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[[File:Marteau-et-faucille.jpg|right|Marteau-et-faucille.jpg]]La ''« '''dictature démocratique des ouvriers et des paysans''' »'' est la formule de gouvernement que défendaient [[Lénine|Lénine]] et les [[Bolchéviks|bolchéviks]] entre 1905 et 1917.
 
[[File:Marteau-et-faucille.jpg|right|Marteau-et-faucille.jpg]]La ''« '''dictature démocratique des ouvriers et des paysans''' »'' est la formule de gouvernement que défendaient [[Lénine|Lénine]] et les [[Bolchéviks|bolchéviks]] entre 1905 et 1917.
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== Historique ==
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==Historique==
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=== Affirmation de la position marxiste ===
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===Affirmation de la position marxiste===
    
Au début du 20<sup>e</sup> siècle en Russie, les socialistes débattent intensément de la révolution qui vient. Les [[Narodniks|narodniks]], non marxistes, parlent simplement de révolution démocratique et populaire, et exaltent la paysannerie. Les social-démocrates du [[POSDR|POSDR]] soutiennent à l'inverse qu'une analyse en termes de [[Classes_sociales|classes sociales]] est indispensable. Ils sont d'abord tous unanimes sur le schéma classique du [[Matérialisme_historique|matérialisme historique]]&nbsp;: [[Révolution_démocratique-bourgeoise|révolution démocratique-bourgeoise]] dans un premier temps, puis, après une période de développement capitaliste, [[Révolution_socialiste|révolution socialiste]].
 
Au début du 20<sup>e</sup> siècle en Russie, les socialistes débattent intensément de la révolution qui vient. Les [[Narodniks|narodniks]], non marxistes, parlent simplement de révolution démocratique et populaire, et exaltent la paysannerie. Les social-démocrates du [[POSDR|POSDR]] soutiennent à l'inverse qu'une analyse en termes de [[Classes_sociales|classes sociales]] est indispensable. Ils sont d'abord tous unanimes sur le schéma classique du [[Matérialisme_historique|matérialisme historique]]&nbsp;: [[Révolution_démocratique-bourgeoise|révolution démocratique-bourgeoise]] dans un premier temps, puis, après une période de développement capitaliste, [[Révolution_socialiste|révolution socialiste]].
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Au 2e Congrès du [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]] tenu à Londres en 1903, il n'y eut aucun désaccord essentiel sur la question de la nature de la révolution russe à venir: c'était une [[Révolution_bourgeoise|Révolution bourgeoise]]. Les délégués envisageaient qu'elle donnerait naissance à une Assemblée constituante et à une république démocratique bourgeoise dans laquelle les travailleurs lutteraient pour leurs droits et en direction d'une société socialiste future.
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Au 2e Congrès du [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]] tenu à Londres en 1903, il n'y eut aucun désaccord essentiel sur la question de la nature de la révolution russe à venir: c'était une [[Révolution_bourgeoise|Révolution bourgeoise]]. Les délégués envisageaient qu'elle donnerait naissance à une Assemblée constituante et à une [[république]] démocratique bourgeoise dans laquelle les travailleurs lutteraient pour leurs droits et en direction d'une société socialiste future.
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=== Les particularités russes ===
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===Les particularités russes===
    
Cependant, la situation en Russie est particulière ([[Trotsky|Trotsky]] parlera de [[Développement_inégal_et_combiné|développement inégal et combiné]])&nbsp;: un prolétariat minoritaire mais concentré et organisé existe déjà, et la bourgeoisie craint beaucoup de le voir se mobiliser. On peut remarquer que Lénine avait déjà abordé cette question très tôt, et il n'était pas le seul. En 1899, il écrivait que ''«&nbsp;seule la classe ouvrière peut, en Russie, lutter résolument et de façon conséquente pour la démocratie&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1899/dec/trend.htm Un mouvement rétrograde dans la social-démocratie russe]'', fin 1899</ref>.
 
