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| Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], les syndicats étaient sous l'[[Empire_tsariste|Empire tsariste]] quasiment aussi réprimés que le [[Parti_social-démocrate_de_Russie|parti social-démocrate]]. | | Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], les syndicats étaient sous l'[[Empire_tsariste|Empire tsariste]] quasiment aussi réprimés que le [[Parti_social-démocrate_de_Russie|parti social-démocrate]]. |
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− | Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905. Par exemple le syndicat des métallurgistes joue un rôle important dans la [[Révolution russe (1905)|révolution de 1905]]. Les bolchéviks deviennent majoritaires dans ce syndicat à partir de 1913. | + | Une exception était le mouvement ouvrier en Pologne, qui ressemblait déjà à un mouvement de masse. En mai 1891, il y eut une vague de grèves affectant de nombreuses villes polonaises, qui atteignirent un point culminant l’année suivante avec une [[grève générale]] à [[W:Łódź|Łódź]]. Les militants juifs (qui allaient former bientôt le [[Union générale des travailleurs juifs|Bund]]) étaient encore plus efficaces dans l’[[agitation]]. Dans des régions d’importante population juive, les grèves devinrent très fréquentes, atteignant leur summum en 1895 avec la grève de l’industrie textile de [[W:Białystok|Białystok]], dans laquelle près de 15.000 ouvriers étaient impliqués. En fait, les ouvriers juifs étaient très en avance sur leurs homologues russes sur le plan de l’organisation syndicale. Alors qu’en 1907, 7 % seulement des ouvriers de [[Saint-Pétersbourg]] étaient syndiqués<ref>V.V. Sviatlovsky, ''История профессионального движения в России'', Leningrad 1925, p. 301.</ref>, 20 % des ouvriers juifs de Białystok étaient organisés, 24 % à [[W:Vilna|Vilna]], 40 % à [[W:Gomel|Gomel]], et 25-40 % à [[W:Minsk|Minsk]].<ref>D. Pospielovsky, ''Russian Police Trade Unions'', London 1971, p. 7.</ref> |
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| + | Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905. Par exemple le syndicat des [[métallurgistes]] joue un rôle important dans la [[Révolution russe (1905)|révolution de 1905]]. Les bolchéviks deviennent majoritaires dans ce syndicat à partir de 1913. |
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| ==Les syndicats en 1917== | | ==Les syndicats en 1917== |
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| ''« En ce qui concerne l’attitude vis-à-vis des partis socialistes, il a été décidé que, formellement, les syndicats sont indépendants des partis (bes-partii). Ils doivent se trouver en pleine union, tant du point de vue organisationnel que du point de vue de leur plate-forme, avec les partis qui se placent sur le terrain de la lutte des classes. En ce qui concerne les partis bourgeois, le syndicat juge leur conduite ambiguë, les considère comme des ennemis politiques de la classe ouvrière et juge indispensable que les syndicats démarquent nettement leur ligne politique de la leur, les soutenant seulement quand leurs exigences coïncident avec les exigences de la classe ouvrière. »'' | | ''« En ce qui concerne l’attitude vis-à-vis des partis socialistes, il a été décidé que, formellement, les syndicats sont indépendants des partis (bes-partii). Ils doivent se trouver en pleine union, tant du point de vue organisationnel que du point de vue de leur plate-forme, avec les partis qui se placent sur le terrain de la lutte des classes. En ce qui concerne les partis bourgeois, le syndicat juge leur conduite ambiguë, les considère comme des ennemis politiques de la classe ouvrière et juge indispensable que les syndicats démarquent nettement leur ligne politique de la leur, les soutenant seulement quand leurs exigences coïncident avec les exigences de la classe ouvrière. »'' |
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| Un autre exemple de conflit fut lorsque le Soviet de Simbirsk (qui avait émané des comités d’usine) voulut prendre le contrôle du syndicat du textile et nommer une autre direction, au nom du fait que l'ancienne direction aurait eu des liens avec la Douma d'Etat et avaient des pratiques non démocratiques. En réaction, les ouvriers d'une usine votèrent une protestation, réaffirmant que ''« dans les institutions démocratiques il y a, à l’origine, l’élection ; la nomination d’une Direction viole les principes démocratiques élémentaires [et que] c’est l’assemblée qui contrôle la Direction, (...) tout autre contrôle est une gifle à l’assemblée »''.<ref name="Ferro" /> | | Un autre exemple de conflit fut lorsque le Soviet de Simbirsk (qui avait émané des comités d’usine) voulut prendre le contrôle du syndicat du textile et nommer une autre direction, au nom du fait que l'ancienne direction aurait eu des liens avec la Douma d'Etat et avaient des pratiques non démocratiques. En réaction, les ouvriers d'une usine votèrent une protestation, réaffirmant que ''« dans les institutions démocratiques il y a, à l’origine, l’élection ; la nomination d’une Direction viole les principes démocratiques élémentaires [et que] c’est l’assemblée qui contrôle la Direction, (...) tout autre contrôle est une gifle à l’assemblée »''.<ref name="Ferro" /> |
