accepter au parti lors de la conférence du 24-29 avril. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|ligne bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''. L'objectif principal est alors de revendiquer que la situation de [[Double_pouvoir|double pouvoir]] bascule du côté des soviets, même si les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] y sont majoritaires.
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Mais le terme de soviet est rapidement devenu très connoté, à la fois sous l'effet de la propagande bourgeoise (y compris de certains réformistes) qui tentait de les présenter comme des particularités russes, et sous l'effet de la [[Stalinisation|stalinisation]]. Dans le langage dominant, il est devenu synonyme du régime bureaucratique d'URSS.
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En juillet 1917, dans une phase de reflux, il critique néanmoins ceux qui veulent continuer comme si de rien n'était à faire de l'agitation sur le mot d'ordre ''«&nbsp;Tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»'', alors que les réformistes cautionnent le gouvernement bourgeois qui réprime la révolution. Comme les réformistes sont majoritaires dans les soviets, qu'ils contribuent à vider de leurs forces, Lénine soutient que la priorité est de dénoncer l'obstacle qu'ils représentent, et de préparer une insurrection sans les soviets.<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/07/vil19170728b.htm A propos des mots d'ordre]'', 1917</ref> Mais finalement, au moment de la [[Putsch_de_Kornilov|débâcle de Kornilov]], les soviets retrouveront tout leur dynamisme révolutionnaire, et en septembre les bolchéviks y obtiennent la majorité. L'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection d'Octobre]] sera réalisée par le [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]], organe du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet de Petrograd]].
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Pour cette raison, et aussi parce que dans chaque pays, la classe laborieuse se saisit de la culture nationale, d'autres termes ont été employés même si le contenu était analogue.
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[[Kautsky|Kautsky]] dénigrait les soviets comme une forme ''«&nbsp;primitive&nbsp;»'', un ''«&nbsp;succédané&nbsp;»'' du parti, car dans sa logique la classe ouvrière progresse linéairement jusqu'à être majoritairement organisée dans le [[Parti_ouvrier|parti ouvrier]].<ref>Karl Kautsky, Terrorismus und Kommunismus - Ein Beitrag zur Naturgeschichte der Revolution, Berlin, 1919</ref> [[Hilferding|Hilferding]] défendait une sorte de combinaison des soviets et des institutions parlementaires (position [[Centriste|centriste]]).
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*la [[Révolution_allemande_(1918-1923)|révolution allemande]] (1918-1923) et ses Arbeiter und Soldatenrat (conseils d'ouvriers et de soldats)
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Très vite après la prise du pouvoir par les bolchéviks, les soviets connurent un processus de [[Bureaucratisation_soviétique|bureaucratisation]]. Au nom de l’efficacité, le gouvernement prit ainsi l’habitude dès janvier 1918 de publier ses décrets sans les faire discuter par le soviet. Les mesures répressives que prirent les bolchéviks pendant la guerre civile mirent fin au pluripartisme, et très vite les décisions des soviets furent décidées d'avance par le simple fait que les militants bolchéviks y étaient hégémoniques. A la fin de 1919, 1500 des 1800 délégués au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] étaient membres du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|parti&nbsp;communiste]] et appliquaient en conséquence la ligne qu’avait définie leur direction. Une relative démocratie au sein du parti se maintint un certain temps, mais disparaît à son tour ([[Interdiction_des_fractions|interdiction des fractions]] en 1921...).
*la [[Révolution_espagnole|révolution espagnole]] (1936) a vu la naissance des ''juntas''
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*au [[Coup_d'État_de_1973_au_Chili|Chili]] (1973) les travailleurs se regroupaient en ''cordones industriales''
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*même en [[Révolution_kirghize_(2010)|2010 au Kirghizistan]], des embryons de soviets nommés ''kurultai ''ont vu le jour
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==Les soviets en Russie==
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==Fonctionnement des soviets en Russie==
    
Les normes d’élection variaient beaucoup selon les villes, mais partout, absolument tous les ouvriers qui travaillaient dans l'usine ou l'atelier, sans aucune restriction, participaient à l’élection du député. A Petersbourg et Moscou, on élisait un député pour 500 ouvriers&nbsp;; à Odessa, 1 pour 100&nbsp;; à Kostroma, 1 pour 25&nbsp;; ailleurs il n’avait aucune norme définie. En tout cas, les soviets représentaient partout la majorité écrasante de la classe ouvrière et à Petersbourg, Moscou et Ekaterinbourg, la quasi-totalité. Leur prestige était si grand que dans certaines localités, même les petits commerçants élirent des soviets.
 