Cependant, la situation en Russie est particulière ([[Trotsky|Trotsky]] parlera de [[Développement_inégal_et_combiné|développement inégal et combiné]])&nbsp;: un prolétariat minoritaire mais concentré et organisé existe déjà, et la bourgeoisie craint beaucoup de le voir se mobiliser. On peut remarquer que Lénine avait déjà abordé cette question très tôt, et il n'était pas le seul. En 1899, il écrivait que ''«&nbsp;seule la classe ouvrière peut, en Russie, lutter résolument et de façon conséquente pour la démocratie&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1899/dec/trend.htm Un mouvement rétrograde dans la social-démocratie russe]'', fin 1899</ref>.
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En particulier, la [[Révolution_de_1905|tentative révolutionnaire de 1905]] montre que la bourgeoisie préfère se jeter dans les bras de la [[Réaction|réaction]] plutôt que de risquer de tout perdre dans une [[Lutte_de_classe|lutte de classe]] trop intense. Le POSDR se divise en deux attitudes radicalement différentes&nbsp;:
 
En particulier, la [[Révolution_de_1905|tentative révolutionnaire de 1905]] montre que la bourgeoisie préfère se jeter dans les bras de la [[Réaction|réaction]] plutôt que de risquer de tout perdre dans une [[Lutte_de_classe|lutte de classe]] trop intense. Le POSDR se divise en deux attitudes radicalement différentes&nbsp;:
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*les [[Menchéviks|menchéviks]] prônent le ralliement du prolétariat à la bourgeoisie, et donc l'autolimitation des revendications ouvrières pour ne pas dissuader les libéraux bourgeois,  
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*les [[Menchéviks|menchéviks]] prônent le ralliement du prolétariat à la bourgeoisie, et donc l'autolimitation des revendications ouvrières pour ne pas dissuader les libéraux bourgeois,
*les [[Bolchéviks|bolchéviks]] soutiennent que la révolution bourgeoise peut être accomplie même sans les libéraux bourgeois, par la ''«&nbsp;dictature démocratique des ouvriers et des paysans&nbsp;»''.<ref name="DeuxTactiques">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1905/08/vil19050800.htm Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique]'', 1905</ref>  
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*les [[Bolchéviks|bolchéviks]] soutiennent que la révolution bourgeoise peut être accomplie même sans les libéraux bourgeois, par la ''«&nbsp;dictature démocratique des ouvriers et des paysans&nbsp;»''.<ref name="DeuxTactiques">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1905/08/vil19050800.htm Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique]'', 1905</ref>
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Lénine précisait ''«&nbsp;ce ne sera évidemment pas une dictature socialiste, mais une dictature démocratique. Elle ne pourra pas toucher (sans que la révolution ait franchi diverses étapes intermédiaires) aux fondements du capitalisme.&nbsp;»'', Pour lui il était clair qu'elle ne pourrait que réaliser des mesures démocratiques radicales, une réforme agraire, un début d'amélioration de la condition ouvrière. Mais il avait aussi en tête un autre impact central&nbsp;: ''«&nbsp;last but not least, étendre l'incendie révolutionnaire à l'Europe&nbsp;»''. Dans leur presse, les bolchéviks ne mettaient pas en avant la lutte pour le [[Socialisme|socialisme]], mais se présentaient comme des ''«&nbsp;démocrates conséquents&nbsp;»''.
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Lénine précisait ''«&nbsp;ce ne sera évidemment pas une dictature socialiste, mais une dictature démocratique. Elle ne pourra pas toucher (sans que la révolution ait franchi diverses étapes intermédiaires) aux fondements du capitalisme.&nbsp;»'', Pour lui il était clair qu'elle ne pourrait que réaliser des mesures démocratiques radicales, une [[réforme agraire]], un début d'amélioration de la condition ouvrière. Mais il avait aussi en tête un autre impact central&nbsp;: ''«&nbsp;last but not least, étendre l'incendie révolutionnaire à l'Europe&nbsp;»''. Dans leur presse, les bolchéviks ne mettaient pas en avant la lutte pour le [[Socialisme|socialisme]], mais se présentaient comme des ''«&nbsp;démocrates conséquents&nbsp;»''.
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Tous les social-démocrates constataient la lâcheté de la bourgeoisie. Mais les menchéviks tendaient plutôt à s'y adapter en prônant une attitude passive et rassurante au nom de la révolution bourgeoise, tandis que les bolchéviks ne voulaient pas hésiter à se mettre à la tête du mouvement démocratique-révolutionnaire, quitte à se substituer en partie à des secteurs bourgeois. Gardant leur analyse, ils auront de plus en plus cette attitude, qui sera flagrante en 1917.
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Comparant les types de révolutions bourgeoises, Lénine insistait sur le fait que plus elle est une ''[[révolution populaire]]'' (à l'inverse d'une révolution par le haut), plus elle est [[Progressisme|progressiste]] et prend des mesures transformant radicalement les structures sociales.
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En lien direct avec ce débat, les social-démocrates débattaient sur la [[Participation_aux_gouvernements_bourgeois|participation ou non à un gouvernement]] provisoire qui naîtrait d'une nouvelle révolution. Les [[Mencheviks|mencheviks]] répondaient non&nbsp;: c'est à la bourgeoisie que revient de diriger la [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], les socialistes doivent rester dans l'opposition et renforcer les positions de la classe ouvrière pour l'avenir. Les bolcheviks, au contraire, affirmaient que renoncer à participer à un gouvernement provisoire c'était renoncer à l'achèvement de la révolution démocratique. L'ironie de l'histoire est que ce sont les menchéviks qui entreront au [[Gouvernement_provisoire_russe|gouvernement provisoire en 1917]], et les bolchéviks qui les dénonceront. Cela vient du rôle inattendu des soviets&nbsp;: ce sont ces organes que les bolchéviks vont considérer comme le gouvernement légitime.
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Tous les social-démocrates constataient la lâcheté de la bourgeoisie. Mais les mencheviks tendaient plutôt à s'y adapter en prônant une attitude passive et rassurante au nom de la [[révolution bourgeoise]], tandis que les bolchéviks ne voulaient pas hésiter à se mettre à la tête du mouvement démocratique-révolutionnaire, quitte à se substituer en partie à des secteurs bourgeois. Gardant leur analyse, ils auront de plus en plus cette attitude, qui sera flagrante en 1917.
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=== La caution de Kautsky ===
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En lien direct avec ce débat, les social-démocrates débattaient sur la [[Participation_aux_gouvernements_bourgeois|participation ou non à un gouvernement]] provisoire qui naîtrait d'une nouvelle révolution. Les [[Mencheviks|mencheviks]] répondaient non&nbsp;: c'est à la bourgeoisie que revient de diriger la [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], les socialistes doivent rester dans l'opposition et renforcer les positions de la classe ouvrière pour l'avenir. Les bolcheviks, au contraire, affirmaient que renoncer à participer à un gouvernement provisoire c'était renoncer à l'achèvement de la révolution démocratique. L'ironie de l'histoire est que ce sont les mencheviks qui entreront au [[Gouvernement_provisoire_russe|gouvernement provisoire en 1917]], et les bolchéviks qui les dénonceront. Cela vient du rôle inattendu des [[Soviet|soviets]]&nbsp;: ce sont ces organes que les bolchéviks vont considérer comme le gouvernement légitime.
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===La caution de Kautsky===
    