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| « Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu'ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n'eurent jamais l'envergure et la force de celles de 1905 (...). L'effrondrement économique de la Russie, l'inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c'était l'ordre social russe dans son ensemble »<ref> Isaac Deutscher, ''Soviet Trade Unions'', Royal Institute of International Affairs, London, 1950</ref> | | « Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu'ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n'eurent jamais l'envergure et la force de celles de 1905 (...). L'effrondrement économique de la Russie, l'inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c'était l'ordre social russe dans son ensemble »<ref> Isaac Deutscher, ''Soviet Trade Unions'', Royal Institute of International Affairs, London, 1950</ref> |
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| La Troisième Conférence Panrusse des Syndicats se tient à Petrograd les 20-28 juin. Elle adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production ». Quant aux Comités d'usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d'usine devaient lutter pour l'entrée de tous les travailleurs de l'entreprise dans les syndicats. Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l'unité dans leur lutte » et « renforcer l'autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés ». La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicats, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les menchéviks et SR qui dominaient insistaient pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats. Les thèses bolcheviques, présentées à la conférence par [[Nikolaï_Glebov-Avilov|Glebov-Avilov]], proposaient la création et le rattachement à l'administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique », composées de membres des Comités d'usine. | | La Troisième Conférence Panrusse des Syndicats se tient à Petrograd les 20-28 juin. Elle adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production ». Quant aux Comités d'usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d'usine devaient lutter pour l'entrée de tous les travailleurs de l'entreprise dans les syndicats. Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l'unité dans leur lutte » et « renforcer l'autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés ». La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicats, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les menchéviks et SR qui dominaient insistaient pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats. Les thèses bolcheviques, présentées à la conférence par [[Nikolaï_Glebov-Avilov|Glebov-Avilov]], proposaient la création et le rattachement à l'administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique », composées de membres des Comités d'usine. |
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| Les [[mencheviks]], qui prétendaient que la révolution ne pouvait conduire qu'à une république démocratique — bourgeoise, insistaient sur l'autonomie des syndicats vis-à-vis du nouvel État russe. [[Maïski]] déclara que ''« si le capitalisme reste intact, les tâches auxquelles les syndicats sont confrontés sous le capitalisme restent inchangées »''. [[Julius Martov|Martov]] (menchévik de gauche) présenta un point de vue plus subtil : ''« Dans la situation historique présente le gouvernement ne peut pas représenter uniquement la classe ouvrière. Il ne peut être qu'une administration de facto liée à une masse hétérogène de travailleurs, aussi bien des prolétaires que des non prolétaires. Il ne peut donc appliquer une politique économique qui représente de façon cohérente et ouverte les intérêts de la classe ouvrière »'', contrairement aux syndicats qui devaient donc conserver une certaine indépendance. | | Les [[mencheviks]], qui prétendaient que la révolution ne pouvait conduire qu'à une république démocratique — bourgeoise, insistaient sur l'autonomie des syndicats vis-à-vis du nouvel État russe. [[Maïski]] déclara que ''« si le capitalisme reste intact, les tâches auxquelles les syndicats sont confrontés sous le capitalisme restent inchangées »''. [[Julius Martov|Martov]] (menchévik de gauche) présenta un point de vue plus subtil : ''« Dans la situation historique présente le gouvernement ne peut pas représenter uniquement la classe ouvrière. Il ne peut être qu'une administration de facto liée à une masse hétérogène de travailleurs, aussi bien des prolétaires que des non prolétaires. Il ne peut donc appliquer une politique économique qui représente de façon cohérente et ouverte les intérêts de la classe ouvrière »'', contrairement aux syndicats qui devaient donc conserver une certaine indépendance. |