Les normes d’élection variaient beaucoup selon les villes, mais partout, absolument tous les ouvriers qui travaillaient dans l'usine ou l'atelier, sans aucune restriction, participaient à l’élection du député. A Petersbourg et Moscou, on élisait un député pour 500 ouvriers&nbsp;; à Odessa, 1 pour 100&nbsp;; à Kostroma, 1 pour 25&nbsp;; ailleurs il n’avait aucune norme définie. En tout cas, les soviets représentaient partout la majorité écrasante de la classe ouvrière et à Petersbourg, Moscou et Ekaterinbourg, la quasi-totalité. Leur prestige était si grand que dans certaines localités, même les petits commerçants élirent des soviets.
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''«&nbsp;Dans les millions d'hommes sur lesquels le parti comptait s'appuyer fort justement, il est nécessaire de distinguer trois couches&nbsp;: une qui marchait déjà avec les bolcheviks dans toutes les conditions; une autre, la plus nombreuse, qui soutenait les bolcheviks là où ceux-ci agissaient par les soviets; la troisième qui suivait les soviets, bien que, dans ceux-ci, les bolcheviks fussent en majorité.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr47.htm Histoire de la révolution russe - 47. L'insurrection d'octobre]'', 1930</ref>''
 
''«&nbsp;Dans les millions d'hommes sur lesquels le parti comptait s'appuyer fort justement, il est nécessaire de distinguer trois couches&nbsp;: une qui marchait déjà avec les bolcheviks dans toutes les conditions; une autre, la plus nombreuse, qui soutenait les bolcheviks là où ceux-ci agissaient par les soviets; la troisième qui suivait les soviets, bien que, dans ceux-ci, les bolcheviks fussent en majorité.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr47.htm Histoire de la révolution russe - 47. L'insurrection d'octobre]'', 1930</ref>''
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Les plus convaincus étaient les ouvriers de Petrograd. Les moins convaincus ou plus récemment entrés dans l'orbite des bolchéviks étaient des paysans, des [[Cosaques|cosaques]]...
 
Les plus convaincus étaient les ouvriers de Petrograd. Les moins convaincus ou plus récemment entrés dans l'orbite des bolchéviks étaient des paysans, des [[Cosaques|cosaques]]...
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''«&nbsp;Le parti mettait en mouvement le Soviet. Le Soviet mettait en mouvement les ouvriers; les soldats, partiellement, les paysans. Ce que l'on gagnait dans la masse, on le perdait pour la vitesse. Si l'on se représente cet appareil de transmission comme un système de roues dentées (...) l'on peut dire qu'une tentative impatiente pour ajuster la roue du parti directement à la roue géante des masses, comportait le danger de briser les dents de la roue du parti et pourtant de ne pas mettre en mouvement des masses suffisantes. &nbsp;»''
 
''«&nbsp;Le parti mettait en mouvement le Soviet. Le Soviet mettait en mouvement les ouvriers; les soldats, partiellement, les paysans. Ce que l'on gagnait dans la masse, on le perdait pour la vitesse. Si l'on se représente cet appareil de transmission comme un système de roues dentées (...) l'on peut dire qu'une tentative impatiente pour ajuster la roue du parti directement à la roue géante des masses, comportait le danger de briser les dents de la roue du parti et pourtant de ne pas mettre en mouvement des masses suffisantes. &nbsp;»''
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===Sections ouvrière, paysanne, de soldats===
 
===Sections ouvrière, paysanne, de soldats===
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2. En tant qu’organes de pouvoir, les Soviets mettent en pratique toutes les décisions du pouvoir central et prennent des mesures pour informer le plus largement possible de ces décisions toute la population ; ils édictent des décrets d’application.
 