Pendant la révolution de 1905, [[Kautsky|Kautsky]], alors le principal théoricien de l'[[Internationale_ouvrière|Internationale socialiste]], étudie aussi les particularités de la révolution en Russie. Il remarque que par rapport aux [[Révolutions_bourgeoises|révolutions bourgeoises]] classiques ([[Première_révolution_anglaise|anglaise]] et [[Révolution_française|française]]), le prolétariat déjà très développé, et que ''«&nbsp;pour la première fois dans l’histoire du monde, le prolétariat industriel apparaît en vainqueur à l’état de force directrice indépendante&nbsp;»<ref>Karl Kautsky, [https://www.marxists.org/francais/kautsky/works/1905/12/kautsky_19051209.htm Ancienne et nouvelle Révolution], Le Socialiste, 9 décembre 1905</ref>''. Il remarque que la petite-bourgeoisie est [[Réactionnaire|réactionnaire]] et ne semble pas en mesure de "faire" la révolution (démocratique), alors que c'est elle qui formait la masse agissante dans les révolutions bourgeoises du passé. Rosa Luxemburg<ref>Rosa Luxemburg, ''Après le premier acte'', 4 février 1905</ref> puis Kautsky<ref>Karl Kautsky, The Consequences of the Japanese Victory and Social Democracy, July 1905</ref> emploient alors l'expression de ''«&nbsp;révolution en permanence&nbsp;»''.
 