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− | Le point de vue bolchevik, soutenu par [[Lénine]] et [[Léon Trotsky|Trotsky]], et présenté par [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], était que les syndicats devaient être sinon complètement intégrés, du moins subordonnés au gouvernement. L'idée de la neutralité des syndicats fut qualifiée officiellement d'idée « bourgeoise », donc tout à fait anormale dans un [[État ouvrier]]. La résolution adoptée par le Congrès exprimait clairement ces idées : <blockquote> | + | Le point de vue bolchevik, soutenu par [[Lénine]] et [[Léon Trotsky|Trotsky]], et présenté par [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], était que les syndicats devaient être sinon complètement intégrés, du moins subordonnés au gouvernement. L'idée de la neutralité des syndicats fut qualifiée officiellement d'idée « bourgeoise », donc tout à fait anormale dans un [[État ouvrier]]. La résolution adoptée par le Congrès exprimait clairement ces idées : |
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| « Les syndicats devront se charger du lourd fardeau de l'organisation de la production et du redressement des forces économiques détruites du pays. Leurs tâches les plus urgentes, c'est leur participation énergique à tous les organes centraux de régulation de la production, l'organisation du contrôle ouvrier (sic !), le recensement et la distribution de la force de travail, l'organisation des échanges entre la ville et la campagne (...) — la lutte contre le sabotage et la mise en vigueur des dispositions sur le travail obligatoire (...). En se développant, les syndicats devront, dans le processus de l'actuelle révolution socialiste, devenir des organes de pouvoir socialiste, et comme tels, devront travailler en coordonnant — et subordonnant — leur activité à celle d'autres organes en vue de mettre en pratique les nouveaux principes (...) Le Congrès est convaincu qu'en conséquence, pendant ce processus, les syndicats se transformeront inévitablement en organes de l'État socialiste. La participation à la vie syndicale, doit être pour tous les membres de la population employés dans l'industrie, un devoir vis-à-vis de l'État ». | | « Les syndicats devront se charger du lourd fardeau de l'organisation de la production et du redressement des forces économiques détruites du pays. Leurs tâches les plus urgentes, c'est leur participation énergique à tous les organes centraux de régulation de la production, l'organisation du contrôle ouvrier (sic !), le recensement et la distribution de la force de travail, l'organisation des échanges entre la ville et la campagne (...) — la lutte contre le sabotage et la mise en vigueur des dispositions sur le travail obligatoire (...). En se développant, les syndicats devront, dans le processus de l'actuelle révolution socialiste, devenir des organes de pouvoir socialiste, et comme tels, devront travailler en coordonnant — et subordonnant — leur activité à celle d'autres organes en vue de mettre en pratique les nouveaux principes (...) Le Congrès est convaincu qu'en conséquence, pendant ce processus, les syndicats se transformeront inévitablement en organes de l'État socialiste. La participation à la vie syndicale, doit être pour tous les membres de la population employés dans l'industrie, un devoir vis-à-vis de l'État ». |
− | </blockquote>[[Mikhaïl Tomski|Tomski]] abondait dans ce sens en avançant que les ''« intérêts particuliers de groupes de travailleurs devaient être subordonnés aux intérêts de la classe toute entière »''. Zinoviev affirmait que le soutien au droit de grève contre un Etat ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. [[David Riazanov|Riazanov]] répliquait ''« qu'aussi longtemps que la révolution sociale commencée ici n'aura pas fusionné avec la révolution sociale en Europe et dans le monde entier (...) le prolétariat russe (...) doit être sur ses gardes et ne doit pas renoncer à une seule de ses armes (...), il doit maintenir son organisation syndicale »''. [[Tsyperovitch]], un important syndicaliste bolchevik, proposa que le Congrès ratifie le droit des syndicats de continuer à avoir recours à la grève pour la défense de leurs membres. Une résolution dans ce sens fut cependant repoussée. | + | </blockquote> |
| + | [[Mikhaïl Tomski|Tomski]] abondait dans ce sens en avançant que les ''« intérêts particuliers de groupes de travailleurs devaient être subordonnés aux intérêts de la classe toute entière »''. Zinoviev affirmait que le soutien au droit de grève contre un Etat ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. [[David Riazanov|Riazanov]] répliquait ''« qu'aussi longtemps que la révolution sociale commencée ici n'aura pas fusionné avec la révolution sociale en Europe et dans le monde entier (...) le prolétariat russe (...) doit être sur ses gardes et ne doit pas renoncer à une seule de ses armes (...), il doit maintenir son organisation syndicale »''. [[Tsyperovitch]], un important syndicaliste bolchevik, proposa que le Congrès ratifie le droit des syndicats de continuer à avoir recours à la grève pour la défense de leurs membres. Une résolution dans ce sens fut cependant repoussée. |