2. En tant qu’organes de pouvoir, les Soviets mettent en pratique toutes les décisions du pouvoir central et prennent des mesures pour informer le plus largement possible de ces décisions toute la population ; ils édictent des décrets d’application.
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== Équivalents dans d'autres pays ==
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La [[Révolution_d'Octobre|révolution d'Octobre]] en Russie (1917) a eu un énorme impact sur les travailleurs socialistes radicalisés, pour qui elle est restée longtemps un modèle. Cela explique que certains se soient directement inspirés de cette forme d'organisation et de son nom, comme le Soviet de Limerick, en Irlande en 1919, ou le Soviet de La Argañosa, en 1934 dans les Asturies (au Nord de l'Espagne).
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Dans la [[Révolution_allemande|révolution allemande]] (1918-1923), les organes qui ont été spontanément créés par les ouvriers ont été les [[Comités_d'usine|comités d'usine]]. Il n'y a pas eu de création de soviets, mais les comités d'usine regroupaient de larges masses, et étaient tout à fait capables de déployer une énergie révolutionnaire et une organisation suffisante pour une révolution socialiste. Pourtant certains dirigeants de l'[[Internationale_communiste|Internationale]], par schématisme, voulaient fixer au [[KPD|PC allemand]] la tâche de créer des soviets à partir de rien&nbsp;:
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''«&nbsp;En août et en septembre [1923], quelques camarades proposèrent de procéder immédiatement en Allemagne à la création de soviets. Après de longs et ardents débats leur proposition fut repoussée, et avec raison. Comme les comités d'usines étaient déjà devenus effectivement les points de concentration des masses révolutionnaires, les soviets auraient, dans la période préparatoire, joué un rôle parallèle à ces comités d'usines et n'auraient été qu'une forme sans contenu.&nbsp;»<ref name="TK24">Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915h.htm Les leçons d'Octobre]'', 1924</ref>''
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Mais le terme de soviet est rapidement devenu très connoté, à la fois sous l'effet de la propagande bourgeoise (y compris de certains réformistes) qui tentait de les présenter comme des particularités russes, et sous l'effet de la [[stalinisation]]. Dans le langage dominant, il est devenu synonyme du régime bureaucratique d'URSS.
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Pour cette raison, et aussi parce que dans chaque pays, la classe laborieuse se saisit de la culture nationale, d'autres termes ont été employés même si le contenu était analogue.
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* la [[Révolution allemande (1918-1923)|révolution allemande]] (1918-1923) et ses Arbeiter und Soldatenrat (conseils d'ouvriers et de soldats)
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* la [[révolution espagnole]] (1936) a vu la naissance des ''juntas''
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* au [[Coup d'État de 1973 au Chili|Chili]] (1973) les travailleurs se regroupaient en ''cordones industriales''
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* même en [[Révolution kirghize (2010)|2010 au Kirghizistan]], des embryons de soviets nommés ''kurultai'' ont vu le jour
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== Positions politiques sur les soviets ==
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=== Un mot d'ordre communiste stratégique ===
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L'[[Internationale_communiste|Internationale communiste]] à ses débuts prenait explicitement pour modèle le ''«&nbsp;régime soviétiste&nbsp;»'', en tant que forme nouvelle de gouvernement, à promouvoir dans les [[Révolutions_communistes|révolutions communistes]]. La démocratie par les [[Élections|élections]] des soviets est alors défendue par les communistes comme une forme supérieure à la démocratie par les élections bourgeoises.
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''«&nbsp;Même pendant la période de développement "pacifique" et stable, le régime parlementaire ne traduisait qu'assez grossièrement l'Etat d'esprit du pays; à l'époque des tempêtes révolutionnaires, il a complètement perdu la faculté de suivre la lutte et l'évolution de la conscience politique. Le régime des Soviets, lui, institue un contact infiniment plus étroit, plus organique, plus honnête avec la majorité des travailleurs. Sa signification la plus importante n'est pas de refléter statiquement la majorité, mais de la former dynamiquement.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c_5.htm Terrorisme et communisme]'', 1920</ref>''
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Les soviets sont alors présentés par les communistes comme l'instrument de la révolution, et les organes du pouvoir après la révolution. Ils deviennent partie intégrante de la [[Tactique et stratégie|stratégie]] révolutionnaire. Il devrait même y avoir continuité de la forme des soviets à travers l'[[Extinction_de_l'État|extinction de l’État ouvrier]]&nbsp;: ''«&nbsp;Lorsque la révolution sociale aura définitivement triomphé, le système soviétique s'étendra à toute la population, pour perdre du même coup son caractère étatique et se dissoudre en un puissant système coopératif de production et de consommation.&nbsp;»''<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c_9.htm Terrorisme et communisme - 8. La classe ouvrière et sa politique soviétique]'', 1920</ref>