Pendant la révolution de 1905, [[Kautsky|Kautsky]], alors le principal théoricien de l'[[Internationale_ouvrière|Internationale socialiste]], étudie aussi les particularités de la révolution en Russie. Il remarque que par rapport aux [[Révolutions_bourgeoises|révolutions bourgeoises]] classiques ([[Première_révolution_anglaise|anglaise]] et [[Révolution_française|française]]), le prolétariat déjà très développé, et que ''«&nbsp;pour la première fois dans l’histoire du monde, le prolétariat industriel apparaît en vainqueur à l’état de force directrice indépendante&nbsp;»<ref>Karl Kautsky, [https://www.marxists.org/francais/kautsky/works/1905/12/kautsky_19051209.htm Ancienne et nouvelle Révolution], Le Socialiste, 9 décembre 1905</ref>''. Il remarque que la petite-bourgeoisie est [[Réactionnaire|réactionnaire]] et ne semble pas en mesure de "faire" la révolution (démocratique), alors que c'est elle qui formait la masse agissante dans les révolutions bourgeoises du passé. Rosa Luxemburg<ref>Rosa Luxemburg, ''Après le premier acte'', 4 février 1905</ref> puis Kautsky<ref>Karl Kautsky, The Consequences of the Japanese Victory and Social Democracy, July 1905</ref> emploient alors l'expression de ''«&nbsp;révolution en permanence&nbsp;»''.
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Cette prise de position apportera une véritable caution marxiste aux bolchéviks, qui l'utiliseront souvent. En 1910, dans une polémique contre le menchévik [[Martov|Martov]], le dirigeant bolchévik [[Kamenev|Kamenev]] écrit: ''«&nbsp;il y a un certain plaisir à être assis aux côtés de Kautsky&nbsp;sur le banc des accusés&nbsp;»''. Kamenev a publié à nouveau ce texte au début des années 1920 et y réaffirme la marque d’honneur qu’il en retire. Même [[Staline|Staline]], bien plus tard, écrira au tout début du second volume de ses œuvres complètes un essai revenant sur l'article de Kautsky de 1906, vantant un ''«&nbsp;théoricien remarquable&nbsp;»'', qui ''«&nbsp;prête aux questions tactiques&nbsp;de la minutie et un grand sérieux&nbsp;»'', et dont les positions à l’égard des questions russes sont d’une grande valeur.
 
Cette prise de position apportera une véritable caution marxiste aux bolchéviks, qui l'utiliseront souvent. En 1910, dans une polémique contre le menchévik [[Martov|Martov]], le dirigeant bolchévik [[Kamenev|Kamenev]] écrit: ''«&nbsp;il y a un certain plaisir à être assis aux côtés de Kautsky&nbsp;sur le banc des accusés&nbsp;»''. Kamenev a publié à nouveau ce texte au début des années 1920 et y réaffirme la marque d’honneur qu’il en retire. Même [[Staline|Staline]], bien plus tard, écrira au tout début du second volume de ses œuvres complètes un essai revenant sur l'article de Kautsky de 1906, vantant un ''«&nbsp;théoricien remarquable&nbsp;»'', qui ''«&nbsp;prête aux questions tactiques&nbsp;de la minutie et un grand sérieux&nbsp;»'', et dont les positions à l’égard des questions russes sont d’une grande valeur.
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=== Les réformes de Stolypine ===
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===Les réformes de Stolypine===
    
{{Article détaillé|Réforme agraire de Stolypine}}
 
{{Article détaillé|Réforme agraire de Stolypine}}
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Néanmoins Stolypine faisait face à de nombreuses résistances des forces de l'Ancien régime et du tsar lui-même, et ses réformes n'aboutissent pas. La [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]] et le nouvel essor révolutionnaire remettent à l'ordre du jour la voie révolutionnaire.
 