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| Le '''3 avril 1918''', le Conseil Central des Syndicats publia son premier rapport détaillé sur la fonction du syndicat face aux problèmes de la « discipline dans le travail » et de « l'émulation ».<ref>Narodnoye khozyaistro, N° 2, 1918, p. 38.</ref> Les syndicats ''« ne devaient épargner aucun effort pour accroître la productivité du travail, ils devaient créer par conséquent dans les usines et les ateliers les bases indispensables au travail discipliné »''. Chaque syndicat devait établir une commission ''« pour fixer les normes de productivité pour chaque secteur et chaque catégorie de travailleurs »''. L'utilisation du travail aux pièces ''« pour élever la productivité du travail »'' était admise. On affirmait que ''« les primes de productivité, lorsque la norme établie était dépassée, pouvaient, dans certaines limites, être une mesure utile pour élever la productivité sans épuiser le travailleur »''. Enfin, si ''« des groupes isolés de travailleurs »'' refusaient de se soumettre à la discipline syndicale, ils pourraient en dernier ressort être expulsés du syndicat ''« avec toutes les conséquences qui en découlent »''. | | Le '''3 avril 1918''', le Conseil Central des Syndicats publia son premier rapport détaillé sur la fonction du syndicat face aux problèmes de la « discipline dans le travail » et de « l'émulation ».<ref>Narodnoye khozyaistro, N° 2, 1918, p. 38.</ref> Les syndicats ''« ne devaient épargner aucun effort pour accroître la productivité du travail, ils devaient créer par conséquent dans les usines et les ateliers les bases indispensables au travail discipliné »''. Chaque syndicat devait établir une commission ''« pour fixer les normes de productivité pour chaque secteur et chaque catégorie de travailleurs »''. L'utilisation du travail aux pièces ''« pour élever la productivité du travail »'' était admise. On affirmait que ''« les primes de productivité, lorsque la norme établie était dépassée, pouvaient, dans certaines limites, être une mesure utile pour élever la productivité sans épuiser le travailleur »''. Enfin, si ''« des groupes isolés de travailleurs »'' refusaient de se soumettre à la discipline syndicale, ils pourraient en dernier ressort être expulsés du syndicat ''« avec toutes les conséquences qui en découlent »''. |
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| ''« Si dans une réunion syndicale nous choisissons un élu, si la classe ouvrière a le droit dans certains cas d’exprimer ses volontés, on aurait pu penser que cet élu pourrait nous représenter auprès du Commissariat au Travail. Eh bien non. Bien que nous l’ayons élu, il faut que ce choix soit ratifié. »<ref name="Ferro" />'' | | ''« Si dans une réunion syndicale nous choisissons un élu, si la classe ouvrière a le droit dans certains cas d’exprimer ses volontés, on aurait pu penser que cet élu pourrait nous représenter auprès du Commissariat au Travail. Eh bien non. Bien que nous l’ayons élu, il faut que ce choix soit ratifié. »<ref name="Ferro" />'' |
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| Un autre délégué au Congrès, Chirkin, affirma par exemple que ''« même s'il existe dans la plupart de nos régions des institutions représentant le mouvement syndical, les membres de ces institutions ne sont ni élus, ni ratifiés ; quand il y a des élections et que les individus élus ne plaisent pas au Conseil Central ou aux pouvoirs locaux, les élections sont annulées très facilement et les élus remplacés par d'autres individus, plus dociles »''. | | Un autre délégué au Congrès, Chirkin, affirma par exemple que ''« même s'il existe dans la plupart de nos régions des institutions représentant le mouvement syndical, les membres de ces institutions ne sont ni élus, ni ratifiés ; quand il y a des élections et que les individus élus ne plaisent pas au Conseil Central ou aux pouvoirs locaux, les élections sont annulées très facilement et les élus remplacés par d'autres individus, plus dociles »''. |
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| ''« Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle. »''<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref> | | ''« Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle. »''<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref> |