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Néanmoins ''«&nbsp;malgré l'im­mense avantage que présentent les soviets comme organisation de lutte pour le pouvoir, il est parfaitement possible que l'insur­rection se développe sur la base d'autre forme d'organisation ([[Comités_d'usines|comités d'usines]], [[Syndicats|syndicats]]) et que les soviets ne surgissent comme organe du pouvoir qu'au moment de l'insurrection ou même après sa victoire.&nbsp;»<ref name="TK24" />''
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Selon [[Gramsci|<span class="new">Gramsci</span>]] également, pour des raisons liées à sa nature sociale, la classe ouvrière ne peut pas gouverner autrement que sous la forme de conseils ouvriers, de conseils des travailleurs, de même que le parlement est une forme de gouvernement liée sociologiquement à la nature de la bourgeoisie. [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], et dans une moindre mesure [[Karl_Korsch|<span class="new">Karl Korsch</span>]], furent aussi des théoriciens de l'auto-organisation de la classe ouvrière.
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===La question des pays sous-développés===
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Étant donné que l'élan révolutionnaire qui parcourt le monde est particulièrement fort dans les [[Pays_dominés|pays dominés]] et peu développés d'Asie, se pose la question de savoir si les soviets sont un modèle adapté à tous les pays. Globalement les bolchéviks ont tenté de soutenir à la fois les avancées démocratiques-bourgeoises dans ces pays, et à la fois les soviets.
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En 1919, face à certains cadres bolchéviks qui veulent appliquer mécaniquement la même politique de [[collectivisation]] qu'en Russie au Turkestan, Lénine précise&nbsp;: ''«&nbsp;L’objectif général doit être le renversement du féodalisme, mais non le communisme&nbsp;»''<ref>Lénine, « Projet de décision du Bureau politique du C.C. du P.C.(b)R. Sur les tâches du P.C.(b).R. au Turkestan » [1919], in Oeuvres, tome 42, p. 196-197</ref>. Toutefois ce n'était pour lui qu'une question de point de départ, le développement général en lien avec la fédération soviétique devant tracer un chemin vers le communisme.
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Si le terme n'est pas employé, le concept de [[Révolution_permanente|révolution permanente]] est présent en filigrane, par exemple lors de la [[Conférence_de_Bakou|Conférence de Bakou]] (1920) où le rapporteur [[Mikhail_Pavlovitch|Pavlovitch]] dit&nbsp;:
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«&nbsp;Beaucoup de gens affirment que les peuples de l'Orient doivent nécessairement passer par le capitalisme avant d'arriver au communisme. Au cours des débats qui ont eu lieu au IIe congrès de la IIIe internationale, nous sommes arrivés à la conclusion qu'avec l'aide des pays à prolétariat avancé, les peuples arriérés de l'Orient peuvent accéder au régime soviétiste et de là, par degré intermédiaire, arriver au communisme sans passer le stade du capitalisme.&nbsp;»
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Le bolchévik [[Georgi Safarov|Safarov]] a également beaucoup défendu cette position. Après avoir énuméré les problèmes de la domination impérialiste qui maintient les pays dominés dans le sous-développement semi-féodal, il écrit :
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« le seul remède, ce sont les soviets de travailleurs, qui en groupant les exploités doivent mettre fin à l'inégalité des classes, rendre le sol aux pauvres, débarrasser l'artisan des intermédiaires usuriers, affranchir les travailleurs des corvées et des impôts, entreprendre l'instruction des masses et l'amélioration radicale de leur situation d'existence, tout cela aux frais de l'Etat. Tout ce programme ne porte aucun caractère communiste. C'est seulement après sa réalisation que pourra commencer la préparation communiste parmi les peuples arriérés. Ici comme partout il nous faut terminer ce que n'a pas terminé, et ce qu'était incapable de terminer le capitalisme. La révolution communiste au cours de toute son histoire doit lutter contre les exploiteurs de toutes les périodes historiques et de toutes les catégories et les soviets sont pour elle l'arme principale, la forme universelle de cette lutte. »<ref>G.I. Safarov, ''[https://www.marxists.org/francais/safarov/works/1921/01/question.htm L'évolution de la question nationale]'', janvier 1921</ref>
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Le [[Menchévik|menchévik]] [[Martov|Martov]] dénonçait ''«&nbsp;la mystique du régime soviétique&nbsp;»'', affirmant que les pays féodaux devaient d'abord passer par la [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]] et ses formes parlementaires, avant de connaître un développement capitaliste qui rende la classe ouvrière dominante.<ref>Julius Martov, ''[https://www.marxists.org/francais/martov/works/1923/00/martov_19230000b.htm La mystique du régime soviétique]'', 1923</ref>
 
==Notes et sources==
 
==Notes et sources==
  

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