Néanmoins Stolypine faisait face à de nombreuses résistances des forces de l'Ancien régime et du tsar lui-même, et ses réformes n'aboutissent pas. La [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]] et le nouvel essor révolutionnaire remettent à l'ordre du jour la voie révolutionnaire.
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== Critique de Trotsky&nbsp;: la révolution permanente ==
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Suite [[Révolution russe (1905)|à 1905]], des élections (au pouvoir très limité) ont lieu. Face aux autres forces politiques présentes à la [[Douma d'État de l’Empire russe|Douma]], les social-démocrates sont face à des choix tactiques. Les [[Mencheviks|menchéviks]] penchent plutôt pour l'alliance avec les bourgeois libéraux ([[Parti constitutionnel démocratique|parti KD]]) alors que les [[bolchéviks]] ([[otzovistes]] mis à part) prônent le rapprochement avec les [[troudoviks]].
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Les menchéviks pensaient de façon simpliste que les KD étaient le parti de la [[bourgeoisie]] montante et donc [[Classe révolutionnaire|révolutionnaire]], et tendaient à mépriser les [[troudoviks]] (plutôt paysans) comme arriérés et [[réactionnaires]]. Lénine soulignait que les KD étaient, en fait, largement liés aux [[propriétaires terriens]], donc hostiles à un [[Mouvement paysan en Russie|soulèvement paysan]], et par là-même [[contre-révolutionnaires]]. Il était beaucoup plus attentif et patient envers le mouvement paysan.<ref>Lenin, ''[https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1907/mar/01.htm Cadets and Trudoviks]'', 1er mars 1907</ref>
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==Critique de Trotsky&nbsp;: la révolution permanente==
    
[[Trotsky|Trotsky]] développe une idée différente et originale&nbsp;: la [[Théorie_de_la_révolution_permanente|théorie de la révolution permanente]]. Il critique l'opportunisme des menchéviks, mais considère que la théorie de [[Lénine|Lénine]] est inconséquente. Trotsky insiste sur l'incapacité de la paysannerie à se structurer en parti indépendant et donc à avoir un rôle dirigeant. Par conséquent, il conclut que c'est nécessairement le [[Prolétariat|prolétariat]] (et son parti, la social-démocratie), qui doit avoir ce rôle dirigeant, et que cela le conduira nécessairement, dans un processus ininterrompu (''«&nbsp;révolution permanente&nbsp;»''), des revendications immédiates aux mesures socialistes.<ref name="TK1940">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal23.htm Trois conceptions de la révolution russe]'', 1940</ref>
 
[[Trotsky|Trotsky]] développe une idée différente et originale&nbsp;: la [[Théorie_de_la_révolution_permanente|théorie de la révolution permanente]]. Il critique l'opportunisme des menchéviks, mais considère que la théorie de [[Lénine|Lénine]] est inconséquente. Trotsky insiste sur l'incapacité de la paysannerie à se structurer en parti indépendant et donc à avoir un rôle dirigeant. Par conséquent, il conclut que c'est nécessairement le [[Prolétariat|prolétariat]] (et son parti, la social-démocratie), qui doit avoir ce rôle dirigeant, et que cela le conduira nécessairement, dans un processus ininterrompu (''«&nbsp;révolution permanente&nbsp;»''), des revendications immédiates aux mesures socialistes.<ref name="TK1940">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal23.htm Trois conceptions de la révolution russe]'', 1940</ref>
    
Trotsky considère qu'il n'y a pas de sens à faire comme Lénine une ''«&nbsp;distinction de principe entre la dictature socialiste du prolétariat et la dictature démocratique (c'est-à-dire bourgeoise démocratique) du prolétariat et des paysans.&nbsp;»'' Il qualifie ce raisonnement comme une ''«&nbsp;opération de logicien purement formelle&nbsp;»'', ajoutant&nbsp;: ''«&nbsp;Il suffit de se représenter clairement cette construction théorique pour comprendre de quel idéalisme elle procède et combien elle est peu solide.&nbsp;»''<ref name="TkNosDiff">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905_a_2.htm 1905 - Nos différends]'', 1909</ref> Ou encore&nbsp;:
 