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| Cependant, les [[Bolchéviks|bolchéviks]] ont eu tendance à théoriser comme « socialistes » les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9<sup>e</sup> Congrès du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|PCR]] (mars 1920) déclare : | | Cependant, les [[Bolchéviks|bolchéviks]] ont eu tendance à théoriser comme « socialistes » les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9<sup>e</sup> Congrès du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|PCR]] (mars 1920) déclare : |
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| ''« Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail ; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière. »'' | | ''« Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail ; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière. »'' |
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| En avril, Trotsky est placé à la tête du Commissariat aux transports pour le remettre en ordre, tout en gardant son poste à la Défense. Le Politbureau s'engagea à l'appuyer quelle que soit la sévérité des mesures qu'il pourrait décider. Il commença à mettre tout le personnel des chemins de fer et des ateliers de réparation sous le régime de la loi martiale. Quand le syndicat des cheminots souleva des objections, Trotsky révoqua ses chefs et en désigna d'autres. | | En avril, Trotsky est placé à la tête du Commissariat aux transports pour le remettre en ordre, tout en gardant son poste à la Défense. Le Politbureau s'engagea à l'appuyer quelle que soit la sévérité des mesures qu'il pourrait décider. Il commença à mettre tout le personnel des chemins de fer et des ateliers de réparation sous le régime de la loi martiale. Quand le syndicat des cheminots souleva des objections, Trotsky révoqua ses chefs et en désigna d'autres. |
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− | Le '''Troisième congrès pan-russe des syndicats a lieu du 6 au 15 avril 1920'''. Sur la base de son expérience dans l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] et dans le traitement de la question ferroviaire, [[Trotsky|Trotsky]] défend de plus en plus ouvertement la ''« militarisation du travail »'', et la suppression de toute autonomie des syndicats. <blockquote> | + | Le '''Troisième congrès pan-russe des syndicats a lieu du 6 au 15 avril 1920'''. Sur la base de son expérience dans l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] et dans le traitement de la question ferroviaire, [[Trotsky|Trotsky]] défend de plus en plus ouvertement la ''« militarisation du travail »'', et la suppression de toute autonomie des syndicats. |
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| « la militarisation du travail (...) est une méthode inévitable d'organisation et de discipline de la main-d'œuvre dans l'époque de transition du capitalisme au socialisme (...) Est-il bien vrai que le travail obligatoire ait toujours été improductif ? On est bien obligé de répondre à cela que c'est le plus pauvre et le plus libéral des préjugés (...) L'organisation du servage a été, dans certaines conditions, un progrès et a amené à une augmentation de la production (...) Dans la période difficile actuelle, les salaires ne sont pas pour nous un moyen d'adoucir l'existence personnelle de tout ouvrier, mais un moyen d'estimer ce que tout ouvrier apporte par son travail à la République ouvrière (...) Aucune autre organisation dans le passé, excepté l'armée, n'a exercé sur l'homme une plus rigoureuse coercition que l'organisation gouvernementale de la classe ouvrière à la plus dure époque de transition. Et c'est précisément pour cela que nous parlons de militarisation du travail »<ref><nowiki>Treti vserossùski s'yezd professionalnykh soyuzov : stenografïcheski otchet (Troisième Congrès Panrusse des Syndicats : compte rendu sténographique), Moscou, 1920 [Le « Rapport sur l'organisation du Travail » de Trotsky présenté à ce Congrès, complété de passages empruntés aux rapports présentés au Congrès Panrusse des Conseils Économiques et au IXème Congrès du P.C.R., est reproduit dans le chapitre VIII de Terrorisme et communisme.]</nowiki></ref> | | « la militarisation du travail (...) est une méthode inévitable d'organisation et de discipline de la main-d'œuvre dans l'époque de transition du capitalisme au socialisme (...) Est-il bien vrai que le travail obligatoire ait toujours été improductif ? On est bien obligé de répondre à cela que c'est le plus pauvre et le plus libéral des préjugés (...) L'organisation du servage a été, dans certaines conditions, un progrès et a amené à une augmentation de la production (...) Dans la période difficile actuelle, les salaires ne sont pas pour nous un moyen d'adoucir l'existence personnelle de tout ouvrier, mais un moyen d'estimer ce que tout ouvrier apporte par son travail à la République ouvrière (...) Aucune autre organisation dans le passé, excepté l'armée, n'a exercé sur l'homme une plus rigoureuse coercition que l'organisation gouvernementale de la classe ouvrière à la plus dure époque de transition. Et c'est précisément pour cela que nous parlons de militarisation du travail »<ref><nowiki>Treti vserossùski s'yezd professionalnykh soyuzov : stenografïcheski otchet (Troisième Congrès Panrusse des Syndicats : compte rendu sténographique), Moscou, 1920 [Le « Rapport sur l'organisation du Travail » de Trotsky présenté à ce Congrès, complété de passages empruntés aux rapports présentés au Congrès Panrusse des Conseils Économiques et au IXème Congrès du P.C.R., est reproduit dans le chapitre VIII de Terrorisme et communisme.]</nowiki></ref> |