Trotsky considère qu'il n'y a pas de sens à faire comme Lénine une ''«&nbsp;distinction de principe entre la dictature socialiste du prolétariat et la dictature démocratique (c'est-à-dire bourgeoise démocratique) du prolétariat et des paysans.&nbsp;»'' Il qualifie ce raisonnement comme une ''«&nbsp;opération de logicien purement formelle&nbsp;»'', ajoutant&nbsp;: ''«&nbsp;Il suffit de se représenter clairement cette construction théorique pour comprendre de quel idéalisme elle procède et combien elle est peu solide.&nbsp;»''<ref name="TkNosDiff">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/1905/1905_a_2.htm 1905 - Nos différends]'', 1909</ref> Ou encore&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Le prolétariat au pouvoir devra immédiatement assurer du travail aux chômeurs, aux frais de l'État, par tels ou tels moyens (organisation de travaux publics, etc...). Ces mesures appelleront nécessairement une grande lutte économique, et une longue suite de grèves grandioses: nous avons vu tout cela, dans une faible mesure, à la fin de 1905. Et les capitalistes répondront alors (comme ils ont déjà répondu quand on exigeait la journée de huit heures) par le lockout. Ils mettront de gros cadenas à leur porte et ils se diront: notre propriété n'est pas menacée puisqu'il est décidé qu'actuellement le prolétariat s'occupe d'une dictature démocratique et non socialiste. Que pourra faire le gouvernement ouvrier quand il verra qu'on ferme les usines et les fabriques? Il devra les rouvrir et reprendre la production pour le compte de l'État. Mais alors, c'est le chemin du socialisme? Bien sûr!&nbsp;»''</blockquote>  
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''«&nbsp;Le prolétariat au pouvoir devra immédiatement assurer du travail aux chômeurs, aux frais de l'État, par tels ou tels moyens (organisation de travaux publics, etc...). Ces mesures appelleront nécessairement une grande lutte économique, et une longue suite de grèves grandioses: nous avons vu tout cela, dans une faible mesure, à la fin de 1905. Et les capitalistes répondront alors (comme ils ont déjà répondu quand on exigeait la journée de huit heures) par le lockout. Ils mettront de gros cadenas à leur porte et ils se diront: notre propriété n'est pas menacée puisqu'il est décidé qu'actuellement le prolétariat s'occupe d'une dictature démocratique et non socialiste. Que pourra faire le gouvernement ouvrier quand il verra qu'on ferme les usines et les fabriques? Il devra les rouvrir et reprendre la production pour le compte de l'État. Mais alors, c'est le chemin du socialisme? Bien sûr!&nbsp;»''
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Lénine considérait qu'il n'était pas nécessaire que la paysannerie soit capable de constituer un parti pour que la dictature démocratique des ouvriers et des paysans se réalise&nbsp;:
 
Lénine considérait qu'il n'était pas nécessaire que la paysannerie soit capable de constituer un parti pour que la dictature démocratique des ouvriers et des paysans se réalise&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Si l'on considère l'expérience de la révolution russe [1905], il est également clair que la coalition de la paysannerie et du prolétariat s'est réalisée des dizaines et des centaines de fois, sous les formes les plus diverses, alors qu'il n'existait aucun parti autonome puissant de la paysannerie (...). Il est indubitable qu'une coalition de classes se réalisait à chaque fois qu'elles menaient une action commune.&nbsp;»<ref>Lénine, [https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1909/aim/index.htm ''L'objectif de la lutte du prolétariat dans notre révolution''], mars 1909</ref>''</blockquote>  
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''«&nbsp;Si l'on considère l'expérience de la révolution russe [1905], il est également clair que la coalition de la paysannerie et du prolétariat s'est réalisée des dizaines et des centaines de fois, sous les formes les plus diverses, alors qu'il n'existait aucun parti autonome puissant de la paysannerie (...). Il est indubitable qu'une coalition de classes se réalisait à chaque fois qu'elles menaient une action commune.&nbsp;»<ref>Lénine, [https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1909/aim/index.htm ''L'objectif de la lutte du prolétariat dans notre révolution''], mars 1909</ref>''
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Entre 1905 et 1917, Trotsky critiquait donc à la fois les menchéviks et les bolchéviks. Il ne les renvoyait cependant pas exactement dos à dos&nbsp;:
 
Entre 1905 et 1917, Trotsky critiquait donc à la fois les menchéviks et les bolchéviks. Il ne les renvoyait cependant pas exactement dos à dos&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Il est vrai qu'entre menchéviks et bolcheviks, il y a une différence essentielle: tandis que les aspects anti-révolutionnaires du menchévisme se manifestent dès à présent dans toute leur étendue, ce qu'il y a d'anti-révolutionnaire dans le bolchevisme ne nous menace - mais la menace n'est pas moins sérieuse - que dans le cas d'une victoire révolutionnaire.&nbsp;»<ref name="TkNosDiff" />''</blockquote>  
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''«&nbsp;Il est vrai qu'entre menchéviks et bolcheviks, il y a une différence essentielle: tandis que les aspects anti-révolutionnaires du menchévisme se manifestent dès à présent dans toute leur étendue, ce qu'il y a d'anti-révolutionnaire dans le bolchevisme ne nous menace - mais la menace n'est pas moins sérieuse - que dans le cas d'une victoire révolutionnaire.&nbsp;»<ref name="TkNosDiff" />''
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On trouvera dans l'essai de Trotsky ''Trois conceptions de la révolution''<ref>Trotsky, [http://marxists.catbull.com/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal23.htm Trois conceptions de la révolution], 1940</ref> une analyse approfondie des divergences de l'époque. Dans ce texte, Trotsky indique aussi la part et les limites de la contribution d'[[Alexandre_Parvus|Alexandre Parvus]] à la théorie de la révolution permanente.
 
On trouvera dans l'essai de Trotsky ''Trois conceptions de la révolution''<ref>Trotsky, [http://marxists.catbull.com/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal23.htm Trois conceptions de la révolution], 1940</ref> une analyse approfondie des divergences de l'époque. Dans ce texte, Trotsky indique aussi la part et les limites de la contribution d'[[Alexandre_Parvus|Alexandre Parvus]] à la théorie de la révolution permanente.
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Dans sa lettre d'adieu, [[Adolf_Joffé|Adolf Joffé]], qui fut un proche de Lénine et de Trotsky, écrit à Trotsky&nbsp;:
 
Dans sa lettre d'adieu, [[Adolf_Joffé|Adolf Joffé]], qui fut un proche de Lénine et de Trotsky, écrit à Trotsky&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Je n'ai jamais douté que vous étiez dans la voie juste, et, vous le savez, depuis plus de vingt ans, y compris dans la question de la " révolution permanente ", j'ai toujours été de votre côté. (...) Vous avez toujours eu raison en politique depuis 1905, et Lénine lui aussi l'a reconnu&nbsp;; je vous ai souvent raconté que je lui avais entendu dire moi-même&nbsp;: en 1905, c'était vous et non lui qui aviez raison. A l'heure de la mort, on ne ment pas et je vous le répète aujourd'hui.&nbsp;»<ref>Adolf Joffé, ''[https://www.marxists.org/francais/4int/urss/joffe_19271115.htm Lettre d'adieu]'', 15 novembre 1927</ref>''</blockquote>  
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''«&nbsp;Je n'ai jamais douté que vous étiez dans la voie juste, et, vous le savez, depuis plus de vingt ans, y compris dans la question de la " révolution permanente ", j'ai toujours été de votre côté. (...) Vous avez toujours eu raison en politique depuis 1905, et Lénine lui aussi l'a reconnu&nbsp;; je vous ai souvent raconté que je lui avais entendu dire moi-même&nbsp;: en 1905, c'était vous et non lui qui aviez raison. A l'heure de la mort, on ne ment pas et je vous le répète aujourd'hui.&nbsp;»<ref>Adolf Joffé, ''[https://www.marxists.org/francais/4int/urss/joffe_19271115.htm Lettre d'adieu]'', 15 novembre 1927</ref>''
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La [[Gauche_communiste_italienne|gauche communiste italienne]] considère que la révolution permanente est fondamentalement fausse et que la ligne juste de façon ''«&nbsp;invariante&nbsp;»'' est la ligne de Lénine, qui aurait été exactement la ligne de Marx en 1848-50.<ref>[http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/qioi/qioinpibef.html ''Critique de la théorie de la révolution permanente''], ''Programme Communiste'', numéro 57, octobre-décembre 1972</ref>
 