− | </blockquote>[[Boukharine|Boukharine]] se rallie à la plateforme de Trotsky. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les [[Bolchéviks|bolchéviks]], en particulier l'[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]]. Trotsky défend et théorise également ses positions dans [[Terrorisme_et_communisme|''Terrorisme et communisme'']], où il écrit :<blockquote> | + | </blockquote> |
| + | [[Boukharine|Boukharine]] se rallie à la plateforme de Trotsky. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les [[Bolchéviks|bolchéviks]], en particulier l'[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]]. Trotsky défend et théorise également ses positions dans [[Terrorisme_et_communisme|''Terrorisme et communisme'']], où il écrit : |
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| « Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l'État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail — c'est la tâche de l'ensemble de l'organisation sociale gouvernementale — mais afin d'organiser la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l'éduquer, de fixer certaines catégories et certains ouvriers à leur poste pour un laps de temps déterminé, afin, en un mot d'incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique »<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c.htm Terrorisme et communisme]'', mai 1920</ref> | | « Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l'État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail — c'est la tâche de l'ensemble de l'organisation sociale gouvernementale — mais afin d'organiser la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l'éduquer, de fixer certaines catégories et certains ouvriers à leur poste pour un laps de temps déterminé, afin, en un mot d'incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique »<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c.htm Terrorisme et communisme]'', mai 1920</ref> |
− | </blockquote>Lors de la '''5<sup>e</sup> conférence pan-russe des syndicats (2-6 novembre 1920)''', Trotsky soutient qu'il faut en finir avec l'existence parallèle des syndicats et d'organismes administratifs, responsable, d'après lui, de la confusion régnante. Ce qui ne pourrait être obtenu que par la transformation des organisations syndicales (professionalny) en organisations de production (proizvodstvenny). | + | </blockquote> |
| + | Lors de la '''5<sup>e</sup> conférence pan-russe des syndicats (2-6 novembre 1920)''', Trotsky soutient qu'il faut en finir avec l'existence parallèle des syndicats et d'organismes administratifs, responsable, d'après lui, de la confusion régnante. Ce qui ne pourrait être obtenu que par la transformation des organisations syndicales (professionalny) en organisations de production (proizvodstvenny). |
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| À la fin de l'année (après la fin de la [[Guerre russo-polonaise (1920)|guerre russo-polonaise]]), une vague de mécontentement s'exprime. À l'automne, l'autorité de Lénine est contestée comme elle ne l'avait jamais été depuis le mouvement des « [[Kommunist|communistes de gauche]] ». | | À la fin de l'année (après la fin de la [[Guerre russo-polonaise (1920)|guerre russo-polonaise]]), une vague de mécontentement s'exprime. À l'automne, l'autorité de Lénine est contestée comme elle ne l'avait jamais été depuis le mouvement des « [[Kommunist|communistes de gauche]] ». |
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| Toute ingérence des syndicats dans la direction de l’entreprise doit donc être considérée absolument comme néfaste et inadmissible. | | Toute ingérence des syndicats dans la direction de l’entreprise doit donc être considérée absolument comme néfaste et inadmissible. |
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| Il est ajouté aussitôt : | | Il est ajouté aussitôt : |
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| Cependant il serait tout à fait erroné d’interpréter ce principe indiscutable comme la négation de la participation des syndicats dans l’organisation socialiste de l’industrie et dans la gestion de l’industrie nationale. | | Cependant il serait tout à fait erroné d’interpréter ce principe indiscutable comme la négation de la participation des syndicats dans l’organisation socialiste de l’industrie et dans la gestion de l’industrie nationale. |
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| ==Notes et sources== | | ==Notes et sources== |
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