La [[Gauche_communiste_italienne|gauche communiste italienne]] considère que la révolution permanente est fondamentalement fausse et que la ligne juste de façon ''«&nbsp;invariante&nbsp;»'' est la ligne de Lénine, qui aurait été exactement la ligne de Marx en 1848-50.<ref>[http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/qioi/qioinpibef.html ''Critique de la théorie de la révolution permanente''], ''Programme Communiste'', numéro 57, octobre-décembre 1972</ref>
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== Les évolutions rapides en 1917 ==
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==Les évolutions rapides en 1917==
    
Au moment de la [[Révolution_d'Octobre_1917|révolution d'Octobre 1917]], la politique pratique de Lénine a globalement coïncidé avec celle de Trotsky (qui a rejoint les [[Bolchéviks|bolchéviks]]). Trotsky dira ''«&nbsp;fort heureusement: sous la direction du camarade Lénine, le bolchevisme transforma (non sans luttes intérieures) son idéologie sur cette question primordiale dès le printemps 1917, c'est-à-dire avant la conquête du pouvoir&nbsp;»''.<ref name="TkNosDiff" /> Suite aux [[Thèses_d'Avril|''Thèses d'Avril'']] de Lénine, le bruit en effet que Lénine est devenu trotskiste.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr16.htm Histoire de la révolution russe - Le réarmement du parti]'', 1930</ref>
 
Au moment de la [[Révolution_d'Octobre_1917|révolution d'Octobre 1917]], la politique pratique de Lénine a globalement coïncidé avec celle de Trotsky (qui a rejoint les [[Bolchéviks|bolchéviks]]). Trotsky dira ''«&nbsp;fort heureusement: sous la direction du camarade Lénine, le bolchevisme transforma (non sans luttes intérieures) son idéologie sur cette question primordiale dès le printemps 1917, c'est-à-dire avant la conquête du pouvoir&nbsp;»''.<ref name="TkNosDiff" /> Suite aux [[Thèses_d'Avril|''Thèses d'Avril'']] de Lénine, le bruit en effet que Lénine est devenu trotskiste.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr16.htm Histoire de la révolution russe - Le réarmement du parti]'', 1930</ref>
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Les cadres bolchéviques ont réfuté de nombreuses fois les accusations selon lesquelles ils tentaient «&nbsp;d’introduire le socialisme&nbsp;» en disant que c’était juste un épouvantail pour détourner l’attention de l’alternative politique réelle : collaboration ou rupture avec la bourgeoisie. Au lieu d’argumenter en faveur de la révolution socialiste, ils insistaient sur le fait que, même si le socialisme devait être réalisé à l’échelle internationale, il était possible et nécessaire en Russie de rompre avec les capitalistes nationaux et impérialistes. Y compris, affirmaient-ils, si on croyait que la révolution était bourgeoise par nature, il n’en découlait pas obligatoirement l’instauration d’un gouvernement bourgeois. Un tel régime serait non seulement incapable d’atteindre les objectifs démocratiques bourgeois centraux (réforme agraire, Assemblée constituante, etc.), mais serait aussi nécessairement antidémocratique, car la majorité de la population en Russie était des paysans ou des ouvriers.
 
Les cadres bolchéviques ont réfuté de nombreuses fois les accusations selon lesquelles ils tentaient «&nbsp;d’introduire le socialisme&nbsp;» en disant que c’était juste un épouvantail pour détourner l’attention de l’alternative politique réelle : collaboration ou rupture avec la bourgeoisie. Au lieu d’argumenter en faveur de la révolution socialiste, ils insistaient sur le fait que, même si le socialisme devait être réalisé à l’échelle internationale, il était possible et nécessaire en Russie de rompre avec les capitalistes nationaux et impérialistes. Y compris, affirmaient-ils, si on croyait que la révolution était bourgeoise par nature, il n’en découlait pas obligatoirement l’instauration d’un gouvernement bourgeois. Un tel régime serait non seulement incapable d’atteindre les objectifs démocratiques bourgeois centraux (réforme agraire, Assemblée constituante, etc.), mais serait aussi nécessairement antidémocratique, car la majorité de la population en Russie était des paysans ou des ouvriers.
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== Notes et sources ==
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==Notes et sources==
    
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